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Chapitre 6 Programmes de logement social et leurs effets genrés : discours et points de vue des

6.1 Le monde universitaire : le fer de lance réceptif à l’inclusion du genre

6.1.2 IC formateurs

Comme le relatent les extraits suivants, la motivation des informateurs formateurs à introduire le concept de genre vient principalement de leur contact avec les travaux de Caren Levy et Caroline Moser du DPU de Londres, contact qui s’est fait par des séjours en Grande-Bretagne ou à travers des collègues que les ont introduits au thème. Ainsi, les questionnements de recherche sur le genre des IC formateurs bénéficient d’assises théoriques beaucoup plus solides que chez le groupe des IC pragmatiques, ce qui leur permet d’aller bien au-delà des observations de terrain que font ces derniers par rapport à l’importance du rôle des femmes en milieu urbain et au sujet de la question du logement.

… Quand j’étais en train d’étudier à Londres, pour la maîtrise en logement social, il était très évident qu’il fallait l’incorporer [le genre]… spécialement dans le thème urbain… en Amérique latine, il n’y avait pas beaucoup [de recherche sur le thème], et celles qui existaient portaient… [sur] les réseaux de femmes et l’habitat… mais il y avait un manque de compréhension de ce qu’était la thématique de genre… Quand je suis arrivée au Chili, je me suis rendu compte que si on réalisait une analyse de la grille institutionnelle de Caren [Levy], on constatait que [les espaces de pouvoir] étaient tous fermés… il y avait un vide intellectuel dans ce pays et dans plusieurs endroits de l’Amérique latine (IC5 : unités de texte 12-14). … Je crois que ça a été quelque chose de lent et progressif, presque fortuit. Parce qu’avant que j’aille à Londres, avec un collègue de la coopération suédoise qui… avait connu Caroline Moser, et qui avait lu certains de ses articles…, il m’a donné un matériel. Et là, j’ai trouvé que cette manière de voir les choses était intéressante… ça a été ma première approche concernant le thème des rôles… dans une société comme la nôtre, machiste… les femmes ont un niveau d’usure beaucoup plus grand. Et, en majorité, plus qu’un problème de discrimination, il s’agit d’un problème d’inégalité. Et là on commence à se questionner sur les situations d’iniquité des femmes et sur les situations de discrimination, qui à mon avis ne

sont pas la même chose. Et qui, de plus, impliquent des actions très diverses (IC6 : unités de texte 15-16).

Comme nous pouvions nous y attendre, les bases théoriques des IC formateurs leur permettent de comprendre les questions de genre dans une perspective beaucoup plus large, en considérant l’ensemble des relations sociales hommes-femmes certes, mais aussi les relations homme-homme et femme-femme. En corollaire, ils disposent d’outils de planification puissants qui permettent de tenir compte des besoins différenciés des populations et d’un possible accès asymétrique de la

part de certains sous-groupes à certaines ressources urbaines (voir la section 1.1). Il est par contre quelque peu symptomatique d’entendre que l’approche de genre doit souvent se « camoufler » sous le discours de la « diversité » afin de mieux percer les préjugés machistes qui prévalent dans la société chilienne, mais aussi au sein de la profession.

… Les féministes non activistes nous ouvrent à une autre manière d’analyser les relations sociales entre hommes et femmes, entre hommes et hommes, femmes et femmes… il s’agit d’une évolution très importante… l’approche de genre a à voir avec un processus de planification intégrale… un modèle de planification. […] en comprenant qu’hommes et femmes ont des accès différents aux ressources, et des manières distinctes de prendre les décisions, qu’ils ont des rôles spécifiques dans la société. Et donc des besoins différents, qu’il faut comprendre pour y répondre… [Mais] Il y a une question de communication en premier lieu… Parce qu’il arrive qu’on parle de genre sans que personne ne sache de quoi on est en

train de parler. […] il ne faut pas seulement privilégier les femmes… (IC5 : unités de texte 10-11 et 28).

