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Entre errance et enfermement : la place du fou à la croisée de l’histoire et des représentations littéraires

B. Le « Grand Renfermement » : mythe ou réalité ?

2. U N « PARTAGE » À NUANCER

Les historiens ont critiqué cette thèse sur deux points : d’une part, la radicalité du « partage », d’autre part, l’interprétation même que donne Foucault de l’internement des insensés parmi les autres correctionnaires2.

a) Un édit parmi d’autres

Cl. Quétel remet radicalement en cause l’importance accordée par Foucault à la date de 1656 : selon lui, le « Grand Renfermement » n’est autre qu’un fantasme épistémologique n’ayant aucun référent dans l’histoire du XVIIe siècle. On a toujours enfermé les fous et ce, dès l’Antiquité. Il n’y a pas eu de brutal mouvement de réclusion à partir de la fondation de l’Hôpital général. Pourtant, deux remarques peuvent être d’emblée apportées pour nuancer ce propos. Tout d’abord, il convient de prendre garde à ne pas faire dire à L’Histoire de la folie ce qu’elle ne dit pas, par une réduction excessive de son contenu : nulle part ne se trouve l’idée selon laquelle il aurait fallu attendre le XVIIe siècle pour que les premiers fous soient enfermés. L’ouvrage n’affirme pas que 1656 voit apparaître l’« enfermement », mais bien plutôt l’« internement », défini comme la ségrégation, dans une perspective éthique, d’un ensemble de catégories considérées comme génératrices de troubles dans l’espace social :

L’internement est une création institutionnelle propre au XVIIe siècle. Il a pris d’emblée une ampleur qui ne lui laisse aucune commune dimension avec l’emprisonnement tel qu’on

1 Op. cit., p. 150 sq.

2 La bibliographie traitant de la folie à l’âge classique est conséquente. C’est pourquoi nous ne comprenons

pas pourquoi Cl. Quétel, dans la section bibliographique de son ouvrage portant sur les XVIIe et XVIIIe siècles, émet ce constat radical et erroné selon nous : « (Le néant, hormis le célèbre ouvrage de Michel Foucault […]) » (op. cit., p. 590). Nous nous appuierons notamment sur la recherche anglo-américaine, riche et abondante sur ces questions.

77 pouvait le pratiquer au Moyen Âge. Comme mesure économique et précaution sociale, il a

valeur d’invention. Mais dans l’histoire de la déraison, il désigne un événement décisif : le moment où la folie est perçue sur l’horizon social de la pauvreté, de l’incapacité au travail, de l’impossibilité de s’intégrer au groupe ; le moment où elle commence à former texte avec les problèmes de la cité.1

En définitive, la démarche quantitative que Quétel souhaite opposer à Foucault n’a paradoxalement pas pour effet de reconsidérer les sources utilisées par celui-ci. Certes, les nuances que l’historien apporte aux dates et aux chiffres avancés par le philosophe sont importantes ; c’est pourtant moins sur les faits que les deux ouvrages s’opposent, que sur le sens à leur donner. Selon Quétel, Foucault a commis une erreur de méthode qui a eu pour conséquence de fausser l’intégralité de son interprétation de la folie à l’âge classique : il a vu dans la démence de cette époque une entité « moniste », rassemblant deux dimensions morale et pathologique en un seul et même bloc ; il a fait de la folie-péché et de la folie- maladie un concept unique2. La naissance d’une folie médicalisée n’aurait lieu qu’à la fin

du XVIIIe siècle, ou encore dans l’asile positiviste du début du siècle suivant. Or, selon Quétel, dès l’Antiquité, la démence a été considérée comme une pathologie, que l’on a entrepris de soigner, bien que de façon sommaire. De tout temps, les hommes ont eu une conception « dualiste » de la folie et ont tracé une ligne entre philosophie et morale d’un côté, pathologie de l’autre.

