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Quels effets des pratiques d’enseignement sur la compréhension des élèves ? sur la compréhension des élèves ?

3 Première analyse : que révèlent ces deux phases ?

3.1. Quels effets des pratiques d’enseignement sur la compréhension des élèves ? sur la compréhension des élèves ?

A la suite des différentes lectures et analyses des entretiens effectués, qu’ils soient individuels ou collectifs, auprès des élèves et des enseignants, un point se dégage de façon saillante : le savoir est méconnu, négligé voire oublié lors des séances d’enseignement de la compréhension des textes narratifs et cela à plusieurs niveaux. Cette absence du savoir dans certaines situations et sa définition incertaine dans d’autres, engendrent des effets dont l’élève pâtit doublement, dans ses apprentissages tout d’abord, mais aussi dans le regard que l’enseignant porte sur ses capacités.

En amont de la séance d’enseignement tout d’abord, les connaissances des enseignants sont lacunaires voire inexistantes concernant la didactique de la compréhension. Elles reposent,

527 TREMBLAY, R-B (1974). « L’activité d’investigation scientifique », in Le groupe optimal, Montréal, Éditions du CIM, Cahier III, p. 15-23. p 19. Cité par GOYETTE, G. LESSARD HEBERT, M. (1987). Op. cit. p40.

182 quand elles existent, ce qui est peu fréquent, sur des références théoriques rares et peu approfondies ou des souvenirs de formation évanescents.

Les enseignants disposent éventuellement de la connaissance d’une typologie de questions/réponses pour interroger un texte faisant appel à trois registres de compréhension que sont la compréhension globale, la compréhension littérale ou la compréhension inférentielle mais ne connaissent ni les processus que le lecteur doit mettre en œuvre pour comprendre, ni les stratégies à enseigner, ni le registre métacognitif à solliciter pour permettre aux élèves de prendre conscience de cette compréhension et des processus qui ont contribué à sa construction.

Leur conception de la compréhension de texte narratif est souvent erronée. Celle-ci n’est en effet perçue que comme un résultat dont il s’agit de vérifier la présence et non pas comme un processus qu’il s’agirait de construire chez et avec l’élève. L’élève a compris ou n’a pas compris à l’issue de la lecture du texte, les enseignants lui expliquent éventuellement ce qu’il fallait comprendre mais ne perçoivent pas le besoin et encore moins la nécessité de permettre à l’élève d’élaborer ce processus et donc de l’outiller pour cela. Ne disposant pas de connaissances précises sur ce concept complexe, fruit de nombreuses interactions entre tous les attributs qui le composent, ils en ont une vision linéaire et par étape mais n’organisent pas pour autant l’apprentissage de l’enfant selon une progression clairement définie. Il ressort effectivement des différents entretiens qu’il s’agit pour l’élève d’apprendre tout d’abord à décoder avant d’envisager d’aborder la compréhension. Celle-ci est d’ailleurs perçue comme fortement liée à la lecture si bien que pour certains enseignants, ne pas pouvoir répondre à des questions sur un texte en l’ayant lu soi-même est révélateur d’une compréhension partielle et lacunaire un peu comme si la difficulté de lecture en mathématiques permettait de conclure que l’enfant n’avait pas de compétences mathématiques. Ils ne distinguent pas deux compétences différentes et comme le précise Maryse Bianco, « l’activité de compréhension démarre à partir

du moment où les mots, entendus ou imprimés, sont identifiés et leurs significations activées dans notre mémoire lexicale528 ». Comprendre ne demande pas de savoir lire, comprendre demande de savoir interpréter les mots entendus ou lus. Lire le texte à un élève lui permettrait d’accéder aux mots et d’exercer sa compréhension, tout comme lui lire l’énoncé d’un problème mathématique lui permet de tenter de le résoudre en mettant en œuvre ses compétences mathématiques. Cette conception erronée de la place de la lecture par rapport à la

183 compréhension génère chez les élèves la même erreur puisque pour eux lire correspond à décoder mais pas à comprendre.

De la même façon, les enseignants ne pensent pas à observer les élèves, leurs procédures, ni les questionner sur les processus mobilisés alors qu’ils le font dans d’autres matières.

