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enseignants pour cerner le problème

2.2 Que ressort-il de cette première investigation ? investigation ?

2.2.2 Un point de vue flottant sur la compréhension des élèves

2.2.2.1 Une observation difficile

Lorsque l’on questionne les enseignants sur leur observation des élèves, les stratégies qu’ils mettent en œuvre, les procédures qu’ils mobilisent ainsi que leurs processus de compréhension lors des séances qui y sont consacrées, certains reconnaissent ne pas les observer ou avoir des difficultés à le faire. Ainsi un enseignant commente : « je ne fais pas

toujours ça avec la compréhension de textes, je fais plus ça avec les mathématiques, j’essaie

de voir comment ils procèdent, parce que c’est plus mon truc, mais par rapport à la compréhension de textes, je ne fais pas d’observation, non357». Une autre enseignante ajoute : « Oh, alors là, j’ai du mal… Très souvent je suis bloquée. Et puis surtout en fait j’ai un groupe

très agité alors je suis souvent dans « gérer le groupe », faire en sorte qu’ils se posent un peu. Voilà pour l’instant je n’arrive pas à saisir leurs procédures de travail358. » D’autres en revanche, le font de façon très précise et méthodique telle une enseignante qui explique « moi,

j’essaie de les observer. Généralement on fait ça le matin, ils sont tous occupés. (…) moi ça me permet de remplir le cahier d’appel et tout ça, donc je suis au bureau et je les regarde. ».

Les observations effectivement effectuées sont toutefois incomplètes car elles concernent essentiellement l’attitude des élèves face à la tâche, non les stratégies qu’ils mobilisent ni leurs processus de compréhension. Une autre enseignante recoupe ses observations avec celles de l’accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) : « on croise nos regards avec

l’AVS. Comme il y a peu d’élèves, on voit vite ce qui peut bloquer. Parfois j’ai un doute, alors je prépare un exercice précis sur un point donné et je le fais faire à l’élève. Ensuite pour ne

pas rester sur quelque chose de subjectif je fais un exercice similaire qu’il fait avec l’AVS et

généralement en croisant les regards on arrive à être vraiment précises sur la difficulté359. » Une deuxième enseignante évoque l’utilisation de l’entretien d’explicitation360 pour connaître les processus des élèves et une troisième pose des questions aux élèves pour comprendre : « j’essaie, en les questionnant, d’analyser ce qu’ils font mais ce n’est pas facile.

357 Annexes B6

358 Annexes B 14

359 Annexes B4

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En tout cas, je prends beaucoup de temps, enfin je prends beaucoup de temps… je prends du

temps pour le faire361 ».

Cependant, malgré ces observations plus ou moins effectives, tous parlent des élèves et de la façon dont ils s’y prennent pour comprendre. Ainsi d’un point de vue métacognitif tout d’abord, et selon les enseignants, les élèves ont une représentation erronée de la tâche à effectuer, ne peuvent pas toujours dire s’ils ont compris ou non et n’ont pas conscience de ce qu’il faut faire pour comprendre.

Dans tous les dispositifs, une confusion semble s’être instaurée chez les élèves pour lesquels la lecture correspondrait uniquement au décodage et non à la compréhension. Ainsi, une enseignante remarque « ils lisent pour lire362 », et une autre « oui, pour eux, lire c’est

déchiffrer, mais pas forcément comprendre363 », une troisième encore « quand eux ils lisent, ils sont sur « je lis » voilà, « je lis les mots », ce n’est pas « je lis une histoire pour comprendre

l’histoire », non ils n’en sont pas encore là, sauf si on leur dit avant, sur deux lignes, tu lis ça et après tu vas avoir un travail à faire sur ça364». Les élèves ne semblent pas donc pas avoir une représentation correcte de la tâche à effectuer et ne s’inscrivent dès lors pas dans un projet de lecture car « ils n’ont pas conscience qu’il faut chercher à comprendre365. »

