• Aucun résultat trouvé

La pêche à pied : une activité caractéristique de la division sexuelle et générationnelle du travail individuel

Les indicateurs de la pluriactivité : le temps et l’organisation du travail

4. L’organisation du travail : la pluriactivité des individus du ménage

4.2. Les trois formes du travail pluriactif au sein des ménages

4.2.2. La forme individuelle du travail ou la marge de manœuvre des individus du ménage

4.2.2.4. La pêche à pied : une activité caractéristique de la division sexuelle et générationnelle du travail individuel

Comme l’activité agricole, la pêche est une méta-activité. Elle se décompose en deux secteurs distincts : la pêche à pied et la pêche embarquée. L’entrée par les techniques, adoptée pour construire le questionnaire sur cette méta-activité a permis de faire ressortir les spécificités des formes du travail qui la caractérise et de mettre en exergue le fait que la pêche

à pied était particulièrement révélatrice de la forme individuelle et de la division sexuelle et

générationnelle du travail. Il est possible de regrouper les différentes techniques qui composent celle-ci en fonction de la catégorie d’acteurs qui en ont la charge.

Tableau 21 : Organisation du travail de la pêche à pied en fonction du type d’allocation de temps aux différentes activités des ménages

Typologie de la pluriactivité fonction du

temps alloué à chaque activité

Type A Type B Type C Type D Type E Total

Effectif / Pourcentage

par colonne Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C Eff. %C

Epouse(s) 7 70,0 37 44,0 3 75,0 38 50,7 46 63,9 131 53,5 Chef de ménage 3 30,0 29 34,5 1 25,0 27 36,0 22 30,6 82 33,5 Jeunes du ménage (Enfant(s) ou jeune(s) homme(s)) 8 9,5 2 2,7 2 2,8 12 4,9

Tous les membres du

ménage* 7 8,3 6 8,0 1 1,4 14 5,7 Chef de ménage et Enfants ou Jeunes hommes 3 3,6 2 2,7 1 1,4 6 2,4 Total 10 100,0 84 100,0 4 100,0 75 100,0 72 100,0 245** 100,0

Réalisation : Mathilde Beuriot, 2006 – Source : Enquêtes OGM, 2003 – 2005 * ou le maximum d’individus actifs possibles

** Considérant ici une population de 245 ménages dont un ou plusieurs membres ont recours à une ou plusieurs techniques de pêche à pied.

Ce sont les épouses qui utilisent le plus les techniques de pêche à pied. Elles ne mettent en pratique que quelques techniques – celles qui permettent d’ajouter à la sauce du plat de riz quelques poissons – qui ne nécessitent pas de s’éloigner trop longtemps de la concession familiale et qui ne requiert pas trop de temps : elles ne se consacrent pas plus de quatre heures par jour à cette activité dans la mesure où elles ont aussi en charge les activités domestiques. Elles pêchent au tété yèlè (filet conique qu’elle passe dans un mouvement circulaire des bras dans les rus ou les chenaux). Elles plantent dans des barrages improvisés les nasses coniques qu’elles confectionnent lorsqu’elles font de la vannerie et ne les relèvent en principe qu’une fois par jour. Lorsqu’elles se rendent dans les casiers rizicoles, elles en profitent pour collecter dans le drain principal les poissons qui y sont emprisonnés. Ces trois techniques sont celles qu’elles mettent le plus couramment en œuvre dans les sites-pilote. La pêche des femmes est conditionnée par la localisation géographique du site où elles vivent : tous ne sont pas propices à la pratique de la pêche à pied. À Madya comme à Kambilam, les femmes ne pêchent pas, les cours d’eau sont peu nombreux et souvent éloignés. En revanche elles sont nombreuses à utiliser le tété yèlè à Kankayani, secteur parcouru par un dense réseau de chenaux peu profonds qui offre de bonnes conditions à la mise en œuvre de cette

technique. À Brika et Bigori, ce sont les techniques de ramassage dans les casiers et de pêche à la nasse qui sont prioritairement utilisées par les femmes car ces deux sites sont installés dans ou à proximité immédiate de plaines d’arrière-mangrove. Elles dégagent des revenus substantiels en pratiquant cette activité car elles commercialisent les surplus, fumés. La pêche

à pied des femmes peut être considérée comme un petit arrangement.

