• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 Stratégie de recherche

5.3 Rôle et usage des méthodes qualitatives mobilisées

5.3.2 Entrevues semi-structurées auprès de femmes de La Pintana

Tout au long des années 1990, les demandes d’accès au logement social provenant de femmes ont systématiquement augmenté et ce, sans aucune sollicitation explicite provenant de la politique et des programmes de logement social chilien. Selon Ducci et Green (1994 : 6), cette augmentation pourrait faire partie d’une nouvelle stratégie de positionnement des femmes : conscientes que de toute manière elles assumaient la plus grande partie des démarches pour l’obtention du logement, les femmes auraient entrepris l’amélioration pour elles-mêmes et pour leurs enfants des conditions de sécurité à moyen et à long terme.

Dans un tel contexte, nous avons jugé capital de prendre le temps d’écouter attentivement les femmes résidantes de La Pintana. Leurs expériences et leurs choix pouvaient être très révélateurs de la tendance émergente. Nous avons opté pour une forme d’entretien semi-directif, afin de nous permettre davantage de systématisation et de rigueur dans la collecte des données, mais aussi parce que ce genre d’entrevues faciliterait la comparaison transversale lors de l’analyse des données (May, 1993 : 93 ; Patton, 2002 : 346). Nous voulions toutefois que notre procédure demeure flexible en invitant les femmes à nous faire confiance et à s’exprimer172 en nous parlant de leur histoire familiale et résidentielle, de leurs perceptions à propos des restrictions ou possibilités accrues par rapport au processus d’accès au logement, ainsi que de l’importance et de la signification qu’elles attribuaient au logement. Nous voulions aussi prendre la mesure des efforts que ces femmes vivant dans des secteurs particulièrement pauvres déployaient dans leurs démarches pour l’obtention et la consolidation de l’accès au logement social. Dans cette

perspective, nous avons construit un guide d’entrevue qui comprenait 8 grands thèmes (voir l’annexe A.6) correspondant aux rubriques suivantes :

• la caractérisation du ménage ;

• les changements résidentiels et l’histoire actuelle du logement ; • les procédures institutionnelles et la gestion de l’épargne ;

• les solutions qu’offre le logement social, le choix et la motivation de l’acquisition et de la titularité ;

• les coûts et la source de financement du logement ;

• la journée type, les rôles productifs/reproductifs/communautaires ; • l’importance du logement, la symbolique et l’organisation collective ; • l’économie du ménage et l’économie féminine173.

Nous avons choisi de ne réaliser des entrevues qu’auprès des demandeuses et bénéficiaires du PVB174. Nous avions l’intention de construire des sous-groupes en différenciant les femmes « ayant déjà eu accès » aux programmes mentionnés et celles engagées dans le processus de demande. Pour chacun des sous-groupes, nous nous étions donné initialement une cible de 10 entrevues approfondies (voir l’annexe A.7).

Nous avons cependant eu des difficultés majeures à rencontrer des femmes de La Pintana qui correspondaient au cadre théorique de l’échantillon envisagé. Au retour à Montréal de notre premier voyage de terrain, nous n’avions en main que quatre entrevues auprès de femmes relevant du programme PVB-SERVIU175. Le programme PVP, quant à lui, venait de s’éteindre. Il

fallait donc repenser certains aspects de notre stratégie de recherche et envisager un deuxième voyage de terrain. Lors du second séjour de terrain (d’une durée de 4 mois - juin/septembre

173 Le guide comportait également une grille d’observations objectives sur les aspects physiques du logement.

174 Dans un premier temps, nous avons considéré pertinent de réaliser des entrevues auprès de deux groupes de

femmes impliquées dans les programmes de logement PVB-SERVIU et PVP. Nous voulions étudier ces deux programmes parce qu’ils étaient destinés au niveau gouvernemental à combattre la marginalité résidentielle. Toutefois, lors de notre premier voyage de terrain plus d’un informateur clé a soulevé la question de l’opportunité de réaliser des entrevues dans le cadre du PVP, l’argument étant qu’il s’agissait d’un programme à la fois moins populaire que le PVB et dont la portée était beaucoup plus limitée en termes quantitatifs.

