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L A FOLIE MÉDIÉVALE : LE MYTHE DU FOU EN LIBERTÉ (XII e XIV e SIÈCLES )

Entre errance et enfermement : la place du fou à la croisée de l’histoire et des représentations littéraires

A. La place du fou dans la société jusqu’à la Renaissance : un âge d’or de liberté ?

1. L A FOLIE MÉDIÉVALE : LE MYTHE DU FOU EN LIBERTÉ (XII e XIV e SIÈCLES )

L’intérêt que porte Foucault à la folie n’a pas non plus pour ancrage l’époque médiévale : ce que le philosophe souhaite comprendre, c’est ce grand « partage » entre folie et déraison qu’a vu naître l’âge classique, à partir du XVIIe siècle, et notamment de 1656, date de la fondation de l’Hôpital général à Paris. Jean-Marie Fritz justifie cette absence de prise en compte de la période médiévale par le fait que le fou ne devient véritablement objet d’étude qu’à la fin du Moyen Âge, lorsque sa présence se fait massive dans la littérature et les arts1 : il est donc logique, selon lui, que l’ouvrage de Foucault

« s’ouvre sur cet automne » du Moyen Âge. Aux XIIe et XIIIe siècles, l’insensé est une « figure secrète et évanescente » :

Dans les textes médicaux, juridiques ou théologiques, la folie ne constitue pas plus un problème central [que dans les textes littéraires] ; en ce sens, M. Foucault, qui définit son entreprise comme une « histoire des problématisations », c’est-à-dire une histoire « de la manière dont les choses font problème », ne pouvait qu’éluder le Moyen Âge : la folie n’est pas encore un problème politique, ni épistémologique.2

En revanche, selon J.-M. Fritz, c’est par ignorance que les historiens de la psychiatrie ont rejeté cette période, ou bien ont tenu sur elle un type de discours « simpliste et elliptique3 », en se focalisant presque exclusivement sur la démonomanie, la possession

et l’exorcisme, comme si le Moyen Âge n’avait conçu la folie que comme surnaturelle, et non somatique, et n’avait développé aucune thérapeutique de la démence.

Les célèbres premières pages de L’Histoire de la folie prennent donc pour cadre la fin de la Renaissance et le début de l’âge classique. On se souvient que Foucault fait du fou une sorte de nouveau lépreux, ou plutôt d’avatar de celui-ci, occupant l’espace vide des léproseries laissées désertes dans les marges des villes, après l’éradication de cette maladie. À Paris, les deux anciennes léproseries les plus vastes sont celles de Saint-Germain et de Saint-Lazare. Avant le fou, à la fin du XVe siècle, c’est le vénérien qui occupe cette place laissée vide, honteux malade qui accompagnera l’insensé dans un même processus

1 J.-M. Fritz, Le Discours du fou au Moyen Âge (XIIe-XIIIe siècles), Paris, PUF, 1992, « Introduction »,

p. 1 sq. Nous ignorons pourquoi Cl. Quétel, qui déplore la rareté des ouvrages sur la folie pour la période médiévale (op. cit., « Section bibliographique », p. 589), ne se réfère pas à cet ouvrage fondamental, dont l’étude pluridisciplinaire ne se limite pas au seul discours littéraire.

2 J.-M. Fritz, op. cit., p. 2. 3

56 d’internement au XVIIe siècle. Mais c’est la folie qui sera le « véritable héritage de la lèpre », suscitant, comme elle, des réactions de « peurs séculaires1 ». Ce n’est qu’à la suite

de ces développements que Foucault remonte quelque peu le cours du temps pour aborder la fin du Moyen Âge, à travers une série de motifs : la Narrenschiff, les pèlerinages, les prémices de la progressive séparation des expériences tragique et critique de la déraison.

