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le massaCre de mai

Dans le document UNE FRAUDE PRESQUE PARFAITE (Page 126-129)

Nous pouvions tenir tête aux lobbyistes professionnels de la Ligue dans le champ clos du Comité des opérations bancaires de la Chambre.

Ses membres avaient quelques notions sur les problèmes des caisses d’épargne. Leurs adjoints en étaient souvent bien informés ; et le nom-bre de memnom-bres, certes important, n’était pas non plus gigantesque.

Mais nous ne faisions absolument pas le poids face aux lobbyistes de ter-rain de la Ligue : les dirigeants locaux des caisses d’épargne qui étaient à tu et à toi avec le sénateur ou le membre de la Chambre des repré-sentants, soutenaient financièrement leurs campagnes et dirigeaient leurs comités électoraux. Et nous ne pouvions sûrement pas rivaliser avec l’arrivée en masse de 500 de ces lobbyistes au Capitole, qui étaient parvenus à rencontrer tous les membres du Congrès en deux jours.

Voici que la Ligue appelait des centaines de dirigeants de caisse à se rendre au Congrès afin de plaider personnellement leur cause : la quasi-totalité des membres de la Chambre des représentants serait ainsi contac-tée. Dans son témoignage de 1993 devant la National Commission on Financial Institution Reform, Recovery, and Enforcement, M. O’Connell précise :

C’est moi qui ai organisé la structure politique de terrain du secteur des cais-ses d’épargne. Je crois avoir fait du bon travail quand nous sommes allés au Capitole, et je pense qu’il a payé. Notre association professionnelle a dépensé pas mal d’argent […].

Dans chaque circonscription représentée au Congrès, je me suis efforcé d’avoir un membre de notre profession chargé des contacts politiques.

Quand je voulais avoir trois, quatre, cinq cents personnes, j’avais trois, qua-tre, cinq cents personnes [au Capitole] ; ainsi, tous les districts représentés au Congrès étaient couverts (NCFIRRE 1993b, p. 181).

Le 30 avril, la Ligue a envoyé un fax à ses membres : le « revirement » de Wright et de St Germain, disait-il, rendait « nécessaire de submerger d’appels téléphoniques les bureaux de ces élus » avant que la Chambre ne vote en séance plénière le 5 mai la recapitalisation de la FSLIC (Black 1993a, p. 47). Le déluge demandé s’est bel et bien produit.

Il était clair que nous allions subir une lourde défaite à la Chambre. La Ligue aurait pu nous mettre une bonne raclée si nous avions gagné la partie au Comité des opérations bancaires de la Chambre, mais, puisque nous l’avions perdue, les autres parlemen-taires étaient politiquement couverts : ils pouvaient voter sans pro-blème contre le Bank Board.

Wright aurait pu soutenir le plan de recapitalisation à hauteur de 15 milliards de dollars : nous aurions tout de même perdu. Il aurait été très bénéfique pour lui de le faire afin de contrer sa mau-vaise presse et faire face aux accusations d’ordre éthique. Mais il a voulu essayer d’être plus intelligent que tout le monde. Cette atti-tude lui valut de nouveaux articles hostiles et persuada l’exécutif, à très juste titre, que le speaker l’avait trompé.

Quand a éclaté la tempête médiatique autour de Vernon Savings, Wright aurait dû réexaminer sa stratégie – soutien public et massa-cre privé – au sujet de la recapitalisation à hauteur de 15 milliards de dollars. Il ne l’a pas fait. Le sous-secrétaire au Trésor George Gould précise :

Nous avons vu le speaker monter au créneau et prononcer un discours pas-sionné, mais les nôtres au Capitole nous ont dit que la situation était déses-pérée. Pendant que Wright parlait, son whip Coelho avait envoyé des gens dans toute l’assemblée pour dire aux élus de ne pas faire attention à ses propos, qu’il ne disait pas tout cela sérieusement. Après quoi, bien sûr, la Chambre a répudié son speaker à une majorité record. Tout cela était d’une incroyable hypocrisie (Mayer, 1990, p. 241).

Le succès de la Ligue semblait total. Martin Lowy (1991, p. 193-194) qualifie ainsi le vote du 5 mai :

[Ce fut] l’Apogée du pouvoir politique de la Ligue. Ce fut certainement la nuit qui laissa le souvenir le plus amer à tous les élus du Congrès quand ils comprirent que la Ligue les avait manipulés.

Selon Jim O’Shea (1991, p. 257) :

Ce fut une incroyable démonstration de la force législative de la Ligue amé-ricaine […].

Pratiquement tous les élus du Congrès qui recevaient de l’argent des caisses de haut vol ou traditionnelles ont voté de la façon voulue par le secteur dans deux au moins des trois votes [du 5 mai], et si un ou deux parlementaires, comme Wright, se sont écartés de la voie de la Ligue, ce fut juste pour sauver la face.