… elle [la perspective de genre] est une autre catégorie d’analyse… beaucoup plus transversale ou verticale,… elle devrait croiser le processus de planification au complet…depuis la définition ou formulation du problème… la perspective de genre… cherche à regarder une plus grande diversité [et différenciation]. Et, en vertu de cela,

proposer des solutions ou interventions de genre à partir de cette identification (IC6 : unités de texte 12-13).

… [Toutefois] Nous ne l’appelons plus genre, bien que nous utilisions la perspective de genre, mais nous parlons davantage de diversité. Reconnaître la diversité, en premier lieu, parce que celle-ci n’a pas une connotation négative, et, d’autre part, parce que, effectivement il s’agit… de reconnaître les diversités qui existent entre les personnes que nous sommes en train d’étudier et dans les milieux où nous intervenons (IC5 : unité de texte 7).

Pour les IC formateurs, l’analyse de genre dans le domaine du logement est un élément clé permettant de concevoir des politiques publiques plus ciblées et efficientes (voir la section 2.5). Le MINVU aurait tout à gagner à mobiliser ses ressources financières et informationnelles pour réaliser des études avec une approche de genre afin de mieux orienter ses politiques et programmes. D’autant plus que les données statistiques nécessaires à de telles études existent déjà (du moins à l’interne, car les questions de transparence et d’accès public aux données compilées demeurent saillantes). En ce sens, ce qui semble surtout manquer pour réaliser ce type d’analyse est une plus grande expertise de genre et une meilleure exploitation des banques d’information (voir la section 1.5).

… si je sais qui sont les demandeurs de logement, je peux… beaucoup mieux définir le produit que je vais offrir, les alternatives… D’autre part, au niveau local, si je connais encore mieux qui sont les demandeurs, et si je connais leurs priorités, je peux déterminer ce qui est préférable… Donc, je suis sûr et je n’ai pas des doutes qu’en ce qui concerne la ville et le logement, on aurait un plus grand niveau de satisfaction en incorporant l’approche de genre (IC6 : unités de texte 47-48).

... l’analyse devrait être faite non seulement en fonction du sexe… Il y a beaucoup de renseignements dans le MINVU, mais il y a aussi beaucoup d’information qui manque… Ce qui arrive c’est qu’il est difficile de faire l’analyse [depuis la perspective de genre]. Il n’y a pas de personnes qui savent l’analyser. Il y a des données statistiques… il y a beaucoup d’argent pour faire des études, mais on ne l’utilise pas suffisamment dans ce but (IC5 : unités de texte 35-36).

Comme les IC pragmatiques, les IC formateurs soulignent l’importance des deux programmes comme éléments déterminants dans la lutte contre le déficit chronique de logement au Chili : le PVB, grâce à 15 ans de consolidation et de légitimation auprès de la population, et le PVP qui est le programme précurseur des gouvernements de la Concertation. Les IC ont souligné que ce dernier était un des principaux outils pour empêcher les occupations illégales de terrain au Chili, une fois revenue la démocratie. Cela dit, les IC formateurs sont un peu plus critiques que les IC pragmatiques et relèvent les nombreuses déficiences de ces deux programmes. Pour le PVB il s’agit surtout de problèmes reliés à la qualité de la solution offerte (espace, localisation, etc.), au niveau d’endettement et aux nouvelles responsabilités économiques des ménages pauvres bénéficiaires. Pour le PVP, les plus grandes objections sont la complexité de son processus d’accès et l’incompréhension générale de son caractère facilitateur, et ce, en dépit du fait qu’ils considèrent ce programme beaucoup plus innovateur que le PVB.

… Je crois que les programmes ont plusieurs avantages, cela permet un ciblage mais qui peut être cruel… [car il peut] entraîner des incapacités de paiement… [En effet,] il arrive que les personnes qui vont vivre dans le logement PVB, étaient allegados auparavant, et là les coûts augmentent considérablement… en plus du crédit hypothécaire, il faut qu’ils paient l’électricité, l’eau, le transport. Dans ce sens, il n’y a pas d’évaluation des coûts supplémentaires qu’implique le fait d’aller vivre dans un logement (dont on est propriétaire)… (IC5 : unités de texte 44-45).