D’emblée, cette lecture de l’ouvrage de Foucault peut être contestée, car le philosophe précise bien que l’âge classique n’a cessé de juxtaposer deux expériences de la folie, l’une comme désordre social et moral non pathologique, et de ce fait non soigné, l’autre comme maladie traitée dans les Hôtels-Dieu. Il y a parfois eu superposition, jamais confusion. L’oscillation dont font preuve les hôpitaux dans l’accueil des déments en témoigne : ainsi, tandis que l’Hôtel-Dieu de Paris reçoit des fous pour leur donner des soins, l’Hôpital général les retient, en nombre plus élevé, dans une perspective de coercition. Toutefois, Quétel lit pour sa part dans ce phénomène une répartition, non pas entre des fous reconnus comme malades et d’autres sans statut médical, mais plutôt entre des insensés jugés curables et d’autres estimés incurables, tous étant reconnus comme pathologiquement atteints3. Au contraire, Foucault n’accorde pas le titre de malades à tous

les fous, mais il ne réduit pas pour autant la superposition de deux expériences de la folie à une simple expression « moniste » : jamais on ne trouve dans son ouvrage l’affirmation

1 M. Foucault, op. cit., p. 108-109. 2 Op. cit., p. 91 sq.

3

78 selon laquelle aucun fou n’était soigné avant la Révolution1. Ce que Quétel ne précise pas,

c’est que Foucault établit une séparation entre le Moyen Âge, où une thérapeutique du fou se développe, dans le sillage des traités antiques et sous l’influence des médecins arabes contemporains, et l’âge classique, qui retire au fou son statut médical en l’assimilant aux autres catégories jugées déraisonnables. À ce titre, l’Hôtel-Dieu apparaît comme le « témoin-vestige2

» de l’ancienne expérience médiévale de la folie, qui subsiste tant bien que mal face à la nouvelle expérience classique de ségrégation du fou.

Plus fondamentalement, Quétel remet en cause la définition même que Foucault propose de l’internement à l’âge classique. Dans la réclusion des fous à l’intérieur des hôpitaux généraux, il ne lit pas une volonté de contrôler l’espace social, dans une perspective idéologique de maîtrise, par le pouvoir, de toute forme de rébellion ou d’écart potentiel ; selon lui, il s’agit plutôt de tenter, par tous les moyens, sans que cela soit théorisé sur le plan politique, de lutter contre les pauvres, dont le nombre explose en ce début du XVIIe siècle :

Et s’il n’y avait pas de date fondatrice dans l’histoire de la folie, à commencer par celle de 1656 ? Et si les pouvoirs avaient constamment cherché à éluder le problème de l’enfermement des fous plutôt qu’à conspirer à leur réclusion ? Et si les fous, non pas les non-sages et les pécheurs devant l’Éternel, mais les fous pathologiques et reconnus comme tels, étaient là eux aussi depuis toujours, aussi anciens que l’humanité elle-même ?3

Là où Foucault voit une volonté de cacher le scandale du trouble social, moral, sexuel et psychique, Quétel lit une pure recherche de résultats, la fin justifiant les moyens. Il n’y a pas eu selon lui de partage de la raison et de la déraison à l’âge classique : il y a eu au contraire tentative non préméditée, hasardeuse et sans arrière-pensée, de trouver une place pour les miséreux.

Quétel refuse de voir dans la naissance des hôpitaux généraux une assimilation quelconque entre les fous et les « asociaux », terme qu’il juge de toute façon

1

« L’expérience de la folie, comme maladie, pour restreinte qu’elle est, ne peut être niée. Elle est paradoxalement contemporaine d’une autre expérience dans laquelle la folie relève de l’internement, du châtiment, de la correction » (op. cit., p. 156). Voir également, sur le traitement médical du fou au Moyen Âge, les pages 133-135. D’autre part, comme le précise É. Roudinesco, le fait que Foucault ait changé de perspective entre Maladie mentale et psychologie (1954), où il montrait la permanence de l’aliénation à travers l’histoire, et Folie et déraison (1961), où il renonçait à ce point de vue continuiste pour privilégier au contraire la notion de « partage », montre que le philosophe entendait proposer une histoire de la folie, et non la seule histoire de la folie possible. Mais il faisait aussi le choix de s’intéresser à la « vérité ontologique de la folie », et non à « la vérité psychologique de la maladie mentale » (« Lectures de L’Histoire […] », art. cit., p. 24-25).

