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21 oCtobre 1986 : la réunion de ridglea et ses suites

Dans le document UNE FRAUDE PRESQUE PARFAITE (Page 88-91)

Après avoir réussi à faire plier Gray dans l’affaire Craig Hall, Wright a demandé à Mallick de lui organiser une rencontre avec les adversaires texans du Bank Board. Barry (1989, p. 219) décrit en ces termes ce qui a suivi :

Ils s’attendaient à un déjeuner d’une dizaine ou d’une quinzaine de convi-ves. [Or, le 21 octobre 1986,] 150 dirigeants de caisses d’épargne et profes-sionnels du bâtiment se sont présentés au Ridgelea [sic] Country Club de Fort Worth.

Après la réunion, Herman Smith, ancien président de la National Association of Home Builders, l’association nationale des entreprises du bâtiment, a glissé [au meilleur] ami de Wright, Craig Raupe : « J’ai regardé autour de moi et j’ai vu des hommes d’affaires honnêtes et fiables. J’ai vu aussi quelques escrocs. » Mais Raupe n’a pas transmis l’avertissement à Wright 7.

On peut comprendre pourquoi cette réunion a convaincu Wright de la perfidie de Gray et de Selby. D’abord, puisque son « déjeuner en petit comité » avait attiré tant de monde, c’est que l’action du Bank Board était pour tous ces gens un problème important. Et c’est bien ce qui ressortait de leurs propos : à les en croire, Selby et Gray allaient contraindre la plupart d’entre eux à cesser leurs activités si le Congrès votait la recapitalisation de la FSLIC. Tous tenaient le même discours ; tous avaient une horrible histoire à raconter sur les régulateurs, et la plupart les considéraient comme des « fachos ».

Ils ne pouvaient pas tous mentir ! De plus, beaucoup étaient de gros contributeurs aux campagnes du parti démocrate et c’était juste-ment pour cela, disaient-ils, que le Bank Board s’en prenait à eux.

7. Barry ne se demande pas pour quelles raisons Raupe n’aurait pas transmis cette mise en garde manifeste, adressée à Wright par une personne d’excellente réputation qui n’avait aucune sympathie pour Gray. Raupe était le meilleur ami de Wright et, selon Barry, le seul de ses collaborateurs qui avait assez de cran pour le contredire. Barry a interrogé Raupe sur cette conversation avec Smith des années plus tard, à une date où il eût été terriblement embarrassant pour le speaker d’avoir ignoré ce type d’avertissement.

Wright n’avait aucune raison de croire à la version du Bank Board. Son action en défense de Hall l’avait persuadé que cet orga-nisme était dirigé par des imbéciles, mais que son intervention avait été bénéfique aussi bien à ses administrés qu’à la FSLIC. Peu après Ridglea, Wright reçut une information qui lui donna une vision beaucoup plus négative du Bank Board. Elle semblait confirmer les propos de ceux qui le décrivaient comme une bande de fachos tra-quant les démocrates :

Les enquêteurs fédéraux proposaient un traitement de faveur aux criminels qui pourraient fournir des éléments à charge contre toute personne figu-rant sur une liste de 400 hommes d’affaires du Texas. La plupart travaillaient dans le secteur des caisses d’épargne et beaucoup étaient des contributeurs du parti démocrate […]. Cela ne pouvait pas être une enquête criminelle légitime ; c’était forcément une « pêche aux informations » pour trouver des raisons de s’en prendre à quelqu’un. En fait, c’était surtout une chasse aux sorcières. Dans les enquêtes légitimes, il y a d’abord un crime, puis on cherche les coupables. Cette enquête-là partait apparemment d’une liste de personnes et s’efforçait de leur attacher un crime. C’était un odieux abus de pouvoir (Barry 1989, p. 220).

Barry s’est tant rapproché de Wright que, dans bien des cas, on ne saurait dire clairement, à la lecture du texte, qui, de Wright ou de Barry, tire telle ou telle conclusion – par exemple : « c’était un odieux abus de pouvoir ». Fin 1986, il est compréhensible que Wright ait pu ajouter foi à ces accusations contre les procureurs, puisqu’il recevait toute son information des patrons-escrocs et de leurs alliés. Y croire encore en 1989, au moment où Barry a terminé son livre, était absurde.

