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Les détenus

Dans le document La santé mentale,l’affaire de tous (Page 126-130)

En prison, on retrouve généralement des sujets dans des situations de vulnérabilité complexes car s’imbriquent des précarités de natures diffé-rentes3.

En 2002, l’INSEE a réalisé pour la première fois une enquête spécifique sur l’histoire familiale de 1 700 hommes adultes incarcérés. Les résultats démontrent que ces hommes étaient dans des situations de précarité multiples avec une surreprésen tation des catégories sociales les plus démunies, notamment sur les plans scolaire, professionnel, mais aussi familial, compte tenu de la dissolution ou de l’absence de liens familiaux (un détenu sur deux a quitté domicile familial avant 19 ans et moins de la moitié des détenus déclare vivre en couple). Ces données confirment les statistiques de l’administration pénitentiaire, qui établissaient en avril 2006 que plus de

1 - Firdion J.-M., « Influence des événements de jeunesse et héritage social au sein de la popu-lation des utilisateurs des services d’aide aux sans-domicile », dans « Une enquête d’exception.

Sans-abri, sans-domicile : des interrogations renouvelées », Économie et Statistique, n° 391-392, 2006.

2 - Gheorghiu M. D., « Le devenir de jeunes de Seine-Saint-Denis passés par l’Aide sociale à l’enfance entre 1980 et 2000 », Santé, Société et Solidarité, n° 1, 2009.

3 - Cette section a été rédigée en collaboration avec Sara-Lou Gerber, chargée de mission au Centre d’analyse stratégique.

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11 % des personnes détenues se déclaraient illettrées et qu’à l’arrivée en prison, 17,5 % des entrants disaient ne pas avoir de protection sociale, 5 % se déclaraient sans abri, 10 % hébergées dans un domicile précaire.

De nombreux détenus intègrent donc la prison en situation de grande précarité, condition aggravée par l’incarcération. Outre la perte, le cas échéant, des revenus du travail, la précarité en détention peut résulter de la perte du soutien familial, de l’impossibilité de travailler dans certains établissements d’accueil et de la suppression de prestations perçues en milieu libre. La précarité socioéconomique demeure le statut de l’immense majorité des détenus1.

Vient s’ajouter une vulnérabilité mentale, puisque de nombreux acteurs du système pénitentiaire soulignent une augmentation du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux dans les prisons. L’inadaptation fréquente de leur comportement au milieu carcéral entretient l’inquiétude de leurs codétenus et le désarroi des agents de l’administration pénitentiaire, ce qui accentue leur isolement en prison.

Les résultats d’une étude menée en 20062 sur la prévalence des troubles mentaux en prison concluent au caractère massif des problèmes de santé mentale parmi les détenus : près de 80 % seraient atteints, à des degrés divers, d’au moins une pathologie psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs. Les prisons comptent plus de 40 % de détenus présentant des syndromes dépressifs, 56 % un trouble anxieux, 17,9 % un état dépressif majeur, soit quatre à cinq fois plus que dans la population générale, et 3,8 % souffriraient d’une schizophrénie nécessitant un traitement, soit environ quatre fois plus que dans la population générale3. Enfin, l’étude établit que

1 - Les procédures et les protocoles d’insertion des détenus doivent s’initier dès l’incarcération.

L’emprisonnement expose à la récidive si l’état de précarité globale du sujet à l’arrivée en détention n’est pas énergiquement pris en charge et traité, dans toutes ses dimensions.

L’inaction, l’indigence, la rupture des liens dégradent une estime de soi déjà altérée par le délit, le jugement et l’exclusion sociale. Il y a urgence d’organiser chez les détenus, compte tenu de ce risque et de leur vulnérabilité intrinsèque, une politique de réinsertion en amont de leur libération couplée à des stratégies de soins et de prévention en santé mentale. En effet, les sortants de prison sont confrontés à des difficultés à trouver un emploi et un logement (sur les 100 000 détenus libérés chaque année, quelque 20 000 ne trouvent pas de logement). De plus, une étude de Pierre Verger, relative au suivi de sortants de la prison des Baumettes en 2003, démontre que la mortalité par cause non naturelle est 10 fois plus élevée chez les sortants de prison pour la tranche d’âge 15/54 ans dans l’année qui suit leur sortie et que le risque d’overdose est 200 fois plus élevé qu’en population générale pour la même tranche d’âge. L’expérience démontre qu’un encadrement social et médicosocial s’avère impératif au moment critique de la libération des détenus. De plus, certains experts soulignent que le travail réalisé en amont de la sortie de l’individu est souvent réduit à néant par une levée d’écrou non anticipée (l’annonce de la libération étant faite parfois la veille au soir).

