• Aucun résultat trouvé

Entraves légales d’accès et usufruit de la propriété du logement

Chapitre 3 Femmes, genre et évolution de la politique de logement social chilien

3.5 Entraves légales d’accès et usufruit de la propriété du logement

À partir de ce que nous venons de passer en revue, il semble que les barrières sectorielles que rencontrent les femmes, le groupe majoritaire des demandeurs, pour obtenir un accès proportionnel au logement se seraient quelque peu estompées. Il existe toutefois une autre catégorie d’entraves beaucoup plus variées. Les données de la section précédente montraient que les femmes n’étaient pas toutes sur un pied d’égalité, le type de lien matrimonial influant significativement sur l’accès au logement. La politique chilienne favorisait les femmes et les hommes mariés. De cette manière, toutes les familles ayant opté pour la cohabitation ou s’étant recomposées par des unions non formelles ou de facto ont été exclues de la logique du système. Il s’avère que la politique de logement s’abreuve à une image inadéquate de la famille, c’est-à-dire qui ne correspond plus aux façons contemporaines de constituer un ménage au Chili. Le tableau de MacDonald et al. (1998 : 31) nous montre la vision traditionaliste caractérisant le système d’accès au logement social à l’égard des diverses catégories de femmes et de leur position par rapport au logement à l’intérieur du ménage.

Tableau 3.5 Typologie des femmes par rapport au système d’accès au logement social au Chili

Femme solliciteuse sans

conjoint légal Femme considérée comme chef de ménage avec les mêmes règles que l’homme chef de ménage. Il n’y aurait pas de discriminations flagrantes pour que la femme chef de ménage ne formant pas de couple ait accès au logement social.

Femme solliciteuse avec conjoint, non contributeur aux ressources

Femme chef de ménage de facto. Dans la plupart des cas, elle n’a pas légalisé la séparation et certaines

discriminations formelles existent. Dans ce cas, au niveau bureaucratique, il existe des moyens pour la faire devenir bénéficiaire. Elle peut aussi obtenir de l’aide pour

surmonter les entraves légales pour accéder au logement. Femme solliciteuse avec

conjoint, contributrice aux ressources

Femme mariée qui devrait être appuyée pour l’inciter à devenir bénéficiaire. Les normes et attributions du rôle féminin peuvent la mettre en marge des droits d’accès au logement, laissant l’opportunité au conjoint. Il pourrait y avoir de la discrimination informelle.

Femme conjointe d’un solliciteur, non contributrice aux ressources

Femme qui n’apporte pas de ressources financières. Cependant, il faudrait vérifier si cela est effectif, car

l’apport de la femme pourrait avoir différentes expressions : ressources financières non régulières provenant du travail informel, participation dans les démarches d’accès au logement, etc. Depuis la perspective facilitatrice, il serait souhaitable d’inciter ce type de femme à participer au processus d’accès au logement. Il y aurait de la discrimination potentielle.

Femme conjointe d’un solliciteur, contributrice aux ressources

Femme qui entame et mène à terme le processus de demande. Elle peut être bénéficiaire, mais il n’est pas fréquent qu’elle en valorise l’importance. Il faudrait renseigner ces femmes sur les avantages, désavantages et compromis qu’implique le fait de devenir bénéficiaire. Il y aurait discrimination potentielle.

Femme non conjointe légale,

contributrice aux ressources Femme partenaire ou autre du solliciteur qui n’a pas été considérée dans le système, même si son apport au processus d’accès au logement est substantiel. Les unions non formalisées, les filles ou mères célibataires

contributrices restent exclues du processus. Il y a discrimination flagrante.

Par ailleurs, malgré l’instabilité connue des unions homme-femme dans les secteurs plus démunis, qui procèdent davantage par séparation de facto que de jure152, le programme de

logement social ne permet qu’une seule demande, ce qui suppose un processus d’entente avec l’ex-conjoint. En ce qui concerne l’inscription au programme de logement proprement dit, elle implique un processus laborieux et peut même susciter des manipulations de la part de l’ex-conjoint.

De manière générale, lors des séparations de facto, ce qui prévaut est la demande du conjoint qui prend en charge les enfants, donc ce sont généralement les femmes qui sont favorisées. Toutefois, il n’y a pas de mesure empêchant la requête d’un ex-conjoint, ce qui laisse à découvert et sans protection les femmes non inscrites avant la séparation. La situation ne s’améliore guère dans le cas des couples mariés qui se sont séparés de facto après avoir bénéficié de l’aide au logement. Le conjoint ou la conjointe qui n’est pas propriétaire demeure exclu du système, car la subvention ne s’octroie qu’une seule fois dans la vie et à un seul des deux conjoints. Ainsi, la requête d’un conjoint qui n’est pas devenu propriétaire est bloquée pour toujours, rendant précaire l’égalité des chances dans le domaine du logement et pouvant restreindre davantage le choix des femmes vivant des relations de couple abusives. Un projet de Loi153 en cours d’adoption, mais qui perdure depuis 2001, autoriserait cependant le conjoint non propriétaire à accéder à la subvention même si son ex-conjoint a déjà obtenu l’appui gouvernemental, vise à surmonter ce blocage institutionnel majeur concernant l’égalité d’accès au logement.

Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’une contrainte propre à la politique du logement comme telle mais plutôt du type de société conjugale-patrimoniale154 favorisée au Chili, une fois qu’elles ont réussi à devenir propriétaires, les femmes mariées sont confrontées à des barrières juridiques qui sont établies dans le Code civil et qui limitent leur pleine capacité d’être égales par rapport à l’usufruit de la propriété du logement social. Le Code civil du Chili date de 1857 et établit que les

152 Le Chili a été le dernier pays de l’Amérique latine à promulguer sa Loi du divorce. Elle a été approuvée le 11

mars 2004, et est entrée en vigueur six mois plus tard, après avoir paru dans la gazette officielle. Évidemment, cela prendra encore plus de temps pour que les gens des secteurs plus démunis y aient recours, car ils devront commencer par s’informer à propos de ladite Loi et ensuite avoir l’argent pour entamer la procédure juridique.

153 Ce projet de Loi était en discussion depuis 2003 à la Chambre des députés.

154 La société conjugale est le régime automatique de gestion des biens au Chili. Il y a deux autres régimes :

femmes mariées sous le régime de société conjugale ont une capacité limitée d’administrer leurs biens et ceux du mariage (FLACSO, 1995 : 141). Les femmes mariées selon ce régime ont une autonomie restreinte et un exercice limité des privilèges que procure la possession d’un bien immobilier comme le logement.

Néanmoins, les conjointes propriétaires et non propriétaires sont légalement protégées car, selon le régime patrimonial, elles ont des droits sur 50 % du logement. Mais elles ne peuvent en disposer qu’une fois la société conjugale liquidée, ce qui implique un processus juridique que peu de femmes des secteurs plus démunis peuvent se permettre155. Les droits de propriété du logement sont ainsi biaisés dans le Code civil et font que les femmes deviennent très vulnérables en cas de ruptures, à la merci des manipulations des ex-maris. Selon Craske (2003a : 33, traduction libre) :

Cette vulnérabilité se voit exacerbée par le manque de connaissances des femmes par rapport à leurs droits sur les propriétés que les femmes ont amenées au mariage ou sur celles qui ont été acquises durant le mariage. Étant donné les traditions, les hommes ont le contrôle complet sur les biens matériels, plusieurs ne contestent même pas ce qui est aujourd’hui devenu illégal.