Notons bien la première phrase : « [les procureurs] proposaient un traitement de faveur aux criminels qui pourraient fournir des élé-ments à charge contre […] [des] hommes d’affaires du Texas » (c’est moi qui souligne). Non : les procureurs proposaient à des hommes d’af-faires criminels du Texas des remises de peine s’ils avaient des infor-mations qui aideraient à faire condamner d’autres hommes d’affaires criminels du Texas. C’est ainsi que travaille l’accusation dans les gros-ses affaires. Les procureurs enquêtaient sur des dizaines de plaintes au pénal, rédigées par la FHLB-Dallas, qui attaquaient nommément des patrons-escrocs de caisses d’épargne. Ces plaintes identifiaient

les principaux participants de la chaîne d’escroquerie (et d’autres fraudes). Ils étaient plus de 400. C’étaient les fraudeurs qui com-mettaient d’« odieux abus » ; l’action pour arrêter leurs crimes et les faire condamner était louable. Le groupe de travail sur la fraude de Dallas a obtenu plus de 400 condamnations pénales sanctionnant les fraudes patronales au Texas. Cela reste l’effort judiciaire le plus efficace contre la criminalité en col blanc dans l’histoire mondiale.

Quand on part comme Wright de l’hypothèse qui prête aux agents de l’autorité de contrôle un comportement fasciste, on en vient vite à supposer qu’ils visent les contributeurs démocrates : cette histoire de fascisme en devient moins extravagante. Néanmoins, même en 1986, cette théorie posait cinq problèmes flagrants. Souvenons-nous d’abord que Taggart, cette année-là, avait défendu la thèse diamétralement opposée. Il avait écrit à Don Regan que Gray pre-nait pour cible les contributeurs du parti républicain. Si Don Regan cherchait à priver Gray de ses fonctions, c’est parce que le président du Bank Board, à son sens, n’agissait pas en bon républicain reaga-nien. De tous les membres de l’administration Reagan, Gray était le moins susceptible de prendre la tête d’un assaut partisan contre les démocrates.

Deuxièmement, celui de ses collaborateurs qui dirigeait l’effort de reréglementation, qui insistait pour que les administrateurs nommés par la FSLIC vendent leurs biens immobiliers au Texas et qui soutenait le passage à une supervision beaucoup plus rigou-reuse, était un démocrate qui n’avait jamais voté républicain. Il était invraisemblable que je sois à la tête d’une offensive partisane contre les contributeurs démocrates.

Troisièmement, pourquoi le Bank Board voudrait-il se comporter en facho ? Fermer des caisses d’épargne, notamment celles que diri-gent des escrocs, est un travail désagréable pour un fonctionnaire.

Ces patrons-là le poursuivent en justice nommément, en lui récla-mant, à lui personnellement, des dizaines de millions de dollars ; ils emploient des détectives privés pour essayer de trouver des infa-mies dans son passé ; et ils le menacent. Les agents des autorités de contrôle ne sont pas connus pour leur masochisme ; qu’avions-nous à gagner à user de méthodes fascistes ?

Quatrièmement, il est notoire que, pendant une grande partie de son histoire, le Bank Board s’est fait le complice du secteur. Quel élixir nous avait transformés de complices en bourreaux ? Chacun

savait que le secteur des caisses d’épargne soutenait très majori-tairement le parti démocrate, et chacun connaissait la puissance de son association professionnelle. Pour n’importe quel président du Bank Board, tenter d’utiliser cet organisme pour opprimer les démocrates revenait à scier la branche sur laquelle il était assis.

Cinquièmement, en 1986, le nombre de caisses texanes fermées par le Bank Board était très faible. Ce n’est pas par hasard que, sur les trente caisses qui avaient consenti des prêts importants à Craig Hall, seule Westwood Savings, établissement californien, avait été mise sous tutelle en 1986. Les caisses californiennes représentaient un nombre disproportionné des fermetures ; et Gray était califor-nien. De plus, comme le soulignait Taggart, le Bank Board fermait en Californie de nombreuses caisses fraudeuses dirigées par des répu-blicains. Barry (1989, p. 217) affirme que les caisses californiennes

« harcelaient » en 1986 les parlementaires fédéraux pour obtenir une politique d’indulgence en raison d’une forte dévalorisation des biens immobiliers en Californie. En fait, les valeurs immobilières s’étaient appréciées en 1986 et le feraient encore pendant plusieurs années 8.

