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L’ EXTRAVAGANCE COMME MALADIE PSYCHOSOMATIQUE : LE CAS DU LECTEUR MÉLANCOLIQUE

Mélancolie et trouble de l’esprit : l’extravagance à la lumière de la pensée médicale

A. Extravagance et bile noire : l’obsession mélancolique

2. L’ EXTRAVAGANCE COMME MALADIE PSYCHOSOMATIQUE : LE CAS DU LECTEUR MÉLANCOLIQUE

Nombreux sont les personnages de notre corpus à être explicitement désignés comme des mélancoliques : c’est notamment le cas d’Ariston, dans Le Page disgracié, dont l’excès d’étude et les diverses infortunes renforcent les vapeurs de bile noire2. Au-delà

de simples mentions, certains malades peuvent être lus à la manière de cas concrets illustrant les traités médicaux en usage au moment de leur composition : c’est le cas de Cloridan, dans L’Hypocondriaque, mais aussi, parmi les œuvres romanesques du XVIIe siècle influencées par l’intertexte cervantin, de Lysis et de Don Clarazel.

a) Les étiologies de l’extravagance : la maladie d’amour confortée par les livres

L’étiologie de la folie de Don Quichotte est presque entièrement développée dans le premier chapitre de l’œuvre : l’hidalgo, approchant de l’âge de cinquante ans, mène un train de vie modeste. Sa nourriture se compose de bœuf, ragoût, œufs au lard, lentilles et pigeonneau3. Il est décrit comme « de constitution robuste, sec de corps, maigre de visage,

très lève-tôt […]4 ». L’extraordinaire fécondité imaginative du personnage, l’alternance de

phases délirantes et raisonnables qu’il traverse au cours du récit, en ont fait l’un des mélancoliques les plus célèbres de l’histoire littéraire. Pourtant, l’ensemble des indices cités ne nous conduit pas à déceler chez lui un tempérament naturel dominé par l’humeur

1 « […] se dit figurément en choses spirituelles. Les beaux esprits ont quelquefois des saillies ingenieuses,

qui leur font faire de belles tirades. Les fous ont quelquefois des saillies de fureur qui leur font faire des extravagances » (Dictionnaire de Furetière, art. « Saillie », 2e entrée).

2

« Ma maîtresse dit tout haut […] qu’elle était en trop belle humeur pour vouloir souffrir que ma mélancolie me durât ; que j’étais suspect d’être sujet au mal de rate, et qu’elle voulait que je noyasse ma rate dans de l’excellente bière en buvant à sa santé. Sa favorite, qui était véritablement sujette à ce mal, et qui buvait par l’avis de son médecin dans un petit baril de bois de tamarin, s’offrit à me donner à boire dans cette machine » (op. cit., I, 40, p. 127) ; « Cette noire mélancolie eut bientôt altéré ma santé, et je fus saisi d’une fièvre quarte qui me dura presque une année » (ibid., II, 20, p. 190).

3 Op. cit., I, 1, p. 145. 4

174 noire : sa sécheresse physiologique, sa force, ses fréquentes colères, son goût pour la société, mais aussi ses ardeurs amoureuses, voire érotiques, indiquent davantage une constitution colérique1

. Si l’on diagnostique bel et bien une mélancolie chez Don Quichotte, il s’agit donc d’une humeur contre-nature, obtenue par combustion excessive de bile jaune. Le climat et la période de l’année permettent en partie d’expliquer cette adustion : au début du deuxième chapitre, il est précisé que Don Quichotte opère sa première sortie « un matin avant le jour, qui fut un des plus chauds du mois de juillet […]2 ». Il faut également ajouter des causes plus directes, qui tiennent en quatre points :

d’une part, malgré son goût pour la chasse, l’hidalgo demeure oisif presque tout au long de l’année. C’est alors qu’il se plonge avec excès dans la lecture de livres de chevalerie, passe-temps qui envahit progressivement ses jours et ses nuits ; les veilles et le manque de sommeil – troisième point – le privent d’un repos salutaire pour la santé de son jugement. Enfin, l’activité psychique effrénée à laquelle il se livre, en tournant et retournant sans cesse dans son cerveau des objets vains et stériles, altère le bon fonctionnement de sa raison : il déploie en effet des efforts intellectuels prodigieux pour tenter de comprendre le style alambiqué, plein d’antithèses oiseuses, des auteurs qu’il lit ; il se dispute avec le curé du village pour élire le meilleur chevalier ; il met quatre jours à choisir le nom de Rossinante3 et encore huit autres pour se baptiser Don Quichotte, autant de tergiversations

qui épuisent son esprit. Comme chez les « illustres fous » de Beys, cette intense activité psychique provoque une déshydratation du cerveau, signe de l’adustion mélancolique qui s’opère en lui :

