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les ConséQuenCes de la déCision de Wall et de martin d’assimiler gray à l’ennemi

Dans le document UNE FRAUDE PRESQUE PARFAITE (Page 138-141)

Wall en était convaincu : Gray avait délibérément truqué les chif-fres pour donner l’impression que la FSLIC était insolvable, à seule fin de faire voter la recapitalisation. Il l’a dit au cours d’un déjeuner à San Francisco où nous étions à la même table. Les termes qu’il a employés ressemblaient à s’y méprendre à ceux du sénateur Proxmire lorsqu’il prédisait (dans le passage cité au chapitre précédent) que la FSLIC allait lancer une propagande mensongère sur la prétendue crise des caisses d’épargne afin de pousser le Congrès à voter un projet de recapitalisation de la FSLIC surdimensionné. Proxmire, démocrate en vue qui avait longtemps présidé le Comité des opérations bancaires du Sénat, était depuis des années l’adversaire principal de Wall sur toute une série de sujets. La convergence des deux hommes sur ce problème Les énormes dettes potentielles de la FSLIC (ses obligations de

garantie à l’égard des déposants de caisses d’épargne insolvables) l’avaient amenée à reconnaître son insolvabilité, confirmée par le GAO. Le problème de Wall était qu’il y avait de plus en plus de caisses insolvables, et qu’elles étaient beaucoup plus endettées en cette année budgétaire 1987 qu’en l’année 1986 lors de laquelle Gray avait reconnu l’insolvabilité de la FSLIC. Ses dettes potentielles étaient donc encore plus lourdes. La FSLIC était encore plus insolva-ble en 1987 qu’en 1986.

Néanmoins, Wall disposait d’un moyen pour réduire considéra-blement ces dettes : l’indulgence. Il lui a suffi de postuler qu’elle allait fonctionner et que les caisses qui allaient faire faillite seraient beaucoup moins nombreuses que Gray ne l’avait prévu. Il en est résulté une chute abrupte de l’estimation par la FSLIC de ses dettes éventuelles.

L’extension du champ d’application de l’indulgence pouvait aussi aider Wall à déclarer la FSLIC solvable de bien d’autres façons. Les besoins financiers de la FSLIC pour résoudre la situation des caisses en faillite étaient de loin supérieurs aux estimations obtenues dans le cadre des PCGA. Car ceux-ci sous-évaluaient les pertes, notamment celles des patrons-escrocs du Texas, par exem-ple, où leurs résultats étaient les plus irréalistes. Toute prise de contrôle par les pouvoirs publics d’une caisse en faillite augmen-tait directement l’estimation par la FSLIC du coût du règlement du problème de cette caisse. Les anticipations de la FSLIC (avant prise de contrôle) sous-estimaient constamment les pertes réelles.

En toute logique, le GAO aurait donc dû exiger une réévaluation considérable des prévisions de la FSLIC sur ses dettes éventuelles liées aux pertes futures.

Le plan de Wall pour faire déclarer la FSLIC solvable comportait cinq points. J’ai expliqué les trois premiers : élaborer des change-ments comptables et réglementaires qui conduiraient le secteur à se déclarer en meilleure santé ; arrêter pratiquement toutes les pri-ses de contrôle coûteupri-ses ; et réviser les bilans financiers de la FSLIC (pour réduire substantiellement ses dettes latentes grâce à « l’indul-gence »). La quatrième mesure était un effet secondaire de l’arrêt des prises de contrôle qui allait permettre à Wall de relever considé-rablement le niveau du fonds de la FSLIC. Il a pris les 2,3 milliards de dollars de revenus annuels des primes d’assurance de la FSLIC

à cette campagne. Il a commencé son mandat en cherchant à réunir des plaintes contre les superviseurs du Bank Board et a exigé que celui-ci tienne des auditions au sujet de la reconduction ou non de la règle sur les investissements directs. Les documents que nous avons découverts après la fermeture de Lincoln Savings ont confirmé ce que j’avais dit à White à l’époque : Keating avait truffé ces auditions du Bank Board avec ses propres agents. Il s’était arrangé pour qu’une douzaine d’organisations prestigieuses (et soi-disant indépendan-tes) soutiennent ses critiques contre la règle sur les investissements directs et l’autorité de réglementation. Il avait secrètement coor-donné leurs témoignages.

