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1. Un contexte de recherche, des logiques imbriquées

1.2. De la zone d’étude aux sites-pilote

1.2.2. Des collectivités territoriales pour sites d’étude

Le travail de l’OGM avait pour cadre, dès le démarrage du projet, les Communautés Rurales de Développement (CRD) de Mankountan dans la préfecture de Boffa et de Kanfarandé dans la préfecture de Boké. Dans le courant de la première année, celui-ci s’est élargi à la CRD de Tougnifily dans la préfecture de Boffa. Fin 2004, la méthode conçue au cours de deux années de travail a été testée plus au Sud de cette même préfecture, au sein de la Commune de Boffa.

Figure 5 : Localisation des CRD de référence de l’Observatoire de Guinée Maritime

À la mosaïque des milieux et des groupes sociaux auxquels nous avions affaire dans le choix des sites d’étude, s’ajoutait une autre dimension : celle du cadre administratif imposé. Avant de faire le point sur les sites retenus, il convient donc de rendre compte précisément des étapes qui ont jalonné la politique de décentralisation de l’État guinéen. Ceci éclairera d’autant mieux le contexte de travail dans lequel l’équipe a évolué.

En 1984, à la mort du président Ahmed Sékou Touré et après « vingt-six années de régime révolutionnaire sans partage » (Condé, 2003), la Guinée, emmenée par le Général Lansana Conté, amorce une transition politique majeure. Le nouveau président qui s’installe à la tête de l’État entend marquer une rupture nette avec la politique de son prédécesseur. Il entame très rapidement une série de réformes au sein de l’appareil étatique dont la rénovation de la constitution et l’avènement de la Deuxième République sont les symboles. Les pays occidentaux, évincés en 1959 au profit du bloc soviétique, appuient ce mouvement de réformes par le biais des institutions de Bretton Woods. La Banque Mondiale joue dès lors le rôle qu’elle s’est assignée dans bon nombre de pays africains, celui « d’une agence internationale d’expertise et de consultance, les prêts apparaissant à la limite comme des prétextes pour mettre en place directement des réformes destinées à installer le cadre institutionnel, financier et technique du développement tel que la Banque le conçoit » (Osmont, 1995, cité par Le Bris, 2002).

C’est dans ce contexte de « réformes macro d’ordre économique et institutionnel » (Le Bris, 2002) qu’en décembre 1985, le nouvel État guinéen crée un Secrétariat d’État chargé de la Décentralisation. L’administration du territoire, qui jusque-là avait pour fondement ce que les spécialistes ont coutume d’appeler « le centralisme politique et la décentralisation organique », se décline dorénavant en une succession d’entités administratives imbriquées, théoriquement autonomes et émanant des populations. En réalité, cette réforme institutionnelle, pilotée par l’extérieur, fragilise un État balbutiant qui n’a même pas franchi, à l’heure de la création de ces collectivités décentralisées, l’étape de la déconcentration administrative.

Passant d’une logique descendante à une logique ascendante donc, la structuration du territoire administratif est sensée dorénavant dépendre des volontés de la base, des populations (Lima, 2002). Les « villages » et les « hameaux », marqués par la présence vivace des modes de gestion coutumiers, sont dirigés en Guinée Maritime par un chef (issu généralement du lignage fondateur) et par le conseil des sages. La loi sur la décentralisation leur impose de se regrouper par affinité afin de former des « secteurs » qui, eux-mêmes sont

regroupés en « districts » (« quartiers » en milieu urbain). La réunion des « districts » forme la CRD (ou la « commune » en milieu urbain)28.

Ce renversement de logique se retrouve dans beaucoup d’États d’Afrique sub- saharienne dans les années quatre vingt/quatre vingt dix. La Guinée, mais aussi le Mali par exemple (Lima, 2002), adopte des ordonnances en ce sens et proposent ainsi aux populations de s’investir dans la gestion de l’espace local en vue du développement du pays. Amorce de processus démocratiques ? Volonté de marquer une transition forte dans l’exercice du pouvoir d’État ? C’est « le moyen choisi par l’État guinéen pour faire participer les populations à la gestion des affaires du pays » écrit Condé (Condé, 2003). Plus critique, Émile Le Bris préfère insister sur le rôle prépondérant des bailleurs de fonds occidentaux en notant que la décentralisation emprunte plutôt à « une logique "d’excision de la souveraineté" ; elle constitue plus un accompagnement des politiques de lutte contre la pauvreté qu’elle ne se préoccupe de rééquilibrage territorial et de subsidiarité démocratique » (Le Bris, 2002).

