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début de la guerre au sein de l’autorité de réglementation

Dans le document UNE FRAUDE PRESQUE PARFAITE (Page 74-77)

Outre les règles relevant les obligations de fonds propres et restrei-gnant la croissance, l’action de Gray pour renforcer la supervision et l’inspection a été sa contribution essentielle à la guerre contre les patrons-escrocs. Elle devait inévitablement conduire les alliés

poli-que j’étais « ABE » [all but everything, tout sauf tout !].

16. Ses autres études ne valaient pas mieux. Les résultats de l’une d’elles soutenaient puissamment notre position sur les risques représentés par de tels investissements. Mais ses commentaires concluaient que ces résultats n’avaient pas de sens parce qu’ils n’étaient pas statistiquement significatifs. J’ai regardé les valeurs qu’il donnait et j’ai dit à nos économistes que mon survol « rapide et grossier » (sans les tableaux nécessaires) indiquait que l’étude était bel et bien statistiquement significative, très proche de l’intervalle de confiance à 90 %. Ils ont vérifié et c’était exact. Choqués, ils ont perdu confiance dans ses travaux.

tiques des fraudeurs à lancer une contre-offensive. Celle-ci a eu de terribles conséquences pour des superviseurs individuels et pour les contribuables. Nous savions que nous aurions à livrer cette bataille, mais nous ne nous attendions pas à une guerre interne, beaucoup plus pénible. Goûtons l’ironie de la situation : les idées éthiques de notre directrice chargée du respect du droit l’ame-naient à voir ceux qui combattaient les patrons-escrocs comme les méchants, et les fraudeurs comme les victimes. Rosemary Stewart était convaincue que les superviseurs du Bank Board étaient beau-coup trop disposés à violer les libertés individuelles, et qu’en sa qualité de dirigeante de l’action répressive elle avait le devoir moral d’exercer un jugement indépendant pour conjurer ce dan-ger permanent.

Il peut arriver que des régulateurs manquent de déontologie et abusent de leur pouvoir, et il est bon que des dirigeants des ser-vices de répression et de poursuites judiciaires aient une éthique et viennent faire contrepoids à ces dérives parfois tyranniques.

Mais Stewart avait une vision très personnelle des choses. Tous les chercheurs indépendants confirment qu’avant le recrutement par Gray des superviseurs, plus stricts, en provenance de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC) 17, la supervision du Bank Board était particulièrement faible (NCFIRRE 1993a). C’est au sujet de la Consolidated Savings Bank, une caisse à patron-escroc de Californie, que j’ai pris conscience pour la première fois que Stewart pensait le contraire. Consolidated était un cas très particulier : le FBI nous avait prévenus que cette caisse était dirigée par des « complices de la pègre ». Son numéro deux, M. Angotti, avait dit à un inspecteur de la FHLBSF qu’il espérait que l’autorité de réglementation n’aurait pas la mauvaise idée de prendre le contrôle de la caisse, sans quoi il arriverait quelque chose à quelqu’un et peut-être même à l’ins-pecteur ! Cette remarque a envoyé une onde de choc dans l’équipe d’inspection et la FHLBSF. Celle-ci a retiré les inspecteurs de la caisse et demandé l’intervention d’urgence de l’Office of Enforcement (OE).

Rosemary Stewart a refusé, et a demandé à la FHLBSF d’aller voir le

17. OCC : Une agence fédérale établie en 1863, chargée d’agréer, de réguler et de superviser les banques nationales ainsi que les succursales et les agences des banques étrangères installées aux États-Unis [Note de l’Institut Veblen].

plus haut responsable de Consolidated, M. Ferrante, pour se plain-dre du comportement d’Angotti. Ferrante était bien connu pour avoir survécu à un « contrat » semi-professionnel à bout portant, de face. Tout en saignant abondamment, il avait hurlé à la police qu’il n’aiderait aucun (je passe l’obscénité) de flic. La FHLBSF a été stupé-faite et atterrée du manque de soutien de Stewart dans une situa-tion aussi critique. Elle m’a appelé pour me demander si le service contentieux pouvait faire quelque chose. Nous avons remué ciel et terre et obtenu au plus vite un TRO (temporary restraining order, une

« injonction restrictive provisoire ») contre les menaces.

