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Entre errance et enfermement : la place du fou à la croisée de l’histoire et des représentations littéraires

A. Le fou enfermé : une réclusion sans répression

1. L’ HÔPITAL DES FOUS COMME STRUCTURE SOCIO LITTÉRAIRE

a) Les « œuvres d’asile » : une tradition européenne peu illustrée en France ?

Jean Fuzier, dans un article consacré aux représentations de l’asile sur les scènes théâtrales anglaise, espagnole, italienne et française, à la fin de la Renaissance et à l’âge classique, a employé à ce sujet l’expression de « thème socio-littéraire1

» : les différentes littératures nationales, tant théâtrales que romanesques, offrent de multiples variations autour du motif de l’hôpital des fous, entre les années 1580 et la décennie 1640. Tout au long de cette période, ce type d’institution, encore relativement rare sur le territoire européen, circule d’une œuvre à une autre, s’inscrit dans un système d’échos et de reflets, reprend des éléments de littératures étrangères, tout en les adaptant aux spécificités esthétiques propres à chaque pays. L’essor littéraire des asiles va même jusqu’à transcender certaines rivalités géopolitiques parfois très anciennes : ainsi, le climat

1 J. Fuzier, « L’Hôpital des Fous : variations européennes sur un thème socio-littéraire de la fin de la

Renaissance », dans Mélanges J.-L. Flecniakoska, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1980, t. I, p. 157- 184.

95 belliqueux qui pèse sur l’Angleterre et l’Espagne, puis sur l’Espagne et la France, n’a jamais empêché les auteurs de ces États de lire les œuvres de leurs voisins, de les adapter et d’en véhiculer les thèmes dans leurs propres ouvrages. Les textes témoignent parfois d’un double mouvement paradoxal d’appropriation esthético-littéraire et de rejet patriotique :

The Spanish Tragedy de Thomas Kyd (v. 1587), l’une des pièces anglaises emblématiques

de ces échanges littéraires, n’en annonce pas moins dans son dénouement la fin tragique des empires espagnol et portugais.

Le motif de l’asile ne surgit pas ex nihilo à la fin de la Renaissance : J. Fuzier cite quelques œuvres des siècles antérieurs qui l’annoncent par la mise en scène de structures voisines – miroirs allégoriques ou hôpitaux –, comme le Brunellus seu speculum stultorum, œuvre anglo-latine attribuée à Nigel Wireker, ou à Longchamps, qui date de la fin du XIIe siècle, The Order of Fools de John Lydgate, dans la première moitié du XVe siècle, ainsi que Le Droit chemin de l’hôpital, section qui fait suite à La Nef des Princes et des battailes de Robert de Balsac, imprimée à Lyon en 15021. Hélène Tropé mentionne également la

tradition littéraire des hôpitaux d’amour, tel cet Hôpital d’amours imprimé à Lyon vers 14852 : il s’agit d’institutions allégoriques dans lesquelles défilent des personnages

emblématiques du sentiment amoureux. Progressivement, les représentations de ces hôpitaux, ou bien encore des nefs de fous, chez Brant, Bosch et Josse Bade, laissent place aux asiles, en lien avec les mutations socio-historiques contemporaines. À la fin du XVIe siècle et au début du siècle suivant, les œuvres qui prennent pour cadre ce type d’institution, que ce soit intégralement ou dans un bref épisode seulement, sont récurrentes : ce sont, pour le domaine anglais, The Honest Whore de Dekker, Northward

Ho ! de Webster et Dekker, The Lords Maske de Thomas Campion, The Duchess of Malfi

de Webster, The Pilgrim de John Fletcher, Roaring Girl de Dekker et Middleton, The

Changeling de Middleton et Rowley, etc.3 ; pour la littérature espagnole, les Diàlogos de

Philosophia natural y moral de Pedro de Mercado, El Criticón de Graciàn, « Le Dialogue

des chiens », dans Les Nouvelles exemplaires de Cervantes, le premier chapitre de la seconde partie de Don Quichotte4, El Hospital des los locos de Valdivieso, Los Locos de

1

Ibid., p. 169-171.

2 H. Tropé, « Introducción », dans F. Lope de Vega, Los locos de Valencia [1620], éd. H. Tropé, Madrid,

Castalia, « Clásicos Castalia », 2003, p. 17-19.

3 On connaît également les célèbres gravures de W. Hogarth représentant Bedlam dans The Rake’s Progress

(v. 1735).

