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La dépressivité : un facteur trois en vingt ans ?

Dans le document La santé mentale,l’affaire de tous (Page 63-68)

progression de la détresse psychologique

1.2. La dépressivité : un facteur trois en vingt ans ?

Si on considère la part des personnes qui présentent un sentiment de tris-tesse, un « subsyndrome » ou de la détresse psychologique (i.e. une associa-tion d’humeurs de tristesse et d’anxiété), les prévalences sont logiquement beaucoup plus massives. Ce sont environ 20 % des Français qui sont atteints par la « dépressivité ».

Graphique n° 3 : Prévalence des troubles et symptômes dépressifs et du sentiment de tristesse

Source : Baromètre santé 2005

Des études font observer que le nombre de personnes déclarant un état de dépressivité a presque triplé en vingt ou trente ans, pour atteindre une prévalence de presque 30 % de l’échantillon dans certaines régions. Ce phénomène est par exemple visible en Île-de-France qui a bénéficié d’une étude évolutive sur la question. Elle présente des chiffres particulièrement révélateurs lorsqu’on sait que les personnes résidant dans cette région obtiennent généralement des scores de qualité de vie significativement moins bons qu’ailleurs en France dans le domaine de la santé mentale. Si, en 1991, 10,8 % de la population francilienne déclarait être sujette à un ou plusieurs

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symptômes dépressifs synonymes de dépressivité, le taux de prévalence passait à 28,3 % en 2005. Si 8,9 % d’individus répondaient aux symptômes d’un épisode dépressif majeur en 1991, ils n’étaient « que » 11,7 % en 2005, ce qui représente, en comparaison, une très faible augmentation1.

Sans chercher à banaliser la détresse psychologique, les comparaisons européennes placent la France dans la moyenne de l’expression du phénomène, au même niveau que l’Allemagne. Si l’on considère l’Eurobaromètre 2005 (Enquête MH5), 17 % en moyenne de la population européenne présentait un niveau significatif de détresse psychologique.

Trois principaux groupes de pays sont identifiés2 :

ceux affichant des taux bas de détresse psychologique, à savoir l’Irlande – et les pays d’Europe du Nord ;

ceux se situant dans la moyenne européenne, parmi lesquels la France, – l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Autriche, le Royaume-Uni,

l’Espagne, la République tchèque, la Slovénie, la Slovaquie et Malte ; ceux présentant un niveau élevé de détresse psychologique, à savoir – les pays de l’Europe du Sud (Italie, Portugal, Grèce), de l’Europe de l’Est

(Roumanie, Bulgarie, Pologne, Hongrie, Croatie) et les Pays Baltes.

Graphique n° 4 : Détresse exprimée par pays au sein de l’UE

Source : Eugloreh, The Report on the Status of Health in the European Union, Eurobaromètre 2005

1 - Kovess-Masféty V., Briffault X. et Sapinho D., « Prevalence, risk factors and use of health care in depression: A survey in a large region of France between 1991 and 2005 », The Canadian Journal of Psychiatry, vol. 54, n° 10, octobre 2009.

2 - Après une régression logistique afin de contrôler l’âge, le genre, le statut marital, professionnel, le niveau d’études ainsi que la résidence (rural/citadin).

4,00

Odd ratio CI 95% for MH5 score<55 by country (W Germany as a reference)

Malte

AutrichePortugalHongrieRoumanieEstonieCroatieTurquie

PologneGrèceLituanieBulgarieChypr e Lettonie Chypr

e turqueItalie

Chapitre 3

Graphique n° 5 : Scores de qualité de la vie de Duke parmi les personnes âgées de 12 à 75 ans, suivant le sexe et l’âge (en pourcentage)

Source : scores échelle de Duke ; exploitation Baromètre santé 2005, INPES 85

12-14 ans 15-19 ans 20-25 ans 26-34 ans 35-44 ans 45-54 ans 55-64 ans 65-75 ans

75,3 73,6

12-14 ans 15-19 ans 20-25 ans 26-34 ans 35-44 ans 45-54 ans 55-64 ans 65-75 ans 45

12-14 ans 15-19 ans 20-25 ans 26-34 ans 35-44 ans 45-54 ans 55-64 ans 65-75 ans 32,2

Si l’on considère d’autres indicateurs plus généraux, dits de « qualité de la vie », les Français présentent en moyenne un bon score de « santé » mentale mais les scores de « dépression » ou d’« anxiété » ne sont pas négligeables1. L’indicateur par score souligne surtout un écart dans le bien-être déclaré entre les femmes et les hommes, les plus jeunes et leurs aînés. Les scores d’« anxiété » et de « dépression » déclarées sont particulièrement élevés à l’adolescence, entre 15 et 19 ans, pour s’améliorer par la suite.

Comment interpréter ces phénomènes ? Le fait que les souffrances psychi-ques soient aujourd’hui plus dicibles est établi. Les personnes se plaignent plus de leurs symptômes psychiques et les tolèrent moins, ce qui les amè-nent à demander plus souvent de l’aide psychologique ou médicamenteuse.