Les nouveaux superviseurs étaient, en général, désespérés par l’attitude de l’OE. Ce service avait toujours peur de perdre une affaire, et engageait donc rarement une action en justice suscepti-ble d’être contestée (NCFIRRE 1993a, p. 51). Dans ces conditions, ses avocats ne pouvaient guère acquérir une grande expérience des pro-cès. L’OE ne cherchait pas non plus à recruter en interne des avocats plus expérimentés, et refusait de recourir à des conseils extérieurs chevronnés.

Les superviseurs venus de l’OCC ont été vraiment fous de rage quand Stewart leur a carrément expliqué qu’ils n’étaient pas ses clients. Son client, leur a-t-elle dit, était « l’autorité de réglementa-tion », ce qui signifiait qu’en matière de supervision elle était libre de substituer son jugement à celui des enquêteurs de terrain plus expérimentés. Le seul moyen dont ceux-ci disposaient pour l’arrêter était d’obtenir que le président du Bank Board rejette personnel-lement son jugement. Comme on ne saurait demander au prési-dent de trancher des dizaines de différends sur l’action répressive sans couler l’institution, Stewart disait en pratique qu’on ne pou-vait pas revenir sur son jugement. Elle n’apou-vait aucune formation, aucune expérience de la supervision, et son jugement en la matière était constamment favorable à un assouplissement des sanctions.

Les protestations des superviseurs chevronnés contre son laxisme prouvaient à ses yeux que les limites éthiques qu’elles leur posaient étaient bel et bien nécessaires, pour protéger les gens contre de fré-quents abus de pouvoir.

Si Stewart n’avait aucune expérience de la supervision, Mike Patriarca, que Gray avait recruté pour diriger le service de super-vision de la FHLBSF, était un ancien juriste de l’action répressive de l’OCC. Il était très bien placé pour évaluer le travail de Stewart et

le comparer à celui de ses homologues de l’OCC. Le jugement qu’il portait sur elle était cinglant.

Gray avait court-circuité tout un processus de sélection concur-rentielle en élevant Stewart à la tête d’un bureau, afin de protéger politiquement ses arrières après l’agression féroce de Dingell. Le travail et l’attitude de la directrice de l’OE me paraissaient désas-treux pour l’autorité de contrôle. Julie Williams, juriste chevron-née et responsable du respect des lois sur les titres au Bank Board, partageait ce point de vue. Voici un fait qui en disait long, à mon sens : les avocats représentant les caisses d’épargne où nos supervi-seurs avaient repéré un patron-escroc faisaient tout pour que l’OE soit impliqué dans leur dossier. Dans la plupart des autorités de contrôle, les avocats spécialisés luttent désespérément pour régler les différends à l’amiable, sans intervention des juristes du service répressif. Ce service est censé jouer le rôle du pitbull que l’on tient enchaîné : on menace implicitement de le lâcher si les contreve-nants qui ont violé les règles ne réparent pas volontairement leurs méfaits. Au Bank Board, quand les avocats des patrons-escrocs réus-sissaient à introduire l’OE dans leur litige, ils exprimaient longue-ment tout leur plaisir d’avoir affaire à Stewart parce qu’ils savaient combien elle était juste. Et elle les croyait. Soit elle restait aveugle à l’exaspération des superviseurs, soit elle l’interprétait comme une preuve de plus de leurs faiblesses déontologiques.