En somme il s’empêtra dans sa lecture jusqu’à passer toutes ses nuits à la clarté de la lampe, tous ses jours dans le brouillard ; ainsi, à force de dormir peu et de lire beaucoup, son cerveau se dessécha, de sorte qu’il finit par perdre la raison.4

La lecture des romans de chevalerie joue donc un rôle direct dans sa mélancolie ; mais elle doit être replacée parmi un système de causes qui fait également intervenir la constitution physique du personnage, son âge, le contexte extérieur, de même que la perte

1 J.-R. Fanlo, « L’ingéniosité mélancolique du Quichotte : une fécondité sans emploi », dans Fr. Lecercle et

S. Perrier (éd.), La Poétique des passions à la Renaissance. Mélanges offerts à Françoise Charpentier, Paris, Champion, 2001, p. 280-281. Selon W. Melczer, Don Quichotte est par essence une figure anti-mélancolique. Il est « an imaginative maniac, exhuberant, life-giving, and endowed with a protean drive for visionary activity » [un maniaque imaginatif, exubérant, vivifiant et doté d’une tendance versatile à se lancer dans des activités illuminées] (« Did Don Quixote Die of Melancholy ? », dans Folie et déraison […], op. cit., p. 169). C’est lors de son retour final à la raison, qui s’accompagne d’une profonde désillusion, qu’il se laisse envahir par une mélancolie fatale.

2

Op. cit., I, 2, p. 151.

3 « Et c’est ainsi qu’après bien des noms qu’il forma, effaça, abandonna, ajouta, défit et refit dans sa mémoire

et dans son imagination, il en vint finalement à l’appeler Rossinante […] » (ibid., I, 1, p. 149).

4

175 du rythme biologique de l’homme fondé sur l’alternance de phases d’activité intellectuelle et de repos. La folie qui s’empare de son esprit a pour conséquence de le couper de son environnement social : il cesse toute activité dévolue à son rang (la chasse, la gestion de ses biens) et vend une partie de ses terres pour acheter des livres, aux dépens de sa nièce qui doit hériter de lui. Mais le texte espagnol originel mentionne un autre couple de notions fondamentales dans l’étiologie de la folie du personnage, les termes « curiosidad y desatino », traduits par « curiosité et folie » dans la version de César Oudin :

[…] il s’adonnait à lire des livres de chevalerie avec tant d’affection et de goût qu’il oublia quasi entièrement l’exercice de la chasse et même l’administration de ses biens, et passa si avant sa curiosité et folie en cela qu’il vendit plusieurs minots de terre de froment pour acheter des livres de chevalerie, et ainsi en porta à la maison autant qu’il en put trouver […].1

La « curiosité » revêt ici, comme chez Beys, une acception en premier lieu péjorative : il s’agit de la vana curiositas, de l’« avidité2 » excessive de posséder un objet

pernicieux, qui finit par se transformer en monomanie obsessionnelle. Mais cette passion est aussi le signe de l’ambiguïté fondamentale du cerveau de Don Quichotte, comme des « illustres fous », partagé entre ingéniosité créatrice et délire ridicule.

Comme nous le verrons, cette curiosité ne se retrouve pas chez les principaux avatars français du héros espagnol au cours du premier XVIIe siècle. Chez Lysis et Don Clarazel, dans l’apparition de la mélancolie, la passion amoureuse joue un rôle indissociable de celui des livres : tandis que l’hidalgo élisait un objet amoureux une fois devenu fou – la paysanne Aldonza Lorenzo, rebaptisée Dulcinée du Toboso –, l’amour occupe une place de premier plan dans l’étiologie de leur extravagance3. Mais cette passion

est à la fois engendrée et nourrie par les fictions sentimentales, dont le rôle est prédominant dans leur maladie. Comme pour Don Quichotte, chez ces personnages, la mélancolie est une humeur aduste, et non naturelle : l’humeur brûlée est en effet la seule à bénéficier d’un flou théorique aussi bien médical que philosophique, la rendant apte à produire des effets diversement interprétables, « entre pathologie et génialité, déraison et inspiration4 ».