Pour la période médiévale, comme le constatent Michel Collée et Claude Quétel2

, les études présentent généralement le fou de manière contradictoire, tantôt comme un être jouissant d’une liberté idyllique, qui lui sera confisquée par la suite, tantôt comme une figure persécutée. D’autre part, le traitement médical et socioculturel du fou est bien souvent indissociable des représentations allégoriques de celui-ci, dans la littérature et les arts. Il convient donc là encore de faire la part des choses et de placer la réalité historique de la folie dans un entre-deux, entre liberté et répression, ces deux mouvements étant complémentaires plutôt qu’exclusifs l’un de l’autre. Muriel Laharie, à la suite de Jacques Le Goff, rappelle que la société médiévale engendra de nombreuses catégories de marginaux (juifs, hérétiques, lépreux, fous, infirmes, homosexuels), face auxquels elle se montra de plus en plus répressive, entre le XIe et le XIIIe siècle3 : son attitude à l’égard du

fou et des autres marginaux fut ambivalente, entre tolérance et rejet. Le mythe d’un âge d’or de la folie au Moyen Âge n’est donc qu’un « lieu commun erroné4 », qu’il convient de

relativiser. La société médiévale semble en effet n’avoir laissé le dément errer à sa guise que lorsque celui-ci n’était pas considéré comme dangereux, que ce fût envers les autres ou envers lui-même. Encore faut-il préciser que cette libre divagation devait se limiter à l’espace du village ou de la ville, le fou n’étant certainement pas autorisé à en franchir les frontières. En cette période de pré-urbanisation où la cellule familiale joue un rôle clé et où les liens lignagers ont une importance essentielle, le fol est laissé à la garde de ses parents, qui doivent veiller à sa subsistance ; s’il n’a pas de proches, c’est alors le vesnie, le voisinage, qui prend soin de lui. Cette prise en charge a pour principale visée d’éviter que le fou ne nuise à autrui ou ne crée le scandale par son comportement. Sa démence doit rester une affaire privée, qui ne trouble pas l’espace public :

Dans la plupart des cas, les fous ont la permission de circuler librement en autant qu’ils [sic] ne causent pas de scandale et ne troublent pas l’ordre public. Cela devait être

1

M. Foucault, op. cit., p. 21. Cl. Quétel, quant à lui, ne prend pas position sur cette association.

2 M. Collée et Cl. Quétel, Histoire des maladies mentales, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1987, p. 29-30. 3 M. Laharie, La Folie au Moyen Âge : XIe-XIIIe siècles, Paris, Le Léopard d’Or, 1991, p. 171-172.

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57 pratiquement impossible si on se fie à la réaction populaire telle qu’elle se trouve décrite

dans les divers manuscrits de l’histoire de Tristan et Iseut.1

Bernard Chaput fait ici référence aux diverses représentations de foules, surtout composées d’enfants, que l’on voit, dans la littérature et l’iconographie du temps, poursuivre le fou en lui jetant des pierres et en l’accablant de huées. Pris en charge par sa famille, le fou ne bénéficie pas pour autant d’un statut privilégié : il travaille avec les membres de son entourage s’il en a la capacité, il est parfois relégué dans l’une des parties les plus vétustes de la demeure (grange, étable, écurie), avec les animaux, et n’est pas toujours correctement nourri. Lorsque c’est la communauté villageoise qui en a la charge, il faut plutôt l’imaginer dans une cabane en périphérie, subsistant de quelque charité ou de rapines, que confortablement installé et entretenu. Marie-Luce Demonet ne cite qu’une seule référence à l’enfermement dans les proverbes qui parlent de la folie avant le XVIIe siècle : « Qui aura son fol, si le lie2 ». Mais il s’agit là selon elle d’un conseil donné à un

individu confronté à un fou dangereux, et non d’une adresse à la société dans son ensemble. B. Chaput, de même que M. Laharie, opère un lien, à la suite de certaines théories de la psychiatrie contemporaine, entre les conditions économiques et sociales d’une population et la proportion d’aliénés qu’elle inclut, la misère et le manque de moyens ayant pour conséquence de favoriser les maladies mentales : à ce titre, les XIVe et XVe siècles, secoués par les guerres, les famines, les grandes épidémies et les mauvaises conditions climatiques, apparaissent comme l’« une des périodes les plus tristes de l’histoire de l’Occident » et sont le cadre probable d’une « véritable épidémie de folie en France3 ». Selon leurs conclusions, les fous laissés en liberté dans les villages ont dû être

nombreux. Mais, sans chiffres précis, et surtout, avec une conception de la maladie mentale différente aujourd’hui de celle de l’époque médiévale, il est rigoureusement impossible de disposer de statistiques précises et fiables.

