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Des outils de ciblage en santé mentale et bien-être

Dans le document La santé mentale,l’affaire de tous (Page 50-55)

d’une « santé mentale publique » ?

3.2. Des outils de ciblage en santé mentale et bien-être

L’approche en population générale coexiste avec une prévention plus ciblée ou indiquée. Le Canada s’est doté d’outils d’identification des besoins de publics spécifiques, avec une prise en compte de vulnérabilités associées à l’âge, à des trajectoires de vie ou à la concentration spatiale des populations défavorisées. En tout premier lieu, le gouvernement canadien accorde une attention privilégiée à la santé mentale dès le début de la vie. Un réseau de ressources communes en matière de bien-être des enfants et des jeunes a été mis en place à travers la création d’un programme qui regroupe quatre

« centres d’excellence » chargés de fournir au niveau national une information théorique et pratique auprès des parents, des prestataires de services dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, des chercheurs et des décideurs aux niveaux national et local.

Le Centre d’excellence pour la protection et le bien-être des enfants

(CEPB) encourage des projets de prévention et d’intervention en matière de mauvais traitement des enfants auxquels participent divers secteurs, y compris ceux des soins de santé, de l’éducation et de la justice. Les mauvais traitements et la négligence à l’égard des enfants sont associés à des problèmes de développement, de comportement et de santé mentale.

Le Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants (CEDJE

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recueille et diffuse des enseignements concernant le développement social et émotionnel précoce. Il considère que les expériences vécues pendant la période prénatale et au cours de la petite enfance ont un effet marqué sur la santé physique et mentale, le bien-être, les capacités d’adaptation et de résilience pour l’avenir.

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e Centre d’excellence pour les enfants et les adolescents ayant des besoins spéciaux (CEEABS) sensibilise à la prévention, à l’intervention précoce, aux services et aux politiques concernant les enfants et les adolescents à qui l’on doit fournir des ressources supplémentaires pour soutenir leur développement. Parmi les besoins spéciaux, on distingue les « dons et

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talents exceptionnels », les problèmes physiques, sensoriels, cognitifs et d’apprentissage, les problèmes de santé mentale, les problèmes liés à des facteurs sociaux, culturels, linguistiques ou familiaux.

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e Centre d’excellence pour l’engagement des jeunes (CEEJ) encourage l’engagement des jeunes dans des activités à but d’intégration sociale.

Cette attention pour les jeunes générations n’est pas sans lien avec les études longitudinales menées sur de grands échantillons de population au Canada et qui ont permis de mieux identifier les déterminants du développement des personnes. Cette approche développementale, fondée sur des « évidences » (i.e. des données statistiques) favorise un report des interventions vers une promotion et une prévention précoce en santé mentale. Le début de la vie apparaît comme une période sensible dans la construction des individus, autant au niveau physique que mental1.

Avec un certain décalage, la France s’est désormais dotée de ce type d’enquêtes avec la mise en place de la première étude longitudinale française sur le développement des enfants et des jeunes de 0 à 20 ans, la bien nommée « ELFE »2. Après avoir été testée depuis l’automne 2007, la cohorte étudiée sera constituée de 20 000 enfants nés à certaines périodes de l’année 2009, qui seront régulièrement suivis de la naissance jusqu’à l’âge de 20 ans sous l’angle de la santé, de la santé-environnement et des sciences sociales. Elle permettra à terme de disposer de données fiables et pertinentes sur les déterminants du développement de l’enfant, dont un volet « santé mentale », mais cela reporte à plusieurs années la mise à disposition de résultats sur la situation spécifique de la France.

En second lieu, cette approche dynamique des trajectoires en santé mentale et bien-être n’est pas limitée à l’enfance et à la jeunesse. La statistique publique canadienne a systématisé depuis les années 1990 les enquêtes longitudinales, c’est-à-dire le recueil de données de panel, qui permettent de mieux reconstruire les trajectoires des cohortes, les déterminants de ces trajectoires, donc d’identifier les leviers pertinents en matière de santé

1 - Voir l’impact dans la société canadienne des recherches longitudinales et expérimentales sur le développement physique, cognitif, émotionnel et social depuis la conception jusqu’à l’âge adulte.

Ces études, qui sont menées auprès de larges échantillons québécois et canadiens, ont pour objectif de mieux comprendre et prévenir le développement des problèmes de comportement et d’agressivité, et aussi d’évaluer les effets à court et à long terme de programmes d’intervention visant à prévenir et à réduire les problèmes d’adaptation chez les jeunes.