« Je fais plus ça avec les mathématiques, j’essaie de voir comment ils procèdent parce que c’est plus mon truc mais par rapport à la compréhension de textes, je ne fais pas d’observation, non.529 »

On le voit ici, la conception de la compréhension de texte n’est pas envisagée par les enseignants comme les autres disciplines scolaires à enseigner et ne fait pas l’objet de progression. Plus encore, elle n’est pas perçue comme une discipline à part entière, mais correspond à un petit supplément d’âme lors des séances de lecture-décodage comme le montre le fait qu’elle ne figure généralement pas sur l’emploi du temps de la classe alors qu’elle est, paradoxalement, perçue par les enseignants comme complexe et difficile chez les élèves. Par conséquence directe le savoir à enseigner n’est pas au cœur des pratiques pédagogiques. Si celles-ci sont relativement uniformisées entre les différents dispositifs où il s’agit le plus souvent, en trois groupes établis en fonction des compétences de lecteur-décodeur, de répondre à des questions posées sur un texte, elles ne permettent pas à l’élève de construire une compréhension dans la mesure où elles n’envisagent aucun objectif d’apprentissage. Il s’agit de faire mais pas d’apprendre, l’élève s’entraîne à comprendre, sans que le sens de l’apprentissage ne soit explicite et sans qu’un objectif ne soit clairement défini. On vérifie ici sa compréhension, on ne l’enseigne pas. Cette pratique est cependant conforme aux programmes de l’éducation nationale tels qu’ils étaient écrits de 2008 à 2015 période durant laquelle a été menée notre recherche. L’absence de trace écrite correspondant à un apprentissage, tout comme l’absence d’affichage, sont les reflets de ce défaut d’apprentissage. Les traces écrites, quand elles existent, ne sont qu’un archivage des textes étudiés assortis des questions posées.

Ainsi, à la question « qu’a-t-on appris ? », que peut répondre l’élève si l’enseignant lui-même ne l’a pas défini ? Il s’agit ici d’une succession de temps de travail perçus comme des entraînements d’une compétence qui n’est pas identifiée. Quand l’apprentissage pourrait être défini et construit par l’utilisation de manuels ou de méthodes permettant d’enseigner la

184 compréhension de textes, ceux-ci sont modifiés, amputés pour les adapter aux élèves, au niveau de la classe, aux goûts personnels et aux habitudes de l’enseignant. Cette définition subjective des contenus, des supports et des modalités de travail pallie l’absence de connaissances objectives. L’enseignant choisit alors de travailler selon des modalités qui lui correspondent sans se préoccuper de leur pertinence didactique et pédagogique. Ainsi l’un préfère s‘inscrire dans une relation duelle avec les élèves, car avec lui, « le groupe, ça ne marche pas », ou d’utiliser les albums comme support parce que c’est ce qui lui convient ou encore d’effectuer des choix non pas selon des critères précis mais simplement en fonction de ses envies.

« Je choisis les textes, je me dis, « tiens, qu’est-ce que j’ai envie de travailler comme

album.530 »

Au cours de la séance toujours, l’absence de connaissance et de définition du savoir à enseigner est marquée dans le choix des étayages proposés. Ceux-ci en effet, ne sont pas établis en rapport avec la compétence à découvrir et acquérir ni selon les besoins des élèves dans cette acquisition, mais en fonction de critères totalement différents.

Ainsi les enseignants ont une conception erronée de la place de la connaissance du vocabulaire au sein des processus à mettre en œuvre pour comprendre un texte. Regardons-nous et expliquons-nous tous les mots d’un texte avant de le lire ? Avons-nous besoin de tous les connaître pour comprendre le texte ? Les enseignants abordent cependant les temps de compréhension par l’explication a priori des mots du texte jugés difficiles. Cette pratique ritualisée et commune à beaucoup, engendre alors des habitudes chez les élèves qui constituent davantage un obstacle qu’une rampe d’accès à la compréhension. L’élève dès la première lecture et avant même de s’engager réellement dans la tâche, s’arrête de lui-même sur le mot incompris et tente ni de contourner la difficulté ni à chercher à utiliser le contexte ou d’autres outils à sa disposition tels que le recours à la morphologie du mot (racine, affixe…). « Google images est notre ami531 » disent certains enseignants, mais si son utilisation est systématique avant même la recherche de compréhension, il peut être un ennemi à l’apprentissage.

Pour certains, l’étayage permet de s’assurer de la réussite des élèves ou encore de la gestion de la classe. Ainsi, on surligne dans le texte les passages au sein desquels la réponse à la question posée se trouve en éliminant toute recherche réelle et toute confrontation à une situation-problème qui permettrait de dégager un outil, une méthode de résolution.