4 Le barbier récite un conte qui se déroule dans la maison des fous de Séville (M. de Cervantes, Don Quichotte de la Manche [1605-1615], éd. et trad. J.-R. Fanlo, Paris, Le Livre de Poche, « La Pochothèque »,

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Valencia et El Peregrino en su patria de Lope de Vega, etc.1 ; pour ce qui concerne la

littérature italienne, L’Hospidale de’ pazzi incurabili de Tomaso Garzoni constitue une œuvre majeure au sein de ces différentes représentations. Cette liste non exhaustive révèle à quel point cette tradition est richement illustrée.

Selon J. Fuzier, L’Hospidale de’ pazzi incurabili, probablement imprimé pour la première fois à Venise en 1586, constitue l’un des principaux points de départ de la tradition de l’asile : en effet, l’ouvrage nous en offre l’une des toutes premières représentations2. À défaut d’avoir eu une influence immédiate et importante en Italie3,

L’Hospidale est très tôt diffusé en Europe, par le biais d’adaptations traduites, et il est sur-

le-champ suivi d’œuvres qui reproduisent le motif de l’hôpital des fous : sa traduction anglaise, sous le titre The Hospitall of Incurable Fooles, date de 1600 et précède de quelques années seulement les deux premières « Bedlam plays » du théâtre jacobéen, à savoir la première partie de The Honest Whore de Dekker (1604) et Northward Ho ! de Webster et Dekker (1605). Quant à la traduction française de François de Clarier, qui est de quelques décennies postérieure (1620), elle est suivie là encore de peu par les pièces d’asile de Charles Beys, L’Hôpital des fous, tragi-comédie de 1635, et sa version comique intitulée Les Illustres fous (1653). Marc Fumaroli considère également cet ouvrage comme un intermédiaire de premier plan entre la tradition érasmienne et le répertoire dramaturgique français, représenté notamment par Beys4.

Le traité de Garzoni se compose de trente discours, introduits par un « Prologo dell’auttore a’spettatori » : le lecteur, sous le titre de « spectateur », est invité par un narrateur, guide bonimenteur et bouffon, à pénétrer dans l’ouvrage, comme l’on entre dans un asile pour le visiter. Il parcourt les chapitres comme s’il déambulait devant les cellules des insensés, qui sont avant tout répartis selon leurs comportements et leurs caractéristiques dans la société, plutôt qu’en fonction d’un quelconque diagnostic médical : le deuxième discours accueille les « Fols Frénétiques et Radoteurs », qui laissent place aux

1 Voir Y. David-Peyre, « L’enfermement du fou et sa projection sur la création artistique », dans Art et folie,

Nantes, Université de Nantes, « Littérature, médecine, société. N° 6 », 1984, p. 77-104.

2 Art. cit., p. 172-174. « Que ce soit en Espagne, en Angleterre ou en France, quand apparaît le thème

littéraire de l’asile, il est tentant de penser qu’au commencement était Garzoni... » (ibid., p. 173).

3

Sur la postérité de cette œuvre en Italie et dans les autres pays européens, voir T. Garzoni, L’Ospidale de’

pazzi incurabili, éd. S. Barelli, Rome, Antenore, 2004, « Introduzione », p. XVII sq. S. Barelli cite

notamment Del Cane di Diogene de Fr. Fulvio Frugoni (Venise, 1687), qui narre également une visite imaginaire dans un hôpital de fous.

4

M. Fumaroli, « Microcosme comique et macrocosme solaire : Molière, Louis XIV et L’Impromptu de

Versailles », RSH, t. XXXVII, n° 145, janv.-mars 1972, p. 95-114. Voir également V. Pompejano, « La folia

"ospitalizzata". Dal trattato di Tommaso Garzoni al teatro di Charles Beys », Studi di Letteratura francese, n° 19-249, 1992, p. 229-247.

97 « Fols Mélancholiques et Sauvages » (discours III), puis aux « Fols endormis et nonchalans » (discours IV), aux « Fols Yvrognes » (discours V)1, etc. Si les

« Frénétiques » (discours II) sont effectivement séparés des « Lunatiques » (discours XVII) et des « Fols d’Amour » (discours XVIII), bien souvent, les symptômes se recoupent d’une cellule à une autre et la répartition des fous reste arbitraire. Chacun de ces chapitres vaut comme une petite scène de théâtre offerte aux spectateurs, sur laquelle le groupe de fous concernés se donne brièvement en représentation : les descriptions qui en sont faites sont théâtralisées et créent ainsi une sorte de « théâtre dans le traité ». Le discours XXX se présente même comme une galerie à lui tout seul, puisqu’il est exclusivement consacré aux folles, exclues des autres chapitres : contrairement aux hommes, reclus dans des espaces collectifs, les femmes sont enfermées dans des cellules individuelles.