En apparence, il s’agit bien d’opérer une décentralisation du pouvoir de l’État : la CRD est administrée localement par des membres élus, dispose d’une enveloppe budgétaire propre (qui se compose pour l’essentiel des financements octroyés par les bailleurs) et peut exercer localement ses décisions. Il s’agit là seulement d’une apparence car, dans un contexte où l’État est fragile, celui-ci a tout intérêt à garder une emprise sur des îlots de pouvoir pilotés quasi-directement de l’extérieur. Dans la pratique, l’État via son instance en charge de la décentralisation, met au service de la CRD ses compétences techniques en mandatant au sein de l’équipe exécutive un « Secrétaire communautaire » qui, contrairement aux autres membres dirigeants, n’est pas élu au suffrage universel par les populations. Qui plus est, il impose que toutes les décisions prises au sein de la CRD soient discutées avec la sous- préfecture (dont les limites territoriales sont les mêmes en Guinée, à une exception près29) et entérinées par la préfecture. Par exemple, les modifications qui peuvent être envisagées dans le redécoupage interne d’une CRD doivent recevoir l’approbation de la préfecture qui en réfère elle-même au Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation (MATD).

28 Seuls les « districts » (« quartiers » en milieu urbain) et les CRD (« communes en milieu urbain) sont reconnus

officiellement par l’État. Ils forment les deux premiers échelons des entités décentralisées.

Localement donc, logique ascendante et logique descendante se télescopent, d’autant plus que le siège de la CRD se situe toujours dans le chef-lieu de la sous-préfecture. L’administration du territoire, au sein de laquelle s’inscrit la gestion du développement (et ses larges retombées financières), naît donc dans une ambivalence entretenue entre décentralisation et déconcentration, générant localement des luttes intestines pour le pouvoir30.

Certes récentes, les informations que nous exploitions dans la perspective de choisir des sites d’étude ne nous permettaient pas d’anticiper les éventuels redécoupages locaux liés à ces luttes de pouvoir et d’argent (du développement en grande partie). Les entretiens exploratoires dans chaque CRD ont confirmé ces redécoupages en révélant des réorganisations territoriales non validées par le ministère et que l’Atlas Infogéographique de

Guinée Maritime ne mentionnait pas. Dans la CRD de Kanfarandé, les données récoltées

avant 2000 indiquaient l’existence de quatorze districts ; en 2003, on en trouvait quinze. Dans la CRD de Mankountan, les trois districts de départ ont été démantelés et réorganisés en huit districts. À Tougnifily, la CRD comptait six districts en 1999, elle en compte dix-huit en 200331. Ces recompositions que nous lisions à l’échelle du district signifiaient également qu’à l’intérieur de ces entités, les villages et a fortiori les secteurs avaient également été touchés par les remaniements32.

Au-delà des problèmes de restitution des conclusions du programme au ministère de tutelle que pose la découverte de tels remaniements non encore reconnus par l’État, ces recompositions territoriales nous interrogeaient bien sûr sur la pertinence de la CRD comme entité administrative efficiente pour le choix de nos sites d’étude. Ne fallait-il pas adopter une approche à plus petite échelle qui aurait plus de chance de partir d’espaces « approprié[s] et incorporé[s] dans les dynamiques sociales » (Offner, Pumain, 1996) plutôt que d’un maillage

30 Faisant partie d’un programme de recherche pour le développement, nous avions nécessairement comme

interlocuteur privilégié la CRD. Pour autant, et ce pendant toute la durée du programme, nous avons entretenu des contacts réguliers avec les sous-préfectures pour tenter de comprendre les enjeux de pouvoir et équilibrer au mieux nos rapports avec les instances locales.

31 La démultiplication du nombre de districts est un phénomène courant : les enveloppes budgétaires attribuées

aux CRD sont fonction du nombre de districts qui les composent.

32 Des villages avaient basculé d’un secteur à un autre, des secteurs, entièrement démantelés, avaient été

administratif lâche et sujet à caution ?33 Les multiples visites exploratoires, les discussions avec les instances administratives, communautaires et/ou villageoises et la volonté d’intégrer au mieux dans nos méthodes les contextes locaux, nous ont poussé à choisir comme références territoriales celle produites par la base. Qui plus est, travailler à l’échelle des CRD aurait nécessité des moyens matériels et humains considérables. Nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur des secteurs qui répondaient aux critères délimités par chaque volet du programme en terme de diversité des milieux et d’hétérogénéité sociale. Quand les conditions pour la mise en place de nos travaux n’étaient pas réunies à cette échelle, nous avons élargi nos sites d’étude soit à l’échelle de plusieurs secteurs, soit au district, voire même avons-nous réuni plusieurs districts34.