Cette relative tolérance à l’égard du fou jugé inoffensif a pour arrière-plan la confusion, encore fréquente du XIe au XIVe siècle, entre folie naturelle et folie surnaturelle : le voisinage entre le simple d’esprit, lointain écho de la pureté primitive tranquille et heureuse du naïf évoquée par saint Paul dans la première Épître aux

Corinthiens, et le fou authentique, explique le fait que l’insensé soit souvent considéré

avec un mélange de crainte et de respect. Le thème paulinien de la folie du Christ en croix

1 B. Chaput, « La condition juridique et sociale de l’aliéné mental », dans G.-H. Allard (dir.), Aspects de la marginalité au Moyen Âge, Montréal, L’Aurore, 1975, p. 43.

2 M.-L. Demonet, « Les "miettes" du sens : la folie dans les proverbes français antérieurs au XVIIe siècle »,

dans J. Céard (dir.), La Folie et le corps, Paris, Presses de l’ENSSJF, 1985, p. 43.

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58 reparaît dans le monde occidental des XIe et XIIe siècles, diffusant l’idée de la réversibilité de la folie et de la sagesse mondaines1. Ainsi, le fou peut être considéré par les soi-disant

sages qui l’observent comme un envoyé du Ciel ou comme un prophète. Parallèlement, se développe une vaste tradition érémitique, qui conduit un certain nombre de « fous de Dieu » à adopter le comportement de l’errant et à se réfugier dans le plus strict dénuement, aux confins de la civilisation. Une conception opposée de la folie provient de l’héritage du psaume 52 de l’Ancien Testament, Dixit insipiens in corde suo non est Deus2 : le fou est

cette fois-ci assimilé à l’hérétique, au juif, au pécheur, à l’athée, ou bien encore à une créature démoniaque. Ces images de l’insensé, même si elles n’occultent jamais totalement la conception naturelle et physiologique de la démence dans l’esprit des médecins du temps, expliquent le mélange de fascination, de respect et de répulsion qui entoure alors le fou3.

L’étude de Jean-Marie Fritz, fondée sur une « archéologie » des discours médicaux, juridiques, théologiques et littéraires de la folie, rappelle que les hommes du XIIe et du XIIIe siècle conçoivent avant tout le fol comme « un être du dehors, hors de tout espace civilisé ou socialisé, hors de soi, hors du sens4 » : il est l’autre qui, dans les textes

littéraires, trouve refuge dans la forêt, en dehors de toute civilisation, liée au cadre urbain, et se rapproche de l’animalité sauvage par son apparence physique (sa quasi nudité, sa barbe et sa pilosité abondante, sa force physique décuplée, sa régression vers un stade infralangagier). Pourtant, ni la forêt, ni la mer, deux lieux étroitement associés à la folie, ne constituent sa place propre : le fou médiéval est u-topique, sans lieu, livré à l’errance5. Pour

comprendre quelle est la situation sociale du fou, hors des textes fictionnels, on peut, comme le fait J.-M. Fritz, s’appuyer sur le discours juridique, sans toutefois oublier le fait que le droit coutumier varie d’une région à l’autre : à la suite du curator instauré par le Droit romain, dont les Coutumiers s’imprègnent massivement en France à partir des XIIe et XIIIe siècles, tout en l’adaptant, le fol est mis sous curatelle, sa garde étant confiée à l’un de ses proches parents, chargé d’administrer ses biens. Cette situation est loin d’être

1 M. Laharie, ibid., p. 88 sq.

2 Ce psaume porte la numérotation 52 dans la version grecque de la Septante, et 53 dans la version hébraïque

du texte massorétique. M. Laharie consacre une grande partie de son étude à l’analyse de l’iconographie illustrant ce psaume (ibid.). Voir également Cl. Blum, « La folie et la mort dans l’imaginaire collectif du Moyen Âge et du début de la Renaissance (XIIe-XVIe siècles). Positions du problème », dans H. Braet et G. Verbeke (éd.), Death in the Middle Ages, Louvain, Leuven University Press, 1983, p. 258-285.

