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Une illustration des types de partition du temps : les « biographies statistiques »

Les indicateurs de la pluriactivité : le temps et l’organisation du travail

3. La partition du temps : la pluriactivité des ménages

3.3. Cinq combinaisons de temps d’activités dans les sites

3.3.3. Une illustration des types de partition du temps : les « biographies statistiques »

Pour être tout à fait complète, cette première analyse des types de combinaisons du temps alloué aux différentes activités des ménages doit aussi montrer quels profils ont ce que nous avons appelé jusqu’à présent, pour une question de non représentativité statistique, les « autres activités ». Pour ce faire, nous avons opté pour la construction de biographies

statistiques de ménages représentatifs de chacun des types révélés par l’AFC. Il s’agit de

descriptions basées sur l’ensemble des données collectées pour un ménage et qui ont pour vocation à la fois, d’illustrer les types de combinaisons d’allocation du temps mais aussi, de montrer quelles « autres activités » sont inscrites dans la pratique combinatoire de celui-ci. Les biographies permettent également de voir dans quelle mesure ces dernières entrent en résonance avec les dix activités représentatives des combinaisons pluriactives.

- Biographies statistiques de deux ménages, un du « type A » et un du « type C » :

Un jeune ménage de Kambilam : le ménage de D.D. qui met en œuvre une combinaison de « type A ».

D.D est un jeune homme de 30 ans, Landouma. Son ménage compte deux individus : lui et son épouse. Ils sont tous deux présents et actifs. L’Unité de Consommation du ménage s’élève à 1,7 tandis que l’Indice Synthétique de la Force de Travail est de 2 et que le Taux de dépendance est nul ; ils n’ont pas d’enfants en bas âge et aucune autre personne à charge ou placée sous la responsabilité de D.D.

En 2003, ils ont mis en culture deux parcelles, une de grande taille semée en arachide (cinq estagnons) et une petite surface semée en riz de coteau (riz pluvial) pour laquelle ils ont utilisé deux estagnons de semence. Comme ils vivent à Kambilam, il leur est impossible de pratiquer la riziculture inondée : le terroir du village est situé sur le rebord continental. Ils ont alloué 45 JT cette année-là aux travaux des champs et ce, sans compter l’aide reçue par les membres du lanyi auquel D.D. appartient et qui représente 63 JT de travaux supplémentaires. D.D. a lui-même collaboré aux travaux des champs des huit autres membres de son groupe pendant cette saison culturale. Ils élèvent par ailleurs quelques volailles.

Il ne pêche pas à l’instar de son épouse qui ne fume pas le poisson. En revanche, elle s’est rendue sur un campement de sel à Bissité. Comme chaque année, elle y séjourne 45 jours

et produit le sel dont le ménage et d’autres membres de la famille élargie ont besoin. Régulièrement, dès qu’elle le peut, elle offre également ses services à d’autres femmes du village et gagne en retour une part de la production de ces journées de travail. Elle fabrique du savon noir mais peu, elle n’y passe que 4 JT par an. D.D., lui, vend sa force de travail, soit seul, soit avec les autres membres de son lanyi (il se déclare « ouvrier agricole »). Il assume par ailleurs une fonction de responsabilité dans le village : il est « crieur public »*, autrement dit colporteur des nouvelles que tous doivent connaître. Petits arrangements, responsabilité

collective, capitalisation et entraide jalonnent donc l’emploi du temps de ce jeune ménage

tout récemment installé.

Un ménage dépendant de Kambilam qui relève de la combinaison de « type C ». Le vieux Y.S. est l’aîné de la concession, de la famille élargie de D.D. Il est âgé de 80 ans. Son ménage compte six individus : une première épouse âgée de 70 ans et une seconde âgée de 30 ans qui a deux enfants en bas âge. En raison du décès de l’un de ses frères, une troisième femme est venue s’installer dans la maison : elle est âgée de 75 ans (lévirat).

