• Aucun résultat trouvé

La forme collective : lien organique, passerelle entre les différents ménages

Les indicateurs de la pluriactivité : le temps et l’organisation du travail

4. L’organisation du travail : la pluriactivité des individus du ménage

4.2. Les trois formes du travail pluriactif au sein des ménages

4.2.1. La forme collective : lien organique, passerelle entre les différents ménages

La première des formes du travail est la forme collective. Tous les membres du ménage sont ici mobilisés instituant celui-ci en acteur. Chacun participe à la mise en œuvre de l’activité concernée. Cette forme ne s’applique qu’aux travaux agricoles. Elle renvoie au lien organique que les communautés rurales guinéennes entretiennent avec la terre, elle est aussi l’espace de mobilisation et de confrontation des ménages, au sein de la concession familiale et plus largement au sein du groupe. Elle sert de passerelle et permet l’expression des réciprocités.

L’usufruit des champs ou la propriété des casiers rizicoles, et surtout la reconnaissance par les autres de ces droits sur la terre, est un instrument fort de pouvoir et de domination. L’autorité des familles élargies se mesure à leur capacité d’occupation du terroir et du

territoire villageois. Les descendants du premier défricheur (le lignage fondateur) mais aussi les familles de dignitaires religieux, de tradipraticiens réputés, de forgerons (etc.) se doivent de cultiver de grandes surfaces pour préserver, génération après génération, leur ascendant sur le reste du groupe. Marc Duval évoque l’idée d’un « totalitarisme sans État » (Duval, 1985) pour qualifier les stratégies de ceux qui détiennent localement le pouvoir. La mise en valeur de la terre constitue l’activité qui va permettre l’assise du pouvoir et la légitimation de la domination des uns sur les autres. Le résultat du jeu social autour de cette activité est donc une mobilisation massive de chaque clan : plus on s’entend et plus les intérêts convergent dans le lignage, plus on occupe le terrain. La discussion sur la nécessité de participer aux travaux des champs n’a d’ailleurs pas lieu d’être : « les travaux champêtres, c’est

obligatoire »122. Comme le rappelle Philippe Lavigne-Delville, le foncier n’est pas une

donnée figée, le terroir est flexible et objet de luttes parfois violentes (Lavigne-Delville, 1998).

Tableau 15 : Organisation des travaux des champs quelle que soit la culture par typologie de la pluriactivité en fonction du temps alloué à chaque activité

Type de pluriactivité en

fonction du temps alloué Type A Type B Type C Type D Type E Total

Effectif/Pourcentage

Colonne Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C

Tous les membres du

ménage 81 88,0 59 89,4 78 90,7 60 84,5 63 94,0 341 89,3

Les membres du

ménage, chef exclu 5 5,4 6 9,1 5 5,8 3 4,2 3 4,5 22 5,8

Un membre du ménage 6 6,5 1 1,5 3 3,5 8 11,3 1 1,5 19 5,0

Total 92 100 66 100 86 100 71 100 67 100 382* 100

Réalisation : Mathilde Beuriot, 2006 - Source : Enquêtes OGM, 2003-2005

* Considérant ici une population de 382 ménages, ceux qui mettent en œuvre les travaux des champs.

Qu’il s’agisse d’arachide, de riz pluvial ou inondé, la forme du travail est la même pour tous les types de culture en champ ou casier. 90 % des ménages réunissent tous leurs membres actifs pour mettre en œuvre les travaux. Quel que soit le type d’emploi du temps des membres du ménage et la nature des activités qu’ils ont à mener par ailleurs, les travaux

122 Expressions maintes fois entendues lors d’entretiens menés auprès des populations des différents sites

agricoles prennent le dessus. Ils sont un passage obligé. La structure sociale pèse ici de tout son poids.

Toutefois l’activité agricole est une méta-activité car elle se décompose en une série de « fonctions culturales » (Ancey, 1975 b). Chaque fonction est assumée par un ou plusieurs individus du ménage mais rares et courts sont les temps de l’activité agricole où tous sont actifs simultanément. Il y a non seulement parcellisation du travail mais également division (sexuelle) des tâches.

La défriche, le labour, le semis sont des moments clés où les hommes sont particulièrement sollicités. C’est le temps aussi de la convocation des groupes d’entraide (institués ou non), tout particulièrement les kilé et lanyi. Les femmes sont tenues de préparer les repas des travailleurs mais peuvent aussi vaquer à d’autres occupations, en cuisine notamment. Ces étapes sont éprouvantes physiquement et justifient le recours à de l’aide extérieure. Qui plus est, elles permettent aux ménages de signifier leur emprise sur le terroir : l’étendue défrichée sera automatiquement ensemencée. Lors d’un relevé de taille des surfaces défrichées effectué au GPS à Kankayani en 2003, celle du chef de secteur, un Diakhanké, avoisinait les 12 hectares tandis que le champ contigu attribué à un jeune ménage nalou123 ne dépassait pas 1,5 hectares. Si la proportion de bouches à nourrir dans chacun de ces ménages est différente, et forcément plus importante dans le ménage du vieux chef de secteur, il n’en demeure pas moins que l’étendue des champs en culture, que l’on peut lire à l’échelle du paysage, est un bon indicateur de l’emprise d’un clan sur le territoire villageois.

