• Aucun résultat trouvé

Entre errance et enfermement : la place du fou à la croisée de l’histoire et des représentations littéraires

B. Le fou en liberté

2. D ÉTOURNEMENTS PARODIQUES DES MOTIFS DE LA FOLIE MÉDIÉVALE

Livré à l’ensauvagement, le fou médiéval, tels Merlin dans la Vita Merlini et Yvain dans Le Chevalier au Lion, erre nu, sale et hirsute, dans la profondeur des bois : réduit à l’état de bête, il perd le langage et se nourrit d’aliments crus1. À la suite de Don Quichotte,

le fou du XVIIe siècle – dans ses représentations non théâtrales, puisque celles-ci sont nécessairement limitées dans l’espace – partage avec cette figure l’errance géographique, reflet de son errance psychique : en témoigne le parcours de Don Clarazel qui, une fois parvenu en Bourgogne, ne cesse de parcourir, à force de détours, une zone qui s’étend entre Chalon-sur-Saône et Lyon. Mais le fou ne se caractérise plus par un retour à la vie sauvage. Au chapitre III du récit, lorsque le chevalier traverse pour la première fois la ville de Lyon, le caporal qu’il rencontre le conduit sur l’autre rive de la Saône. Aussi celui-ci quitte-t-il l’espace civilisé de la ville, en renonçant au gîte confortable qu’on lui propose, pour gagner les ténèbres solitaires des bords de la rivière :

Ainsi s’entretenans de mille propos aggreables ils passerent le pont de Saone suivis de plus de quatre cent enfans qui menerent un bruit fort estrange, & arriverent peu de temps apres hors la ville […].2

Cette rupture apparente avec l’espace socialisé pourrait se présenter comme un écho de l’ensauvagement d’Yvain ; mais le processus est ici traité sur le mode parodique, dans la mesure où Don Clarazel vit sa folie de manière symétriquement inverse à celle du chevalier arthurien. Là où le rejet de sa dame avait conduit celui-ci à errer dans la profondeur des forêts et à rompre avec sa condition de chevalier en se dépouillant des attributs de celle-ci, au contraire, l’égarement qui frappe le « chevalier hypocondriaque » est précisément ce qui l’amène à prendre les armes pour tenter de se conduire comme Amadis. D’autre part, la volonté qu’il affiche à plusieurs reprises de se replier dans la nature pour y vivre de ses fruits et dormir sous des arbres cède vite face à l’inconfort de ce mode d’existence. À la fin de l’épisode cité précédemment, après avoir longé la Saône, Don Clarazel se retire chez un paysan pour y passer la nuit. Par la suite, lorsqu’il gagne les Monts d’Or dans le dessein d’y demeurer jusqu’à ce qu’une demoiselle vienne l’y chercher de la part de Sylviane, comme Amadis s’était réfugié dans l’ermitage de la Roche-Pauvre, au bout de cinq semaines il voit en songe une dame, qu’il prend pour Urgande la Déconnue, lui demandant « aigrement » de quitter le « furieux dessein3 » qu’il a conçu de

1 Ibid., p. 25-27. 2 Op. cit., p. 51. 3

136 mourir dans ce désert, afin de rejoindre le monde et de s’y divertir jusqu’à ce que Sylviane le rappelle à elle.

Certains éléments de l’histoire de Lysis sont également liés à une vision médiévale de la folie : au livre IV, prenant Hircan, dont il aperçoit l’ombre fuyant dans un petit bois, pour une hamadryade, il se perd au milieu des arbres et finit par y passer la nuit. Au matin, traversant un hameau avec sa guitare, il est arrêté par un petit groupe d’enfants. La mère de l’un d’entre eux lui offre alors du pain et du fromage, aliment traditionnellement associé à la folie1. Enfin, il rencontre un ermite, figure qui croise fréquemment le chemin du fou

dans les romans médiévaux (Yvain, Lancelot et Tristan sont tous trois nourris par un ermite2). Même si Sorel, dans les « Remarques » commentant ce passage, précise que le

berger est ici pris pour un « vielleux3 », et non pour un insensé, l’épisode joue