En 2003, il a convoqué un fokhèdékilé, un groupe de travail ponctuel et salarié qui a réuni les membres de sa concession, ce qui lui a permis de mettre en culture une parcelle d’arachide et une parcelle de riz de coteau.

Il ne déclare aucune activité pour les deux vieilles femmes et il ignore comment sa jeune femme de 30 ans, qui est souvent absente, s’arrange avec ses deux enfants. Lui élève quelques poulets et en dehors de sa collaboration aux journées de travaux agricoles, il n’a aucune activité. Son ménage est donc très dépendant des ménages de ses neveux comme celui du jeune D.D. Eu égard à son âge et à celui de ses épouses, il ne peut compter dorénavant que sur sa descendance pour subvenir à ses besoins.

- Biographies statistiques de deux ménages, un du « type B » et un du « type D » :

Un méta-ménage de Bigori qui met en œuvre une combinaison de « type B » :

A.B. est baga, il est âgé de 54 ans. Le ménage dont il est le chef compte 22 membres. Il est polygame, a deux épouses : une de 40 ans qui a sept enfants et une de 35 qui, elle, en a huit. Trois de ses quinze enfants sont âgés de plus de 15 ans et collaborent aux activités du ménage. Deux autres personnes sont sous la responsabilité de A.B., vivent sous son toit et

collaborent également aux activités du ménage : une jeune fille de 12 ans et une « sœur » de A.B., âgée de 45 ans qui s’est séparé de son époux. Sept enfants de A.B. ont été confiés à des tiers. Ceux qui sont présents et âgés de plus de 7 ans travaillent. Le ménage de A.B. compte au total 12 actifs.

En 2003, douze casiers rizicoles ont été mis en valeur par les membres du ménage. Cela représente presque 250 JT de travail pour 27 estagnons de riz de mangrove. A.B. a bénéficié ou mobilisé un kilé qui a réuni 107 personnes, venues en renfort lors de cette saison culturale. Étant donné qu’il est responsable religieux et tradipraticien, c’est une personnalité influente dans le district, ce qui pourrait expliquer la présence d’un si grand nombre de personnes. Les femmes de son ménage cultivent en sus quelques vivrières sur les parties hautes des casiers dont leur époux a hérité ; elles s’occupent aussi d’une vingtaine de gallinacés qui déambulent dans la concession. Ces activités ne mobilisent pourtant pas tout l’emploi du temps de ce ménage.

A.B. consacre deux mois par an à la pêche embarquée au filet dormant banbanyi ; ses épouses pêchent à la nasse pendant la saison sèche : elles y consacrent plus de 160 JT par an. Ensemble, ils pêchent également au trou entre mars et mai dans la plaine de Mankountan. Les poissons pêchés sont fumés et revendus par les épouses de A.B..

Par ailleurs, celles-ci préparent de l’huile rouge et confectionnent du savon noir, toujours en saison sèche afin de se rendre disponible pour les travaux rizicoles. La majeure partie de ces produits est vendue mais une part est autoconsommée.

La combinaison d’activités de ce ménage repose sur une partition du cycle annuel entre le secteur d’activité pêche (ce qui inclut le fumage) et la riziculture inondée. Les « autres activités » s’inscrivent dans les interstices de l’emploi du temps : petits arrangements des épouses ; entraide et capitalisation, responsabilité collective et connaissance du secret pour A.B. qui, selon ses dires, ne se consacre à cette dernière activité que « pour le plaisir ».

Biographie statistique d’un ménage moyen spécialisé dans le secteur d’activité pêche à

Dobiret et qui met en œuvre une combinaison de « type D » :

Contrairement à A.B., le ménage de H.C. ne partage pas son temps en deux activités importantes mais se consacre exclusivement au secteur pêche. Lui est Téminé, réside avec les membres de son ménage sur le campement de Sahara au Sud de l’île de Dobiret. Il n’est pas

originaire de la zone, a 39 ans et son unique épouse 30 ans. Trois autres adultes sont sous sa responsabilité : une jeune femme âgée de 25 ans et deux jeunes hommes de 28 et 30 ans.