Les chefs de ménage constituent la deuxième catégorie d’acteur la plus représentée. À l’instar des femmes, ils ne mettent en œuvre que certaines techniques. Ce sont souvent des techniques plus exigeantes physiquement et qui nécessitent une bonne maîtrise. C’est la pêche à l’épervier ou kasnet qui est la plus employée. Pour utiliser cette technique, il faut nécessairement se rendre dans des chenaux assez profonds dans lesquels le filet de grande envergure est jeté puis se referme sur les prises lorsque le pêcheur le ramène vers lui. Ils utilisent aussi le harpon pour pêcher dans les plaines ou la senne sur les plages. Là encore, la localisation géographique du ménage conditionne la pratique de l’une ou l’autre de ces techniques. Cependant, comme les chefs de ménage n’ont pas à s’occuper des tâches domestiques, ils y consacrent des journées entières, se déplacent parfois sur des kilomètres pour que les meilleures conditions soient réunies. Lorsqu’ils n’ont pas d’autres métiers, c’est souvent la seule activité qui peut leur permettre de dégager des revenus propres. Ce sont les femmes qui sont chargées de réunir les ingrédients de la sauce, les hommes ne fournissent traditionnellement que le riz. De fait les revenus qu’ils dégagent de la pêche à pied sont utilisés pour répondre à leurs « petits besoins », souvent ostentatoires : installation d’un toit en tôle sur la maison, achat de matériel Hi-fi, organisation de déplacements jusqu’à la capitale par exemple pour rendre visite à un membre de la famille élargie, etc.

Pour les enfants et les jeunes hommes ou femmes du ménage, la pêche à pied est là encore, en l’absence de qualifications, un des seuls moyens qu’ils aient de gagner rapidement et facilement de menues sommes d’argent en revendant leurs prises aux femmes du village par exemple. Si ce sont de jeunes enfants, ils pêchent à la ligne, à l’hameçon, le long des cours d’eau ou du haut des « digues routes ». Plus âgés, les jeunes hommes emploieront les mêmes techniques que leur père ; les jeunes femmes, elles, utiliseront celles de leur mère ou de leurs « marâtres »132. Les revenus qu’ils et elles dégagent de cette activité seront employés

à satisfaire leurs « petits besoins » : cahiers et stylos pour les écoliers, pagnes et bijoux de pacotille pour les jeunes filles et souvent short et maillot d’une équipe de football pour les jeunes hommes.

La pêche à pied permet à tous ceux qui ne possèdent aucun savoir spécifique, qui n’évoluent pas dans la sphère de ceux qui détiennent le pouvoir, qui n’ont appris aucun métier et qui ne sont pas descendants de lignages puissants – les « mal assis » en somme – d’avoir une source de revenus133 (les épouses, certains chefs de ménage mais aussi, comme en témoigne le « type B », les jeunes et les enfants des ménages baga que l’on sait très contraints socialement). Ce sont généralement les ménages ou les individus134 qui présentent « une insuffisance de potentialités »135 (Dubois, Mahieu, Poussard, 2001). Il n’en demeure pas moins que la pratique de cette activité, en plus de celles considérées comme obligatoires (travaux des champs, activités domestiques par exemple) permet à tout un chacun de négocier une marge de manœuvre, si ténue soit-elle, d’évoluer en marge du ménage et de ses contraintes : un espace de liberté construit par la pratique pluriactive individuelle.

4.2.3. La forme recomposée du travail : les conséquences de la

Documents relatifs