Tous les témoins ont affirmé que le Bank Board commettait sou-vent des abus. La preuve : les caisses d’épargne avaient si peur des représailles qu’aucune n’était venue se plaindre. J’ai répondu à White que c’était absurde : nous étions coupables, car personne ne pouvait donner une preuve de notre culpabilité. Il était impossible de réfuter cette assertion, et un énoncé qui ne peut être réfuté est une profession de foi, pas un fait. J’ai ajouté qu’en vérité la réglemen-tation du Bank Board restait bien moins contraignante que celle des banques. « Bill, ils ne peuvent pas tous mentir », m’a rétorqué White.

J’ai perdu toute crédibilité à ses yeux en répondant : « Si, Larry, non seulement ils le peuvent, mais ils le font. » Ma réponse, a-t-il répliqué, montrait combien j’étais partial.

Le point de vue de White, comme sa conclusion sur mon manque d’objectivité, était une réaction humaine naturelle. Considérons l’effet que peuvent produire 150 individus qui disent la même chose – c’est le nombre de personnes venues rencontrer Wright à Ridglea pour atta-quer Gray. Le membre du Bank Board avait entendu le même message en provenance de l’administration Reagan, de la Ligue, des PDG de cais-ses d’épargne et des promoteurs immobiliers. Ils ne pouvaient pas tous mentir, tout de même ? White savait que Gray n’était pas un monstre, mais leurs personnalités et leurs conceptions de la prise de décision étaient si différentes qu’ils n’avaient jamais été proches l’un de l’autre.

White s’était toujours méfié de Gray. Sous la fumée des accusations d’abus de pouvoir, il se disait que, même s’il n’en avait jamais vu lui-même, il y avait peut-être aussi du feu. Les patrons-escrocs avançaient sous couvert de cet écran de fumée créé par leurs soins.

Roger Martin, fraîchement nommé au Bank Board, avait adopté les idées de son collègue promoteur immobilier Charles Keating, rend encore plus probable la sincérité de Wall : lorsqu’il est devenu

président, il croyait vraiment qu’il n’y avait pas de crise des caisses d’épargne et que l’indulgence était la clé qui permettrait d’éviter une crise future. Les professionnels du secteur et l’administration Reagan soutenaient ce point de vue depuis 1981, il est donc compré-hensible que Wall ait partagé leurs convictions. Le Congrès venait de voter une extension de l’indulgence à une majorité écrasante (dans les deux partis). Le marginal, c’était Gray, pas Wall. L’administration, le Congrès, le secteur et Wall étaient tous d’accord sur trois points : il n’y avait aucune crise réelle, le problème, c’était Gray, et la solution, c’était l’indulgence.

Mais, si l’on accusait Gray d’avoir fabriqué une fausse crise afin de faire voter la recapitalisation de la FSLIC, encore fallait-il expliquer pourquoi il faisait de ce vote sa priorité absolue. S’il savait qu’il n’y avait pas de crise, il n’avait pas grand-chose à gagner à l’adoption de ce texte, mais beaucoup à perdre avec le chantage du speaker.

Pourquoi Gray avait-il réintroduit le projet de loi en 1987, alors qu’il allait ainsi, très probablement, susciter de nouveaux chantages de la part de Wright ? Les patrons-escrocs donnaient la seule explica-tion logique : Gray était un personnage vindicatif. Il demandait ces fonds supplémentaires pour punir ses adversaires politiques. (Belle illustration du principe « trop de cuisiniers gâchent la soupe 2 », les patrons-escrocs détruisaient eux-mêmes cette cohérence en avan-çant deux théories contradictoires de la soif de vengeance de Gray : ceux de Californie l’accusaient de vouloir détruire les contributeurs républicains ; ceux du Texas le disaient déterminé à éliminer les contributeurs démocrates.) Mais, aux yeux de Wall, tous ses inter-locuteurs dénonçaient le caractère vindicatif de Gray. La vision que Wall avait de Gray – un homme qui avait miné la politique de déré-glementation de l’administration Reagan, créé artificiellement une crise et ciblé par pure vengeance des caisses d’épargne pour les fer-mer – était courante en 1987. Les patrons-escrocs et la Ligue dépen-saient sans compter pour la répandre depuis des années.

Une preuve du succès de cette technique du gros mensonge a été la réaction de Larry White, le nouveau membre du Bank Board,

2. Que l’auteur modifie légèrement par un jeu de mots entre cook, « cuisinier », et crook,

« escroc » [NdT].

les banques les plus grandes et les plus complexes des États-Unis.

Comment Wall allait-il convaincre les autres superviseurs de terrain, anciens subordonnés de Selby et de Patriarca à l’OCC, d’ignorer leurs conseils et de suivre les siens ?

Dans un monde sain, Wall aurait été ravi de la présence de Selby et de Patriarca dans les deux régions les plus perturbées, il aurait sollicité leurs conseils et se serait instruit à leur contact. Malheureusement, à ses yeux, Gray avait souillé les deux hommes en les choisissant.

