• Aucun résultat trouvé

Depuis le Crétacé déjà, il existe un système de communication entre des plantes fruitières et certaines espèces d’oiseaux ainsi qu’avec certaines espèces de mammifères ancestrales (Eriksson 2014; Fleming & John Kress 2011; Tiffney 2004). Notamment depuis l’Éocène, les plantes indiquaient aux animaux frugivores la valeur nutritive de leurs fruits par leurs couleurs, alors que les animaux, en contrepartie, consommaient les fruits et dispersaient ainsi leurs graines (Willson & Whelan 1990). Les chercheurs considèrent aujourd'hui que les plantes ont évolué de leur côté avec des graines capables de résister au processus de digestion des animaux qui les avalent, ce qui leur permet d'être transportées et dispersées loin de leur plante mère tout en restant protégées des prédateurs et parasites (Tiffney 2004). Cette dispersion présenterait un avantage crucial par rapport aux espèces de plantes concurrentes qui laissent disperser leurs graines par le vent. Cependant, pour attirer les animaux frugivores, il a fallu aussi qu’évoluent les signaux permettant de faire la distinction entre fruits mûrs et ceux qui ne le sont pas, sachant qu’un fruit devient mûr au moment où la graine est assez développée pour pouvoir germer (Willson & Whelan 1990). Pour la plante, un fruit mangé par un

animal alors qu’il n’est pas mûr, est un investissement d'énergie perdue, car sa graine ne pourra pas germer.

Les animaux frugivores pouvaient également tirer des avantages de ce système de communication tout au long de son évolution. En effet, pour les animaux, l'intérêt de pouvoir distinguer les fruits les plus mûrs était de pouvoir remplir leur estomac, limité en taille, avec le maximum de fruits à valeur nutritive la plus élevée possible et rapides à digérer (Willson & Whelan 1990). Les individus ayant évolué une préférence de couleurs indiquant le mûrissement possédaient alors un avantage concurrentiel vis-à-vis de tout autre individu n'ayant pas de préférence pour ces couleurs.

Cependant, contrairement aux oiseaux, la plupart des espèces mammifères n'avaient et n'ont toujours pas la capacité de distinguer assez de couleurs différentes pour pouvoir détecter les signaux de fruits mûrs : la teinte rougeâtre devant des feuilles verdâtres (Hunt et al. 2009). En effet, la grande majorité des mammifères ne possède que deux types de récepteurs de couleur dans leurs yeux, c’est-à-dire que ces derniers sont dichromatiques et ne peuvent distinguer que les couleurs bleuâtres et jaunâtres (Osorio & Vorobyev 2008). On trouve les exceptions dans les espèces de primates du groupe des catarhinien8, les primates de l'Ancien Monde (l’Afrique), ainsi que les humains, dont les ancêtres ont

suivi une évolution particulière du système visuel.

Les primates d’Afrique ainsi que les humains ont des capacités de perception de couleurs particulières (Fernandez & Morris 2007; Jacobs 2008; Nathans, Thomas, & Hogness 1986; Rowe 2002; Surridge, Osorio, & Mundy 2003) : dans ce groupe, les individus sont dotés de trois récepteurs de couleurs, ce qui les rend trichromes, c’est-à-dire qu’ils peuvent distinguer non seulement les couleurs bleuâtres et jaunâtres, mais également les couleurs rougeâtres et verdâtres. Ce troisième récepteur de couleur est le résultat d'une mutation génétique qui s’est produite il y a environ 35 millions d'années chez l’ancêtre commun de toutes les espèces du groupe des catarhinien dont font également partie les humains. Aujourd’hui, nous constatons que ces deux dimensions de perception de la couleur, bleu – jaune et rouge – vert constituent les dimensions de couleurs de l’espace perceptuel de l’humain, CIEL*a*b*, auxquels s’ajoute la dimension de la luminosité (Figure 4).

Les primates dotés d'un troisième récepteur de couleurs dans leurs yeux peuvent alors percevoir les signaux des plantes destinés aux oiseaux, c’est-à-dire la différence entre les fruits mûrs ou non

8 Définition du LAROUSSE de catarhinien : « Nom de sous-ordre donné aux singes d'Afrique et d'Asie. (Ces singes ont

(Fleming & John Kress 2011; Sumner & Mollon 2000b, 2003b). Il est cependant important de noter que le simple fait de pouvoir distinguer les fruits mûrs des autres n’apporte aucun avantage à un primate, il faut réagir à ce signal par un comportement adapté. En théorie, certains ancêtres étaient pourvus d’une mutation génétique les dotant d’une prédisposition comportementale à s'approcher et à s'intéresser aux objets de forme ronde et de couleur rougeâtre. Ce comportement d’approche leur permettait alors de profiter de la trichromasie pour détecter très rapidement et efficacement les fruits mûrs et pour ne pas perdre de temps ni d’énergie à toucher et sentir chaque fruit pour juger de son mûrissement (Dominy et al. 2001). Cet avantage devient instantanément clair en comparant les images de la Figure 4, montrant la même branche de figue, prise en photo dans la forêt vierge de l’Ouganda, et présentée une fois avec les couleurs percevables par un individu dichromatique et l'autre fois avec les couleurs percevables par un individu trichrome : en essayant de détecter les figues mûres parmi les centaines de figues sur cette branche, l'avantage de la trichromasie devient immédiatement évident.

La trichromasie ne permet pas seulement d’opérer un choix très rapide à courte distance, comme dans cet exemple de la branche de figues de la forêt vierge de l’Ouganda (Figure 4), mais aussi de choisir à longue distance les arbres portant le plus de fruits mûrs (Sumner & Mollon 2000b), et d'ainsi optimiser le parcours de forage quotidien. L’optimisation du temps ainsi que de la dépense d’énergie chez les primates vivant dans la canopée comme les ancêtres primates de l’humain il y a 35 millions d'années peut être un facteur crucial pour la survie et la procréation d’un individu (Davies et al., 2012). Les ancêtres primates attirés par les couleurs de fruits mûrs avaient alors un avantage concurrentiel sur tous les autres primates.

: Illustration de la perception de figues dans un état naturel, photographiées dans la forêt vierge de l’Ouganda (Alain Houle). En haut : illustration de la perception des figues avec la vue dichromatique, avec un schéma des courbes d’absorption d’ondes des deux récepteurs de couleurs habituelles pour des primates dichromates, ainsi qu’une représentation de l’espace perceptuel CIEL*a*b* deux-dimensionnel d’un individu dichromate. En bas : illustration de la perception des figues avec la vue trichrome, avec un schéma des courbes d’absorption d’ondes des trois récepteurs de couleurs habituelles pour des primates trichromes, ainsi qu’une représentation de l’espace perceptuel CIEL*a*b* trois-dimensionnel d’un individu trichrome.

Outline

Documents relatifs