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L’École doit avoir pour but d’enseigner à vivre selon Edgar Morin128 et pour cela il s’agit notamment d’enseigner selon lui, la compréhension intellectuelle et humaine. Mais alors comment créer l’apprentissage ? Comment permettre effectivement à l’élève de s’approprier un savoir, c'est-à-dire de le comprendre et de pouvoir l’utiliser ensuite dans les situations qui le nécessiteront ? Quelles sont les conditions à respecter par l’enseignant pour créer cet apprentissage et permettre la compréhension de l’élève ?

Nous verrons dans un premier temps ce que veut dire comprendre avant de porter notre attention sur les travaux de Britt-Mari Barth qui propose un changement de regard concernant le savoir, les élèves et les situations d’apprentissage.

2.1 Une condition : enseigner pour apprendre et

comprendre

Avant de nous questionner sur la façon de construire un enseignement, il apparaît fondamental de définir le verbe apprendre : de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce qu’apprendre ? À cette question Olivier Reboul répond en observant ce verbe dans trois configurations syntaxiques

126GIORDAN, A. Enseigner n’est pas apprendre in L’Enseignant EL, n°61. 3 février 1996. http://www.ldes.unige.ch/publi/vulg/enseignerPasApprendre.pdf [consulté le 15/01/2015].

127 La taxonomie de Benjamin Bloom (1956) classe les objectifs d'apprentissage du domaine cognitif en six niveaux allant du plus simple (le bas de la pyramide), au plus complexe (le haut de la pyramide) (Connaissance /Compréhension / Application / Analyse /Synthèse/ Evaluation).

67 différentes qui énoncent trois significations hiérarchisées les unes par rapport aux autres. Il récapitule son analyse sous la forme du tableau synthétique suivant :

Substantifs

Verbe d’action de résultats

Apprendre que Information Renseignement

Apprendre à Apprentissage Savoir-faire

Apprendre Étude Compréhension

« Si l’on se borne au sens scolaire : « apprendre à l’école », le substantif correspondant est

l’étude. Par exemple on dira «l’apprentissage d’une langue », mais « l’étude de la

linguistique » : car le but de la seconde est la compréhension. En somme, à chaque fois que le verbe « apprendre » est employé comme intransitif, il désigne une activité dont le résultat est le faire de comprendre quelque chose129 ».

Ainsi, l’étude, qui nous intéresse plus particulièrement dans notre recherche correspond à la dernière manière d’apprendre et, si elle peut intégrer les deux premières, elle ne s’y réduit pas. Avançons davantage encore en cherchant à définir cette compréhension ainsi que les particularités de l’étude elle-même de façon à percevoir les conséquences sur les caractéristiques de l’enseignement qu’il conviendrait de dispenser pour permettre aux élèves d’apprendre et donc, de comprendre.

Pour définir la compréhension, si l’on se réfère aux définitions données par le dictionnaire Le Petit Robert (2015) trois sens dominants se côtoient. Comprendre signifie « embrasser dans un ensemble, faire entrer dans un tout, une catégorie ». Ainsi, la compréhension se réalise par l’intégration de chaque élément abordé à une catégorie, à un ensemble, à une structure auxquels il s’articule, pour former une entité. Mais comprendre c’est aussi « appréhender par la connaissance : être capable de faire correspondre à quelque chose une idée claire (…),

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percevoir le sens d’un message, d’un système de signes». Il s’agit ainsi d’un acte, d’un processus intellectuel puisque c’est également par la connaissance, et pas uniquement l’émotion ou l’expérience, que l’on attribue de la signification à quelque chose. Le troisième sens du verbe comprendre complète les deux premiers dans la mesure où il indique que c’est « se faire une idée claire des causes, des motifs, de l’enchaînement logique de quelque chose ».

Si l’étymologie du mot comprendre renvoie au verbe latin cumprehendere, composé de cum, avec et de prehendere, prendre, saisir, il ne s’agit pas pour autant de seulement prendre une information et la stocker, ce qui correspondrait à « apprendre que». Comprendre c’est saisir par la pensée, embrasser par l’intelligence. La compréhension ne correspond pas à une simple juxtaposition de connaissances mais bien à la recherche d’un certain sens nécessaire pour conférer à celles-ci une signification. C’est le « bon sens » cartésien, la raison, la logique, qui mène des causes aux effets. Selon E. Kant, tout acte intellectuel consiste à relier. La propriété même de l’entendement est de tisser des liens qui permettent de penser rationnellement et de porter des jugements. Mais il va plus loin et affirme que la fonction d’intellection consiste, au-delà même de l’unification des effets et des causes,

