• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Évolution des prises de position des organisations internationales à l’égard de la

2.5 Approches des politiques prenant en compte la question du genre

Un élément sous-jacent au processus de mutation vers l’analyse différenciée de sexe dans la formulation de politiques publiques, a été le changement d’approche dans les politiques du développement elles-mêmes. Il va sans dire que cette transformation n’est pas survenue dans un vacuum, bien au contraire. Selon Moser (2002 : 4), dans les décennies précédentes les paradigmes du développement économique, de même que la vision du rôle des femmes et de leurs contributions aux processus de développement, avaient profondément changé. Les nouveaux vents qui soufflent viennent non seulement de l’influence de la conversion et du changement des paradigmes dominants du modèle économique de développement, mais aussi de la pression politique des féministes et des mouvements sociaux des femmes tant du Nord que du Sud (Moser, 2002 : 4 ; Moser et al., 1999 : 6). À présent, les féministes et les mouvements des femmes sont en train de réussir à réorienter et à percer le courant principal du développement grâce au fait qu’elles ont su consolider leurs positions face à l’égalité de genre, mais également grâce à leur habileté à influencer le processus de décision dans l’agenda international (ASDI, 1999 : 13) par la consolidation des réseaux transnationaux (Angeles, 2003 : 286).

En fonction des auteurs, il y aurait six ou sept approches différentes en ce qui concerne la conception des politiques et la prise en compte des femmes et de leurs problèmes. Ces approches restent marquées par les changements de paradigme par rapport à la question du genre dans le développement international. Les tableaux 2.1 et 2.2 synthétisent les grands traits de ces approches.

Tableau 2.1 Approches des politiques FED Approche (logique conceptuelle) Brève description Assistance Pre FED (années 50-70)

But : considérer les femmes dans le développement.

Vision des femmes : des mères et des bénéficiaires passives du développement. Priorité : soutenir les besoins spécifiques (aide alimentaire, mesures pour contrer la

malnutrition, planification familiale, etc.).

Faits saillants : reconnaît le rôle reproductif des femmes et essaie de satisfaire les besoins pratiques de genre afin de soutenir les femmes dans leurs rôles ; ne remet pas en question le statu quo ; demeure très populaire.

Équité 1er FED

(décennie 75-85)

But : conquérir l’équité pour les femmes dans le processus de développement. Vision des femmes : des participantes actives du développement.

Priorité : changer la position subordonnée des femmes en reconnaissant leur triple rôle et essayer de prendre en compte les besoins stratégiques de genre/priorités à travers l’intervention directe de l’État en donnant autonomie politique et économique et en réduisant l’inégalité avec les hommes.

Faits saillants : est à la base de l’approche FED ; très utilisée pendant la décennie des femmes de l’ONU ; très critiquée en tant que « féminisme des pays développés » ; menaçante pour le statu quo ; peu populaire à l’intérieur des gouvernements.

Anti-pauvreté 2e FED (depuis les années 70)

But : augmenter la productivité des femmes pauvres.

Vision des femmes : la féminisation de la pauvreté, et son lien avec le sous-développement, est regardée comme le problème principal au lieu de la subordination des femmes.

Priorité : procurer une rémunération aux femmes, particulièrement à travers des projets de petite échelle générateurs de revenu.

Faits saillants : est adoptée pour adoucir le ton de l’approche d’équité ; reconnaît le rôle productif des femmes et essaie de répondre aux besoins pratiques de genre ; très populaire à l’intérieur des ONG.

Efficience 3e FED (depuis les années 80)

But : s’assurer que le développement est plus efficace et effectif à travers la contribution économique des femmes.

Vision des femmes : la main-d’œuvre féminine compense le déclin des services sociaux mais allonge la journée de travail des femmes.

Priorité : satisfaire les besoins pratiques de genre à partir des trois rôles accomplis par les femmes et de l’élasticité de leur temps.

Faits saillants : est la dernière approche FED prônée à partir de la crise de la dette des années 1980 et est demeurée prédominante jusqu’au début des années 1990 ; la participation des femmes correspond à l’équité pour les femmes ; demeure très populaire.

Source : inspiré de Levy (1999) cité par Chant et Gutmann (2000 : 7-8) ; Moser (2002 : 3) (traduction libre).

Tableau 2.2 Approches des politiques GED Approche (logique conceptuelle) Brève description Renforcement des capacités/auto nomie 1er Post-FED (depuis les années 80)

But : renforcer les capacités des femmes à travers une plus grande confiance en soi. Vision des femmes : des actrices du développement.

Priorité : ses priorités sont indirectement issues de la base à partir des besoins pratiques. Faits saillants : est à la base du GED ; articulée par les femmes des pays en

développement ; reconnaît le triple rôle des femmes et tente de considérer les besoins stratégiques de genre ; n’a pas été très populaire, sauf pour les ONG des femmes des pays en développement ; est de plus en plus prônée.