3

Voir A. R. Girard, « Le fou dans la société médiévale », dans J. Postel et Cl. Quétel (dir.), Nouvelle histoire

de la psychiatrie, Toulouse, Privat, 1983, p. 67. 4 Op. cit., p. 16.

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59 toujours idyllique, dans la mesure où le dément peut parfois être laissé sans soins. Si aucun Coutumier des XIIIe et XIVe siècles ne traite de son interdiction juridique, J.-M. Fritz relève sa mention dans certains arrêts du Parlement dès la seconde moitié du XIIIe siècle1

: cette mesure existait donc bel et bien dans la jurisprudence, situation qui témoigne de la complexité et de l’hétérogénéité du droit à l’époque médiévale. Il faut noter que la décision n’était pas prise à la suite d’un diagnostic médical, mais sur requête de l’entourage du fou et de son témoignage. Le point commun de tous ces discours – Droit romain, Droit canon,

Décret de Gratien, Droit coutumier ou jurisprudence – réside dans le fait que le fou est

toujours considéré dans son rapport à autrui : sa folie est avant tout perçue comme pouvant nuire à ceux qui l’entourent. Mais les intérêts du dément ne sont pas pour autant oubliés : le droit médiéval cherche également à protéger le fou contre ceux qui pourraient abuser de son état pour le voler ou lui faire du mal.

D’autre part, J.-M. Fritz note que l’insensé, dans son incapacité, n’est jamais évoqué seul2 ; il est toujours inclus dans une liste qui comprend également des êtres faibles

par nature (les enfants, les épouses), ou bien affaiblis par un handicap physique (les muets, les sourds), des personnes dont le comportement est répréhensible (du prodigue au criminel), ou qui s’affranchissent volontairement du siècle et de ses lois (le moine). Le lien qui unit le fou au prodigue est mentionné de manière récurrente : tous deux risquent en effet de léser leurs héritiers ou leurs parents par leur incapacité à gérer leurs biens. Le fou se caractérise par une double absence, celle de la raison et de la volonté : à ce titre, ses actions doivent être limitées par le droit. Il ne peut ni se marier, ni tester, ni témoigner, ni passer contrat. S’il s’avère qu’il est déjà marié, la validité de l’union n’est établie que lorsque l’engagement a eu lieu avant le début de la démence ou bien au cours d’un intervalle de lucidité. Sa responsabilité pénale est inexistante : comme l’enfant, ou encore le dormeur, il commet des actes sans en avoir conscience et ne peut être considéré ni comme coupable, ni comme innocent. Il n’est en aucun cas assimilé au criminel : s’il tue ou violente autrui, le droit pénal lui reconnaît des circonstances atténuantes et allège sa peine en conséquence, excepté s’il s’agit d’un crime de lèse-majesté ou de lèse-divinité. Toutefois, les textes juridiques ne le considèrent pas pour autant comme défunt : ses biens doivent lui être restitués en cas de guérison, ses légataires doivent attendre sa mort

1

Ibid., p. 156 sq. M. Laharie mentionne un système parallèle à la curatelle, mais qui lui est opposé : le père du dément peut le chasser et le déshériter, mais il doit continuer à veiller à sa subsistance en le confiant par exemple à une communauté religieuse ou à un hôpital (op. cit., p. 246).

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60 effective pour se les partager, tandis que ses intérêts doivent pouvoir être défendus en cas de procès. De même, les discours juridico-théologiques, et notamment le Décret de Gratien, lui retirent le droit au baptême, si cet acte n’a pas été réalisé au moment de sa naissance, de même qu’à l’eucharistie ou à l’ordination1

. En cas de suicide, seule la mention de la folie du défunt lui permet de recevoir des funérailles chrétiennes. En définitive, la condition juridique du fou, « loin d’être lamentable », est « au contraire particulièrement remarquable par les garanties accordées2 ».

