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1 . Accueil et éveil de la petite enfance

Dans le document La santé mentale,l’affaire de tous (Page 145-149)

Les modes de garde de qualité et les interventions précoces en faveur de la petite enfance, notamment auprès des parents, sont aujourd’hui des instruments privilégiés pour une trajectoire favorable de développement.

Les travaux récents permettent de mieux analyser les mécanismes de formation des inégalités et, partant, d’optimiser les politiques d’investissement dans les individus selon les étapes du cycle de vie. Les conditions de développement dans la petite enfance seraient particulièrement déterminantes de la santé physique et mentale, des compétences et de l’emploi des individus à l’âge

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adulte. La modélisation de retour sur investissement en matière de capital humain insiste, au regard des données recueillies, sur l’effet « boule de neige » des inégalités et sur le caractère multiplicateur des investissements au plus jeune âge : les conditions de développe ment précoce vont déterminer les bénéfices tirés ultérieurement de l’éducation scolaire et de la formation tout au long de la vie.

1.1. Accueil du jeune enfant : une double exigence quantitative et qualitative

Si la plupart des pays développés consacrent des moyens importants à l’atteinte des objectifs associés à la petite enfance, la France se distingue par l’ampleur de l’effort financier consenti et par la très grande diversité des dispositifs mis en œuvre. Les évalua tions les plus récentes (J. Voisin, IGAS) font état d’un effort financier de la collec tivité pour la garde des enfants de moins de 3 ans d’au moins 11,7 mil liards d’euros. Le premier financeur est la branche famille de la Sécurité sociale (8,5 milliards d’euros, y compris les dépenses de la Mutualité sociale agricole), suivie des collectivités locales (2,3 milliards d’euros) et de l’État (1 milliard d’euros).

L’objectif quantitatif de création de places d’accueil est de plus en plus associé à un objectif qualitatif. De nombreux travaux en sociologie, psychologie, neurobiologie et sciences cognitives montrent que les inégalités s’établissent dès la petite enfance : homogénéiser le milieu d’appren- tissage dès l’âge préscolaire est une dimension essentielle des politiques d’égalité des chances3. Les bases cognitives, i.e. l’intelligence et les capacités futures d’apprentissage, mais aussi les dispositions relationnelles (capacité de coopération, d’empathie ou, au contraire, agressivité) et l’équilibre émotionnel (résistance au stress, à la dépression, santé mentale) se construisent précocement.

Il s’agit de mieux tenir compte d’une période sensible de développement et de socialisation du sujet, du stade prénatal à 6 ans. L’empreinte précoce des modes de socialisation est durablement détermi nante dans le rapport au langage, aux apprentissages et aux institutions scolaires. Du point de vue organique, la phase durant laquelle l’enfant développe le plus ses connexions cérébrales est à mettre à profit : la plasticité cérébrale est grande avant 6 ans et atteint son maximum avant 4 ans.

La fréquentation d’un lieu de garde de qualité peut aider les familles exposées au stress lié à la précarité et permettre une respiration des parents, en leur offrant la possibilité d’un temps pour soi. La garde uniquement familiale peut être enfin un facteur de reproduction des inégalités. L’impact des conditions de développement dans la période prénatale (grossesse) et périnatale (autour de la naissance) apparaît également significatif.

Les enfants des familles défavorisées sont ceux qui gagnent le plus à fréquen-ter des services de garde de qualité : de nombreuses études longitudinales

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ou comparatives menées dans l’aire OCDE – pour la plupart étrangères – le démontrent :

la première étude longitudinale française sur le développement des –

enfants et des jeunes de 0 à 20 ans (ELFE – Étude longitudinale française depuis l’enfance – sous la responsabilité principale de l’INED) a été testée à l’automne 2007. La cohorte étudiée est constituée de 20 000 enfants nés à certaines périodes définies de l’année 2009, qui seront régulièrement suivis pendant vingt ans ;

l’étude longitudinale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), visant plus

– de

20 000 enfants de l’ensemble du Canada et leurs parents (2001) : les services de garde peuvent être bénéfiques aux enfants issus de milieux plus désavantagés, à condition que ces services soient de grande qualité et que la garderie soit fréquentée sur de longues périodes ;

l’étude comparative « Unequal opportunities and the mechanisms

– of social

inheritance », par Gøsta Esping-Andersen (2004)1 : le modèle nordique de service public de la petite enfance afficherait une nette supériorité.

Les enfants danois, suédois ou norvégiens, nés de parents peu qualifiés, attestent de chances plus importantes de fréquenter le lycée que les enfants de même condition en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Les tests cognitifs à 15 ans font apparaître que la fréquentation d’un mode de garde de type « crèche » améliore significativement le score obtenu.