L’étude de la mélancolie hypocondriaque de Don Clarazel, par laquelle nous

1 M. de Cervantes, Don Quichotte de la Manche, éd. J. Cassou, trad. C. Oudin et Fr. de Rosset, Paris,

Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1940, I, 1, p. 27-28.

2 Il s’agit du terme retenu par J.-R. Fanlo pour traduire « curiosidad » (op. cit., I, 1, p. 146). 3

Voir M. Rosellini, « Le sot lecteur et l’auteur facétieux. Élaboration d’une fiction critique dans les premières adaptations françaises du Don Quichotte », dans N. Jacques-Lefèvre et A.-P. Pouey-Mounou (dir.),

Sottise et ineptie […], op. cit., p. 387-407. 4

176 commencerons, nous permettra de voir, dans un second temps, comment Sorel adapte et ménage la tradition médico-littéraire de la maladie d’amour.

La mélancolie érotique comme hypocondrie : le cas de Don Clarazel

Dès l’avis « Au lecteur » du Chevalier hypocondriaque, l’amour malheureux que le héros éprouve à l’égard de Sylviane est désigné comme responsable de sa mélancolie :

AMY Lecteur […], tu vas apprendre les adventures merveilleuses, d’un cavalier si parfait & si accompli au commencement de son aage que s’il n’eust esté malheureux en ses entreprises amoureuses il eust servi quelque jour d’estonnement à tous ses voisins, mais sa mauvaise fortune luy ayant fait adresser ses vœux à une beauté beaucoup plus orgueilleuse que digne des affections d’un brave homme, il troubla son cerveau par tant de noires & melancolicques humeurs que du depuis il a servi de passe-temps à beaucoup de personnes qui ont pris un tres juste subjet de rire de ses actions fort extravagantes […].1

Contrairement à son modèle espagnol, Don Clarazel est jeune, plein de vigueur, et il est décrit – même si nous n’avons pas de portrait physique détaillé de lui – comme doté de toutes les perfections du plus honnête gentilhomme2. Sa beauté physique, son esprit et

ses qualités de conversation sont les indices d’un tempérament dominé par l’humeur sanguine, associée à la chaleur et l’humidité. Depuis l’Antiquité, le tempérament sanguin est le seul qui soit considéré positivement : dans la philosophie médiévale, il est celui qui s’approche au plus près de l’état de crase des humeurs, à l’inverse du tempérament mélancolique, entaché d’impureté3. Du Laurens s’inscrit dans le sillage du Corpus

hippocratique et de Galien lorsqu’il décrit les sanguins comme des êtres joyeux, mais aussi

impulsifs :

Les sanguins sont nais pour la societé. ils sont quasi tousjours amoureux, ayment à rire & à plaisanter : c’est la plus belle complexion pour la santé & pour vivre longuement, d’autant qu’elle a les deux principes de la vie, qui sont la chaleur & humidité, mais ils ne sont pas si capables des grandes charges, ny des hautes & difficiles entreprises, pource qu’ils sont impatiens, & ne peuvent s’occuper long temps à une chose, estant ordinairement distraits par les sens & par les delices ausquelles naturellement ils sont adonnez.4

Ce tempérament sanguin, par sa chaleur, est la « cause intérieure5 » qui porte

naturellement Clarazel vers le sentiment amoureux. S’y ajoute tout un ensemble de « causes externes6 », mais qui n’ont de pouvoir que sur un esprit et un corps déjà affaiblis

1 Op. cit., « Au lecteur », n. p.

2 « […] Ses perfections furent rares, son visage n’estoit gueres moins aggreable que celuy d’un ange, sa taille

estoit belle, il estoit adroit & courtois, il avoit l’esprit excellent, & sa conversation estoit des plus aggreables du monde » (ibid., chap. I, p. 3).

3 M. Alet, « La mélancolie […] », art. cit., p. 456. 4 Op. cit., p. 114v.

5

« Le sang copieux, bien temperé et abondant en esprits par l’assiduelle influence du cœur, par ce qu’il est la cause materielle de la semence est veritablement cause antecendente de l’amour, comme passion de l’ame » (J. Ferrand, op. cit., chap. VII, p. 227).

