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2. Une méthodologie à l’épreuve des faits

2.2. Les questionnaires : une méthode itérative qui suit les activités dans le temps

2.2.1. L’activité agricole : une activité de saison des pluies

2.2.1.2. Les « travaux champêtres », une activité collective

Chaque étape de la mise en valeur des casiers, des champs, qu’il s’agisse des cultures inondées ou pluviales, fait très souvent l’objet d’un travail collectif qui rassemble d’autres individus que les seuls membres du ménage. Ces étapes, comme le montre le calendrier agricole, mobilisent les cultivateurs à des périodes différentes, parfois éloignées dans le temps les unes des autres et ne nécessitent pas l’engagement d’une même force de travail. Les travaux de défriche, par exemple, sont extrêmement pénibles, requièrent force physique et endurance et font l’objet d’une entraide collective dans l’ensemble des sites-pilote (activité de bêchage). En revanche, les semis quelques semaines plus tard ne nécessitent pas l’intervention de personnes extérieures au ménage.

Le recours aux groupes de travail collectif ne s’explique pas seulement par l’allègement de la pénibilité des tâches agricoles ou encore par la nécessité de se regrouper sur un temps très court, celui de la saison des pluies, pour accomplir un lourd travail. Il est aussi et surtout – il est obligatoire – le moyen d’entretenir, nourrir et perpétuer les liens et la réciprocité, en somme la cohésion et la reproduction du groupe social (lignage, communauté villageoise, groupe culturel, etc.) (Schoeni, 2004 ; Lehmann, 2004). Partant de cela, la création d’un groupe de travail collectif dépend des liens entre les membres d’un même groupe (jeunes hommes non mariés membres d’un même lignage ou non, hommes mariés, femmes mariées, jeunes femmes, etc.) et les différents commanditaires (beau-père, voisin, chef de lignage parent ou apparenté, oncle maternel, village voisin, etc.).

Ces rassemblements se déclinent en une infinité de variantes que nous avions choisi d’aborder, suivant les observations réalisées lors de la mission exploratoire, en les classant en deux catégories : 1) les Groupes d’entraide institués (lanyi et séré) ; 2) le Salariat agricole. Au fur et à mesure des investigations, cette dernière catégorie a été subdivisée en trois sous- catégories : les groupes institués qui vendent leur force de production (maaswali ou séré), les groupes constitués ponctuellement à la demande de commanditaires (kilé, fokhèdékilé) et enfin l’emploi de journaliers agricoles généralement (mais pas toujours) étrangers à la communauté.

Au fil des enquêtes, ces catégories ont révélés quelques limites. En effet, une même personne peut à la fois être membre d’un groupe institué, participer aux travaux salariés de son groupement, être conviée à des kilé ou proposer sa force de travail si elle en a besoin ou si

un tiers lui en fait la demande. Également, la distinction introduite entre travail rémunéré et non rémunéré s’est avérée arbitraire : celle-ci n’avait pas de sens dans la mesure où, par exemple, un « bon kilé », forme rémunérée du travail collectif, n’est pas celui où chaque individu est reparti avec une somme d’argent substantielle mais celui qui a réuni le plus de monde... Globalement, les enquêtés ne se retrouvaient pas dans la discrimination que nous avions mise en place, source de confusions. Nos catégories étaient donc trop poreuses et décrivaient mal les formes collectives de travail sur la zone. Une autre entrée a donc été privilégiée en sus du salariat : la répétition dans le temps. L’introduction de cette dernière variable a permis, quel que soit le groupe linguistique, de questionner la forme du regroupement : est-il pérenne et amené à réitérer son action avec les mêmes membres plusieurs années de suite ? Ou alors est-ce une réunion ponctuelle pour un travail précis ? Etc.