Si cette structure théâtralisée rappelle la commedia dell’arte et le théâtre populaire des tréteaux, Adelin C. Fiorato la rattache néanmoins à une pratique réelle, celle de la visite d’asile2. Le dément ne serait plus celui qui, comme à la Renaissance, nous renvoie

notre reflet inversé tout en nous apprenant quelque chose de nous-mêmes, mais plutôt cette créature étrange et monstrueuse que le visiteur raisonnable observe depuis l’extérieur de sa cellule, à travers les barreaux, à partir d’un point de vue sécurisant qui le préserve de toute contagion. L’hôpital de Garzoni tient davantage de l’institution allégorique, chargée de renfermer les marginaux et les exclus de la société, que du décalque d’un établissement réel : si A. C. Fiorato pense que le chanoine a pu visiter l’hôpital San Vincenzo de Bologne, ou un quelconque autre établissement, s’il constate également que l’asile décrit dans le traité est parsemé d’« effets de réel » – la présence du « messer de l’hospidale » (l’administrateur) et de sa « famiglia » (son personnel), la séparation des hommes et des femmes, les tâches domestiques effectuées par les fous –, l’asile que nous présente Garzoni n’est pas pour autant le miroir, ni même l’écho lointain, d’une institution réelle3. Il n’en

demeure pas moins que la façon dont les fous sont présentés au sein de cet établissement traduit, selon A. C. Fiorato, leur réclusion de plus en plus fréquente dans l’Italie de la Réforme catholique4. Cet exemple de correspondance entre une représentation fictionnelle

1 Nous citons ces catégories d’après la traduction de Fr. de Clarier, présentée et commentée par A. C. Fiorato,

dans L’Hospidale de’ pazzi incurabili [1586] / L’Hospital des fols incurables [1620], Paris, Champion, 2001.

2 Ibid., « Présentation », p. 15. 3

Ibid., p. 9. « Il reste que, f[û]t-ce fictivement (une fiction qui n’a cependant pas la prétention d’une allégorie cohérente), les fous de Garzoni sont non seulement marginalisés, mais voués à une condition carcérale : c’est là une nouveauté considérable » (ibid., p. 10).

4

98 et les mutations historiques contemporaines est toutefois loin d’être systématique, comme nous aurons l’occasion de le voir par la suite.

D’autre part, L’Hospidale de’ pazzi incurabili est tout à fait emblématique de la tradition des « œuvres d’asile », dans lesquelles les représentations de la folie renvoient à des éléments de réalité, tout en étant dotées d’une fonction satirique, puisque les insensés offerts au regard doivent servir d’avertissement moral au lecteur-spectateur. Jean Fuzier voit dans ce texte une « œuvre-charnière » entre l’ancienne tradition allégorique des « miroirs » et des « hôpitaux » médiévaux et renaissants, et la nouvelle tradition qui tient compte des mutations socio-historiques1. Il serait bien entendu excessif d’attribuer

l’origine du motif de l’hôpital des fous sur la scène littéraire européenne au seul traité du chanoine de Bagnacavallo. D’autres influences littéraires, en plus de l’essor réel des fondations hospitalières dans toute l’Europe, ont participé à cette vogue, telles certaines pièces espagnoles2 : Los Locos de Valencia, pièce de Lope de Vega composée vers 1590-

1595, offre l’une des premières représentations de l’asile sur une scène de théâtre et contribue à propager cette tradition dans la comédie européenne3. De même, El Peregrino

en su patria (1604), roman du même auteur, qui prend lui aussi pour cadre l’hôpital de

Valence, participe de cette tradition.

Or l’on constate que les répercussions de cette vogue transnationale n’ont pas été les mêmes dans la littérature française de la fin de la Renaissance et du début du XVIIe siècle. Tout d’abord, pour ce qui concerne le genre théâtral, Georges Forestier, qui a analysé ces pièces d’asile en rapport avec la structure du théâtre dans le théâtre, distingue une catégorie d’œuvres qu’il nomme les « pièces de fous4 » : mais celle-ci ne comprend

que trois pièces, L’Hospital des fous et Les Illustres fous de Beys, ainsi que Les Fous

divertissants de Raymond Poisson (1680). On pourrait également ajouter L’Hospedale de’ pazzi (1667) de Domenico Biancolleli, qui met en scène Polichinelle à l’hôpital de Milan5.

1

Art. cit., p. 173.