2 Fr. Gros, op. cit., p. 64.

3 Op. cit., p. 16. Refusant de se livrer à une lecture idéologique de l’Histoire, Cl. Quétel remet en cause les

79 anachronique1. Il corrige notamment ce qu’écrit Foucault à propos des vénériens, qui

auraient été enfermés dès les premiers temps du fonctionnement de ces structures : au contraire, selon Quétel, en tant que malades contagieux, on ne sait où les placer2

. Les Hôtels-Dieu les refusent, de même que, dans un premier temps, l’Hôpital général, qui finit par les accepter faute de mieux. Toutefois, dans cette institution comme aux Petites Maisons, les vénériens sont séparés des fous : il n’y a donc pas d’assimilation entre trouble sexuel et désordre psychique selon lui3. Il en est de même pour la sodomie, pénalement

jugée comme un crime contre-nature, ce qui n’est pas le cas de la folie, l’insensé étant reconnu comme irresponsable sur le plan juridique4. Plus généralement, l’historien soutient

la thèse inverse à celle du philosophe en affirmant que, si les fous ont pu se trouver en contact physique et spatial avec les vénériens, les hérétiques et les libertins, ils ont toujours été considérés différemment d’eux sur les plans de la morale (ils ne sont pas condamnés du point de vue des bonnes mœurs) et du droit (ils ne sont pas coupables) : les fous sont traités à part, en tant que « médicaux ». Toute cette population se trouve donc mêlée uniquement parce que les pouvoirs sociaux entendent lutter contre la mendicité et le vagabondage en recrudescence.

D’autre part, Quétel nuance le « partage » que pose Foucault au milieu du XVIIe siècle en rappelant que des hôpitaux généraux ont été créés dès le XVe siècle dans d’autres pays européens, comme en Italie, avec celui de Brescia en 1447, de Milan en 1448 et de Bergame en 14495. Il n’est pas besoin d’attendre 1656 pour que les pouvoirs politiques

prennent des mesures contre les errants : sous le règne de François Ier, une déclaration royale du 7 mai 1526 ordonne que soient emprisonnés à Paris tous les « vagabonds oisifs, mal vivans, gens sans aveu, joueurs de cartes et de dés, blasphémateurs du nom de Dieu, ruffians, mendians sains de leur corps pouvant autrement gagner leur vie […]6

». Les édits se multiplient tout au long du XVIe siècle, mais il s’agit d’un problème insoluble puisque le nombre de vagants ne peut être entièrement résorbé. Quétel considère en définitive l’année 1557, date de la réhabilitation de la maladrerie Saint-Germain, comme la naissance

1 Ibid., p. 93.

2 « C’est toute la différence entre un fonctionnement idéologique et un fonctionnement pragmatique de

l’Hôpital Général » (ibid.).

3

Ibid., p. 94.

4 Quant aux profanateurs et aux blasphémateurs, ils étaient plutôt condamnés au bûcher qu’à l’enfermement

(« Faut-il critiquer Foucault ? », art. cit., p. 88).

5 « Ni hôpital ni prison au sens où nous l’entendons aujourd’hui, le terme d’hôpital général qui apparaît alors

se définit comme une structure d’hospice où sont accueillis et maintenus de force les errants et les mendiants. Ainsi s’instaure une dualité charité-répression dans laquelle le second terme va l’emporter progressivement sur le premier » (op. cit., p. 100).

6

80 de l’Hôpital général, un siècle avant la date mise en avant par Foucault : les deux pôles d’assistance et d’enfermement s’y trouvent effectivement déjà réunis. D’autre part, le philosophe a selon lui retenu un édit, celui de 1656, qui ne peut en réalité être isolé de tous ceux qui l’ont précédé et suivi1

. À Paris, des mesures sont notamment prises en 1611 pour enfermer les pauvres au sein de trois hôpitaux : Saint-Victor, Saint-Marcel et Saint- Germain2

. Mais cette première tentative échoue partiellement : les valides répugnent à se laisser enfermer et l’apport financier n’est pas suffisant pour faire fonctionner ces établissements. Richelieu essaie à son tour de lutter contre ce problème en tentant d’imposer des hôpitaux généraux dans toutes les villes importantes du royaume. À Lyon, dès 1613, l’Hôpital de la Charité s’érige ainsi en modèle d’enfermement à imiter3.