- Les lanyi et les séré

Dans les différentes terminologies vernaculaires, la notion de « groupe de travail » n’existe pas en tant que telle. C’est le terme « lanyi » en soussou, qui signifie « regroupement », qui s’en rapproche le plus même s’il ne renvoie pas nécessairement à un regroupement en vue de l’accomplissement d’un travail collectif (Schoeni, 2004). C’est donc le terme que nous avons choisi d’utiliser car il était suffisamment généralisant et intelligible par l’ensemble des enquêtés. Le terme « séré » 69, lui, correspond à la forme féminine des

lanyi. Plus que des groupes de travail donc, les lanyi et les séré sont des groupes d’intérêt

organisés au sein de la communauté villageoise. Il peut s’agir de regroupements par classe d’âge tenant compte du statut matrimonial, par communauté religieuse, par lignage, etc. Parce qu’il en existe beaucoup de variantes et que la vocation des étapes exploratoires et des enquêtes n’étaient pas de toutes les mettre à jour, nous ne disposons que de peu d’informations sur les règles présidant à leur constitution.

Quelques éléments forts se sont tout de même imposés. Les groupes mixtes n’existent pas70. Par opposition aux autres collectifs de travail, ils ne constituent pas des regroupements ponctuels mais des groupes institués qui portent un nom. La participation à leurs activités est obligatoire pour l’ensemble des membres sous peine de sanctions (amendes, mises à l’écart,

69 Le terme est couramment utilisé dans toute l’Afrique de l’Ouest. Il ne désigne pas simplement le fait

d’exécuter des travaux ensemble tel que nous l’entendons ici mais englobe aussi les tontines (entraide féminine). Les séré jouent en outre le rôle de structure de représentation des femmes dans les débats qui ont lieu au sein du village.

70 Si communément quelques hommes appartiennent aux séré, ils ne collaborent pas aux travaux et n’assistent

etc.). Les rétributions allouées par les commanditaires ne sont pas redistribuées à parts égales aux différents membres mais gérées par les présidents et trésoriers des collectifs en vue de servir les intérêts communs (l’argent peut par exemple servir à l’achat de chaises pour les cérémonies (baptêmes, mariages, etc.) qui sont utilisées par chacun des membres lorsqu’ils en ont besoin).

En règle générale, les membres des lanyi (séré) ne tirent que peu de bénéfices en argent des travaux qu’ils exécutent, il s’agit plutôt de l’institutionnalisation d’un mode d’entraide au sein des communautés villageoises. Les commanditaires ne sont pas tenus de verser de l’argent aux collectifs (souvent parce qu’ils sont les aînés de lignage de leurs membres : oncle maternel, père, etc.). En revanche ils offrent kolas, cigarettes, bonbons et servent un plat de riz aux travailleurs préparé par les femmes de leur ménage ou de leur concession selon des règles parfaitement codifiées (Lehmann, 2004). Il s’agit d’une forme d’entraide perpétuée de génération en génération71.

- Le salariat agricole

Le module d’enquête sur le salariat agricole qui n’intéressait que l’emploi d’« ouvriers », une fois analysé, s’est avéré peu fructueux et mal conçu comme nous l’avons déjà dit. La collecte d’informations qualitatives complémentaires et le recours aux travaux anthropologiques ont été nécessaires pour dégager quelques grands traits du salariat dans les travaux culturaux. Pour partie, c’est l’emploi du terme « ouvrier » qui est en cause72 ; la notion telle que nous la comprenons en occident – un journalier ou manœuvre agricole appartenant à une classe sociale distincte (il n’est pas propriétaire terrien, il ne dispose d’aucune parcelle (même prêtée ou louée), il ne dispose d’aucune récolte mais d’un salaire) – n’a pas d’équivalent en soussou. Force a été de constater que son emploi a suscité des hésitations chez les chefs de ménage. Ces derniers ont fourni des informations variées et peu cohérentes entre elles : nombre d’« ouvriers » allant de 1 à plus de 100 sur une même journée, mention d’étapes culturales qui mobilisent en principe les collectifs de travail (comme la défriche), « ouvriers » travaillant en groupe et qu’il faut employer tous ensembles, d’autres qui se présentent un jour seuls et qui travaillent contre quelques brassées de riz puis s’en vont, etc.

71 Ruth Lehmann a cependant observé des formes de regroupements plus récentes s’apparentant aux lanyi mais

qui sont spécifiques à la communauté baga (Lehmann, 2004).

72 Un autre élément a également posé problème : le fait d’avoir, dans l’enquête, dissocié le kilé des questions

C’est précisément en analysant cette diversité de réponses qu’il est apparu nécessaire de ne pas prendre en compte que le simple aspect monétaire mais de catégoriser une nouvelle fois en tenant compte des formes du collectif salarié.

