• Aucun résultat trouvé

La voie ventrale permet l’identification et la caractérisation d’objets (Kravitz et al. 2013). Comme le nombre d’informations sensorielles que transmettent les cinq sens en permanence au cerveau est trop important pour qu’elles puissent toutes être traitées et mémorisées individuellement (Mandler 1982; Robinson 1995), le processus de perception doit permettre au cerveau d’alléger la charge cognitive du traitement d’informations. Ainsi, au lieu de traiter toutes les informations visuelles indépendamment, le système neuronal essaye d’identifier des objets par l’association des schémas visuels perçus avec des prototypes mentaux d’objets existants en mémoire (Rosch 1999).

Un prototype est une image mentale représentative d’un type d’objet. Elle consiste en un assemblage mental de toutes les caractéristiques les plus redondantes parmi les objets du même type perçus tout au long de la vie d’un individu (Rosch 1999). Par exemple, en percevant un ballon, le schéma visuel de la surface du ballon est associé au prototype mental « ballon », qui est composé des caractéristiques redondantes des ballons qu'un individu a pu percevoir dans sa vie (Wurm et al. 1993). Notons que le prototype n’est alors pas une somme de tous les ballons perçus auparavant, mais correspond à la form (Bloch 1995) d’un ballon, c’est-à-dire à une représentation abstraite d’après les règles de la Gestalt16

(Wagemans et al. 2012). Les millions d'unités d’informations visuelles sont alors interprétées comme un objet d’un certain type, en d’autres mots, l'individu ne voit pas un ballon, mais une image mentale

16 Définition du LAROUSSE de la Gestalt : « Fait, pour une entité perceptive, d'être traitée par le sujet comme un tout

prototypique. Ainsi, si un individu ne joue et ne regarde que le football, son prototype de ballon sera rond, alors que pour un amateur de rugby, il sera ovale.

Le prototype permet ainsi de structurer et d’organiser les informations mémorisées individuellement en catégories d’informations génériques, facilitant le traitement de l’information. En effet, déjà le simple fait de percevoir une forme plutôt que des éléments visuels non structurés diminue de manière significative l’activité cérébrale (Murray et al. 2002). De cette manière, les prototypes permettent au cerveau de rapidement évaluer les objets dans un environnement et de libérer des capacités cognitives. Par exemple, dans la photo d’une branche de figues présentée auparavant (Figure 4), le cerveau humain ne perçoit pas des branches chargées de centaines de figues à différents stades de mûrissement, mais simplement quelques figues mûres entourées d’objets sans intérêt.

Si la perception d’objets fonctionne par une association avec des prototypes mentaux, il se pose la question de la genèse de ces prototypes. On sait que les prototypes peuvent être acquis en fonction de l’environnement socioculturel de chaque individu (Rosch 1999; Veryzer & Hutchinson 1998). Par exemple, Limon, Kahle et Orth (2009) montrent indirectement dans leur étude interculturelle que le packaging de produits est perçu différemment dans des cultures ayant différents prototypes pour les packagings étudiés. A contrario, il existe également des prototypes innés, dont le mieux étudié est le prototype du visage humain (Bremner 2011; Klin et al. 2002). Ainsi, depuis sa naissance, l’humain associe automatiquement les traits caractéristiques d’un visage à un prototype « visage » inné, qui permet aux nouveau-nés de s’orienter instinctivement.

À travers notre revue de littérature, nous constatons qu’il existe probablement un prototype inné du fruit mûr. En effet, nous avons relevé le fait que le signal naturel du fruit mûr est automatiquement accentué par le système visuel et attire l’attention (Nummenmaa et al. 2011; Rappaport 2012; Rutters et al. 2015). De plus, les fruits mûrs sont systématiquement reconnus et préférés par les enfants (Gibson & Wardle 2003; Pérez-Rodrigo et al. 2003) ainsi que par des espèces de primates apparentées (Lucas et al. 2003; Sumner & Mollon 2000a; b, 2003a). Il est important de noter, cependant, que le prototype des visages est influencé par les différents visages perçus tout au long d’une vie (Bremner 2011; Klin et al. 2002) et il est en conséquence probable que le prototype du fruit mûr puisse être influencé également par tous les types de fruits mûrs perçus à travers le temps. La fonction des prototypes innés est de pouvoir identifier des signaux naturels instinctivement. Ainsi, ce type de prototype est à la base d’une prédisposition comportementale biologique.

Les prototypes mentaux enregistrés en mémoire, innés ou acquis, servent de point de repère pour l’évaluation de nouvelles informations (Rosch 1999). En effet, dans le processus de perception, toute

un objet perçu et un prototype, plus les deux peuvent être associés. Ainsi, le niveau de congruence perçue influence l’identification de l’objet et sa mémorisation (Meyers-Levy & Tybout 1989) :

1. S’il y a congruence entre l’objet et le prototype, l’information provenant de l’objet vient confirmer ce dernier. Cependant, il est important de noter que l’information n’est pas traitée et mémorisée de manière détaillée en cas de bonne congruence, au contraire, l’information n’apportant pas de nouvelles connaissances, n’est que faiblement mémorisée tout en confirmant le prototype correspondant. Par exemple, une pomme d’une variété habituellement trouvée en supermarché n’apporte pas de nouveaux éléments au prototype « pomme ». 2. S’il y a une incongruence modérée, l’information perçue remet en cause le prototype et peut

soit entraîner un rejet de la nouvelle information, soit une modification du prototype. Dans les deux cas, l’information est perçue et mémorisée en détail, car elle apporte, soit une confirmation par le rejet de celle-ci, soit elle devient la source d’une modification. Le rejet ou l’adoption de l’information en mémoire dépend avant tout du besoin de « consistance cognitive » d’un individu (Festinger 1957). Par exemple, si une pomme dans un supermarché porte un autocollant bleu avec le logo de la marque, ce nouvel élément pourra soit être intégré au prototype « pomme » si le consommateur est ouvert à de nouvelles marques et types de nourriture, soit mener à un rejet de cette pomme « non conforme » aux attentes conscientes ou inconscientes du consommateur.

