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Chapitre 3 Femmes, genre et évolution de la politique de logement social chilien

3.2 Antécédents historiques de la politique de logement social

Traditionnellement, et jusqu’aux années 1970, l’accent des politiques d’habitation du Chili était mis sur la diminution du déficit historique de logement (Ducci, 1994 : 73). Celui-ci portait sur un nombre indubitable de logements à construire et à finir qui devaient, par la suite, être vendus à des prix subventionnés par l’État, les rendant ainsi accessibles aux ménages « économiquement instables ». La politique chilienne du logement remplissait fidèlement les directives internationales de l’habitat en vigueur à l’époque. Néanmoins, l’accroissement continu de la population, à un rythme plus rapide que prévu, faisait en sorte que le système non seulement demeurait en déficit mais celui-ci augmentait d’année en année. Les programmes de lots avec services et d’appui à l’auto-construction ont tenté de remédier à cette situation (Ducci, 1993 : 3). Historiquement, les programmes gouvernementaux du Chili ont rarement pris en considération les couches les plus défavorisées, puisque celles-ci n’ont jamais eu les ressources suffisantes pour l’achat et le paiement des logements bâtis. Par conséquent, des occupations massives de terrains vagues ou tomas se sont périodiquement produites. Pendant la période 1970-1973, il est estimé que jusqu’à 400 000 personnes sont parvenues à obtenir un accès au sol par ce moyen (Ducci, 1993 : 3). Il s’agissait là de la seule possibilité d’accéder au sol pour les secteurs les plus démunis de la population, la toma constituant une sorte d’échappatoire (Rojas, 2001 : 464). Jusque-là, les femmes n’avaient occupé qu’un rôle secondaire dans le processus d’accès au sol, se limitant à accompagner et à aider les hommes dans l’occupation des terrains et les luttes pour les

119 Ce sera en 2002 pour le Sous-secrétariat du MINVU (organisme qui a pour mission d’assurer la réelle mise en

place de l’action sociale de l’État en matière résidentielle, du développement des villes et du territoire). La réalisation

du diagnostic de genre de ses programmes a été désignée comme haute priorité par le MINVU (MINVU, 2002a : 113, 2002d). Les fonctionnaires et services qui performent selon ces critères reçoivent des primes.

infrastructures et les services urbains nécessaires (MacDonald, 1991 : 15 ; Rivero, 1989). Ce rôle secondaire était le résultat de l’intériorisation des valeurs traditionnelles de la famille par le biais des différents processus de socialisation. Par contre, l’arrivée de la dictature militaire en 1973 modifia la stratégie d’obtention du logement des secteurs populaires (Rojas, 2001 : 465) : il n’était plus possible de s’organiser socialement et politiquement car les occupations de terrains étaient réprimées et les partis politiques interdits.

En effet, tout au long des années 1980120, les occupations illégales de terrains ont été stoppées et, par conséquent, leur déploiement irrégulier a été circonscrit (Ducci, 1993 : 14). Cependant, la population la plus démunie était toujours confrontée au même problème d’accessibilité au logement et au sol urbain (Saavedra et Icaza, 1993). À cette époque précisément, le schéma de distribution et de définition des rôles de genre dans la société chilienne semblait être en train de se modifier. Cette modification était sans doute d’abord due aux difficultés économiques qui ont découlé des processus d’ajustement structurel et ensuite de la récession qui est survenue à cause du surendettement. En effet, en réponse à un besoin de survie et en relation directe avec un modèle de société qui les excluait, les femmes chiliennes allaient ajouter au rôle de gestion domestique (reproductif), le rôle de soutien (productif) et de transformation de l’espace du logement et du quartier (communautaire) (Rico, 1996 : 83 ; Rivero, 1989 : 16). À ce sujet, rappelons-nous que cette conception tripartite des rôles féminins a été présentée au chapitre 1 (voir la section 1.6).