6

177 et prédisposés au mal. Lorsque s’ouvre le récit, le narrateur ne nous donne pas d’indications précises concernant le moment de l’année dans lequel s’ancre l’action. Toutefois, le climat des îles Baléares, patrie du héros, est susceptible de favoriser la chaleur du sang. Hippocrate, dans son traité intitulé Des airs, des eaux et des lieux1

, distingue différents types d’hommes et de maladies en fonction des climats, de la nature des eaux, de l’orientation et de la force des vents, du sol, de l’influence des saisons, du type de gouvernement, etc., qui caractérisent les différents points géographiques de la terre. Aux Asiatiques doux, dociles et pusillanimes, dont le caractère est déterminé par un climat favorable et égal, le médecin oppose les Européens, sauvages, belliqueux et courageux, car sujets à de plus amples variations de température. Cette théorie des climats, au cœur de la rivalité entre nations, va connaître un essor particulièrement important à partir de la seconde moitié du XVIe siècle : la mélancolie attribuée aux Espagnols, du fait de la chaleur étouffante de leur patrie, sera tour à tour célébrée comme le fondement d’un caractère ingénieux, propre à exécuter de grandes charges, notamment chez Huarte et Jean Bodin2, et

fustigée comme un excès rebutant, par opposition à la sage mesure des Français, dont la position intermédiaire, entre le flegmatique Septentrion et la fougue méditerranéenne, sera posée en idéal3. De même, l’Espagnol, à la différence du « folastre et lascif François »,

aura coutume de « se ruë[r] furieusement sur l’amour4 ».

Clarazel n’est pas un mélancolique par nature. Son tempérament, dont nous avons vu qu’il était avant tout sanguin, est également dominé par la bile jaune, comme le révèlent sa fougue et ses fréquentes colères5. C’est donc par l’adustion de ces deux humeurs

1 Hippocrate, Œuvres, t. II. 2e partie. Airs, eaux, lieux, éd. J. Jouanna, Paris, Les Belles Lettres, 1996.

2

J. Huarte de San Juan, Examen de ingenios para las ciencias [1575], trad. J.-B. Etcharren, préf. R. Saez,

Examen des esprits pour les sciences, Biarritz, Atlantica, 2000, chap. VIII, p. 178-179. Au cinquième livre de La République, Bodin fait de l’Espagnol un être « plus froid, plus mélancholique, plus arresté, plus

contemplatif, et par conséquent plus ingénieux que le François, qui de son naturel ne peut s’arrêter à contempler, et se tenir coy, pour estre bilieux et cholère […] » (cité par P. Foriers, « La condition des insensés […] », art. cit., p. 28).

3 M. Fumaroli, art. cit., p. 415. La théorie des climats justifie ainsi la supériorité stylistique et rhétorique de la

France. Le narrateur de la Première journée, en liant son humeur au climat ambiant, fera pencher cette théorie en faveur d’une domination des stimuli extérieurs et du corps sur l’âme, rapport qui paraîtra tout à fait provocateur et scandaleux à ses accusateurs au moment de son procès (Théophile de Viau, Première journée [1623], dans Œuvres complètes, éd. G. Saba, Paris, Champion, 1999, t. II, p. 13).

4 « L’Espagnol prompt et impatient de l’ardeur qui le picque, se ruë furieusement sur l’amour, folastrant sans

se donner aucun repos, et par pitoyables lamentations se plaint du feu qui le consomme, invoque et adore sa dame, mais quand il l’a gagnée par voyes illicites, la tuë transporté de jalousie, ou la prostituë pour le gain. S’il n’en peut jouïr, il se tourmente jusques à mourir » (J. Ferrand, op. cit., chap. XI, p. 240).

5 Les mentions de la colère du personnage sont fréquentes tout au long du récit : lorsque Sylviane lui oppose

son refus, Don Clarazel est d’abord submergé par la colère plutôt que par la tristesse (op. cit., chap. I, p. 10). Au chapitre III, alors qu’il s’identifie aux souffrances amoureuses d’Amadis, il entre en colère contre Oriane : « Son humeur billieuse s’estant ainsi deschargee contre la boutade de ceste princesse […] » (ibid., p. 41).

178 sanguine et bilieuse que les vapeurs de l’atrabile vont progressivement obscurcir son cerveau. Le choix que fait Du Verdier de lui donner des origines espagnoles lui permet d’inscrire son héros dans la parenté de Don Quichotte, mais aussi de reprendre l’idée contemporaine selon laquelle cette nation possède un lien privilégié avec l’humeur noire. On peut sur ce point le rapprocher du « Gascon extravagant » de Claireville, chez qui la jeunesse et la chaleur, confortée par le climat de sa nation, favorisent également le sentiment amoureux. Chez lui, le sang se mêle également à la bile jaune, comme le révèlent son impulsivité, sa présomption et ses fréquentes colères1.