Un effort de formation est entrepris pour les assistants maternels, qui accueillent les enfants à leur propre domicile, et doivent préalablement obtenir un agrément sur décision du président du Conseil général, après vérification par le service de protection maternelle et infantile des conditions d’accueil (examen médical, environnement familial, taille et salubrité du logement, etc.).

Depuis le 1er juillet 2007, les assistants maternels qui obtiennent l’agrément doivent suivre une formation obligatoire de 120 heures, dont 60 heures avant d’accueillir des enfants. La formation comprend quatre volets : le développement, les rythmes et les besoins de l’enfant ; la relation parent-enfant autour de l’élaboration du projet éducatif ; les aspects éducatifs, dont l’accès à l’autonomie, la découverte et la socialisation de l’enfant ; le cadre institutionnel de leur travail. Les assistants maternels non permanents peuvent postuler au CAP Petite enfance par la validation des acquis de l’expérience (VAE) dès lors qu’ils ont ces trois ans d’activité ou d’expérience professionnelle.

1 - Esping-Andersen Gøsta, « Unequal opportunities and the mechanisms of social inheritance », in Corak M. (ed.), Generational Income Mobility in North America and Europe, Cambridge University Press, 2004, p. 289-331.

1.2. Soutenir la fonction parentale

En France comme dans de nombreux pays développés, les politiques publiques axées sur le bien-être et l’éducation de l’enfance et de la jeunesse confèrent aux parents un rôle croissant. Depuis les années 1970, il est de plus en plus reconnu que la prévention appelle une réorientation de l’action sociale en direction des familles. Depuis une quinzaine d’années, l’investissement accru des pouvoirs publics dans des dispositifs visant à préparer et soutenir les parents dans leurs soins et leurs tâches éducatives auprès de leurs enfants est ainsi manifeste. Cette évolution traduit une réorientation durable de l’action publique. D’une stratégie de prise en charge essentiellement professionnelle et institutionnelle des difficultés de la petite enfance et de la jeunesse, on est passé à une stratégie d’aide et de soutien aux familles dans leurs tâches éducatives. Le soutien public des relations familiales n’est pas une chose nouvelle en soi, les différentes aides publiques (prestations familiales, prestations d’action sociale, congés parentaux, avantages fiscaux) y contribuant déjà directement ou indirectement. Pour autant, cette stratégie prend corps dans un renouveau des modes d’action sociale et d’assistance éducative à destination des familles : développement des interventions dans le champ du conseil, de la formation et du soutien des parents et futurs parents, des services de médiation familiale ainsi que de médiation culturelle ou sociale entre les familles et les différents services publics.

Pour ces interventions, de nombreuses modalités sont possibles : groupes de paroles, lieux d’accueil enfants-parents, etc. Une recherche-action initiée en région parisienne consiste à intervenir, de façon précoce, pendant la grossesse et jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Cette étude nommée « CAPEDP » (Compétences parentales et attachement dans la petite enfance : diminution des risques liés aux troubles de santé mentale et promotion de la résilience) est menée à l’initiative d’équipes pédopsychiatriques (l’investigateur principal est le docteur Antoine Guédeney, chef de service de pédopsychiatrie à l’hôpital Bichat-Claude Bernard).

L’intervention CAPEDP vise à promouvoir les comportements de santé positifs (alimentation, santé) durant la grossesse et les premières années de vie de l’enfant, les soins adaptés à l’enfant, le développement personnel de la mère (contacts avec le système de soins, avec l’environnement social et professionnel), la santé chez la femme enceinte (alcool, tabac, drogues, alimentation), les compétences parentales, une relation mère-enfant de qualité, le recours aux aidants naturels, le réseau sanitaire et social de la petite enfance, l’accès aux crèches, à la formation professionnelle et au monde du travail, l’apprentissage des manières de gérer les comportements difficiles.

L’étude menée actuellement en Île-de-France permettra d’évaluer la valeur ajoutée d’une intervention codifiée sur la mise en place des premiers liens, le développement et la santé de l’enfant. La connaissance des publics et l’évaluation sont des questions centrales pour une analyse de l’impact de

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ces dispositifs sur le développement et la socialisation de l’enfant, sur les pratiques parentales et la qualité des relations parents-professionnels, enfin sur la satisfaction des usagers et des bénéficiaires. Des modes d’intervention perçus comme « intrusifs » dans l’intimité des familles peuvent susciter un embarras chez certains professionnels, pour partie imputable à un déficit de diagnostic, d’évaluation et d’expérimentation dans le contexte français.

L’étude CAPEDP apparaît ainsi représentative des nouvelles interventions globales : il s’agit de travailler à la fois sur le retour vers l’emploi, la santé, la parentalité, et le recours aux modes de garde. Ces interventions sont orientées vers un ensemble cohérent d’objectifs.

2 . Développer les compétences cognitives,

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