Pourtant, cette mise sous curatelle familiale ne concerne que le fou tranquille. J.- M. Fritz réfute la vision utopique d’un Moyen Âge qui ne connaîtrait pas l’enfermement des déments :

L’emprisonnement n’est pas une « conquête » du XVIIe siècle. Bien avant l’Hôpital général, le Droit romain connaissait la prison pour les fous, mais comme solution ultime, au cas où les proches ne pouvaient plus les maîtriser.3

Dès l’Antiquité, on a donc pris des mesures de contention à l’égard des furieux. Toutefois, au Moyen Âge, les autorités publiques ne s’impliquent que légèrement dans cette mesure répressive : ce sont les deniers de ses proches, ou à défaut la charité locale, qui doivent assurer la prise en charge du fou en prison. De même, ce sont ses proches qui s’occupent de le lier. Sur ce point, le discours juridique s’accorde avec les prescriptions des médecins antiques, selon lesquelles les fous violents, envers autrui comme envers eux- mêmes, doivent être contenus4. M. Collée et Cl. Quétel citent à cet égard l’ancienne

coutume de Normandie, qui statue sur l’emprisonnement des forsenés, lesquels doivent être surveillés et garrottés, que leur dangerosité soit potentielle ou avérée :

LXXIX. – De forcenés.

Se aulcun est hors du sens, et il occist ou mehaine ung homme par sa forsenerie, il doit etre mis en prison, et estre soustenu du sien ; ou l’en luy doibt pourveoir des communes omosnes, s’il n’a de quoy il puisse estre soustenu. Se aulcun est en telle manière forsené,

1

Saint Thomas d’Aquin se prononce au contraire pour le droit des insensés au baptême et à l’eucharistie, dans la mesure où, à la différence des animaux, il les reconnaît comme dotés d’une âme (voir Cl. Quétel,

op. cit., p. 67). 2

P. Foriers, « La condition des insensés à la Renaissance », dans Folie et déraison à la Renaissance, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 1976, p. 35.

3 Op. cit., p. 200.

4 En revanche, dès l’Antiquité, la violence physique est mal perçue par certains médecins : elle n’est justifiée

que si le malade risque de se faire du mal, ou bien présente un danger pour autrui. Dans ses Maladies aiguës, Caelius préconise de n’utiliser des liens que si le nombre de serviteurs entourant le frénétique n’est pas assez élevé pour le retenir par la seule force des mains. Encore ces liens doivent-ils être accompagnés de morceaux de tissu ou de laine afin de ne pas marquer le corps du malade. Celse est plus radical et recommande de se servir de jeûnes, de chaînes et de coups pour corriger le fou récalcitrant en ébranlant violemment son esprit ; mais il exclut ces tormentis pour le frénétique dont le délire est léger et relativement calme. Les mauvais traitements ont pour but d’empêcher le fou de nuire à autrui, mais ont aussi une fonction pédagogique (voir J. Pigeaud, Folie et cures de la folie chez les médecins de l’Antiquité gréco-romaine. La manie, Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 147-148).

61 que l’en le doye doubter que de sa forcenerie il ne trouble le pays, ou par feu ou par aulcune

chose qui soit contraire au commun salut, il doibt estre lié, et gardé par ceulx qui ont ses choses, qu’il ne mesface à nulluy ; et s’il n’a rien, tout le voesiné doibt mettre conseil et aide du sien, à refréner sa forcenerie.1

Par la contention, l’on veille à ce que sa forcenerie ne soit pas dangereuse pour autrui : celle-ci se fait donc à titre préventif et ne se conçoit pas comme une punition. Elle peut par ailleurs être temporaire, limitée à la durée de la crise, lorsque le fou n’est violent que par intervalles. Pour les déments issus de milieux plus aisés, la réclusion peut se faire dans le cadre familial, ou bien dans un monastère, moyennant pension : les abbayes cisterciennes accueillent ainsi régulièrement des fous. Progressivement, à partir du XIIe et du XIIIe siècle, pour les forsenés et autres fous dangereux qui ne bénéficient pas de réseaux familiaux, se développent des pratiques d’enfermement qui mêlent prise en charge