H.C et ses deux « frères » consacrent tout leur temps à la pêche embarquée. Six jours sur sept, ils naviguent dans les chenaux ou au large et pêchent la plupart du temps au filet à mitraille. Pendant les sept mois de saison sèche, leur équipe est renforcée par la présence de deux ouvriers. Lorsque les conditions de marée sont favorables, H.C. passe également du temps à la pêche au kasnet : dans le dédale des chenaux de Dobiret, frayent notamment les crevettes qui prennent une grosse plus-value lorsqu’elles sont vendues à Conakry.

Toute l’année, son épouse et l’autre femme de son ménage fument les quantités imposantes de poissons que H.C. et ses équipiers ramènent chaque jour. Lorsque les pêcheurs sont partis en mer pour quelques temps, elles en profitent pour développer une petite activité d’artisanat alimentaire, elles produisent des petites choses qu’elles revendent aux pêcheurs des campements, aux villageois de Dobiret et à ceux qui ne font qu’une brève halte à Sahara.

Cette combinaison exclusivement basée sur la valorisation du produit halieutique, si l’on excepte les petits arrangements des femmes du ménage, est certes très rentable mais ne permet pas au ménage de H.C. de s’installer durablement sur le territoire baga de l’île. H.C. n’est vraisemblablement que de passage même si sa présence peut durer des années. Pour prétendre vivre sur place et progressivement être intégré, il faudrait que lui et son ménage abandonnent une part de l’activité pêche au profit de la riziculture inondée, activité ancrée dans l’espace villageois et dans les pratiques socio-politiques du groupe. Deux raisons peuvent expliquer qu’ils ne le fassent pas : soit ils ne veulent pas s’investir localement et s’installer durablement, soit ils ne le peuvent tout simplement pas : les ménages qui mettent en œuvre une combinaison de « type D » sont, par opposition à ceux qui développent une combinaison de « type B », moins « bien assis », que cela soit voulu ou contraint.

- Biographies statistiques d’un ménage du « type E » :

Un ménage moyen de grande ampleur qui réside à Dobali et met en œuvre une combinaison de « type E » :

M.C. a 59 ans. Il est à la tête d’un ménage qui compte 14 membres. Il est polygame, a trois épouses qui ont respectivement 25, 35 et 50 ans. Une quatrième femme âgée de 55 ans a été intégrée au ménage suite à la disparition de son premier époux, un frère aîné de M.C.. Ils

ont neuf enfants : l’aîné a 23 ans, le dernier 3 ans. Huit membres du ménage sont actifs et collaborent à la combinaison d’activités.

12 activités différentes sont menées au sein du ménage de M.C. : les travaux des champs, la pêche à pied, le fumage, la saliculture, la préparation de l’huile rouge, l’élevage de ruminants, l’élevage avicole, la saponification, une activité de responsabilité, le travail du bois, la cueillette et la vannerie « masculine ».

En 2003, trois parcelles de cultures pluviales ont été mises en valeur par les membres du ménage : une grande surface exploitée en arachide (12 estagnons), du fonio et du maïs dans de petites quantités. Le ménage dispose de casiers rizicoles dans la plaine d’arrière- mangrove mais il ne s’est est pas servi cette année-là. M.C. a mobilisé lors d’une journée un

kilé de 60 personnes pour défricher le champ, ce qui représente une grande quantité de travail

fourni par des individus extérieurs au ménage. Cependant, M.C. et ses fils ont restitué ce temps alloué à leurs cultures en allant travailler, à la même période, une semaine dans les parcelles d’autres ménages du village.