En faisant correctement leur travail, Selby et Patriarca avaient mis en rage des personnalités politiques extrêmement puissantes. Wall voulait éviter le conflit.

Il ne pouvait licencier les responsables des FHLB qu’en évoquant une cause réelle et sérieuse. C’était une limite de taille à son pouvoir managérial, parce que toutes les inspections et supervisions directes étaient effectuées par les agences de terrain. Wall avait un moyen de pression potentiel sur les agents principaux de supervision (APS).

Tout président-directeur général de FHLB (il n’y avait pas de prési-dente) était aussi l’APS de son district, et c’était le président du Bank Board et non la FHLB qui désignait l’APS. Quand un PDG de FHLB démissionnait, le président avait donc une influence considérable sur le choix de son successeur : il pouvait bloquer n’importe quel candidat en refusant de le désigner comme APS. Gray avait provoqué des remous quand il avait retiré le statut d’APS à Joe Settle, ce qui avait contraint ce dernier à démissionner de son poste de PDG de la FHLB-Dallas. Les FHLB et leurs présidents constituaient de puissantes baronnies avec lesquelles le Bank Board ne pouvait interférer que dans des circonstances exceptionnelles.

Mais certains hauts responsables du Bank Board pensaient que l’indulgence était souhaitable et que Gray, Selby, Patriarca et moi étions trop agressifs. Notamment Rosemary Stewart, qui dirigeait le service répressif (OE). Elle en était persuadée et elle était même parvenue à la conclusion que Gray et moi menions une « vendetta » contre Charles Keating (U.S. Senate Committee 1990-1991a, 4, p. 153-156, 324 ; 5, p. 19). Les idées de Stewart venaient renforcer les plaintes à l’encontre du Bank Board à l’époque de Gray. De notre côté, nous étions très mécontents du travail de Stewart ; Wall y a vu une preuve de plus qu’elle avait raison : nous la critiquions parce qu’elle voulait mettre un terme à nos dérives répressives envers d’innocents propriétaires de caisse d’épargne, à commencer par encore plus pleinement que Wall. Comme le note Mayer (1990,

p. 242), pour Wall, Gray était l’ennemi. Martin pensait de même, mais avec ferveur.

Comme Wright et les Cinq de Keating, les membres du Bank Board avaient entendu dire que Selby et Patriarca, les directeurs des services de réglementation à la FHLB-Dallas et à la FHLBSF, étaient vindicatifs. Gray les avait choisis personnellement, donc leur soif de vengeance confirmait celle de Gray. On sait que le chef joue un rôle décisif dans la création d’une culture collective. Par conséquent, lorsque le secteur se plaignait que les personnels de la FHLB-Dallas et de la FHLBSF étaient hostiles et trop agressifs, leurs doléances étaient crédibles. L’indulgence exige la passivité, pas l’agressivité.

J’avais moi-même la réputation d’être agressif et proche de Gray.

Wall n’a jamais réussi à convertir le terrain à ce type de culture institutionnelle. Le problème était que Gray avait mis en place une culture normale de réglementation. Il avait recruté personnelle-ment d’excellents agents de la régulation bancaire et leur avait confié la tâche de superviser les bureaux régionaux qui posaient le plus de problèmes. Ils avaient à leur tour débauché les agents les plus prometteurs de leurs institutions d’origine, qui rivalisaient de zèle avec leur patron. D’autres présidents de la FHLB, à la demande pressante de Gray, avaient recruté des agents de contrôle des ban-ques pour en faire leurs superviseurs en chef. On les avait choisis parce qu’on pensait qu’ils incarnaient les points forts de la culture de régulation bancaire : un jugement sûr et une supervision vigou-reuse. Les autorités de contrôle des banques avaient beaucoup plus de prestige que le Bank Board. Les responsables de terrain des FHLB s’étaient épanouis sous l’influence des nouveaux venus. Ce n’était pas Danny Wall, ce politicien mineur sans aucune expérience de la supervision, qui pouvait les amener à la répudier.