2 - Falissard B. (dir.), Étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, Rapport final – Résultats des 3 phases de l’étude et synthèse, INSERM, janvier 2006.

3 - Les prévalences de pathologies mentales sont plus élevées que dans les études antérieures.

La différence la plus nette concerne la dépression, ici retrouvée avec une prévalence de 17,9 % alors qu’en moyenne, les autres travaux la situent autour de 10 %. Les auteurs avancent plusieurs raisons à cet écart : originalité de leur méthode, ancienneté des autres études, portant de plus

31 % des détenus étaient dépendants à l’alcool et 38 % dépendants aux substances psychoactives.

Un grand nombre de troubles mentaux rencontrés en prison ne sont ni consécutifs à la privation de liberté, ni même simplement intercurrents à la détention. En effet, avant leur entrée en prison, plus du tiers des détenus ont déjà consulté un psychologue, un psychiatre ou un médecin généraliste pour un motif d’ordre psychiatrique et 16 % ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. 6 % d’entre eux ont été suivis par le dispositif de lutte contre la toxicomanie et 8 % par celui de lutte contre l’alcoolisme. Beaucoup de cas de troubles mentaux graves, notamment schizophréniques, et de troubles du comportement sont impliqués dans l’infraction ou le crime qui a motivé l’incarcération. Cet état de fait s’explique en partie par une psychiatrie désormais plus ambulatoire et une responsabilisation accrue du patient dans le suivi de ses soins. Cette évolution, pour positive qu’elle soit, conduit à ce que des malades fragiles soient plus fréquemment livrés à eux-mêmes et susceptibles d’un passage à l’acte. Les détenus atteints de troubles mentaux ont souvent connu une rupture de soins au moment où ils commettent un acte délictuel ou criminel.

Les détenus constituent par ailleurs une population à haut risque suicidaire.

Précisons toutefois que, contrairement à la perception commune, le taux de suicide en prison a plutôt diminué en moyenne ces dernières années. Il demeure en 2008 au niveau préoccupant de 17,2 personnes pour 10 000.

Ce taux a connu une sensible augmentation pendant trente ans, passant de 10 pour 10 000 en 1980 à 22,8 pour 10 000 en 2002, puis une baisse et une stagnation. Les populations les plus à risque sont les auteurs d’infractions à caractère sexuel et les personnes écrouées prévenues. Leur taux de suicide est de 28,8 pour 10 000 prévenus contre 13,3 pour 10 000 chez les personnes condamnées. La « sur-suicidité » carcérale en France est ainsi de l’ordre de 6,5 à 7 fois celle de la population générale. Il faudrait ajouter à ces statistiques les tentatives de suicide ainsi que les comportements auto-agressifs (automutilations, etc.). Cependant, au vu des critères de fragilité que cumule la population détenue, il serait plus juste de comparer ce chiffre au taux de suicidité de la population libre partageant les mêmes facteurs de risque, d’autant plus que le phénomène de sous-déclaration des suicides en milieu libre est bien connu. Des études qui cherchent à contourner ce double biais mettent néanmoins en évidence un effet significatif de la condition carcérale sur les risques suicidaires.

La grande majorité des personnes qui se suicident avait été repérée comme à risque1. Ces suicides touchent donc une population déjà fragile mais le

sur des populations d’autres pays, prévalence supérieure des troubles affectifs en France par rapport aux autres pays européens dans la population générale.

1 - La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a annoncé mi-août 2009 les mesures d’un Plan de prévention des suicides en prison et a confié le suivi de ce Plan d’actions au professeur Jean-Louis Terra (Centre hospitalier du Vinatier, Rhône). L’expérimentation sera lancée dans au moins trois établissements pénitentiaires et éventuellement étendue à dix établissements (un

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milieu carcéral en lui-même peut expliquer le passage à l’acte. Le suicide se situe à la frontière des pathologies apportées en prison et des pathologies suscitées par elle. Ce phénomène se rencontre à l’échelle mondiale, même si les conditions de détention en France sont plus particulièrement mises en cause par certains observateurs.