Une fois que l’ensemble des éléments évoqués dans ce premier chapitre furent posés et discutés entre les différents volets35, nous avons procédé, avec les membres de l’équipe scientifique et dans le respect des règles imposées par les institutions/bailleurs, au choix raisonné de ce que nous avons appelé les « sites-pilote » du programme OGM. Dans la CRD de Mankountan, nous avons ainsi retenu deux districts (Bigori et Madya), dans la CRD de Kanfarandé, quatre secteurs (Kankayani et l’île qui regroupe les trois secteurs de Kanof, Kankouf et Tesken (KKT)) et deux autres districts (Dobali et Kambilam). Un peu plus tard, dans la CRD de Tougnifily, nous avons choisi un district (Brika). En toute fin de programme, à Boffa, nous avons travaillé sur deux districts (Dominya et Thia) et la réunion de deux districts (Dobiret et Marara).

33 La question de la « petite fabrique des territoires » (Vanier, 1995) liée aux différentes entités administratives et

aux recompositions territoriales qu’elles occasionnent (Douillet, 2002 ; Le Bris, 2002), aurait ici été très intéressante à traiter. Les impératifs du programme ne nous en ont malheureusement pas laissé le temps.

34 Ici pour des considérations démographiques : pour mener des enquêtes systématisées qui permettaient in fine

d’offrir une illustration quantitative des phénomènes observés, nous devions disposer d’une base de sondage suffisante pour mettre en place le dispositif d’enquêtes.

35 Discussions qui ont également pris en compte d’autres critères tels que l’accès ou non aux infrastructures de

base (écoles, centres de santé, pistes carrossables), à la route goudronnée, l’accès ou non aux flux commerciaux, l’existence passée ou présente de projets de développement dans les sites, les données démographiques et la proximité d’un centre urbain important. Ces points qui ne sont pas décrits ici feront l’objet, au fur et à mesure du développement de ce travail, de précisions pour chaque site. Nous avons fait le choix dans un premier temps de ne décrire que les caractéristiques communes à l’ensemble de la zone d’étude du projet.

Figure 6 : Carte de localisation des sites pilotes de l’OGM dans les CRD de Mankountan, Kanfarandé, Tougnifily et dans la Commune de Boffa.

Tableau 1 : Synthèse des caractéristiques des sites-pilote de l’OGM

Réalisation : Mathilde Beuriot, 2006 * En référence ici à la CRD ou la Commune, les organes décentralisés, mais reconnus dans le même temps par les préfectures et/ou les sous-préfectures au niveau régional. Par contre l’organisation de ces entités, telle que nous la définissons dans ce tableau, n’est pas reconnue par le MATD et l’État guinéen.

** Liste non exhaustive

NOM Échelon

administratif*

Composition administrative*

Caractéristiques principales du milieu physique Groupe culturel principal Groupes culturels secondaires** Bigori District 3 secteurs composés de 19 villages ou hameaux Plaine de front de mer et cordons sableux, mangrove Baga Sitemou Soussou, Peulh Madya District 5 secteurs composés de 9 villages ou hameaux Milieu continental, sables sur grés, savane boisée et arborée Soussou Landouma Dobali District 4 secteurs composés de 18 villages ou hameaux Presqu’île estuarienne, plaine de front de mer, mangrove et milieu continental,

savane boisée Baga Mandouri Balante

Kambilam District 4 secteurs qui sont en fait 4 villages Mosaïque de milieux biophysiques, savane boisée, forêt et mangrove Landouma - Kanof/Kankouf/Tesken Secteurs 4 villages ou hameaux Ile estuarienne et plaines de front de mer, mangrove et palmeraies Nalou Baga Sitemou, Balante

Kankayani Secteur 9 villages ou hameaux Mosaïque de milieux continentaux, savane boisée et forêt Diakhanké Nalou Brika District 3 secteurs composés de 11 villages ou hameaux Mosaïque de milieux biophysiques, plaine de front de mer, mangrove et coteaux

continentaux, palmeraies

Soussou Baga Foré, Balante

Thia District 4 secteurs composés de 13 villages ou hameaux Mosaïque de milieux biophysiques, mangrove et savane arborée Soussou -

Dominya District 4 secteurs qui sont en fait 4 villages Mosaïque de milieux biophysiques, mangrove et savane arborée Soussou -

Marara/Dobiret Districts

Dobiret : 2 secteurs, 6 villages ou Hameaux Marara : 5 secteurs, 6 villages ou hameaux

Iles estuariennes, cordons sableux,

mangroves et palmeraies Baga Foré Balante, Soussou

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