Le programme PVP a été instauré en 1990 par le premier gouvernement de la Concertation, et il vise à incorporer la demande collective ou en groupe, ce qui n’existait pas auparavant…Il reconnaît également que la question du logement appelle des solutions progressives, et que là on commence avec quelque chose [une unité] qui est un processus à faire. [Il] reconnaît aussi l’importance d’offrir une solution aux secteurs les plus pauvres, et donc une solution minimale, mais sans dette ni crédit. Ensuite, le logement PVP [deuxième phase] s’incorpore aux modalités de libre choix qui permet que les gens aient une subvention… Donc, il s’agit de deux programmes, un [PVB] qui est plus ancien et qui est

consolidé, et un autre [PVP] qui a eu plus de difficultés [à fonctionner], qui suscite diverses réactions. Mais le problème principal [est que] le coût du PVB a augmenté. Et cela fait que le ciblage n’est peut-être plus le bon, et certains secteurs plus pauvres [se retrouvent] sans couverture (IC6 : unités de texte 51 et 53-54).

À l’époque de l’entrevue avec les IC formateurs, les défis de ces programmes sociaux passaient tout d’abord par une reformulation importante impliquant un ciblage plus adéquat des bénéficiaires ainsi qu’une meilleure détermination des unités selon la taille des ménages197. Également, il faudrait simplifier la structure des prix ainsi que le système de financement des solutions d’habitation, car ces aspects se sont révélés extrêmement complexes : dans certaines circonstances il devient difficile de déceler la situation socioéconomique concrète et l’endettement réel des solliciteurs et de leur groupe familial. Pour le MINVU, cet état de choses a impliqué d’importants problèmes de recouvrement à cause du retard chronique des paiements d’une partie importante des bénéficiaires de logement social198.

… Les programmes ont évolué par eux-mêmes. Mais avec des estimations trop générales et sans réelle analyse des différents types de bénéficiaires... Je pense que ces deux programmes ont beaucoup de valeur, mais ils devraient être reformulés en fonction des divers bénéficiaires qui y ont recours. Et il faut voir effectivement comment résoudre la question des prix. Parce que cette structure concernant le financement, l’épargne et le crédit, est très complexe. Et que le problème des revenus des secteurs les plus démunis n’est pas résolu. Parce que les gens qui ont les plus bas revenus épargnent proportionnellement beaucoup plus que les secteurs moyens. Le crédit est très difficile à établir parce que beaucoup de gens ont des emplois informels, qui ne sont pas considérés (IC6 : unités de texte 55 et 58).

Défis… Par exemple, j’écoute une travailleuse sociale que dit que si les revenus ne sont pas suffisants, le mari ou le fils peut fournir en garantie une déclaration dans laquelle il s’engage à travailler en peignant ou en faisant du pain. C’est pour que ces gens puissent faire la demande et avoir accès à un logement, mais à la fin ils ne peuvent pas payer le crédit, parce que les revenus ne sont pas réels [ils ne font pas de calculs pour savoir comment rembourser le crédit]... On ne devrait pas leur donner de crédit, parce que nous n’avons pas les moyens de le mesurer et de le récupérer. … Et d’un autre côté, il y a eu des variations dans la taille des maisons, il y en a de 40, 45 et 50 m2, mais les prix augmentent en fonction du métrage. Et

donc, un groupe familial plus nombreux et qui a moins de ressources ne peut pas acheter une maison plus grande. Il y a une question inversement proportionnelle aux besoins en fonction d’un problème de coûts. Même si le nombre des membres du ménage est déjà un facteur qui donne des points, peut-être devrait-on en octroyer davantage (IC6 : unités de texte 60-61).