La Ligue partageait cette analyse de son pouvoir. Le 8 mai, elle a écrit à chacun de ses membres :

Merci à tous pour votre participation à ce qui constitue désormais l’une des plus grandes victoires législatives populaires de notre histoire. Vos appels téléphoniques, vos visites à vos élus au Congrès ont fait la différence […].

Le New York Times a qualifié ce vote de « victoire majeure du lobbying de la plus grande association professionnelle de l’industrie des caisses d’épargne, la […] Ligue […], et démonstration spectaculaire de l’influence des caisses locales sur leurs élus […] ».

La leçon des événements de cette semaine est claire : il est payant d’être activement engagé dans la politique de votre circonscription locale et dans l’élaboration des lois qui concernent votre métier. Votre voix et votre vote comptent, et rien ne le démontre avec plus d’éclat que le vote de mardi à la Chambre des représentants sur le projet de loi de recapitalisation de la FSLIC. Comme l’a dit un parlementaire qui s’est battu en vain pour porter le projet à hauteur de 15 milliards de dollars, le vote pour les 5 milliards

« confirme l’axiome de [l’ancien speaker de la Chambre] Tip O’Neill : “toute politique est locale”. Il est très difficile à un élu du Congrès de dire non à un patron d’une caisse d’épargne locale l’appelant au sujet d’un vote » (U.S.

League of Savings Institutions, livre 5, tableau A 22).

La majorité des républicains (98 contre 72) avaient voté contre le projet de loi de l’administration Reagan. Parmi ceux qui l’avaient fait, il y avait Trent Lott, Newt Gingrich (le détracteur tout aussi hystérique qu’hypocrite du speaker Wright sur la question des cais-ses d’épargne) et d’autres sommités du parti. Finalement, le projet de recapitalisation de la FSLIC à hauteur de 5 milliards de dollars

comprenant les dispositions désastreuses sur l’indulgence a été voté par 258 voix contre 153. Les démocrates ont voté contre le projet de loi initial à plus de 2 contre 1. Gray avait essayé de barrer la route au plus gros poids lourd qu’on eût jamais vu. Mais la Ligue nous a roulé dessus et il est resté de nous fort peu de chose. Même pas un cadavre d’animal écrasé. Une simple tache sur la chaussée.

l’indulgenCe, C’est la liberté totale pour les patrons-esCroCs

C’est le représentant Bartlett qui a introduit les dispositions sur l’indulgence. Ce sont les patrons-escrocs du Texas qui les ont rédi-gées. Leur formulation associait le subtil au brutal pour réduire considérablement l’aptitude du Bank Board à combattre les fraudes patronales. Le plus habile de ces articles imposait au Bank Board de calculer les pertes immobilières sans se montrer plus sévère que dans les PCGA. Cela paraissait raisonnable. On pensait que le Bank Board avait beaucoup de principes comptables réglementaires créa-tifs (les PCR créacréa-tifs) conçus pour dissimuler les pertes réelles. Les PCGA étaient la norme standard. Adopter les PCGA pouvait passer pour une réforme.

Les patrons-escrocs savaient bien que Gray s’était débarrassé de la quasi-totalité des PCR créatifs et qu’il était sur le point d’en balayer les derniers vestiges. Ils savaient aussi pourquoi les PCR du Bank Board étaient plus stricts que les PCGA pour la reconnaissance des pertes : parce que les PCGA sous-estimaient les pertes réelles (en valeur de marché) sur les mauvais prêts et investissements immo-biliers 6. Imposer l’usage des PCGA, c’était surévaluer l’immobilier,

6. Le FAS 5 n’exigeait la reconnaissance des « dettes éventuelles » que quand elles étaient « estimables et probables ». Les patrons-escrocs abusaient de cette norme floue pour ne pas reconnaître leurs pertes.

Le FAS 15 autorisait les entreprises à ne pas déclarer immédiatement leurs pertes sur les TDR. Même si une caisse saisissait le bien immobilier qui servait de collatéral à un mauvais prêt, elle n’était pas tenue de reconnaître la perte à sa pleine valeur de marché. Les PCGA permettaient en fait aux caisses d’épargne de la calculer sous la forme de la « valeur nette de réalisation » (VNR). Cette méthode minorait toujours les pertes déclarées, mais la distorsion était particulièrement grave pour les dépôts sous garantie fédérale.

On estime la valeur de marché d’un bien immobilier productif de revenu en actualisant ses cash-flows nets sur longue période (par exemple trente ans) – en transformant ces valeurs futures en valeurs actuelles.

ce qui était très mauvais pour le contribuable. Quand le Bank Board pourrait déclarer une caisse d’épargne insolvable selon les PCGA, son insolvabilité en valeur de marché serait énorme. Et lorsque la FSLIC vendrait ses actifs, aucun acheteur ne les paierait à leur prix surévalué par les PCGA. Ce qui compte pour un acheteur, c’est la valeur de marché.