3. S’il y a une incongruence totale, l’information perçue est incompatible avec le prototype. L’information est alors ignorée et n’est pas mémorisée. Si cette information incompatible est perçue fréquemment, elle peut alors être mémorisée sous forme d’un nouveau prototype. Par exemple, si une marque commercialisait des pommes bleues, l’incongruence de couleur avec le prototype « pomme » mènerait à un rejet de cette pomme « non conforme », mais, si la marque lance une campagne de publicité massive, les consommateurs pourront, avec le temps, créer un nouveau prototype de pomme bleue. Des enfants grandissant avec des pommes vertes, rouges et bleues à leur disposition dans le commerce, en revanche, n’auront qu’un seul prototype « pomme » tenant compte de ces trois modalités de couleur.

La structuration et l’organisation en prototypes permettent ainsi un traitement d’une grande quantité d’informations avec un investissement minimal en termes de ressources cognitives. Cependant, plus la catégorisation est spécifique, plus le nombre de prototypes est grand, ce qui augmente à nouveau la charge cognitive. Ainsi, nous constatons que le processus de l’association à des prototypes n’est pas extrêmement précis et qu’il suffit d’une faible ressemblance pour susciter un comportement

spécifique à un prototype. En effet, Nummenmaa et al. (2011) et Rappaport (2012) constatent ainsi indépendamment que des stimuli visuels ressemblant à des fruits mûrs en couleur et en forme, suscitent des réactions d’attraction similaires, mais moins fortes. Par exemple, l’analyse visuelle et le traitement cognitif d’objets de forme ronde et de couleur rougeâtre étaient plus approfondis en comparaison avec des stimuli de forme carrée.

Ce phénomène, qui consiste à pouvoir observer le même comportement pour des stimuli similaires, montre la limite neuronale du processus de filtrage. En psychologie et écologie comportementale, il est conceptualisé dans la théorie de la généralisation (Cheng 2002; Ghirlanda & Enquist 2003; Shepard 1987). Cette théorie considère que les prototypes dont prédispose un humain, ne sont jamais précis. En conséquence, tout stimulus qui ne fait que ressembler au prototype d’un signal est susceptible de susciter les mêmes prédispositions comportementales que le signal lui-même, avec un effet moins prononcé, cependant. Ce manque de précision quant à l’interprétation neuronale d’un stimulus en tant que prototype d’un signal a été étudié dans le cadre de deux approches différentes :

1. Premièrement, un stimulus spécifique, par exemple un signal, peut être généralisé. Si un individu associe une forme spécifique (la forme arrondie d’un fruit), à un comportement qui apporte un avantage (attraction, approche), toute autre forme ressemblant à cette forme spécifique suscitera la même réaction. Cependant, plus la forme d’un stimulus diffère de la forme spécifique du signal, moins il est susceptible de susciter la réaction comportementale. 2. Deuxièmement, des stimuli gradués le long d’une dimension commune peuvent être

généralisés. Par exemple, si une saturation spécifique d'une couleur (rougeâtre) est associée à un comportement qui apporte un avantage (attraction, approche), un stimulus d’une saturation similaire est susceptible de susciter la même réaction. Cependant, plus la saturation d’un stimulus diffère de la saturation spécifique du signal, moins ce dernier est susceptible de susciter la réaction comportementale. Le comportement suit la règle qui est enregistrée chez le participant et qui n’est pas : « ce stimulus est le meilleur », mais : « plus il est comme ça, mieux il est ». C’est-à-dire qu’un stimulus qui serait par exemple encore plus saturé que le stimulus optimal présenté initialement, serait encore meilleur et préféré.

L’observation du phénomène de la généralisation du comportement envers des stimuli ressemblant à un fruit mûr en forme et en couleur soutient l’hypothèse qu’il existe un prototype inné du fruit mûr. À la suite de l’association avec des prototypes, celle-ci ne permet pas uniquement d’appréhender l’environnement, mais également de réagir à celui-ci de manière appropriée. En effet, la voie ventrale est liée d’une part au système limbique et d’autre part à la voie dorsale (Kravitz et al. 2013). En

émotionnelles ainsi que des réactions comportementales adaptées à l’objet. Dans l’exemple des branches chargées de figues (Figure 4), l’association des quelques figues au prototype du fruit mûr suscite une approche motivationnelle puis un mouvement envers celles-ci. Le fonctionnement de l’interaction entre le système de motivation et les processus de la voie dorsale menant à un comportement d’approche pour attraper les figues mûres sera abordé dans les parties suivantes.

Outline

Documents relatifs