L’édit de 1656 apparaît donc comme le symptôme d’une volonté de poursuivre la tâche amorcée au siècle précédent et de remettre en fonctionnement les hôpitaux déjà construits, dans un contexte de renouveau du mouvement de charité. Le préambule de ce texte constate en effet le manque de résultat des mesures précédentes faute de finances et de direction suffisantes4. La parole royale prétend toutefois agir dans un but charitable

plutôt que coercitif. Selon Quétel, la date de 1656 ne marque donc une première que dans le fait que de nombreux établissements sont réunis sous l’appellation d’Hôpital général et que des revenus fixes importants leur sont attribués. Contrairement aux mesures prises au début du siècle, la promulgation de l’édit entraîne davantage de résultats : Quétel cite le nombre de 4000 à 5000 vagabonds reclus dans les mois qui suivent, même si ceux qui se laissent enfermer sont souvent les errants invalides, les autres préférant s’enfuir5. En

province, la circulation des mendiants valides de ville en ville pour échapper à l’enfermement aboutit à la multiplication des hôpitaux généraux, à l’instigation des autorités civiles, mais aussi des jésuites et des filiales de la Compagnie du Saint- Sacrement, souvent dès la fin du XVIe siècle : Marseille possède le sien en 1641, Nantes en 1650, Caen et Senlis en 1655, etc. L’Hôpital général de Paris ne peut donc être considéré comme le paradigme de tous les hôpitaux du royaume, même si le processus s’accélère

1 Ibid., p. 106.

2 Environ 2200 mendiants et vagabonds se trouvent enfermés en 1616 dans ces établissements, où ils

subissent une reprise en main morale et religieuse (J.-P. Gutton, « L’enfermement […] », dans op. cit., p. 164).

3 Ibid.

4 « Mais le libertinage des mendiants est venu jusqu’à l’excès, par un malheureux abandon à toutes sortes de

crimes qui attirent la malédiction de Dieu sur les Estats, quand ils sont impunis ». L’édit précise plus loin que les mendiants et oisifs sont considérés « comme membres vivants de Jésus-Christ et non pas comme membres inutiles de l’Estat » (cité par Cl. Quétel, op. cit., p. 107).

5

81 après 1656 : des institutions sont fondées à Pontoise, Soissons, Saint-Flour, Noyon, Issoudun, Clermont-Ferrand et Bourges en 1657, à Beauvais, Le Mans, Riom, Tours et Blois en 1658, à Montbrison en 1659, Calais et Moulins en 1660. De même, les albergues

paras les pobres et les casas de misericordia en Espagne, instaurées dès la fin du XVIe

siècle, les prisons, bridewells et workhouses anglais, les lieux d’internement qui existent également en Allemagne, aux Provinces-Unies, en Suède, en Pologne et en Russie, prouvent « à quel point l’édit de 1656 n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel bleu […]1 ». La vie quotidienne de tous ces établissements fait alterner labeur et activités

liturgiques : on tente de rendre quelque peu utiles les enfermés (en les soumettant par exemple à des travaux de filage ou de tissage), tout en prenant soin de leur âme, lors des célébrations d’offices, des confessions, des prières, qui rythment la journée.

Le règlement de l’Hôpital général de Paris évoque les pauvres mendiants, les lépreux, les vénériens, les contagieux, les aveugles (par la suite transférés aux Quinze- Vingt et aux Incurables), mais non les fous. Généralement, dans la capitale comme en province, on ne sait où les placer. Quétel mentionne leur séparation dans des locaux distincts à Saint-Omer, à partir de 16112. Les fous sont également accueillis et soignés à

Saint-Germain, établissement qui dépend du Grand Bureau des Pauvres de Paris : en 1664, l’État abrégé de la dépense annuelle des Petites-Maisons mentionne 80 « pauvres fols inssencez » sur une population de 800 pensionnaires (500 vieux infirmes, 120 teigneux, 100 vérolés), soit un pourcentage de 10% de l’ensemble, chaque catégorie étant séparée des autres3. Les différents établissements de l’Hôpital général permettent également de

mettre à part certains types d’indigents : la Salpêtrière, le plus grand d’entre eux, accueille les femmes « de quelque âge qu’elles soient, et quelques infirmitez qu’elles ayent, comme insensées, paralytiques, epileptiques, aveugles, estropiées, caduques, et en âge decrepit, écroüellées, et toutes les autres affligées de maladies incurables », selon la notice de 16764.