530 Annexes B2.

185

« Je leur mets aux fluo, je leur dis : « ben voilà, ça sera dans ça, dans ces dix lignes-là,

tu trouveras la réponse… » Je les aide un peu comme ça…) Parce que j’ai un élève si

[il] ne trouve pas dans les dix minutes qui viennent, [il] envoie tout balader, du moins [il] ne fait plus. 532 »

Les élèves peuvent dès lors trouver rapidement la réponse sans manifester leur difficulté, et sans troubler l’ordre de la classe, mais ce n’est pas sans poser la question du sens de la tâche, pour nous, observateur, mais aussi et surtout pour l’élève. A quoi cela sert-il de répondre à des questions sur un texte ? Qu’est-ce que j’apprends alors que l’on me surligne les réponses ? L’étayage, quand il est lié au savoir, ne permet pas à l’élève de construire une compréhension, mais est une aide à la réussite puisque l’enseignant est omniprésent pour répondre au coup par coup aux obstacles rencontrés par l’élève qui se confronte au texte, pour lui rappeler ce qui a été vu précédemment, faire les liens entre les textes… Mais dire n’est pas enseigner et entendre n’est pas apprendre. Selon L.Vygotski, « les processus de développement des concepts ou des

significations de mots exige le développement de toute une série de fonctions (l’attention volontaire, la mémoire logique, l’abstraction, la comparaison et la distinction) et tous ces

processus psychiques très complexes ne peuvent être simplement appris et assimilés. C’est pourquoi sous l’angle théorique aucun doute n’est vraiment permis : la thèse selon laquelle

l’enfant acquiert dans le processus d’apprentissage scolaire les concepts tout prêts et les

assimile est totalement dénuée de fondement.

Et sous l’angle pratique également le caractère erroné de cette conception se manifeste à chaque pas. L’expérience pédagogique nous apprend, non moins que la recherche théorique,

que l’enseignement direct de concepts s’avère toujours pratiquement impossible et pédagogiquement sans profit. Le maître qui tente de suivre cette voie n’obtient habituellement rien d’autre qu’un vaine assimilation des mots, du pur verbalisme, simulant et imitant chez

l’enfant l’existence des concepts correspondants mais masquant en réalité le vide533. »

La conception de l’étayage ne prend pas en compte l’apprentissage des compétences permettant la compréhension des textes, elle ne permet pas aux élèves de construire leur apprentissage puisque la réponse est apportée par l’enseignant. Cette omniprésence de l’enseignant est un obstacle à la rencontre entre l’élève et le texte, à sa confrontation avec le savoir pour lui permettre de se construire des outils de pensée qu’il pourrait utiliser pour comprendre le texte

532 Annexes B11.

186 étudié et parvenir progressivement à l’autonomie face à un texte. « Parler de compétence, c’est

parler d’intelligence au sens le plus large, de l’intelligence opérative, du savoir comment plutôt que simplement du savoir que. La compétence suppose en effet l’action, la modification de l’environnement comme l’adaptation à cet environnement534. » Par la nature de ces interventions, l’enseignant représente ainsi un obstacle pour l’élève dans la construction de ses compétences de compréhension. Le concept d’étayage en lien avec celui de zone proximale de développement a été défini par Jérome Bruner comme « l'ensemble des interactions d'assistance de l'adulte permettant à l'enfant d'apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu'il ne savait pas résoudre au départ ». En effet, « l’intervention d’un tuteur (…) la plupart du temps (…) comprend une sorte de processus d’étayage qui rend l’enfant (…) capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou d’atteindre un but qui aurait été, sans cette assistance, au-delà de ses possibilités. Ce soutien consiste essentiellement pour l’adulte à prendre en main ceux des éléments de la tâche

qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent dans son domaine de compétence et de les mener

à terme. (…) Nous soutenons (…) que ce processus (…) peut, pour finir, produire un développement de la compétence de l’apprenti pour cette tâche à un rythme qui dépasse de beaucoup celui qu’il aurait atteint par ses efforts s’il était resté sans aide535. » L’étayage, tel qu’il est en revanche décliné par les enseignants au sein des situations didactiques ne permet pas à l’élève de développer une compétence dans la mesure où il n’y a pas confrontation de l’élève à une tâche complexe, ou l’intervention de l’adulte ne s’inscrit pas dans « supporter pour aider à la résolution » mais « donner les outils de résolution », ou encore l’étayage fourni surcharge cognitivement la situation au lieu de l’alléger et permettre à l’élève de se concentrer sur la ou les actions nécessaires à la compréhension et l’acquisition de la compétence visée.