Les enseignants voient d’emblée si les élèves comprennent car, selon eux, un « déclic » a lieu chez l’élève, déclic qui se perçoit physiquement. « Ils le formulent pas oralement, mais on voit bien chez un élève quand il a compris, à son regard, à sa manière de réagir…366 » dit un enseignant, et une autre précise : « ça, quand ils ont compris, ça se voit dans leurs yeux. Il y a

un truc qui se passe. Quand ils n’ont pas compris, en fait, j’ai l’impression qu’ils sont dans un état habituel. Les choses se passent, ça glisse, « bon, ben, comme d’habitude, on va pas comprendre, et puis en fait on n’a jamais compris qu’on n’avait pas compris ». Mais par contre

quand ils saisissent, c’est vraiment… ça met en lumière quelque chose, que ça leur rappelle quelque chose et bien ça les anime et ça se voit dans leurs yeux. Par contre, ils ne sont pas capables de verbaliser. « Ouah », ils sont dans l’impulsion du « ouah, j’ai compris » mais après ils ne sont pas capables de verbaliser que oui, ça les fait penser à ça, et à ça, et à ça…

361 Annexes B12 362 Annexes, B5 363 Annexes B4 364 Annexes, B1 365 Annexes B10 366 Annexes B6

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que c’est pour ça qu’ils ont compris367. » Les élèves ne parviennent pas à verbaliser leur compréhension qui d’après des enseignantes est relativement intuitive : « souvent ils ont la

réponse parce qu’ils ressentent les choses comme ça, mais ils ne savent pas forcément expliquer pourquoi368. », « c’estbeaucoup intuitif chez eux (…). Ils n’arrivent pas à dire trop

encore comment on fait pour comprendre369 ». Une enseignante explique alors cette situation : « je pense qu’ils ne savent pas l’exprimer, parce qu’ils n’ont pas les mots pour, et je ne suis pas persuadée qu’ils comprennent vraiment, pas ce qu’ils font, ce serait péjoratif, mais qu’ils

comprennent comment ils fonctionnent370».

Concrètement, lorsqu’ils sont en situation, les élèves sont volontiers dans le travail, actifs dans l’ensemble, à l’exception de ceux les plus en difficulté. D’un point de vue cognitif, la prise d’informations est complexe, et ne disposant pas de méthode, ils ont tendance à se disperser sans recourir à d’éventuelles procédures. Ils « se dispersent », « c’est très trèsbrouillon… certains, voilà on leur pose une question, ils… ils sont pas ordonnés en fait, il vont chercher un peu partout, au début, à la fin, au milieu… ils ont pas de méthode, pas du tout371… » « Quand tu leur demandes de répondre à une question… je sais pas s’ils sont vraiment actifs, mais ils savent bien que ça ne va pas arriver non plus par magie en regardant partout… (…).

Donc ils vont relire, lire, pas forcément au bon endroit (…). Ils ont pas de méthode, ils

cherchent partout372. » Les processus mis en œuvre sont cependant variables en fonction des élèves selon une enseignante, qui n’arrive pas réellement à les appréhender et se cache derrière leur variété : « ils ont un peu chacun à leur manière…373». Alors que pour des enseignantes, certains « restent coincés sur un mot374 » ou « une image375 », une enseignante établit une typologie en fonction des élèves « c’est difficile à observer la compréhension, de savoir

comment ils fonctionnent, c’est difficile. Certains vont prendre des mots par-ci par-là et

essayer de se construire quelque chose comme ça, sans… Il y en a certains qui passent par la représentation mentale, ils essaient de s’imaginer ce qui se passe, moi c’est ce que je dirais

c’est ce que je voulais qu’on essaie de faire, de se faire un film dans sa tête, et puis il y en a,

367 Annexes B14 368 Annexes B4 369 Annexes B7 370 Annexes B12 371 Annexes, B1 372 Annexes B11 373 Annexes B4 374 Annexes B8 375 Annexes B13 et B9

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ils ont beau avoir les mots, ils ont beau avoir tout ça et bien il ne se passe rien, ils n’arrivent

pas à faire de lien entre les mots376». Une autre enseignante donne à comprendre un cheminement de compréhension des élèves : « c’est une espèce de chaîne de compréhension

du texte, ils ont compris en fait la trame générale du texte, de quoi on parle, d’où ça se passe, qu’est-ce qu’on nous raconte, qu’est-ce qu’on nous apprend… voilà, il y a quelque chose de

général qui se passe. Après ils arrivent aussi à se repérer dans les différents types de documents

qu’on peut leur proposer, entre les différentes parties, où on va trouver la réponse… C’est

après avoir compris la globalité, c’est comme si… quand ils comprennent, j’ai l’impression, c’est comme si nous on nous met dans une usine et que subitement on a compris le plan général et qu’après on est capable d’aller dans les quartiers, d’aller dans la rue, et on est capable de trouver la maison.377 ». Ainsi l’accès aux processus cognitifs mis en œuvre est difficile, mais certaines enseignantes parviennent à y accéder ou tout du moins ont le sentiment de le faire, peut-être s’agit-il d’hypothèses, mais cela n’est pas formulé ainsi.