implicitement sur un ensemble de représentations archaïques de la folie sauvage médiévale. Toutefois, dans la mesure où le « berger extravagant » cherche seulement à plaquer un pseudo-savoir livresque sur la réalité des choses qui l’entourent, de même qu’à imiter les aventures des héros pastoraux, ces signes d’ensauvagement se résorbent en purs artifices parodiques. Ainsi, la nuit solitaire que le berger passe dans un bocage lui apparaît comme une « chose bien Romanesque4 ». La nature, telle que Lysis se la représente, n’est

qu’une reconstitution fictionnelle de l’univers des bergeries : monde artificiel, peuplé de créatures mythologiques civilisées et dotées de talents artistiques (les nymphes et les divinités des eaux), espace ordonné, où tout doit répondre à des codes précis selon ce que le berger a pu puiser dans ses lectures, il ne s’agit nullement de la nature sauvage et âpre dans laquelle évolue Yvain. Ni l’eau ni la forêt ne servent de refuge, ou encore de miroir, à l’extravagance des avatars de Don Quichotte : ces éléments naturels sont transformés en indices conventionnels destinés à prouver que la réalité dans laquelle ils se meuvent est en tout point semblable à celle des romans fabuleux.

D’autres traits médiévaux des représentations littéraires de la folie apparaissent dans les textes des années 1620-1660. C’est le cas des épisodes qui montrent l’insensé courant les rues à moitié nu, poursuivi par une troupe d’enfants ou de curieux qui se

1

Le fromage appartient à l’univers symbolique et iconographique de la folie médiévale : « Médicalement mélancolique, théologiquement luxurieux (du moins érotique), socialement commun ou vil, le fromage, comme la tonsure, tisse autour du fou un réseau de parenté serré : fol mélancolique, fol luxurieux, fol vilain, trois dimensions que les textes littéraires médiévaux exhibent tour à tour et qui sont comme la projection des trois discours techniques sur la figure du fou » (J.-M. Fritz, op. cit., p. 55).

2 Ibid., p. 28.

3 Op. cit., R. IV, p. 182. 4

137 moquent de lui et lui jettent divers objets. Cette situation a même donné naissance à un proverbe, comme le précise Polyandre à propos d’Orilan, qui ne cesse d’aller après les jeunes filles dans Paris :

Pour monstrer qu’un homme à entierement perdu l’esprit, l’on dit d’ordinaire ; Qu’il est foû à courir les ruës ; Or cela se peut dire de luy sans calomnie, car vous voyez que sans cesse il court les ruës, & mesmes les Eglises, pour voir & pour estre veu des filles, s’imaginant qu’il est aimé de toutes, & qu’il les doit aimer toutes ou la pluspart. N’est-ce pas une vraye follie ?1

Dans Le Chevalier hypocondriaque, lorsque Don Clarazel rencontre Léonie, jeune fille devenue folle après l’abandon de son amant Adamant, tous deux sillonnent la campagne en étant poursuivis par des enfants, comme s’ils étaient des attractions de foire, ou encore des bêtes curieuses :

Ainsi s’entretenans de mille discours extravagans ils se promenerent trois jours entiers logeans tantost sous des arbres, tantost chez quelque bon laboureur & traisnans tousjours une multitude d’enfans, lesquels couroient apres eux comme on voit qu’ils vont apres quelque meneur d’ours.2

Clarazel et Léonie errent à cheval, sous l’apparence d’un chevalier et d’une princesse, sans s’affranchir des bienséances sociales dans la mesure où ils conservent leurs habits. Mais ce n’est pas le cas de Du Buisson, dans L’Histoire comique de Francion, qui, trompé par une courtisane, se retrouve dehors en chemise. Afin de pouvoir rentrer chez lui, le personnage est obligé de contrefaire le fou courant les rues. Ainsi, Francion et ses amis :

[…] virent un homme qui n’avoit que sa chemise sur le dos, et n’avoit pas mesme de souliers a ses pieds, lequel estoit poursuivy de quantité de canailles qui faisoient un cry perpetuel. Il couroit tousjours fort viste, et pourtant ils reconnurent que c’estoit du Buisson, ce qui les affligea fort de le voir en cet equipage, car ils s’imaginoient que l’on luy avoit fait quelque affront ou bien qu’il avoit perdu l’esprit, et cette derniere pensée estoit la plus vray-semblable pour ce qu’il faisoit quelquefois le moulinet autour de soy avec une houssine qu’il avoit arrachée a un laquais, et il s’en escrimoit comme d’un baston a deux bouts, et il ne cessoit de chanter mille chansons bouffonnes.3