Enfin, à l’issue de la séance, les enseignants constatent que les élèves ne transfèrent pas leurs connaissances et compétences, et certains ajoutent « parce qu’ils n’en sont pas capables. » Mais en l’absence d’apprentissage que pourrait-il transférer ? A quel moment leur a-t-on permis de construire des compétences et d’en prendre conscience pour les transférer ? Alors que les enseignants reconnaissent leurs difficultés pour concevoir l’enseignement de la

534 BRUNER, J. (1983/2012), Op.cit., p.255.

187 compréhension, ils n’interrogent cependant pas l’enseignement qu’ils proposent mais concluent un peu trop rapidement que les élèves ne peuvent pas faire de liens, ne peuvent pas travailler seuls et ne peuvent pas transférer dans une autre situation. Il est ainsi difficile de qualifier d’enseignement les séances consacrées à la compréhension de textes narratifs au sein des dispositifs spécialisés. Les enseignants remarquent alors que les élèves ne disposent pas de méthode pour comprendre, ne savent pas comment comprendre et ne peuvent opérer des transferts de compétences. Mais peut-on leur reprocher ? N’est-ce pas ici leur faire porter un fardeau qui n’est pas le leur ? Que pourraient-ils transférer alors que les séances proposées ne permettent de distinguer ni objectif ni contenu d’apprentissage. Est-ce leur mémoire qui est défaillante ou l’absence de connaissance et savoir-faire à mémoriser ? Comment faire des liens entre des éléments de savoir qui ont été verbalisés par l’enseignant, sans construction par l’élève et n’ont été ni structurés ni écrits ? Lorsque le savoir à enseigner est mal défini et mal maîtrisé par l’enseignant, comment les élèves pourraient-ils quant à eux le définir et le maîtriser ?

Les pratiques des enseignants ainsi que leurs discours reflètent, dans le cadre de l’enseignement de la compréhension de textes, une conception de l’enseignement qui ignore d’une part l’importance et la place de la connaissance didactique au sein des situations d’enseignement et les processus d’élaboration du savoir par l’élève d’autre part. Leur conception ignore la réalité des processus mentaux ; elle ignore en particulier, qu’une simple identification perceptive n’existe pas, qu’une information n’est identifiée que si elle est déjà, d’une certaine manière, saisie dans un projet d’utilisation, intégrée dans la dynamique du sujet et que c’est ce processus d’interaction entre l’identification et l’utilisation qui est générateur de signification,

c'est-à-dire de compréhension.Pour qu’il y ait apprentissage et compréhension, il y a nécessité d’une interaction entre l’identification d’une information et le projet d’utilisation de celle-ci :

« ils ne surviennent que par cette interaction, ils ne sont que cette interaction, c'est-à-dire création de sens.536 » Ici les élèves ne peuvent ni identifier l’information, ni être en projet d’utilisation de celle-ci. Le sens ne peut donc survenir.

188 L’absence de transfert est attribuée par l’enseignant aux capacités de l’élève. Le fait que l’élève présente des troubles cognitifs permet de lui attribuer des incapacités qui ne lui appartiennent certainement pas. S’il y a effectivement absence de transfert à l’issue des séances définies comme des séances d’enseignement de la compréhension par les enseignants, ce n’est pas inhérent au potentiel de l’élève, ou tout du moins nous ne pouvons pas le dire, dans la mesure où l’absence de connaissances didactiques solides concernant la compréhension et des pratiques pédagogiques mal définies n’ont pas envisagé et encore moins permis de construire un apprentissage et par conséquent son transfert. L’expertise de l’enseignant est donc fragile et aboutit à l’établissement d’un diagnostic sur l’élève et ses capacités, mais ce diagnostic se trompe d’objet puisqu’il semble davantage ici que ce soit le savoir qui soit déficient et l’enseignement troublé plutôt que les fonctions cognitives des élèves.

Quand le savoir n’est pas premier dans l’élaboration des situations d’enseignement, il apparaît que les conceptions personnelles des enseignants s’invitent à sa place. Nous avons vu ici qu’il en résultait une définition des troubles et des capacités des élèves. Nous allons dès à présent focaliser notre regard sur la place des troubles quant à la conception de la situation didactique.

3.2 Quelles conséquences d’une prise en compte

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