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Chapitre 1 Constructions du genre dans la planification urbaine et dans les politiques de

1.4 Participation citadine des femmes et « bonne gouvernance »

En ce qui concerne la participation des femmes à la vie sociale, et plus particulièrement à la gouvernance urbaine, il faudrait peut-être envisager des avancées en terme d’égalité par rapport à la démocratie territoriale. Ainsi, avec la vague de décentralisations et des privatisations qui touche autant les pays développés qu’en développement, il serait souhaitable que les femmes, pour des questions de représentativité électorale, puissent investir de manière beaucoup plus importante le palier municipal. Certaines auteures considèrent que la démocratie paritaire est un des pas essentiels afin de mieux faire entendre les voies des femmes dans l’urbanisme local (Beall, 1996b : 7 ; Massolo, 2000 : 21). Nuançons toutefois ces propos en ajoutant, comme le note Andrew (citation d'entrevue par Bourgon, 2006 : 25), qu’il est fondamental que les élus ne soient pas seulement des femmes, mais aussi des hommes fraternels et sensibles à la cause de l’inclusion des problématiques de genre au niveau local. Pour l’heure, la démocratie urbaine n’en est pas encore là. Même si les femmes sont souvent mieux représentées au niveau municipal qu’aux autres paliers, elles continuent tout autant que leurs préoccupations, à jouer les seconds violons face aux hommes et au contenu de leurs agendas quant aux décisions d’aménagement dans les villes (Karam, 2000 18-19 ; OCDE, 1995b : 72 ; ONU-Habitat/Rolac, 2000).

19 Ce qui est connu comme « plafond de verre » pour désigner un niveau dans la carrière où les responsabilités des

Dans le cas canadien, la FCM note que les femmes dans leur ensemble sont très loin de compter pour la moitié des participants aux instances de gestion municipale (FCM, 1997 : 5, 2004 : 3). Bien qu’elles aient le droit de vote et qu’elles soient de plus en plus nombreuses à travailler dans ce secteur d’activité publique, les gouvernements locaux affichent d’assez considérables écarts de participation entre les deux sexes (ONU-Habitat, 2001b : 59). Les estimés d’ONU-Habitat indiquent que sur le plan global les femmes ne comptent en moyenne que pour un quart des représentants élus ou désignés du gouvernement local. Pour leur part, Hamadeh-Banerjee et Oquist (2000 : 3) avancent que la proportion de femmes chez les conseillers municipaux durant les années 1990 se situait à 23 % aux États-Unis et 18 % au Canada, et entre 4 % (Grèce) et 40 % (Suède) en Europe. En Afrique et en Amérique latine cette proportion ne serait respectivement que de 5 % et 3,8 %20.

Ce déséquilibre s’exprime aussi dans la proportion de femmes qui assument des postes de direction dans les instances de la gouvernance urbaine. En effet, lorsque les femmes accèdent à un emploi dans ce domaine, elles se concentrent davantage dans des postes subalternes tandis que les hommes occupent davantage les fonctions de direction, perpétuant une ségrégation de type verticale basée sur le genre. Le cas de la Ville de Montréal en est une bonne illustration, car même si les femmes cadres supérieures sont beaucoup mieux représentées que par le passé, en 1996 elles n’occupaient toujours que 20 % de ces postes (FCM, 1997 : 7).

La sous-représentation des femmes dans les postes clés de l’administration municipale ainsi qu’en tant qu’élues21 les empêche peut-être de faire usage d’un pouvoir leur permettant de proposer des politiques et des interventions qui tiendraient compte de leurs besoins différenciés. Quoique selon Andrew (citation d'entrevue par Bourgon, 2006 : 25), il est tout aussi cruciale, pour qu’une « condition gagnante » se développe, de compter sur la présence de fonctionnaires féministes des deux sexes ou « fémocrates »22 qui occupent des positions stratégiques (dans un

processus plutôt continuel) pour pouvoir faire avancer l’agenda. En fait, les promoteurs de la

20 Les auteurs n’ont pas d’estimations pour l’Asie, ce qui confirme le manque de renseignements ventilés par sexe sur

les conseils municipaux.

21 Au niveau mondial, Massolo (2000 : 20) note que la présence féminine est beaucoup plus restreinte à ce niveau,

avec des taux de participation encore plus bas que pour les autres paliers gouvernementaux.

« fémocratie », un concept qui reflète un engagement envers des pratiques de gouvernance égalitaire et équitable, sont des personnes conscientes et revendicatrices de la pleine diversité d'une société.