Dans un premier temps, ce comportement est attribué soit à l’ivresse, soit à la folie, soit à la « fievre chaude », soit encore à la « meschanceté4 », qui, seule, exigerait un acte de

répression violente. Du Buisson est enfin contraint de se réfugier dans la maison de Raymond, tandis que, pour faire partir cette canaille, ses amis déclarent qu’il est atteint de fièvre. Ainsi, ses « follies5 », assimilées à des débauches sexuelles, qui l’ont conduit à se

laisser berner par une courtisane, ne peuvent être dissimulées aux yeux de la foule que par

1 Op. cit., L. II, p. 58-59. 2 Op. cit., chap. XXIV, p. 576. 3

Op. cit., L. XII, p. 521.

4 « […] quelques uns disoient qu’il n’y avoit que de la meschanceté en luy, et qu’il le falloit arrester et le

lier » (ibid.).

5

138 le masque d’une folie-pathologie, errante et innocente, libre de courir les rues sans menace d’enfermement. On retrouve ici, de manière détournée et parodique, une image médiévale semblable à celle d’Amadas, dans le roman en vers de la fin du XIIe siècle intitulé Amadas

et Ydoine, qui déambule dans la ville tout en étant poursuivi par une foule d’enfants1

. Cette tradition littéraire n’est toutefois pas réinvestie par les auteurs de notre corpus sans relais, datant de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance : elle est revue par le filtre comique des mascarades et des défilés carnavalesques, mais aussi par l’intermédiaire de la beffa florentine ; les nouvelles de Boccace, Bandello, Malespini, etc., mettent fréquemment en scène le personnage du beffato, benêt ridicule et laid fuyant les moqueries et les mystifications de la foule qui le poursuit2. Si Clarazel et Lysis ne sont pas des benêts (voir

chap. II, II-A), s’ils ne sont pas exclus de la communauté, comme c’est le cas pour le

beffato, cette référence culturelle sert tout de même d’intermédiaire dans la relecture

comique et carnavalesque de la topique médiévale3.

Mais la survivance la plus vive de l’image du fou sauvage médiéval se trouve dans un texte plus tardif de notre corpus, Le Roman comique de Scarron. Au début de la seconde partie de l’œuvre, alors que le Destin poursuit les ravisseurs d’Angélique, « quelque homme ou quelque diable4 » saute sur la croupe de son cheval. Ce « fantôme » nu, au

visage « froid » et « vilain », inspire un sentiment de profonde terreur au comédien. Mais il se laisse finalement tomber de cheval, se met à rire et repart en courant. La nudité, l’éclat de rire et la course sans but à travers champs sont des traits caractéristiques du fou sauvage. Ce mystérieux personnage ressurgit au chapitre XVI. Ragotin s’est alors endormi au beau milieu d’un chemin après s’être enivré en compagnie de l’Olive, la Rancune et d’une troupe de bohémiens. C’est à ce moment-là qu’il rencontre à son tour, sans en avoir conscience, cet « homme sauvage » :

1 Voir J.-M. Fritz, op. cit., p. 29.

2 Sur cette tradition, voir P. Dandrey, Monsieur de Pourceaugnac ou le carnaval des fourbes, Paris,

Klincksieck, 2006, p. 90 sq.

3 Lysis est à plusieurs reprises poursuivi par des enfants : « Les petits enfans s’amassoient par troupes, &

alloient apres sa queuë, criant comme ceux de Paris, quand ils voyent des Mascarades. […] Ceste canaille malicieuse, jettoit des pierres à Lysis […] » (op. cit., I, 1, p. 131). Ce type de scènes se retrouve fréquemment dans la littérature du temps : le « licencié de verre » de Cervantes traîne derrière lui des cohortes d’enfants. Dans Polyandre, lorsque l’alchimiste Héliodore fuit en portant un alambic sur la tête, des enfants lui jettent des pierres : « Il n’y avoit que les enfans de la ruë qui taschoient de l’arrester par un bout de sa casaque, & crioient comme à caresme prenant, lors qu’ils voyoient un masquarade. Il y en eut mesme de si insolens qu’ils luy jetterent de la boüe & des pierres […] » (op. cit., L. IV, p. 240).