Lincoln Savings allait être l’étincelle qui allait conduire tout droit à l’affrontement. Il y a eu trois grandes controverses impliquant Lincoln et Rosemary Stewart sous le mandat de Gray. D’abord, elle a été furieuse quand j’ai alerté sur le cas Henkel. Sa rage était entiè-rement dirigée contre Gray et moi ; elle n’a jamais laissé paraître la moindre contrariété à l’égard de Henkel ou de Keating. À ses yeux, Henkel et Keating étaient les victimes.

Deuxièmement, quand les inspecteurs de la FHLBSF ont com-mencé à révéler les fraudes de Keating en 1986, celui-ci a réagi par une tactique inédite. Son service contentieux a fait savoir que les inspecteurs ne pourraient plus examiner les livres et registres de la caisse ni interroger son personnel. Ils pouvaient tout au plus deman-der des documents, et, si le chef du service contentieux de Keating jugeait qu’il était nécessaire au Bank Board de les voir, on les leur enverrait peut-être. Comme on s’en doute, les statuts du Bank Board lui donnent le droit absolu d’inspecter toutes les caisses d’épargne

sous tous les angles. Si l’on ne mettait pas fin promptement aux déci-sions illégales de Keating, celles-ci allaient créer un terrible précé-dent, de nature à ôter toute efficacité aux inspections. Tout agent normal de l’autorité de contrôle aurait compris que, lorsqu’un inspecteur repère une fraude, il est certain qu’il existe des infor-mations bien pires dont la caisse veut désespérément empêcher la découverte, et qu’il faut élargir le champ de l’inspection.

Mais Stewart ne voulait prendre aucune mesure répressive.

Substituant une fois de plus son jugement à celui des inspecteurs, elle a décidé que si le directeur du contentieux était basé chez Lincoln Savings en Californie, et non à New York, la FHLBSF devait se conformer à ses exigences. Cette conclusion ne pouvait lui avoir été inspirée que par sa vision des choses où Keating était la victime et Patriarca le méchant. La réunion qui a abouti à ce règlement m’a écœuré, parce que Stewart a autorisé le principal avocat extérieur de Lincoln, Peter Fishbein, à faire déposer (c’était bien l’essence de la situation) le chef des inspecteurs de la FHLBSF sans préparation ni soutien. J’en ai conclu qu’elle n’avait aucune notion de ce qu’est un procès.

Un troisième incident a mis Stewart en rage. On se souvient que Lincoln Savings était une « société captive » de Drexel et ne prenait aucune part aux décisions sur son portefeuille massif d’obligations pourries. C’était un problème majeur, puisque – Milken lui-même l’a souligné – une obligation pourrie est en fait un prêt commercial. Le règlement du Bank Board exigeait qu’une caisse d’épargne accom-plisse un travail minutieux de vérification avant de consentir un prêt commercial. Lincoln Savings n’avait absolument rien vérifié, et les inspecteurs de la FHLBSF étaient sûrs de pouvoir le constater.

Lincoln a jugé, comme toujours, que la solution était de tromper encore plus. Son cabinet d’audit était Arthur Andersen. La caisse a donc chargé un groupe important de consultants d’Andersen de créer des documents de vérification qui paraîtraient de la même époque que les obligations 18.

18. Souvenons-nous que la fraude qui a conduit au démantèlement bien mérité d’Andersen comprenait la destruction d’archives après l’annonce publique de la faillite d’Enron. La destruction de ces documents était illégale, mais elle ne nuisait pas aux investisseurs. Chez Lincoln Savings, Andersen a fait bien pire : il a aidé à maintenir en activité une société dirigée par un patron-escroc dont les fraudes

Le plus étonnant dans cette fraude élégante, c’est que la FHLBSF l’a découverte. Pour être précis, Bart Dzivi a remarqué que la pagina-tion des documents n’était pas logique et a repéré un endroit (dans plusieurs milliers de pages) ou Andersen avait laissé apparaître par erreur une date postérieure à l’achat de l’obligation pourrie 19. Bart l’a vu et a compris ce que cela voulait dire.