Mais il y avait un problème encore plus grave : en faisant de la valeur d’un bien une question d’interprétation des PCGA, les dis-positions d’indulgence pouvaient porter un coup dévastateur à la supervision. S’il est interdit au Bank Board d’exiger la reconnais-sance des pertes au-delà de ce qu’imposent les PCGA, le patron-escroc insolvable se retrouve, tactiquement, dans la meilleure position possible. Car dans ce nouveau cadre, l’expertise décisive n’est pas issue de la valeur réelle (de marché) de l’actif, mais des PCGA. Or, les experts en PCGA sont évidemment les cabinets d’audit, les Huit Grands. Les patrons-escrocs, on l’a dit, travaillaient constamment avec les Huit Grands et en recevaient des « opinions sans réserve » signées par un vérificateur qui, à en croire son CV, était l’envoyé(e) comptable de Dieu sur terre. Dans une audition ou un procès lié aux caisses d’épargne, ce commissaire aux comptes attesterait le « fait » (c’est-à-dire la fiction) que les bilans financiers de la caisse étaient tout à fait conformes aux PCGA. Après quoi le Bank Board enver-rait témoigner à la barre son inspecteur, qui avait peut-être suivi deux cours de comptabilité. Qui des deux le juge allait-il croire ? Nous n’avions guère de doute sur la réponse. En revanche, avec la règle sur la classification des actifs utilisée par le Bank Board et toutes les autorités fédérales de réglementation des banques, l’expert était le Bank Board. En matière de jugement de supervision sur la qualité

Le taux d’actualisation doit refléter le risque de l’investissement particulier qu’on évalue. Dans ce calcul de la valeur de marché, le prêt ADC typique consenti par un patron-escroc aurait eu un taux d’actualisation gigantesque : la solvabilité des emprunteurs était si mauvaise, leurs projets si pathétiques et les marchés immobiliers si engorgés que le défaut de paiement accompagné d’énormes pertes était pratiquement certain. Mais la VNR utilisait un taux d’actualisation sans rapport avec le risque de l’investissement évalué.

Pour une caisse d’épargne, le taux d’actualisation qui servait à calculer la VNR était le taux d’intérêt payé par la caisse sur les dépôts sous garantie fédérale (par exemple 5 %). Plus le taux d’actualisation est faible, plus la « valeur » de l’actif est élevée. Recourir à la VNR revenait donc à surestimer gravement la valeur des biens immobiliers garantissant les prêts ADC en défaut de paiement, et à sous-estimer les pertes pour la FSLIC.

du crédit et les risques d’un actif, aucun vérificateur des Huit Grands ne pouvait se targuer d’une compétence comparable.

Le Bank Board devait pouvoir démontrer qu’une caisse d’épargne avait subi de grosses pertes avant de pouvoir en prendre le contrôle ou même de prendre des mesures répressives contre elle. Cette dis-position d’indulgence allait gravement réduire la capacité du Bank Board à protéger les contribuables.

Une autre disposition apparentée appelait le Bank Board à ava-liser la comptabilité truquée des TDR. La lettre de la Ligue à ses membres du 22 janvier 1987 citait en l’approuvant la disposition des PCGA qui permettait de ne pas reconnaître immédiatement les pertes pour les TDR (FAS 15) ; même dans le cas d’actifs à problèmes qui ne parvenaient pas à se qualifier pour un traitement FAS 15, elle préconisait aussi d’autoriser leur surévaluation (Black 1993a, p. 38).

Tout en reconnaissant que le FAS 15 représentait « une faille dans la discipline réglementaire des banques de dépôt » (ibid., p. 30), la Ligue soutenait qu’en autorisant ces valeurs surestimées on aurait

« une comptabilisation beaucoup plus exacte de l’actif » (ibid., p. 33).

C’était d’une absurdité flagrante.

Les patrons fraudeurs ont aussi usé de deux autres moyens importants pour tenter de rendre le Bank Board incapable d’exiger la reconnaissance des pertes. Une disposition d’indulgence permet-tait aux caisses d’épargne de différer pendant dix ans l’inscription des pertes sur prêts dues à une mauvaise qualité de crédit. Une autre rendait obligatoire une procédure d’appel, ce qui permettrait à la caisse ou à l’emprunteur d’y avoir recours dans tous les cas où le Bank Board exigerait d’une caisse d’épargne la reconnaissance d’une perte. L’objectif était de retarder cette reconnaissance de plu-sieurs mois et d’occuper le personnel de l’autorité de réglementa-tion à traiter des centaines d’appels en justice.

Un autre article contraignait l’autorité de réglementation à renoncer à sa norme d’évaluation très appréciée, la « R41c ». Si cette norme avait été la cible des patrons-escrocs, c’est parce qu’elle exi-geait que l’immobilier soit évalué aux prix du marché.

L’impact conjoint de ces dispositions aurait été dévastateur sur l’autorité de réglementation et de contrôle. C’était exactement l’ob-jectif des patrons-escrocs.

Dans le document UNE FRAUDE PRESQUE PARFAITE (Page 126-129)