2 - Étude longitudinale française depuis l’enfance, adossée sur l’échantillon démographique permanent de l’INSEE, et sous la responsabilité principale de l’INED. À noter, la France dispose de données de panel avec l’échantillon démographique permanent (EDP) depuis 1968 : celui-ci rassemble dans un fichier unique des informations issues des recensements successifs et de l’état civil sur toutes les personnes nées un des quatre premiers jours du mois d’octobre de chaque année. Mais les données collectées ne renseignent pas sur la santé mentale et sont d’un accès forcément restreint au regard des principes de protection des données personnelles.

mentale et de bien-être1. Ce type d’enquêtes, qui se fait jour en France avec ELFE, pourrait être déterminant pour concevoir des interventions susceptibles d’infléchir sur longue durée les problèmes de santé mentale.

Dernière remarque, au Canada comme dans de nombreux pays (dont la France), un outil territorialisé – l’« indice de défavorisation matérielle et sociale » – est mobilisé dans l’étude des inégalités sociales de santé et dans un but de planification de l’offre de soins et de services. L’indice canadien de défavorisation est construit sur la base d’unités micro-géographiques qui sont autant de lieux de vie relativement homogènes (elles comprennent en moyenne 600 personnes). Il synthétise la part des non-diplômés, le taux d’emploi, le revenu moyen mais aussi la part des personnes vivant seules, la part des personnes séparées, divorcées ou veuves, la part des familles monoparentales. Cet indicateur confère une place importante à l’isolement, donc à l’absence de liens forts et de soutien social. Il se distingue ainsi des outils utilisés dans l’observation des quartiers dits sensibles en France, à dominante plus matérielle, sécuritaire et strictement sanitaire2. De manière non fortuite, si le lien « santé-géographie prioritaire » est bien posé dans les deux pays, le Canada porte plus d’attention à la santé mentale. À titre d’illustration sont ainsi objectivées des inégalités très intenses en santé mentale liées à la

« défavorisation » : mortalité prématurée par tabagisme, hospitalisation pour troubles mentaux, grossesses adolescentes et naissances de bébés de faible poids qui sont associées à des risques dans les soins et le développement de l’enfant.

Plus que d’autres pays, dont la France, le Canada mobilise des outils d’objectivation et de compréhension des différents sentiers psychosociaux

1 - L’« Enquête sur la dynamique du travail et du revenu » (EDTR) met en évidence les change-ments économiques traversés par les personnes et les familles ; l’« Enquête longitudinale auprès des jeunes en transition » (EJET) étudie les transitions école-travail chez les jeunes et les facteurs qui influencent ces transitions, dont le contexte familial, les aspirations et expériences sur le marché du travail ; l’« Enquête longitudinale auprès des immigrants » (ELIC) examine le processus d’intégration d’un immigrant au cours des quatre années qui suivent son arrivée ; l’« Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes » (ELNEJ) recueille des renseignements sur les facteurs qui influent sur le développement social et émotionnel ainsi que sur le comportement des enfants et des jeunes ; l’« Enquête sur le milieu de travail et les employés » (EMTE) examine de quelle manière les employeurs et leurs employés s’adaptent au changement dans un environnement concurrentiel axé sur la technologie ; l’« Enquête nationale auprès des diplômés » (END) mesure la situation sur le marché du travail des diplômés canadiens ; l’« Enquête nationale sur la santé de la population » (ENSP) étudie les déterminants de la santé.

2 - Voir à ce sujet le Rapport 2008 de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, Délégation interministérielle à la Ville et au Développement social urbain, ministère du Logement et de la Ville, novembre 2008. Ce rapport s’appuie, comme les années précédentes, sur les cinq indicateurs prévus par la loi du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville : l’habitat, l’emploi et l’activité économique, la réussite scolaire, la santé, la sécurité et la tranquillité publique. La loi fixe comme objectif à la politique de la ville la réduction significative, sur une période de cinq ans, des écarts entre ses territoires prioritaires, les zones urbaines sensibles (ZUS), et le reste des territoires urbains dans les cinq grands domaines précités.

Cette logique de distinction de certains territoires, non pas en fonction d’une pauvreté absolue mais d’une défaveur relative, est commune à la géographie prioritaire française et à l’indice de défavorisation canadien.