Pour les autres étapes de l’activité agricole, c’est en fonction de la nature des tâches à accomplir que celles-ci sont réparties entre les différents membres du ménage. Les enfants s’occupent de la surveillance des champs ; les hommes sont de nouveau mobilisés pour les sarclages et convoquent parfois les collectifs de travail pour les y aider. Les récoltes

123 Le territoire de Kankayani était, avant la venue des Diakhanké à la fin du XIXème siècle, une terre nalou.

L’arrivée massive et guerrière des Diankhanké à cette époque a permis à ceux-ci de prendre l’ascendant sur les maîtres des terres nalou, les premiers défricheurs. 150 ans plus tard, la cohabitation qui semble pacifique masque en fait une lutte entre les deux groupes qui n’a jamais cessé depuis l’annexion forcée du territoire par les Diakhanké. Au moment des défriches, lorsque le foncier se matérialise dans l’espace, les vieilles querelles se réveillent et ils arrivent assez régulièrement que des Diakhanké meurent subitement, particulièrement lorsqu’ils ont tenté de s’avancer encore plus avant dans les terres nalou.

mobilisent de nouveau l’ensemble des membres du ménage (homme, femme et enfant) et il est rare que les groupes d’entraide y soient associés (leur intervention impliquerait une redistribution immédiate d’une partie de la production). Le battage est également une fonction assumée par les membres du ménage (majoritairement par les hommes). Séchage et vannage se font aux abords des cuisines, à l’abri des regards indiscrets, et sont alors l’apanage des femmes, le plus souvent les épouses du chef.

Nous insistons ici sur le fait que la forme collective du travail s’applique exclusivement aux travaux agricoles. Dans notre zone d’étude, nous avons cependant constaté une exception à cette règle qu’il est intéressant de développer à ce stade : il s’agit de certaines techniques de pêche à pied qu’utilisent les Baga de Bigori. L’encadré qui suit en rend compte.

Camboa, kgböps et pêche au trou : des exemples de pêches collectives

Camboa, kgböps et pêche au trou sont donc des techniques pratiquées uniquement par les

Baga. Si elles permettent de prélever de grandes quantités de poissons et de dégager des revenus substantiels, ce sont cependant des techniques dépendantes de la hauteur de la lame d’eau, des conditions hydrologiques de la plaine d’arrière-mangrove qui ne sont favorables que quelques semaines par an : elles ne sont pratiquées qu’entre mars et mai. Les individus qui mettent en œuvre ces techniques sont donc nécessairement très mobilisés pour optimiser le prélèvement sur de courtes durées. Ce sont les seules techniques de la pêche à

pied qui sont pratiquées collectivement.

Ces techniques sont l’expression de la très forte structuration du groupe Baga et de la densité du lien social. Elles sont l’une des manifestations, très courantes, de l’entretien et de l’affirmation de l’unité et de l’identité du groupe. Plutôt que de faire du rendement, il s’agit surtout d’instaurer une continuité de la présence Baga dans le territoire qui, à ce moment de l’année, est sous l’eau. Ce qui existe déjà dans les travaux agricoles est ainsi présent dans les activités de pêche ici bien différentes de celles que nous avons pu rencontrer dans les autres sites-pilote. Camboa, kgböps et pêche au trou jouent le rôle de passerelle, différents collectifs de travail s’organisent autour de ces activités : mobilisation de tous les membres du ménage, des jeunes hommes d’une famille élargie, de toutes les femmes de la communauté, etc.

La forme collective du travail ne confère que peu d’autonomie aux individus au sein du ménage. L’idée même de ne pas y prendre part est perçue comme saugrenue. Au niveau de la communauté villageoise, elle est une garantie que tous les habitants, au-delà de toute considération stratégique, disposeront d’un lopin de terre leur permettant de cultiver les céréales vitales pour leur alimentation. Le lien organique à la terre est également un lien organique au groupe dont dépendait et dépend encore pour une bonne part la survie de chacun. Cela signifie que pour bénéficier d’une relative autonomie, les individus doivent nécessairement mener d’autres activités en parallèle s’ils veulent, à distance ou en association avec le ménage et le groupe, s’octroyer un espace de liberté, se donner une marge de manœuvre et répondre en propre à ce que tous nomment localement, les « petits besoins ».

4.2.2. La forme individuelle du travail ou la marge de manœuvre des

Documents relatifs