Le représentant républicain Charles Pashayan était, pour autant que je m’en souvienne, le seul parlementaire californien qui « harce-lait » le Bank Board en 1986. Il se plaignait amèrement de la fermeture de North America Savings, une caisse californienne à patron-escroc.

Pashayan était aussi un proche allié de Keating. Le 31 juillet 1986, Keating envoya à John McCain, qui siégeait alors à la Chambre des représentants, une lettre où il qualifiait Gray de « chien enragé » et prédisait que les républicains allaient perdre le contrôle du Sénat à cause de son œuvre de réglementation et de répression (U.S. Senate Committee 1990-1991a, 1, p. 593). Le document joint, censé prouver la folie furieuse de Gray, était un énergique cease and desist order inter-disant toute poursuite ou reprise de la fraude chez North America Savings. Les patrons-escrocs se soutenaient entre eux. La lettre

8. La récession nationale du début des années 1990 et la réduction des dépenses militaires rendue possible par la disparition de l’Union soviétique ont fait chuter les prix immobiliers en Californie. Mais les caisses californiennes dirigées par des escrocs avaient été fermées ou mises sous tutelle bien avant : c’est l’une des grandes raisons pour lesquelles la crise de l’immobilier a été beaucoup moins grave en Californie qu’au Texas. Comme on l’a vu au chapitre 4, les patrons-escrocs appliquaient les mêmes méthodes en Californie et au Texas et faisaient faillite pour les mêmes raisons, même lorsqu’ils prêtaient sur un marché immobilier en plein essor.

de Keating faisait suite à un courrier du 1er juillet 1986 qu’il avait envoyé à McCain : il y présentait le Bank Board comme « facho » et y affirmait déjà que la reréglementation de Gray allait coûter aux répu-blicains le contrôle du Sénat.

Pashayan faisait partie d’un groupe de 16 parlementaires répu-blicains (comprenant aussi Dick Cheney, Newt Gingrich et Robert Dornan) qui faisaient pression sur le Bank Board pour procurer à Keating des informations privilégiées et l’aider ainsi à bloquer la règle sur l’investissement direct (Mayer 1990, p. 238-239 ; Williamson 1990). La FHLBSF ignorait ses plaintes et était à la pointe de la ferme-ture des caisses fraudeuses. Pashayan a siégé au comité d’éthique de la Chambre qui a enquêté sur le speaker Wright. Il détestait Gray. (Il m’a même pris à part après mon témoignage dans l’enquête éthi-que de la Chambre sur Wright pour me dire éthi-que Gray était vraiment

« vindicatif ». Mais il n’a pu citer aucun exemple.) Barry (1989, p. 702) évoque et approuve cette antipathie personnelle de Pashayan pour le président du Bank Board. Il n’explique pas pourquoi la décision de Gray de fermer une caisse notoirement fraudeuse de Californie, en passant outre aux menaces de représailles politiques d’un républi-cain comme lui, devrait lui valoir autre chose que de l’admiration.

Mais, si l’on admettait d’emblée que Gray était un républicain acharné bien décidé à détruire les contributeurs démocrates, alors on pouvait expliquer pourquoi les agents du Bank Board se com-portaient en fachos. Nixon avait une « liste d’ennemis » et utilisait des organismes publics comme l’IRS pour attaquer les démocrates (il a justifié ce comportement criminel en affirmant que ses prédé-cesseurs démocrates en faisaient autant). Si les agents de l’autorité de contrôle des caisses d’épargne étaient assez enclins aux abus de pouvoir pour agir en fachos (comme le supposait Wright), il n’était guère difficile de postuler aussi que ces abus étaient sélectifs et visaient leurs adversaires politiques.