Plusieurs explications ont été données. La souffrance psychique est devenue la manière la plus licite et audible socialement de se plaindre, alors même que d’autres formes d’expression du mécontentement, voire de la conflictua-lité, sont déconsidérées, surtout si elles sont violentes. Par ailleurs, la société sollicite plus que par le passé l’initiative ou la responsabilité de l’individu2. Cette évolution est positive pour certains et négative pour d’autres, en fonction de leur position sociale, de leur éducation et de leur personnalité, ce qui peut avoir influencé le niveau général de bien-être ressenti et exprimé.

1.3. Une réponse par le médicament qui n’est pas satisfaisante3

On rappelle souvent que les Français sont les premiers consommateurs de médicaments psychotropes en Europe. Mais les chiffres de cette consommation nous informent moins sur l’état de santé mentale des Français que sur les usages de prescription des médicaments.

Les études conduites en population générale montrent qu’un certain nombre de malades ne sont pas pris en charge alors qu’ils devraient l’être, ce qui suppose d’améliorer l’accès aux soins. À l’inverse, une majorité de la population prise en charge ne présente pas de symptômes dont la sévérité justifierait une prescription. Selon la DREES, sur 100 personnes ayant consommé un antidépresseur dans l’année, 33 % répondent aux critères d’un trouble dépressif, mais 56 % d’entre elles n’ont ni trouble anxieux ni trouble dépressif justifiant l’usage de substances psychoactives.

1 - L’échelle de santé de Duke est un questionnaire de 17 items qui explorent trois dimensions princi pales : la santé physique, la santé mentale et la santé sociale qui, combinées entre elles, donnent un score de santé générale. En outre, l’échelle fournit des indices pour évaluer l’anxiété, la dépression, l’estime de soi, la douleur, l’incapacité, et la santé perçue. Les scores sont normalisés de 0 à 100, 100 étant le score optimal, hormis pour les scores d’anxiété, de dépression et d’incapacité pour lesquels un score élevé correspond à une situation dégradée.

2 - Ehrenberg A., La Fatigue d’être soi. Dépression et société, op. cit.

3 - Enquête INPES avec exploitation OFDT (Observatoire français des drogues et des toxico-manies).

Chapitre 3

Encadré n° 6

Le boom des antidépresseurs

L’augmentation des volumes d’antidépresseurs est bien plus élevée que celle du nombre de malades déclarés. Cette tendance s’est développée depuis les années 1980 : selon la DREES1, la valeur des ventes d’antidépresseurs en France est passée de 84 millions d’euros en 1980 à 543 millions d’euros en 2001, soit une augmentation de 670 % en vingt ans. Ce n’est pas l’augmentation des doses mais le nombre de journées de traitement qui a provoqué cette croissance : elles ont augmenté de 620 % depuis les années 1980.

Un Français sur quatre a consommé au moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers mois et un Français sur trois en a déjà consommé au cours de sa vie. Les comptes de santé par pathologie indiquent que les médicaments psychotropes se situent au deuxième rang derrière les antalgiques pour le nombre d’unités de médicaments prescrites en France. Plus de la moitié des psychotropes utilisés sont des antidépresseurs.

Le montant des remboursements par la Sécurité sociale en 2003 et 2004 pour les médicaments psychotropes est estimé à un milliard d’euros, contre 317 millions d’euros en 1980. L’essentiel de la croissance du marché de l’ensemble des psychotropes s’explique par la montée en puissance, à partir de 1990, de la catégorie des antidépresseurs de nouvelles générations. Les antidépresseurs représentent aujourd’hui plus de 50 % des ventes de psychotropes, alors qu’ils en représentaient 25 % en 1980 (et les anxiolytiques et les hypnotiques 60 %)2. Ce constat est renforcé par les données sur les fréquences d’usage qui montrent que les Français consomment certes plus fréquemment des psychotropes que leurs voisins européens, mais sur des durées plus brèves. Cette situation traduit non une meilleure couverture des besoins sanitaires mais un mauvais usage des médicaments. Certains observateurs dénoncent le non-respect par les médecins des indications thérapeutiques présentes dans les autorisations de mise sur le marché (AMM) ou des recommandations professionnelles délivrées par la Haute autorité de santé (HAS) : inadéquation du traitement aux troubles psychiques constatés et dépassement fréquent des limites de durée de traitement préconisées, par renouvellement des prescriptions.

La prescription et la vente de ces médicaments ne reflètent pas forcément leur consommation. En effet, les quantités vendues sont connues par les remboursements d’assurance maladie, mais ce décompte ne permet pas de savoir ce qui est réellement consommé. Les indications des traitements semblent peu et mal respectées en France par les patients, non seulement par manque de

« discipline » mais également parce qu’ils ne correspondent pas forcément aux besoins réels des personnes.

1 - Amar E. et Balsan D., « Les ventes d’antidépresseurs », Document de travail, n° 36, DREES, octobre 2003.

2 - Briot M., Le bon usage des médicaments psychotropes, rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, juin 2006.

Si la médicalisation est une charge pour les comptes de l’assurance maladie, elle est aussi l’indication que la détresse psychologique est trop confinée à la sphère sanitaire et insuffisamment prise en charge socialement, non seulement par une écoute ou une parole1, mais aussi par la poursuite de changements concrets relatifs aux conduites des personnes comme à leurs conditions de vie. L’émergence des risques psychosociaux rend plus visible l’importance des conditions de vie, qui sont l’écologie de la santé mentale, et les comportements individuels qui lui sont intimement liés.

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La souffrance psychosociale au travail,

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