175 Au retour de notre premier voyage de terrain, nous disposions aussi d’une liste de 18 femmes potentielles ayant

fait ou faisant la demande à l’un des deux programmes ; mais cette liste ne nous avait été transmise qu’à la fin du séjour et de toute manière n’arrivait pas à assurer l’hétérogénéité que nous cherchions.

2000), nous avons systématiquement jonglé avec des règles moins restrictives de sélection des femmes : nous avons choisi d’utiliser comme critère d’inclusion le critère de participation au PVB-SERVIU pendant les années 1990, que les demandes proviennent d’une démarche individuelle ou d’une démarche collective. Pour une partie des femmes recrutées, celles dont le processus d’accès au logement se faisait de manière collective en associations pro-logement176, nous avons ainsi pu bénéficier d’un travail de systématisation que la municipalité de La Pintana venait d’entamer. En complément, nous comptions aussi sur l’effet boule de neige pour recruter des femmes ayant eu accès au PVB-SERVIU.

Le recrutement des femmes lors de ce deuxième séjour de terrain n’a pas pour autant été une tâche facile. Nous avions choisi de nous faire connaître auprès de femmes par l’intermédiaire de la municipalité de La Pintana. Cette stratégie comportait le risque que les femmes interviewées perçoivent notre projet comme associé aux activités de la municipalité177. Afin d’établir notre « neutralité politique », nous avons dès lors systématiquement insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une recherche universitaire menée dans le cadre de notre thèse doctorale, donc tout à fait indépendante de quelque influence politique. En général, le réseau de contacts a bien fonctionné pour les femmes qui réalisaient les démarches d’accès au PVB et nous avons pu atteindre le point de saturation nécessaire. En rentrant du deuxième séjour de terrain, nous avions 9 nouvelles entrevues venues s’ajouter aux quatre déjà réalisées lors du premier séjour. Ceci a porté à 13 le total des entrevues (10 entrevues pour les femmes faisant la démarche d’accès au PVB et trois entrevues pour les femmes ayant déjà eu accès au PVB). En dépit des difficultés rencontrées, les entrevues que nous avons réussi à ramener au Québec sont d’une richesse étonnante. Les dizaines d’heures d’enregistrement effectuées (qui sont devenues des centaines de pages de verbatim178)

176 Ou comités d’allegamiento, voir la note 121.

177 En outre, nous pensions un peu naïvement que le retour à la démocratie et le discours de décentralisation auraient

quelque peu assoupi la stigmatisation des municipalités comme représentantes du pouvoir autoritaire et qu’en conséquence le palier municipal serait désormais une bonne porte d’entrée pour la prise de contact avec la communauté. Dans les faits, les gens, et spécialement les femmes, restent méfiants à ce palier de gouvernement en raison peut-être de l’attitude paternaliste de certains fonctionnaires municipaux ou encore de l’image persistante d’autorité associée aux institutions municipales. La relation avec le gouvernement municipal comme palier pour l’allocation des services sociaux demeure avant tout instrumentale pour les usagers.

178 En général, une entrevue type prenait deux heures et demie pour être complétée, la partie enregistrée représentant

approximativement une heure et demie, tandis que l’heure restante servait à garnir une série de tableaux complémentaires.

nous ont donné accès à l’intimité, et parfois confronté à l’extrême dureté, du vécu de ces femmes par rapport aux conditions de logement.

Notons qu’à la différence des entrevues menées auprès des intervenants-clé et des entretiens de groupe, la transcription s’est faite dans ce cas, en espagnol (sans traduction en français). Nous nous étions en effet engagée à remettre aux femmes interviewées (si elles le désiraient) une copie audio et texte de leur participation en entrevue.