Wright n’a pas eu à écarter l’objection de la haine de caciques républicains contre Gray l’hérétique, qu’ils accusaient de fermer les caisses de contributeurs républicains : il n’en a jamais entendu parler. Nul n’était là pour lui signaler les faits gênants. La réaction de Wright (et de Barry) à la liste de 400 noms montre combien il était prompt à supposer la véracité de toute « preuve » à charge.

« Beaucoup » étaient démocrates. Et beaucoup étaient républicains.

Et certains étaient indépendants.

Le plus révélateur, c’était que beaucoup soutenaient financière-ment les deux partis. En fait, les contributions politiques des pro-moteurs immobiliers sont tristement célèbres. Ils gagnent souvent très gros quand ils obtiennent d’une commission locale un change-ment de plan d’occupation des sols, ou d’une administration d’un État un permis de construire pour un complexe immobilier. Les pro-moteurs versent en général leurs dons aux deux partis.

Au début de l’année 1987, des professionnels des caisses d’épar-gne du Texas ont organisé une réunion de collecte de fonds en faveur des républicains avec pour orateur principal le secrétaire au Trésor Baker. Celui-ci était assis à côté de Don Dixon, de Vernon Savings. Dixon avait aussi versé une contribution au DCCC. En 1987, il était le patron-escroc à la réputation la plus sulfureuse du pays ; il figurait sur la liste des 400. Quand Wright y a lu son nom, il a pensé : « contributeur démocrate ». De même, Craig Hall ver-sait une contribution aux républicains et au DCCC (O’Shea 1991, p. 227). Wright n’avait jamais réfléchi aux fortes incitations qui poussent les patrons-escrocs à soutenir financièrement des hom-mes politiques puissants des deux partis, susceptibles d’intervenir en leur faveur.

Barry m’a dit comment Wright avait réagi à la liste des 400 noms des procureurs. Il a aussitôt réuni ses principaux fidè-les à la Chambre. Il fidè-les a chargés de passer immédiatement une série d’appels téléphoniques et de lui en rapporter les résultats. Le représentant Robert Eckhardt (Texas), par exemple, a téléphoné au directeur du FBI William H. « Judge » Webster pour déterminer qui avait autorisé la liste et faire savoir que Wright était très mécon-tent de cette enquête. Le représentant Douglas Barnard (Géorgie) a reçu la mission d’appeler le Bank Board. C’est Dick Peterson, son premier adjoint, qui l’a fait. Donner ce coup de téléphone l’an-goissait terriblement. Il était censé découvrir si nous avions joué un rôle quelconque dans l’établissement de la liste de ces noms.

Curtis Prins, l’assistant du représentant Frank Annunzio (Illinois), nous a aussi appelés et menacés : si le speaker découvrait que le Bank Board avait participé à quelque titre que ce soit à la consti-tution de cette liste, il y aurait des représailles. Même Barry a eu peur. Il m’a dit quelle avait été sa première pensée : « [Je me suis dit qu’il faudrait] que quelqu’un protège mieux le speaker de la Chambre sur cette affaire, parce que je l’aime bien » (c’est moi qui

souligne). J’étais si stupéfait du récit de Barry que j’ai pris un bout de papier et noté cette phrase. Barry voulait dire qu’il fallait protéger le speaker contre une accusation d’entrave à la justice.

Prins avait tenté d’intimider le Bank Board pour le dissuader de coopérer à l’enquête du département de la Justice sur les patrons-escrocs du Texas : son initiative aurait pu être interprétée comme une entrave à la justice.

La réunion de Ridglea, conclut Barry, avait convaincu Wright que les gens du Bank Board, en particulier Gray et Selby, étaient d’incontrôlables fachos que seul le manque de liquidités de la FSLIC empêchait de fermer arbitrairement des dizaines de caisses d’épargne texanes. Deux points devenaient donc essentiels : il fal-lait bloquer la recapitalisation de la FSLIC et ajouter au projet de loi des dispositions d’indulgence pour réduire radicalement les pouvoirs du Bank Board en matière de supervision et de fermeture de caisses (Barry 1989, p. 219-220).

Wright nomme offiCiellement malliCk inspeCteur

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