Sur le plan affectif, chez certains la compréhension est marquée par une difficulté à se décentrer378, « ils racontent leurs histoires à eux », dit une enseignante qui ajoute : « une fois Élodie, elle me dit : « mais celui qui l’a écrit, il me connaît ? –Non, mais par contre tu n’es pas la seule à avoir vécu cela, c’est un « on » général…» Il y a tout ça qui part… un certain égocentrisme, oui, sur leur histoire en fait…379 ». Leur compréhension peut être marquée par leur vécu, leur histoire et constituer ainsi un filtre au travers duquel ils construisent leur compréhension du texte étudié. Par ailleurs leur motivation, tout comme leur activité, s’accroît en fonction de leurs réussites selon une enseignante : « ils ont envie de chercher parce qu’ils y

arrivent380 », « et puis d’autres, il n’y a rien du tout. Ils ont pas envie, ça leur coûte un effort

très important381». On remarque donc une sorte de cercle vicieux ou vertueux selon le parti pris. Plus l’élève réussit, plus il est motivé et agit, en revanche, plus il connaît l’échec et plus il est démobilisé et passif devant la tâche, comme le signifie une enseignante « je sais que Sebti,

et Léa, c’est beaucoup : « j’y arrive pas, j’sais pas faire », avant même d’essayer382

376 Annexes B7 377 Annexes B12 378 Annexes B13 379 Annexes B9 380 Annexes B14 381 Annexes B7 382 Annexes B5

155 Cependant, l’affect des enfants semble être essentiellement perçu par les enseignants dans leur rapport à la tâche à effectuer ; le domaine travaillé ne semble pas en être la cause, mais davantage la modalité de travail proposé. Les élèves laissent paraître une certaine peur devant la tâche, mais cela n’est pas forcément lié à la compréhension mais davantage au fait de travailler seul. L’élève se décourage s’il est seul : « on a un élève qui peut lire très très bien mais déjà il va se décourager dès qu’il va voir un texte un peu trop long, il va pas se sentir en

confiance et tout, alors que s’il est avec l’adulte, il va le faire. Il faut qu’il prenne confiance

quoi, confiance en lui, confiance en ce qui se passe autour de lui aussi. Et puis la part affective,

on va la trouver dans tout ce qui est dans le manque de confiance. (…) Aller dans quelque chose où il n’y a pas d’automatisme, c’est une prise de risque383. » Cette peur se traduit alors par un évitement de la tâche « il y en a s’il n’y a pas l’adulte à côté d’eux, ils ne vont pas

travailler ou quasiment pas 384». Le recours à l’adulte est très important pour ces élèves pour éviter d’affronter la tâche seul et être ainsi sécurisé : «et puis il y a cette dimension affective… j’en ai qui me sollicite… il me vampirise… et donc ce n’est pas forcément me dire qu’il n’a pas

compris mais me dire : « c’est bien ça ? » il va tout le temps me montrer… il écrit un mot, il faut que je vienne voir…385». Pour les enseignants, il s’agit d’une caractéristique des élèves d’ULIS, quel que soit le domaine étudié. Ainsi « ils recourent à l’adulte à chaque fois, c’est

aussi parce que… il faut voir que les enfants qui arrivent en ULIS, ils ont quand même été en

échec durant quasi toute leur scolarité et du coup ils ont une telle angoisse face à la tâche

scolaire qu’ils ont recours à l’adulte comme une bouée de sauvetage386», « de toute façon on a des élèves en souffrance387» résume une autre en évoquant leur confiance en soi face à la demande scolaire.

Selon les enseignants, les élèves n’ont pas recours à des méthodes, mais n’en disposent pas non plus, et leurs processus personnels variés mais peu efficaces dépendent d’un rapport affectif difficile au savoir. Si tout ceci peut gêner voire empêcher la construction d’une compréhension correcte des textes, les enseignants identifient cependant d’autres obstacles à cette compréhension par les élèves d’ULIS.

383 Annexes B7 384 Annexes B1 385 Annexes B3 386 Annexes B14 387 Annexes B4

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