« maaswali » (ou « séré »)

Les lanyi ou séré, tels que définis ci-dessus, peuvent être mobilisés ou proposer leur service pour accomplir, contre rémunération, des travaux culturaux. Il ne peut s’agir que d’un déplacement à l’extérieur de la communauté villageoise : là où liens, réciprocités, entraide et reproduction du groupe ne sont plus directement en jeu et où il est donc possible d’exiger à la fois nourriture, présents et argent (typiquement dans les villages voisins). La monétarisation des activités culturales entraîne également la création de collectifs qui ont pour vocation première de gagner de l’argent en échange de leur force de production73. Distinguer le moment où les lanyi (ou encore les séré et autres variantes de ce type de regroupements) deviennent de véritables équipes de journaliers agricoles n’a pu être décelé dans les résultats d’enquête. Dominique Schoeni emploie un terme soussou spécifique à ce dernier système de fonctionnement : les maaswali (« groupe de travail »)74 (Schoeni, 2004). Au sein des

maaswali, les revenus dégagés par les groupes ne sont pas utilisés pour répondre à des besoins

collectifs mais alimentent le plus souvent une tontine dont chaque membre bénéficiera son tour venu. En dehors de cela, l’ensemble des règles qui s’applique aux lanyi et/ou séré, s’applique aux maaswali.

Les kilé (ou les fokhédékilé)

Les kilé sont des regroupements ponctuels d’individus appartenant le plus souvent au même lignage (fokhè), du moins sont-ils « parents ». La participation à un kilé n’est pas obligatoire contrairement aux autres formes de collectifs évoquées ci-avant : se joint aux travaux, programmés à l’avance sur une ou deux journées maximum, qui en a le temps et n’est pas retenu par d’autres obligations. Ni imposé, ni pérenne, le kilé répond à une demande précise de la part d’un membre de la communauté. Ce dernier rétribue les membres du kilé pour leur participation. Il offre au minimum la kola, un peu d’argent, des cigarettes et le riz

73 Il s’agit ici notamment des groupes rencontrés par Ruth Lehmann (Lehmann, 2003) à Bigori, généralement des

groupes de jeunes hommes.

74 Maaswali est un terme attribué aux groupes d’hommes, à défaut d’un terme spécifique aux femmes, les

cuisiné par les femmes de son ménage ou de sa concession (lignage). Un grand kilé peut réunir sur une journée une centaine de personnes pour des opérations jugées difficiles physiquement telles que la défriche ou le sarclage. Pour le commanditaire, il s’agit donc d’une convocation coûteuse. Il n’est pas question ici d’entraide mais bien de la forme instituée du salariat agricole : pas vraiment en raison des revenus dégagés par les participants (les sommes restent modiques) mais parce que ce sont des réunions ponctuelles et qu’il n’est pas obligatoire d’y participer.

Un kilé, particulièrement lorsqu’il rassemble beaucoup de personnes, est une véritable fête, presque une cérémonie. Parfaitement codifié, il est l’occasion de se montrer, d’être vu et, pour le commanditaire, de marquer sa puissance et son emprise sur le terroir (au sens large : non seulement ses moyens financiers mais également, si de nombreuses personnes se présentent, son aura sociale). Le kilé est d’ailleurs régulièrement offert en cadeau : par exemple, un futur gendre peut en convoquer un chez son futur beau-père afin de faire montre de ses qualités à la famille de la jeune femme ; plus la participation est importante et les présents nombreux75, plus le jeune homme a de chance d’être entendu par sa belle-famille.

Les journaliers

Ce sont souvent de jeunes hommes étrangers au village qui se présentent à des périodes culturales charnières (les récoltes) et offrent leur service. Ils y gagnent soit de l’argent, soit l’équivalent du travail fourni en nature. Il peut s’agir également de jeunes hommes ou jeunes femmes du village, non mariés, encore dépendants du ménage de leur père, qui, par cet intermédiaire, se procurent de menus revenus leur permettant de répondre en propre à leurs besoins personnels (achat de pagnes, d’une radio, d’un vélo, etc.).

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