Entre 1973 et 1979, la dictature a toléré que de nouvelles familles viennent s’établir chez des parents ou chez des amis déjà habitant dans les bidonvilles, contribuant ainsi à rendre plus denses ces implantations humaines, phénomène appelé allegamiento. D’après Rivero (ibid.), dans ces circonstances et en conséquence de l’absence des politiques gouvernementales adéquates en matière d’habitat social, les femmes s’impliqueront activement dans les organisations concernées par le logement - comités d’allegamiento121 - pour contrecarrer le manque d’accès à un logement

minimal122. Toutefois, à partir de 1979, le développement des bidonvilles a été gelé et une

120 La dictature militaire a exercé son pouvoir autoritaire entre 1973 et 1990. 121 Comités qui aident les gens défavorisés dans le processus d’accès au logement.

surveillance plus étroite a été mise en place pour encadrer ces territoires où, à cause des difficultés économiques, se développaient les bases de ce qui allait être le mouvement de contestation contre la dictature (Ducci, 1993 : 4). Le phénomène d’allegamiento a produit tout un marché parallèle du sol en rendant le développement des nouvelles occupations illégales moins perceptibles pour les autorités centrales et locales.

Ce fut, en outre, à ce moment que le régime militaire a reformulé la question du logement et le problème du développement urbain en laissant agir les lois du marché, qui considèrent le sol urbain comme « un bien abondant ». La réforme de la politique du logement a commencé en 1977 et a été graduellement améliorée au fil du temps (Gilbert, 2004 : 17 ; Jiron, 2004 : 3). Lors de son élaboration, le logement a été défini comme un bien qui s'acquiert avec l'effort et l'épargne individuels (Ducci, 1994 : 74) et le rôle du gouvernement est devenu celui de facilitateur des

subventions aidant à augmenter la capacité d’achat des ménages dans le besoin (Rojas, 2001 : 465). C’est ainsi qu’un grand nombre de terrains agricoles localisés en périphérie

de la ville de Santiago123 ont été dézonés. En 1979 le Décret de Loi 420 du MINVU déterminait que la superficie susceptible d’être urbanisée pouvait subir une augmentation allant jusqu’à 64 000 ha124. À cette époque, Santiago comptait seulement 36 000 ha. Entre 1980 et 1982, 7 030 ha furent affectés aux lotissements et aux subdivisions, alors que l’aire construite durant les 10 années avant le décret ne couvrait que 6 393 ha (ibid.).

En raison de cette situation, un nouvel essor dans la production du logement subventionné par les secteurs privé et public fut observé. Ceci ne visait toutefois pas les couches les plus démunies. Malgré cela, en 1985 le régime militaire toujours en place a dû réviser sa politique nationale de développement urbain en reconnaissant, cette fois-ci, que le sol est un bien rare plutôt qu’abondant (ibid.). Mais le mal était déjà fait, puisque la périphérie est demeurée entre les mains du capital immobilier et que de grandes superficies de terrain se sont retrouvées assujetties à la spéculation foncière. De plus, la dictature militaire s’est servie de la production du logement et de

123 La ville de Santiago, identifiée comme le grand Santiago, se compose actuellement de 34 municipalités appelées

communes. En 2002, la ville de Santiago occupe une superficie approximative de 2 269 km2 et a une population de

4 669 581 personnes (Recensement de population et logement 2002).

son programme de subventions afin d’attirer une clientèle politique avant les élections qui devaient se tenir à la fin des années 1980125.

Étonnamment, les divers gouvernements de la Concertation, qui se sont succédé depuis la fin de la dictature, ne feront qu’améliorer et ajuster la politique néolibérale de logement instaurée par le régime de Pinochet. Comme le déclare Gilbert (2004 : 15) par rapport à la lutte contre le déficit de logement, « c’est pendant cette période que les meilleurs résultats seront obtenus ». Par ailleurs, c’est aussi durant les années 1990 que la participation et la demande des femmes par rapport au logement se feront les plus pressantes.