Les folles représentent 22 pensionnaires sur 700 en 1657, 226 sur 4000 en 1690, pour atteindre un pourcentage d’environ 10% en 1769, ce qui constitue, selon Quétel, la proportion sans doute la plus forte d’Europe. Les folles et les épileptiques occupent les mêmes dortoirs. Bicêtre accueille les hommes : l’établissement compte à ses débuts 20 fous et 16 épileptiques sur une population de 600 enfermés, pour 208 sur 2454 en 1726,

1 Ibid., p. 115. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 116. 4 Ibid., p. 117.

82 soit un pourcentage de 7 à 8% de l’ensemble des pensionnaires. Même si les folles et les fous sont enfermés dans la même structure que les épileptiques, les impotents et les aveugles, chaque catégorie occupe des dortoirs distincts. À l’intérieur d’un même établissement, il n’y a donc pas de confusion ni d’assimilation des différents assistés, contrairement à ce que pourraient laisser entendre les analyses de Foucault.

En province, dans les villes petites et moyennes, les catégories de miséreux restent généralement distinguées dans les esprits, mais non dans la pratique, par manque de moyens matériels et financiers : leur réunion au sein des mêmes quartiers est pragmatique, non idéologique. Pour les mêmes raisons, les hôpitaux généraux de province accueillent des proportions d’insensés bien moindres. Quétel précise même que les administrateurs sont parfois contraints de les refuser, en rappelant que les édits d’enfermement ne les incluent pas dans les catégories à reclure. À Lyon, un partage s’opère, même s’il souffre des exceptions, entre « les fols, insensés et furieux », traités à l’Hôtel-Dieu, qui refuse de recevoir les incurables, et les « Innocens et Niais », accueillis à l’Hôpital général de la Charité1. À Marseille, en périphérie de la ville, dans l’ancienne maladrerie des lépreux,

s’installe en 1699 l’hôpital Saint-Lazare2. Les fous sont-ils traités comme des prisonniers

dans ces différents établissements ? Il semble que seuls les agités soient progressivement reclus dans des loges séparées, lorsqu’elles existent, et que les autres, imbéciles ou innocents, aient la liberté de se promener dans les cours intérieures des hôpitaux. Non considérés comme des malades curables, les fous ne sont généralement pas soignés. À Bicêtre, il arrive toutefois qu’un insensé soit transféré temporairement à l’Hôtel-Dieu pour recevoir des soins, tandis que des libérations ont lieu lorsque le fou est déclaré guéri, ce qui prouve que la folie est tout de même reconnue comme une maladie.

L’édit de 1656, comme les précédents, se révèle bien incapable de résorber intégralement le problème de la pauvreté et du vagabondage. La promulgation de nouveaux édits royaux dès 1661, puis tout au long de la fin du siècle et du siècle suivant, tend à le prouver. Quétel conteste là encore la thèse du biopouvoir développée par Foucault, en montrant que le pouvoir royal lui-même s’emploie à entraver le prétendu processus du « Grand Renfermement »3. Désireux de contrecarrer la puissance de la

Compagnie du Saint-Sacrement, dont sont issus tous les directeurs de l’Hôpital général,

1

Ibid., p. 122 sq.

2 « En fait, un peu partout, on est moins préoccupé d’un quelconque esprit de l’institution que du souci

pragmatique de caser d’une façon ou d’une autre les insensés » (ibid., p. 125).

3

83 Mazarin, puis Colbert, s’attachent à laïciser l’institution ; mais cette évolution entraîne aussi un affaiblissement de l’élan de charité qui avait en partie contribué à la formation du projet. L’ensemble se trouve dans une grave situation de faillite au milieu du XVIIIe siècle. D’autre part, Quétel conteste la lecture des chiffres avancés par Foucault, dont la thèse affirmait que 10% de la population parisienne s’était trouvée enfermée à l’Hôpital général : l’interprétation d’un chiffre si spectaculaire est faussée par l’ignorance du grand nombre de mendiants de province enfermés dans la structure parisienne1.

Ainsi, les mesures prises à partir de 1656 et dans la seconde moitié du siècle se soldent par un demi-échec. Des relais aux hôpitaux généraux se mettent progressivement