2 Ibid., p. 175.

3 Cette comédie aurait entre autres inspiré une pièce flamande intitulée Min in ‘t Lazarushuys (« L’Amour

dans l’asile ») de Willem Godschalck van Focquenbroch, poète et aventurier du XVIIe siècle. Voir Ch. Biet, « "Séparez-moi ces fous et me les renfermez !" Les Illustres fous, ou l’asile moderne », dans E. Jonckheere, Ch. Stalpaert et K. Vuylsteke Vanfleteren (éd.), Het spel voorbij de waanzin, een theatrale pratijk ?, Studies

in Performing Arts & Media, n° 8, Gent, Academia Press, 2010.

4 Le Théâtre dans le théâtre […], op. cit., p. 82-83. Dans Aspects du théâtre dans le théâtre au XVIIe siècle,

G. Forestier ajoute Le Berger extravagant de Th. Corneille (op. cit., « Présentation », p. XIX). Mais cette « pastorale burlesque » n’est pas une pièce d’asile. Voir également Théâtre dans le théâtre […], op. cit., « Préface [1995] », p. XIV.

5 Voir le canevas de la pièce reproduit dans S. Spada, Domenico Biancolelli ou l’art d’improviser, Naples,

99 G. Forestier a donc raison d’émettre des doutes quant à l’existence d’une tradition du théâtre d’asile en France1. Toutefois, contrairement à l’hypothèse qu’il avance, nous ne

pensons pas que ce faible nombre de pièces soit dû au fait que les variations sur la structure de l’asile comme théâtre sont limitées : l’exemple des littératures anglaise et espagnole nous prouve qu’une telle profusion de pièces d’asile était réalisable.

De fait, la scène dramatique française semble parfois avoir délibérément écarté la représentation de l’hôpital, quand bien même les sources convoquées s’y prêtaient : ainsi, à partir d’un même texte espagnol, El Peregrino en su patria de Lope de Vega, traduit et adapté en français dès 16142, Beys compose deux pièces qui mettent en scène l’asile de

Valence, tandis que Hardy et Rotrou excluent délibérément de leurs adaptations les éléments ayant trait à cette institution. Lucrèce, d’Alexandre Hardy, publiée en 1628, est une tragédie sanglante composée à partir d’une histoire intercalée dans l’intrigue principale du roman de Lope3, tandis que Céliane, de Rotrou (1637), reprend l’intrigue amoureuse

principale, mais en laissant de côté les épisodes liés aux fous4. Beys a été le seul de ces

trois auteurs à réinvestir les représentations de l’hôpital de Valence. D’autre part, le décalage chronologique de la fondation des asiles à l’échelle de chaque pays européen n’explique pas davantage cette particularité française : l’accroissement du nombre des institutions dans les années 1660 et 1670 sur l’ensemble du territoire n’entraîne pas pour autant d’inflation de ce motif dans la littérature. Ce faible nombre de pièces ne peut pas non plus être attribué au fait que la France ne détenait pas d’institutions aussi célèbres que l’Hôpital des Innocents de Valence et l’asile de Bedlam : les Petites Maisons, fondées dès 1557, étaient si bien connues dès les premières décennies du XVIIe siècle qu’elles se prêtaient à la lexicalisation et aux expressions proverbiales5

. Pourtant, à notre connaissance, aucune pièce de la première moitié du siècle ne les met en scène.

deuil d’Arlequin, également daté de 1667 : même si les personnages de Silvio, Oratio et son valet Covello se

font passer pour fous, le canevas permet mal de comprendre le lien entre l’intrigue et le titre de la pièce (ibid., p. 15-17).

1 Op. cit., p. 82.

2 V. d’Audiguier, Les Diverses Fortunes de Panfile et de Nise. Où sont contenuës plusieurs amoureuses & veritables histoires, tirees du pelerin en son pays de Lopé de Vega, Paris, Toussaint du Bray, 1614.

3 Le jeune seigneur espagnol Télémaque a épousé Lucrèce, mais celle-ci le trompe avec un gentilhomme

voisin du nom de Myrhène. Éryphile, une courtisane que celui-ci entretenait, dénonce par jalousie le couple adultère au mari. Télémaque, par ruse, met à mort les amants, mais est lui-même tué par un compagnon de Myrhène.

4 Voir H. C. Lancaster, « Lope’s Peregrino, Hardy, Rotrou and Beys », MLN, vol. L, n° 2, fév. 1935, p. 75-

77.