Dans le même ordre d’idées, Wall se heurtait à un autre pro-blème : les plus hauts responsables qui avaient quitté l’OCC pour le Bank Board, Selby et Patriarca, étaient beaucoup plus prestigieux et compétents que lui. Selby avait occupé pratiquement tous les postes les plus élevés au sein de l’OCC, y compris celui du direc-teur. Patriarca en était le Wunderkind, l’enfant prodige. Sa carrière avait été une incroyable ascension du plus modeste des postes de juriste du service de mise en application du droit au poste le plus difficile et prestigieux : chef du groupe multinational supervisant

l’un et l’autre pensaient que le problème était l’État. Cette idée prédis-posait Wall à croire les plaintes de la profession au sujet de l’agressivité des régulateurs. Puisque Wall et ses collaborateurs voyaient Gray et ses adjoints comme l’ennemi et les estimaient haineux, ils croyaient aux assertions des patrons-escrocs sur les fonctionnaires de terrain agres-sifs. La seule compétence des patrons-escrocs, c’est la manipulation.

S’il s’avérait par malheur qu’ils étaient nombreux, Wall et ses lieute-nants feraient figure d’agneaux menés à l’abattoir. Comme ceux de Pratt, les efforts de Wall pour déréglementer et mettre en place une comptabilité créative amélioraient l’environnement pour les patrons fraudeurs et affaiblissaient la capacité du Bank Board à les combattre.

Les initiatives de Wall exposaient le pays et sa réputation à deux autres risques. Il avait affaibli la supervision en démettant de ses fonc-tions le meilleur contrôleur financier du pays (Selby), dans la région qui avait le plus besoin d’une supervision solide, et en confiant le poste à Barclay. Se passer de ce talentueux superviseur était déjà dra-matique en soi, mais Wall a considérablement aggravé les choses en faisant clairement comprendre à tout le monde qu’il l’avait fait pour apaiser la colère du speaker Wright. Le message adressé aux supervi-seurs était clair : ne contrariez pas les sommités politiques. Si Selby et Patriarca avaient raison, si les patrons-escrocs étaient nombreux et bénéficiaient de ces appuis politiques, c’était le pire message que Wall pouvait répandre. S’il réussissait à l’envoyer aussi au personnel de la FHLBSF, la victoire des patrons-escrocs serait totale et le coût pour les contribuables serait considérablement plus élevé.

Ce serait une défaite personnelle pour Wall s’il ne parvenait pas à changer la culture de la FHLBSF et s’il se trompait sur l’agressi-vité qu’il lui prêtait et sur l’importance des escrocs. A contrario, si la FHLBSF agissait avec intégrité et professionnalisme, et si son diagnos-tic était le bon, Wall allait devoir bloquer des prises de contrôle et des mesures répressives fondées sur les faits et bien argumentées. La FHLBSF était en pointe, au niveau national, en matière de fermeture des caisses en faillite et notamment de celles dirigées par des escrocs.

Elle avait recommandé 35 fermetures. Le Bank Board l’avait suivie à chaque fois et n’avait jamais perdu un procès (U.S. House Banking Committee 1989, 5, p. 159). Tous les rapports de recommandation passaient par mon bureau pour examen quand j’étais le directeur du contentieux du Bank Board. Ceux de l’agence de San Francisco étaient, de loin, les mieux documentés de tous les districts.

Charles Keating. Stewart en était arrivée à la conclusion que Gray voulait sanctionner Keating pour son hostilité à la reréglemen-tation. Elle a été la seule directrice de bureau nommée par Gray (à un poste non administratif) que Wall a laissée à la tête d’un service. Elle a beaucoup contribué à renforcer l’opinion de Wall et de Martin selon laquelle Gray, Selby, Patriarca et moi étions le problème, et Keating était la solution.

De leur point de vue, Wall et Martin avaient hérité d’une autorité de réglementation dangereusement pervertie. Si leur projet avait été de réglementer de façon sévère mais juste, avoir deux bureaux de terrain clés sous le contrôle de chefs vindicatifs aurait été un problème presque insurmontable, car le Bank Board ne peut agir qu’à travers les institutions de terrain. Mais, puisque Wall et Martin croyaient que la bonne réponse était de mettre fin à toute sévérité, ils avaient une chance réelle de succès. Le Bank Board pouvait inter-dire à ses bureaux de terrain toute action offensive. Le seul change-ment crucial nécessaire au siège central était d’éliminer le contrôle de Robertson sur l’ORPOS. Wall l’a fait en nommant Dochow direc-teur général de l’ORPOS.

Le terrain ne pouvait prendre aucune mesure répressive ni fermer aucune caisse sans l’aval du Bank Board. La démission de Green de son poste de président de la FHLB-Dallas a permis à Wall de chasser Selby et de changer radicalement la culture de régulation dans ce district le plus important de la FSLIC. Si Cirona démissionnait de son poste de président de la FHLBSF, Wall pourrait répéter l’opération dans le second district par ordre d’importance. Et il avait les moyens de rendre la vie assez insupportable à Cirona pour le pousser à la démission.

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