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empruntés par les personnes et les collectivités, avec une attention particulière pour les groupes les plus vulnérables pour lesquels des facteurs prédictifs sont mis en évidence (personnes migrantes, exposées à la pauvreté, à l’isolement, à une concentration des difficultés sociales sur leur lieu de vie, à des tensions et contraintes au travail, etc.). Ce mode d’objectivation des situations conduit à un rapport plus décomplexé au ciblage et à l’action positive en faveur des groupes les plus contraints, pour lesquels il s’agit d’apporter des ressources supplémentaires dès lors que la situation initiale rend très improbable une sortie spontanée du handicap social. Cette démarche n’exclut pas le maintien d’un objectif de promotion généraliste en santé mentale. En comparaison, la France laisse une plus grande place dans le débat au risque de stigmatisation, ce qui peut freiner certaines initiatives.

Un consensus s’est formé sur la nécessité de travailler en « santé mentale publique ». Le modèle de santé publique est basé sur une prise en consi-dération de toutes les dimensions touchant la santé d’une population. « Les plus importants progrès en matière de santé ont été réalisés grâce à une combinaison de changements structurels et d’actions des individus », comme l’a très bien formulé Don Nutbeam, ancien directeur de la Santé publique au Royaume-Uni. Les interventions peuvent être appliquées à la population (universelle), à des sous-populations (ciblage) et aux niveaux individuels, dans les secteurs à l’intérieur et au-delà du champ de la santé (sanitaires et non sanitaires). Les stratégies en santé publique comprennent des actions pour atteindre la gamme complète des déterminants modifiables de la santé, qui visent directement l’adoption de comportements sanitaires protecteurs ou qui poursuivent des conditions de vie « médiatrices » pour la santé (OMS, 1998)1. La promotion d’une santé mentale positive, l’identification précoce des problèmes de santé mentale et la réduction de l’incidence de la maladie mentale sur la vie quotidienne ne sont pas des objectifs contradictoires mais complémentaires. Les associer ne conduit pas forcément les décideurs à des dépenses supplé men taires mais à un redéploiement de dépenses ou à des gains nets.

La stratégie défendue par les différents acteurs internationaux et européens repose sur la démonstration que la promotion de la santé mentale (universelle et ciblée) améliore la vie de tous mais prévient également certains problèmes sociaux et la détresse psychologique. Même dans les cas les plus difficiles à prendre en charge (troubles mentaux caractérisés), une approche axée sur la promotion de la santé mentale est au moins susceptible d’atténuer les difficultés. Un très grand nombre de recherches montre que les interventions

1 - Nutbeam D., Glossaire de la promotion de la santé, OMS, 1998.

de promotion de la santé mentale axées non seulement sur les individus, mais sur les organisations et les collectivités, réduisent les problèmes mentaux, émotionnels et comportementaux, les problèmes scolaires, les dépendances à des psychostimulants, le stress en milieu de travail, les problèmes sociaux et le nombre de suicides.

Recommandations Mettre en place un

site Internet dédié à l’ensemble des dimen-sions de la « santé mentale », décloisonnant et centralisant les prin-cipes de politiques mais aussi les curriculums des interventions et des programmes, sur le modèle d’accessibilité et de centralisation des ressources mises en ligne par l’Agence de la santé publique du Canada ou l’Union européenne.

Encourager les échanges de bonnes pratiques avec les pays

étrangers, dont le Canada et le Royaume-Uni, notamment lors de la formation des praticiens. Une part encore très importante des professionnels de la santé et du secteur social reste à l’écart des circuits de la mobilité internationale, de par la spécificité de leur cursus (faculté de médecine, écoles paramédicales ou de travail social). L’application du schéma LMD (licence-master-doctorat) à ces différents secteurs est plus que jamais une priorité pour introduire une respiration et un renouvellement dans la formation de profession-nels qui jouent un rôle de premier plan dans la promotion de la santé mentale et du bien-être des citoyens.

Généraliser en France la mise en œuvre d’enquêtes longitudinales

et intégrer à ces enquêtes une composante de recueil de données psychologiques. Concer nant les enfants et les adolescents, d’autres enquêtes que ELFE, d’ambitions plus modestes (suivi sur deux à trois ans) et délivrant des conclusions à plus brève échéance (à cinq ans), pourraient être envisagées pour pallier le déficit de données nationales sur le développement de l’enfant.

Associer à ces investigations une meilleure

exploration de l’état

de « bien-être » des populations distinguées par la géographie prioritaire (observation des zones urbaines sensibles).

Première partie

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