La présence importante de personnes atteintes de troubles mentaux en détention résulte d’interactions étroites entre politiques pénitentiaire, psychiatrique et judiciaire. L’évolution des lois pénales est souvent analysée comme ayant un impact sur le profil des détenus avec l’article 122-1 du nouveau code pénal qui admet la responsabilité pénale des personnes dont le discernement a été altéré – mais non aboli – par un trouble psychique ou neuropsychique, ce qui laisse une grande latitude à l’appréciation du juge à partir de l’expertise psychiatrique (encadré n° 14).

Encadré n° 14

Les Tribunaux de santé mentale au Canada

L’emprisonnement de nombreuses personnes atteintes de maladies mentales témoigne de l’insuffisante adaptation du système judiciaire français au mouvement de désinstitution nali sation de la psychiatrie. C’est précisément en réponse à ce problème que plusieurs provinces canadiennes ont mis en place une initiative originale en créant des « tribunaux de santé mentale » consacrés spécifiquement à l’instruction d’affaires mettant en cause des personnes atteintes de troubles mentaux auteurs de délits ou de crimes mineurs.

Le premier Mental Health Court canadien a été installé à Toronto en 1998, suivi de celui de Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, en 2000 et de celui d’Ottawa en 2007.

La Cour municipale de Montréal, qui bénéficie du retour des expériences antérieures, est depuis 2008 le lieu d’un projet pilote de trois ans de Tribunal de la santé mentale (TSM), objet d’une évaluation qui met en évidence les points clés du dispositif :

l’organisation de la Cour mêle étroitement des professionnels judiciaires ayant reçu une formation spécifique à des acteurs sanitaires et sociaux. Cette équipe sait adapter le formalisme habituel des salles d’audience aux besoins des individus. Ceci permet de surcroît de réduire les inégalités de traitement de ce type de dossiers observées dans les tribunaux classiques selon que les juges sont plus ou moins sensibi lisés à cette catégorie de contrevenants ; il est proposé aux accusés de suivre, sur une base volontaire, un Plan d’accompagne ment justice et santé (PAJES), dont la réussite entraîne réduction ou élimination de la peine. L’objectif principal est d’éviter le recours à l’emprisonnement en le remplaçant par un suivi psychosocial adapté et de diminuer du même coup les risques de récidive. Les personnes doivent respecter une série d’engagements pris avec le procureur (rencontrer régulièrement

dans chaque Direction interrégionale de l’administration pénitentiaire). Elle consiste notamment en une formation des personnels pénitentiaires à la détection du risque suicidaire et à une protection d’urgence des détenus en crise suicidaire.

médecins et travailleurs sociaux, se présenter devant le juge à une fréquence définie) et reçoivent des soins et des services visant à améliorer ou à stabiliser leur état de santé mentale. Le PAJES n’est pas conçu comme une promesse mais comme une sorte d’engagement moral : en cas de manquement ou de retrait du programme, aucune sanction pénale n’est imposée mais le dossier peut se voir renvoyer devant un tribunal régulier. Ce caractère non contraignant paraît propre à influer sur le sentiment de contrôle sur ses actes et son environnement ressenti par l’individu ;

un hébergement est offert s’il y a lieu aux personnes sans domicile fixe ou qui ne peuvent réintégrer leur milieu habituel.

Le projet est issu d’un partenariat entre le milieu judiciaire, le réseau correc-tionnel et le milieu de la santé et des services sociaux. L’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal investit 300 000 dollars par an dans le projet (embauche de personnel, ressources d’héber gement) et une fondation en finance l’évaluation.

Le programme ne bénéficie encore que d’un an et demi de recul mais il paraît prometteur. Entre le 20 mai et le 26 novembre 2008, 375 personnes ont été référées au TSM. 56 ont accepté de participer au PAJES et 14 ont dû retrouver le système judiciaire habituel. Il existe également au Canada et aux États-Unis, sur le même modèle « thérapeutique » que les tribunaux de santé mentale, des tribunaux de traitement de la toxicomanie (TTT).

Ce type de réflexion pourrait avec profit être transposé à la situation française, en prenant en considération – dans un système français très réticent au traitement catégoriel – que l’une des critiques adressées à ces tribunaux par certaines associations est qu’ils tendraient à stigma tiser et à contraindre à des traitements les personnes atteintes de troubles mentaux.

3 . Identifier les trajectoires en santé mentale

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