Par conséquent, il semble être tout aussi fondamental que les instances municipales puissent se doter de politiques d’égalité car cela établi « un cadre pour adopter des règles et les faire appliquer » (Blanc cité par Bourgon, 2006 : 26) peu importe les personnes en place. Ces préceptes ont déjà été pris en considération par l’Union internationale des villes et pouvoirs locaux (IULA), depuis qu’a été formulée en 1998 la Déclaration mondiale de IULA sur les femmes dans le gouvernement local. Cette déclaration appelle les instances locales à se doter de politiques d’égalité de genre au niveau territorial tout en consacrant les aspirations légitimes des femmes à participer au gouvernement local (Massolo, 2000 : 21-22).

D’un autre côté, et en dépit des barrières à l’accès au pouvoir local, ce palier de gouvernement est celui que les femmes apprivoisent et maîtrisent le mieux, grâce aux mouvements sociaux associés aux réseaux territoriaux urbains. Historiquement, comme le note Massolo (ibid. : 11), les femmes ont été plus distantes du Politique et plus proches des politiques locales. En effet, les femmes des pays développés et en développement ont une longue histoire d’engagement civique et de participation communautaire qui leur a permis d’accéder à une citoyenneté sociale, dans laquelle non seulement elles trouvent des espaces de socialisation, mais qui leur permet aussi d’exercer leur influence sur les processus de prise de décision tout en développant une plus grande estime de soi (Beall, 1996a : 13 ; Massolo, 2000 : 11 ; ONU-Habitat/Rolac, 2000 : 2). Ainsi, la participation des femmes à la gestion locale chemine en partie par des voies parallèles au pouvoir formel, prenant forme à travers le combat qu’elles mènent pour subvenir à leurs besoins quotidiens fondamentaux et à ceux de leur ménage. Il s’agit du portrait habituel des mouvements sociaux urbains, où les femmes modifient les villes par des actions politiques portant sur la vie de tous les jours (Andrew, 1997 : 192, 2003 : 327 ; Molyneaux, 2001 : 175 ; Wekerle, 1998 : 1). Nous allons développer plus loin dans cette thèse la manière dont cela se manifeste dans le cas du Chili.

Toutefois, cette façon particulière de pratiquer la citoyenneté sociale rend parfois difficile une reconnaissance par le système politique formel (Baden, 2000 : 36). Pourtant, la contribution des femmes à la vie urbaine devrait être reconnue de manière plus large car elles possèdent une expertise unique, issue justement de leurs efforts pour résoudre l’équation quotidienne de la gestion locale du ménage (Beall, 1996b : 17 ; Massolo, 2000 : 11 ; Michaud, 1997 : 189). D’ailleurs, le manque de participation citadine féminine à la gestion locale, en raison surtout d’un manque de concordance des horaires, prive l’agenda urbain de la richesse que leur point de vue pourrait apporter à la solution des problèmes quotidiens et stratégiques des villes modernes, et ce, autant dans le contexte des pays développés qu’en développement. En fait, cette expertise constitue une valeur ajoutée pour le développement des villes que les structures gouvernementales auraient tout avantage à mettre de l’avant (Beall, 1996b : 24 ; FCM, 1997 : 7). En ce sens, l’OCDE signale que :

les partenariats urbains peuvent être le canal par lequel les efforts de la base rencontrent et fusionnent avec les approches descendantes… Les femmes n’ont pas une approche linéaire et compartimentée, elles tendent plutôt à être pluralistes et sont habituées à trouver des solutions aux situations complexes. Cette approche peut être appropriée aux partenariats urbains, où il s’agit de résoudre des problèmes à multiples facettes et intersectoriels. Faire une place aux femmes dans les partenariats urbains est donc plus une forme de valeur ajoutée qu’une manifestation d’altruisme. (OCDE, 1995b : 78).

Bref, une plus grande valorisation de l’apport des femmes à la gestion et à l’élaboration des politiques au niveau local ne ferait pas seulement qu’ajouter des éléments d’équité à la gouvernance urbaine, mais, elle pourrait aussi contribuer à améliorer le niveau d’efficacité et d’efficience de ses politiques et programmes, tout en répondant de manière appropriée et participative aux besoins spécifiques des femmes (Jackson, 2002 : 500). En outre, il importe de revoir d’une façon nouvelle et critique la gouvernance urbaine, et plus particulièrement les différences de genres, à travers les yeux des femmes (ONU-Habitat, 2001b : 103).