4

139 Il n’y avait pas longtemps qu’il dormait, ronflant comme une pédale d’orgue, quand un

homme nu (comme on peint notre premier père), mais effroyablement barbu, sale et crasseux, s’approcha de lui et se mit à le déshabiller.1

Le fou se sert d’un couteau tombé de la poche de Ragotin pour lui ôter ses vêtements, dans une parodie de mise à mort du personnage. Le narrateur laisse ensuite courir l’insensé, comparé à un « loup2 », pour se concentrer sur le sort de Ragotin, qui est

lié et emporté sur une charrette par une troupe de paysans, puis relâché, sans que l’on connaisse l’explication de l’épisode. La clé de l’aventure, que le narrateur prétend ignorer, est finalement délivrée par un « prêtre du bas Maine », lui-même « un peu fou mélancolique3 » : les paysans ayant malmené Ragotin ne sont autres que les parents du fou

sauvage, tentant en vain de le lier et de l’enfermer, car celui-ci, par sa force décuplée – autre caractéristique du fou médiéval –, leur résiste4

. En dérobant les vêtements de Ragotin ivre-mort, le fou a entraîné un quiproquo et a amené ses parents à le confondre avec le petit avocat. Nous ne saurons pas si ce fou sauvage sera finalement enfermé, ou bien s’il continuera à courir les champs, car il n’est plus question de lui par la suite. Dans tous les cas, la volonté de ses parents de mettre fin à sa liberté ne doit pas être mise en rapport avec la date de composition de ce texte, dont la seconde partie paraît un an après le « Grand Renfermement » : comme on l’a vu, dès l’Antiquité, le Droit romain commande qu’un tel fou furieux soit enfermé et lié.

Ce personnage, qui nargue les hommes dits raisonnables, s’inscrit dans une topique cumulant une double étrangeté : celles de la sauvagerie et de la folie. Le fou sauvage apparaît ici dans toute sa puissance d’inquiétante menace, dans la mesure où il incarne une régression de l’humaine condition vers l’animalité et un stade infralangagier. Présenté dans cet épisode comme le double de Ragotin5, il fait office de révélateur de l’égarement du

pédant, fou de présomption et d’amour-propre : le faux savoir de l’avocat vaut autant que le langage inarticulé du fou. Mais, au-delà de la question sociale et anthropologique, la variation sur cette topique a surtout une portée littéraire fortement parodique : le

1 Ibid., II, 16, p. 295.

2 Ibid., p. 296. Cette animalisation fait écho aux discours sur la lycanthropie que l’on trouve dans les traités

médicaux de la fin de la Renaissance et du début du XVIIe siècle, maladie mélancolique associée au lunatisme, mais aussi à la possession démoniaque. Ragotin, quant à lui, sera pris pour le Diable lorsqu’il surgira devant le prêtre et les religieuses. Voir J. de Nynauld, De la lycanthropie, transformation et extase

des sorciers [1615], Paris, Éd. Frénésie, 1990. 3 Ibid., p. 297.

4 Ibid., p. 298. 5

La suite du chapitre révèle que la métamorphose de Ragotin en fou sauvage est totale : entièrement nu, barbouillé de boue, il « éclat[e] de rire » lorsqu’il pousse un prêtre, son cocher et un paysan dans le gué d’une petite rivière ; enfin, les piqûres des abeilles le transforment, par l’enflure qu’elles provoquent sur son corps, en « petit ours nouveau-né » (ibid., p. 298-301).

140 personnage évoque immanquablement la fureur de Roland, chez l’Arioste, qui subit ici un décalage burlesque. Le type du furioso est représenté au cours de cet épisode tantôt par un fantôme hirsute et grimaçant, tantôt par un petit homme tellement ivre qu’il ne se sent pas même garrotté et qui sera par la suite recouvert de boue, conspué par un prêtre et des religieuses, fouetté par leur cocher, mordu aux fesses par un chien et piqué par des abeilles. Lorsqu’il apparaît pour la première fois dans le récit, Ragotin est par ailleurs présenté comme « le plus grand petit fou qui ait couru les champs depuis Roland1 » : son obstination

à tomber amoureux, mais sans savoir quelle comédienne élire, entre également dans la parodie du héros.