197 Nous pouvions déjà sentir l’essoufflement des deux programmes et la grande réforme qui s’annonçait en 2000. 198 À l’époque, il n’y avait pas d‘études individuelles sur la capacité maximale d’endettement des bénéficiaires, cet

élément ne faisait pas partie des principes d’octroi de subvention et de crédit. Le seul préalable financier était le montant d’épargne demandé. C’est en grande partie à cause de cela que le portfolio hypothécaire du MINVU se trouvait en 2000 en défaut de paiement à 70% et qu’une réorientation majeure des programmes s’est imposée.

Les revenus aussi c’est une question très compliquée… Des fois, les membres d’un couple séparé de fait ont d’autres conjoints, mais les revenus des nouveaux conjoints ne comptent pas, les revenus des enfants de plus de 18 ans non plus, ni les revenus de la mère qui subvient seule à ses besoins. Donc, cela fait quatre revenus qui, même s’ils sont peu élevés, améliorent le revenu familial. Mais les programmes ne permettent pas de les comptabiliser. D’un autre côté, il y a des personnes à très bas revenus, comme des couples avec un seul revenu et trois enfants, qui n’ont même pas l’option d’entrer dans le système. Donc, la méthode de calcul des revenus est complexe, la façon de calculer les revenus familiaux pour déterminer les crédits aussi est complexe (IC6 : unités de texte 62-63).

Enfin, comme nous pouvions nous y attendre, l’inclusion des préoccupations de genre dans le logement social est pour les IC formateurs un élément fondamental pour s’assurer de la réussite des programmes. Toutefois, comme le note très bien un des IC formateurs dans ses propos, pour le SERNAM la question du logement social reste davantage sectorielle et technique ainsi que peu intégrée à l’ensemble des politiques publiques avec une perspective de genre. En fait, pour ce sous-groupe des IC ces préoccupations devraient être incorporées dans tout le processus de planification, dès la conception de la politique et jusqu’à sa mise en œuvre, et même au moment de son évaluation rétroactive. Le genre est bel et bien perçu comme une catégorie analytique transversale qui servirait, entre autres, à mieux rendre compte des besoins différenciés des populations cibles des politiques publiques, mais aussi à discerner qui fait quoi, comment et pourquoi (voir la section 1.2). De plus, cette catégorie analytique pourrait mener à des actions spécifiques visant à offrir des solutions à des situations d’iniquité homme-femme dans l’accès au logement subventionné.

… Le thème, on le regarde [dans le SERNAM] encore comme de l’extérieur, très sectoriel, très peu intégré dans la pratique commune des politiques sociales. Et non seulement dans la part de diagnostic et exécution, mais aussi dans l’évaluation, dans le monitorat, dans l’évaluation post… Il faut se demander si les relations de genre ont changé avec ce projet, ce programme, oui ou non… Il est connu qu’il existe un accès différencié [au logement]. C’est connu que des fois il y a un discours de contrôle différent sur les ressources… Ce qui n’a pas été étudié c’est la façon de décider. Qui prend la décision ?… Vers où sont dirigées les politiques ?… On devrait faire en sorte qu’il [le genre] soit incorporé dans toutes les phases, plus transversales... Il faut le rendre intéressant, mais je n’aime pas l’idée d’avoir des plans sectoriels (IC5 : unités de texte 24-25, 49 et 72).

Je pense que dans le diagnostic du problème, dans la formulation du problème, dans le suivi de l’action ou de l’intervention, et dans l’évaluation postérieure de ces évaluations, on devrait appliquer l’incorporation de genre… Ceci a à voir avec [le fait] qu’en réalité il ne s’agit pas de savoir combien de femmes sont bénéficiaires, il ne s’agit pas de voir si on privilégie proportionnellement la même quantité de femmes qui font la demande. Ceci n’est pas la question, mais ça ne veut pas dire qu’on ne pourrait pas développer des programmes spécifiques pour des groupes de femmes... Au fond, il s’agit d’utiliser l’approche au service de la diversité pour donner quelque chose de plus effectif (IC6 : unités de texte 14 et 65-66).