Deux sous-catégories spécifiques de la maladie mélancolique rendent compte du mal dont est progressivement atteint Clarazel, au cours des trois premiers chapitres du récit : d’une part, comme l’indique le titre de l’œuvre, la mélancolie hypocondriaque2 ;

d’autre part, comme le suggère l’avis « Au lecteur », la mélancolie érotique, également appelée « rage d’amour » ou « folie amoureuse3 ». L’hypocondrie est généralement

considérée par les médecins du temps comme la forme la plus répandue de mélancolie. Ceux-ci s’opposent en revanche sur sa dangerosité : tandis que Du Laurens affirme qu’elle est la plus bénigne pour l’homme, Burton la tient au contraire pour la plus grave4. La

mélancolie hypocondriaque se développe généralement à la suite d’une brutale commotion ou perturbation de l’esprit : elle se caractérise par un afflux de bile noire au niveau des hypocondres, qui stagne et se transforme, par coction excessive, en vapeurs nocives qui perturbent le cerveau. Chez Ferrand, la mélancolie érotique, dans la mesure où elle « depend principalement du foye et parties circonvoisines » et « pervertit les facultez principales du cerveau par les vapeurs noirastres montans des hypochondres à la citadelle de Pallas, c’est-à-dire au cerveau5

», est classée parmi les formes de mélancolie hypocondriaque : les deux appellations qui servent à désigner l’atrabile du chevalier

1 Le narrateur diagnostique chez lui une « fiévre intermitante » (op. cit., L. I, p. 102), sans que l’on sache

véritablement s’il s’agit d’une pathologie réelle ou simulée.

2 Comme le rappelle Du Laurens, « les plus doctes Medecins de nostre temps ont definy l’hypochondriaque,

une intemperature seiche & chaude des venes du mesentere, du foye, & de la ratte causee par une obstruction des humeurs grosses, lesquelles venants à s’eschauffer envoyent plusieurs vapeurs [...] » (op. cit., p. 173v). Cette mélancolie est susceptible de s’engendrer au niveau du mésentère, du foie, mais surtout de la rate. Trois espèces de mélancolie hypocondriaque leur correspondent : la mésentérique, l’hépatique et l’esplénique (ibid., p. 174r sq).

3 J. Ferrand, op. cit., chap. III, p. 202.

4 A. Du Laurens, op. cit., chap. XII, p. 172r-v. Du Laurens, qui adresse son traité à une hypocondriaque, ne

pourrait sans risquer de l’affoler la désigner comme la forme la plus grave de mélancolie ! R. Burton, op. cit., vol. I, Part. I, Sect. 2, Memb. 5, Subd. 4, p. 632.

5 Op. cit., chap. IV, p. 209. Du Laurens associe quant à lui la maladie d’amour à la mélancolie du cerveau, de

179 renvoient donc à une seule et même maladie, la maladie d’amour, dont l’existence fait débat depuis l’Antiquité.

Le Corpus hippocratique n’établit aucun lien entre la passion amoureuse et le phénomène physiologique de l’afflux de bile noire1

. Paradoxalement, au cours de l’Antiquité, la thèse selon laquelle la frustration de la passion amoureuse aurait des conséquences physiologiques va être développée par des auteurs qui en sont les plus farouches adversaires. C’est le cas du médecin pneumatiste Arétée de Cappadoce, qui, dans son traité intitulé Des causes et des symptômes des maladies chroniques, cite le cas d’un jeune homme abandonné des médecins, dont la guérison advient finalement par la possession de la jeune fille qu’il aimait : c’est la première fois qu’apparaît le thème de l’amour-médecin et pourtant, Arétée refuse absolument de parler de maladie mélancolique. Par la suite, Galien, s’il débat de cette question, répugne lui aussi à faire de l’amour une maladie : si la mélancolie est bien une pathologie somatique, l’amour est quant à lui un trouble de l’âme. Il peut donner lieu à des perturbations physiologiques, qui peuvent prendre l’apparence de symptômes mélancoliques, mais ne peut être considéré en lui- même comme une pathologie du corps.

Néanmoins, se développe parallèlement, chez les philosophes et les poètes (Platon et Sapho), puis chez les médecins (Alexandre de Tralles), une association forte entre cette