Au contraire, dans Les Folies de Cardenio de Pichou, Cardenio, qui apparaît également dans Dom Quichot de la Manche de Guérin de Bouscal, constitue une figure de fou amoureux héritée de Roland, sans traitement parodique cette fois-ci. Le héros de l’Arioste possède de nombreux traits du fou sauvage médiéval : comme Yvain, sa fureur se caractérise par une déchéance morale et sociale ; Roland bascule de manière éphémère du rang de héros épique à celui de brute animale. Néanmoins, la fortune de ce personnage aboutit à créer une tradition propre, que les passages cités du Roman comique convoquent également2. Le « berger extravagant » de Sorel tente lui aussi de sacrifier à cette topique

amoureuse de l’ensauvagement, en se réfugiant dans la solitude d’un bocage, lorsque Charite le fuit3 : néanmoins, son imitation, commandée par sa folie livresque, entraîne la

même dégradation burlesque des modèles de Roland et de Cardenio que Don Quichotte, lorsqu’il entreprend d’imiter la crise de mélancolie érotique d’Amadis et de Roland, dans la Sierra Morena4.

Dans les passages de l’œuvre de Scarron que nous venons d’étudier, les multiples traditions auxquelles se rattache la topique du fou sauvage – traditions biblique (Nabuchodonosor vivant pendant sept ans au contact de bœufs), évangélique (saint Jean- Baptiste prêchant dans le désert revêtu d’une peau de bête), mélancolique (l’arrière-plan du débat entre lycanthropie et possession démoniaque), antique (Hercule furieux, Ajax),

1 Ibid., I, 8, p. 59. Dans le chapitre XVI de la seconde partie, l’adverbe « furieusement » (ibid., p. 296) et

l’adjectif « furieuse » (ibid., p. 298) peuvent également être lus comme des allusions à la folie de Roland. Sur ce rapprochement, voir D. Froidefond, « Le traitement de Ragotin dans Le Roman comique de Scarron »,

PFSCL, vol. XX, n° 39, 1993, p. 415-433.

2 Voir Fr. Suard, Roland ou les avatars d’une folie héroïque, Paris, Klincksieck, 2012 et A. Rochon, « La

folie d’amour dans le Roland Furieux : la sagesse ambiguë de l’Arioste », dans A. Redondo et A. Rochon (éd.), Visages de la folie (1500-1650), Paris, Publications de la Sorbonne, 1981, p. 93-100.

3 Op. cit., II, 8, p. 279-280. 4

141 romanesque et moderne (Le Roland furieux), iconographique (son aspect physique effrayant et ses potentiels attributs, comme le fromage) – subsistent de manière sous- jacente dans la mise en place d’un jeu parodique intertextuel riche et foisonnant. Ce fou hirsute, qui passe brièvement à deux reprises dans Le Roman comique, est aussi l’une des figures plaisantes de l’auteur, entraînant son lecteur dans une course en apparence incontrôlée dans l’arbitraire de la fiction1

.

Les représentations de la folie à l’âge classique ne sont donc pas totalement coupées de la figure médiévale du fou sauvage. Pourtant, comme en témoignent ces foules d’enfants attirés par le spectacle carnavalesque de l’insensé, l’expérience de la démence a changé : la curiosité qu’on lui porte n’est plus une fascination pour l’étrangeté et la merveille, mais un goût du divertissement théâtral et comique. De l’expérience merveilleuse de la folie que J.-M. Fritz identifie au Moyen Âge2, les textes de notre corpus

ne conservent que la dimension spectaculaire : assimilé au « vielleux », le fou errant est un bouffon musicien érigé en figure artistique dérisoire. Il trouve son pendant dans les nombreux personnages de poètes, de comédiens et de musiciens, qui envahissent les « pièces d’asile » ; il a pour avatar le type du poète extravagant, auteur miséreux qui se plonge dans des états de fureur ridicule pour composer quelques vers galimatiesques3. Mais

cette expérience est aussi fortement parodique : le fou est toujours un être qui imite et,