5 Voir, pour donner un seul exemple, cette citation extraite de L’Histoire comique de Francion : « Là dessus

il [Hortensius] usa de tant de termes extraordinaires, que Francion ne les pût d’avantage souffrir sans lui demander s’il faloit parler comme il faisoit, veu qu’il n’avoit rien en son stile que des hyperboles estranges,

100 À partir du siècle suivant, l’hôpital Saint-Germain servira plus fréquemment de décor à de courtes pièces appartenant à la Comédie-Italienne et au théâtre forain, dans des comédies représentant de manière ludique l’illusion théâtrale et l’univers du théâtre (voir chap. VIII, I-A). À cette époque, Cl. Quétel fait de cet asile une annexe de l’Hôpital général, chargé d’accueillir les contagieux et les incurables, parmi lesquels figurent des insensés1

. Mais c’est avant tout comme microcosme allégorique du monde, enfermant les travers sociaux les plus plaisants, que l’institution est généralement représentée. Dans Le

Divertissement comique de Denis Carolet, pièce en un acte de 1727, vraisemblablement

donnée par le Théâtre des marionnettes du sieur Bienfait à la Foire Saint-Laurent et restée à l’état de manuscrit2, des figures mythologiques (Momus3, Jupiter) et des personnages

types de la commedia dell’arte (Arlequin, Colombine, Pierrot) se rencontrent dans les Petites Maisons : les fous qui défilent devant les spectateurs ne sont autres que les traditionnels peintre, poète, musicien, amoureux et fou qui se prend pour Neptune chez les hommes, vieille coquette, procédurière et jeune fille devenue folle pour avoir lu trop de romans chez les femmes. Nous retrouvons là des types de personnages dont le succès perdure tout au long de la Renaissance et de l’âge classique (voir chap. IV) : de telles figures ne reflètent en aucun cas les véritables fous enfermés aux Petites Maisons. La part de convention de ce répertoire est par ailleurs mise en valeur dans l’alternance entre théâtre déclamé et théâtre chanté (les vaudevilles) qui en constitue l’une des principales caractéristiques. En 1732, Carolet donne à nouveau, sur le même schéma, une pièce en un acte intitulée Les Petites Maisons4, dont les pensionnaires sont, outre un paysan sain

d’esprit enfermé comme fou par son seigneur, qui souhaite le rendre cocu en toute liberté, un procureur, une comtesse imaginaire, un calotin se prenant pour Momus, une guerrière, des fous acrobates, une « folle romanesque », un apothicaire, une folle qui se prend pour une poétesse, ainsi que des troupes de fous qui chantent et dansent le divertissement final. Il faut également mentionner Arlequin juge et concierge des Petites Maisons, comédie anonyme en un acte représentée par les comédiens du Voorhout et imprimée à La Haye en et des comparaisons tirées de si loing que cela ressembloit aux resveries d’un homme qui a la fievre chaude ou au langage de l’Empereur des petites maisons » (op. cit., L. XI, p. 426).

1 Op. cit., p. 150 sq. 2

Ce manuscrit est conservé à la BnF dans Théâtre inédit de Carolet, ms fr. 9315 (3407), p. 38-49. Nous remercions G. Marot-Mercier de nous avoir permis de découvrir ce texte (voir Paradoxes d’un type fixe :

Colombine à Paris de 1716 à 1729 à la Comédie-Italienne et sur les théâtres de la Foire, avec répertoire des pièces représentées et édition de manuscrits inédits incluant le personnage, thèse dirigée par Fr. Rubellin,

Université de Nantes, 2008).

3 Sur Momus, voir D. Quéro, Momus philosophe. Recherches sur une figure littéraire du XVIIIe siècle, Paris,

Champion, 1995.

4

101 1731, dont les fous sont une coquette, une capricieuse, une fausse-prude, une musicienne, ainsi que quatre hommes : Messieurs de Bel-Esprit (un poète gascon), de Beau Talent (un comédien), de Beau Génie (un auteur) et Rigaudon (un maître de ballet).

Les Petites Maisons sont encore fréquemment choisies pour décor au début du XIXe siècle. Dans Arlequin aux Petites Maisons, « folie » en un acte et en prose mêlée de vaudevilles, composée par le citoyen Francis et représentée au Théâtre des Troubadours en 1800, la scène « représente la Cour des Petites-Maisons, avec un Pavillon sur la gauche1 ».

Scapin, concierge de l’établissement, sert Cassandre, qui en est le directeur. Gilles, le médecin, est le rival d’Arlequin auprès de Colombine, la fille de Cassandre : homme plein de présomption, qui se prend pour le plus grand des auteurs et des savants, et dont les