Intégration 1er GED

(depuis les années 80)

But : contrecarrer la marginalisation des approches FED en intégrant le genre de manière plus large à travers les organisations et les interventions.

Vision des femmes : des actrices proactives du développement.

Priorité : changer les conditions structurelles qui reproduisent et perpétuent les discriminations de genre.

Faits saillants : est la 1re approche GED à être apparue ; la notion théorique de base est

que l’identité de genre se construit grâce à une dynamique sociale (elle n’est pas une question d’ordre naturel) ; planifie le développement pour changer les conditions de vie des femmes et implique des changements pour les hommes avec transformations structurales dans les relations de pouvoir en tant que préalable pour n’importe quel processus de développement qui se veut pérenne.

Égalité 2e GED

(depuis les années 90)

But : introduire l’égalité de genre en tant que droit humain.

Vision des femmes : des actrices proactives en synergie avec autrui, en particulier avec les hommes.

Priorité : mettre l’accent sur le partage du pouvoir et sur des relations de genre plus équitables

Faits saillants : est la plus récente approche GED ayant émergé depuis la 4e conférence

mondiale sur les femmes en 1995 ; a été amplement adoptée par les gouvernements et les agences d’aide internationale ; la relation d’équité entre les femmes et les hommes est vue comme un préalable politique, social et économique pour un développement centré sur les personnes ; commence actuellement à se positionner dans l’approche de développement de plusieurs agences de coopération internationale.

Source : inspiré par Levy (1999) cité par Chant et Gutmann (2000 : 7-8) ; Moser (2002 : 3) (traduction libre).

Depuis les années 1970, et jusqu’en 1995 comme le montrent ces tableaux, les politiques de développement avaient esquivé la question de la réduction des disparités de genre, et n’avaient pas non plus abordé le sujet du partage du pouvoir entre les hommes et les femmes. Depuis, ces questions sont devenues partie intégrante du cadre politique et se font entendre avec force dans

l’espace de la gouvernance internationale. Cependant, comme le notent Moser et al. (1999 : 10-11), l’adhésion à l’une (ou à un mélange) de ces logiques conceptuelles, varie selon les

agences internationales et ces variations peuvent même s’exprimer à l’intérieur de ces propres agences. En effet, chacune d’entre elles maintient sa logique conceptuelle particulière sur le genre et le développement. Mais en même temps, et selon différents niveaux, elles adoptent toutes des

politiques basées sur la plateforme d’action de Beijing, reconnaissant ainsi l’importance de l’égalité en tant que droit humain des femmes.

D’après Mazey (2000 : 334-335), l’approche de l’égalité de genre constitue un exemple clair de succession ou d’adaptation des politiques dirigées, d’une part, par le désir de surpasser les limitations des politiques existantes, et, d’autre part, par la nécessité de répondre à un contexte politique ayant connu des changements importants. Par ailleurs, les nouvelles technologies de l’information ont aidé elles aussi à conférer tout récemment de la rapidité, de la fluidité et de la transparence aux informations permettant de construire la logique de l’égalité de genre au niveau transnational (Angeles, 2003 : 286). Ainsi, avant que l’approche intégrée d’égalité de genre se retrouve « à la une » de plusieurs politiques de développement des organismes internationaux, elle a dû attendre l’évolution des idées et des connaissances dans les milieux de la coopération internationale. En ce sens, pour secouer les principes de développement préalables et afin que l’égalité entre les sexes soit clairement intégrée dans la conception des politiques, les militantes, les universitaires et les professionnelles du développement ont dû travailler très fort pendant plus de trente ans pour que les différents aspects qui contribuent à la condition de subordination des femmes deviennent visibles aux yeux des agences internationales, du moins, en ce qui concerne la consistance au niveau du discours.

Bref, Hafner-Burton et Pollack en concluent que :

Gender mainstreaming as a policy frame can be traced to the international development community, and in particular to the international women’s movement of the 1980s and 1990s, which took advantage of the political opportunities offered by the UN system and its World Conferences on Women to create a ‘mainstreaming’ frame to appeal to elite allies in various national governments and international organizations. (Hafner-Burton et Pollack, 2002 : 363, les italiques sont des nous).

Donc, comme le note l’ASDI (1998c : 18), le processus du mainstreaming de genre représente un passage dans les manières de penser sur les femmes en tant que catégorie spécifique, vers l’égalité de genre comme objectif majeur du développement. De fait, identifier la perspective de genre dans différents secteurs et problématiques à travers une analyse de genre est le moyen nécessaire pour atteindre l’objectif de l’égalité de genre dans le développement (Hannan, 2000 : 3).

2.6 Institutionnalisation des politiques sensibles au genre dans quelques agences