La FHLBSF a alerté l’OE sur la fraude et une possible fabrication de documents antidatés. L’OE a reçu du Bank Board le mandat offi-ciel d’inspection, dont il n’a rien fait. Il n’a pas recueilli la déposi-tion d’un seul témoin. Au début de l’année 1987, le chef du service juridique de la FHLBSF était sur le point de quitter ses fonctions ; le Bureau du directeur des affaires juridiques m’a offert le poste et m’a envoyé là-bas par avion pour tenter de me convaincre de l’accepter.

J’ai rencontré Mike Patriarca. Il m’a demandé de parler à Gray de deux affaires : il voulait que Gray mette un terme au pari démentiel d’American Savings sur les taux d’intérêt, et que l’on passe à l’action répressive contre Lincoln Savings.

Je l’ai rapporté à Gray ; il était lui aussi prêt à mettre fin au pari et à vendre rapidement American Savings. Mais il ne voulait abso-lument pas ordonner à Stewart de passer à l’action contre Lincoln Savings. Il m’a dit d’en parler avec mes supérieurs au Bureau du directeur des affaires juridiques. Ils ont organisé une réunion avec l’adjoint de Stewart, Steve Hershkowitz, qui s’occupait du dossier Lincoln Savings. Cette réunion a été instructive. J’ai dit que Mike Patriarca voulait savoir quand l’OE allait commencer à faire dépo-ser des témoins. Steve a dit qu’il n’allait peut-être prendre aucune déposition et que, de toute manière, ce n’était pas une affaire prio-ritaire. J’en ai eu le souffle coupé. J’ai répondu à Steve que c’était l’une des grandes priorités du superviseur en chef de cette caisse. Il m’a expliqué que Lincoln Savings n’était pas une priorité parce que cette caisse n’était pas insolvable. « Justement, Steve, nous aimerions qu’elle ne le devienne pas », ai-je répliqué. Il a ajouté que les alléga-tions n’indiquaient pas de problèmes au niveau de l’intégrité de la direction. J’ai rétorqué que des allégations de « bourrage de dossiers »

ont coûté 3 milliards de dollars aux contribuables.

19. Un vrai document de vérification, effectué au moment du prêt, ne pouvait contenir ce type d’informations.

et de documents antidatés avaient sûrement à voir avec l’intégrité.

« Ces allégations n’ont pas été prouvées », m’a-t-il dit. « C’est bien pour cela que nous enquêtons », lui ai-je répondu.

Finalement, j’ai dû détacher l’une de mes avocates expérimentées du contentieux, Anne Sobol, pour mener l’enquête (sous le contrôle de Stewart). Elle s’est fait aider par un conseil extérieur. Les déposi-tions ont révélé une vaste entreprise de fabrication de faux documents antidatés, et ont prouvé le « bourrage de dossiers » sur les obligations pourries. Ce qui a conduit à des renvois au pénal et même à des « plai-der coupable ». Mais cette affaire a fait une tout autre impression à Stewart : elle l’a persuadée que j’étais LE « méchant » et que Keating, en un sens, n’était pas si coupable que cela.

J’avais pour ma part acquis la conviction que Stewart était le plus grand obstacle interne à l’accomplissement de notre mission. Je considérais l’OE comme le pays des invertébrés. Patriarca et moi, nous incitions Gray à marginaliser Stewart et à confier l’action répressive à une personne énergique. Mais le mandat de Gray était sur le point de se terminer, et Larry White ne voulait aucun chan-gement majeur de personnel avant l’arrivée du nouveau président, Danny Wall. Gray a choisi de ne rien faire. S’il avait agi, rien de bon n’en serait probablement sorti. Aux yeux de Wall, mes critiques et celles de Gray contre Stewart constituaient les meilleures recom-mandations possible en faveur de la directrice de l’OE. Le décor était planté pour une vaste guerre civile.

v. les patrons-escrocs dU

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