Parallèlement aux travaux des champs, les membres du ménage plantent quelques vivrières (aubergines, piments, ignames, oseilles) dans le champs et dans le jardin de case, et entretiennent beaucoup d’arbres fruitiers dans la concession. Ils ont également quelques têtes de bétail – qu’ils ont confié à un pasteur à Kapsine, le district jouxtant celui de Dobali – et des poulets qui sont élevés dans leur concession.

Les épouses de M.C. et les jeunes femmes de son ménage pêchent au tété yélè, ramassent le poisson dans les casiers rizicoles laissés à l’abandon. Elles font cela un peu chaque jour, et ce toute l’année. Une fois fumé par leur soin, le produit de la pêche entre dans la sauce du plat de riz qu’elles préparent à tour de rôle. Elles font également de la saliculture à Bel-Bel quatre mois par an, préparent de l’huile rouge et fabriquent du savon. Si une partie du produit de ces activités est autoconsommée, elles en réservent pour des ventes occasionnelles lors des déplacements qu’elles font pendant l’année. Leurs enfants s’occupent de la cueillette : bois mort, fruits sauvages dont les surplus seront vendus ou échangés dans le village.

M.C., qui assume une responsabilité – il est le chef d’une localité de Dobali où lui et son ménage résident – est aussi spécialiste de la vannerie et menuisier. Il se consacre en saison sèche à ces deux dernières activités. D’octobre à janvier, lorsque la matière première est disponible en brousse, il vanne ; de février à mai, il passe à la menuiserie à raison de quatre jours par semaine.

La combinaison développée ici comprend des activités variées, dessine un emploi du temps dense et éclaté. Se conjuguent des activités qui appartiennent aux catégories suivantes :

petits arrangements des femmes, petits métiers masculins, brousse nourricère, savoir-faire, responsabilité collective, capitalisation et entraide ; et qui sont articulées avec l’activité

agricole, la pêche à pied, le fumage et la saliculture. Il s’agit là d’un système complet et complexe qui vise à satisfaire les besoins quotidiens de ce ménage localisé dans un secteur marginal de la CRD de Kanfarandé.

Ces descriptions d’emploi du temps de ménages représentatifs de chaque type de combinaison révélé par l’Analyse Factorielle des Correspondances (AFC), donnent à voir la stratégie globale de ménages des sites-pilote. Elles mettent en lumière l’ensemble des activités qui peuvent se succéder ou être simultanément développées au cours d’un cycle annuel.

Si de prime abord, l’analyse basée sur les activités statistiquement représentatives laisse penser que les pratiques combinatoires sont le plus souvent étroitement dépendantes des potentialités du milieu géographique, donc de la situation des ménages, la nature des « autres activités » met en relief des stratégies plus complexes déterminées par des critères moins repérables mais qui se révèlent tout aussi fondamentaux : rapport de genre, détention de pouvoir, différenciation générationnelle, monétarisation, maintien de permanences.

Notre première analyse s’est appuyée sur les seules activités représentatives statistiquement, étant entendu qu’elle regroupe et néglige de fait une bonne trentaine d’entre elles pour la seule raison qu’elles ne sont pas suffisamment nombreuses. Leur faible présence n’implique pas forcément une absence de signification, bien au contraire. Si nous avons fait le choix méthodologique de les inclure dans les questionnaires, c’est qu’elles nous apparaissaient, vues du terrain, comme tout à fait incontournables. Il est très souvent arrivé, lors d’entretiens avec des enquêtés qu’ils évoquent prioritairement d’ « autres activités » qu’ils pratiquaient, bien avant de nous parler des travaux des champs par exemple.

C’est au travers de l’étude plus précise de l’organisation du travail au sein des ménages que nous entrerons dans le détail les concernant car, si elles ne sont pas représentatives statistiquement, il n’en demeure pas moins qu’elles occupent des fonctions charnières que l’organisation du travail peut révéler.

4.

L’organisation du travail : la pluriactivité des individus du

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