« à ramener nos représentations à l’unité, en substituant à une représentation immédiate, une représentation plus élevée qui contient la première avec beaucoup d’autres et qui sert à la connaissance de l’objet, de sorte que beaucoup de connaissances possibles se trouvent réunies en une seule130. »

Il ne suffit pas, pour comprendre, d’absorber telle une éponge, les connaissances, les saisir, les mémoriser ; même avec une explication, on ne comprend pas toujours. Comprendre nécessite de reconstruire la connaissance en son esprit, de la faire sienne, comme si on l’avait inventée. Selon J. Piaget, il faut réinventer pour comprendre :

« Les fonctions essentielles de l’intelligence consistent à comprendre et à inventer,

autrement dit à construire des structures en structurant le réel. Il apparaît, en effet, de plus en plus que ces deux fonctions sont indissociables puisque, pour comprendre un phénomène ou un événement, il faut reconstituer les transformations dont ils sont la résultante et que, pour les reconstituer, il faut avoir élaboré une structure de transformations, ce qui suppose une part

d’invention ou de réinvention131.

Mais elle est à distinguer de la réussite car :

130 KANT, E. (1791/2012) Critique de la raison pure. 8ème édition. Paris. PUF. p 87-88.

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« Réussir, c’est comprendre en action une situation donnée à un degré suffisant pour

atteindre les buts proposés, et comprendre c’est dominer en pensée les mêmes situations jusqu’à pouvoir résoudre les problèmes qu’elles posent quant au pourquoi et au comment des liaisons constatées et par ailleurs utilisées dans l’action132. » Ainsi, « comprendre consiste à

dégager la raison des choses, tandis que réussir ne revient qu’à les utiliser avec succès.133» La compréhension est donc un concept protéiforme qui selon M. Fayol et D. Goanac’h134, constitue une dimension transversale de la cognition dans la mesure où «elle s’applique aussi bien à l’interprétation des discours, ceux issus des interactions quotidiennes, ceux émis par la radio ou à la télévision, qu’à celles des scènes et événements réels ou représentés sous forme d’images.» Elle est relativement autonome par rapport aux différents médias, et quel que soit le support utilisé, les performances sont étroitement corrélées dans cette activité.

Ainsi, selon Olivier Reboul, apprendre correspond à l’étude d’un savoir pur qu’il s’agit de « connaître par les causes, de comprendre135 ». Le savoir étant « à lui-même son propre but136», l’étude correspond à une activité libre et désintéressée, caractérisée par la réversibilité du raisonnement car « comprendre, (…) c’est pouvoir remonter de l’après à l’avant, de l’effet à la cause, du « que » au « parce que »137. » Le langage permet de rendre compte de sa compréhension dans ses propres termes, de l’expliquer et de l’appliquer. Et surtout, poursuit-il, « l’enseignement compris est celui qui provoque l’élève à un dialogue avec lui-même, qui

l’amène à réfléchir, c'est-à-dire à penser sa propre pensée138. »

La compréhension est ainsi non seulement le résultat d’une activité, c'est-à-dire un modèle mental, une image, une représentation, mais aussi un processus dynamique qui permet de réussir cette activité en en comprenant le pourquoi et le comment, en mettant en lien les causes et les effets, en pensant et en agissant avec flexibilité sur et avec ce que l’on sait. Pour M. Develay trois principes fondateurs caractérisent les apprentissages scolaires :

- apprendre, c’est trouver du sens dans une situation d’enseignement. (...) Pour

savoir, il faut avoir envie d’apprendre ;

132 PIAGET, J. (1974). La prise de conscience. Paris. Presses Universitaires de France, p 237.

133 Ibid. p 241-242.

134FAYOL, M. GOANAC’H, D. (2003). Aider les élèves à comprendre, du texte au multimédia. Paris. Hachette Education, p 5-6.

135 REBOUL, O. (1980). Op cit. p 83.

136 Ibid. p 83.

137 Ibid. p 85.

70 - apprendre, c’est maîtriser une habileté. Apprendre, c’est savoir, pouvoir faire ou

parvenir à être, cette maîtrise n’est assurée que si elle est transférable à de

nouvelles situations ;

- apprendre, c’est maîtriser une habileté apprendre, c’est créer des ponts cognitifs

entre des éléments de savoirs isolés.(…) Apprendre, c’est relier, non isoler, c’est

donc progressivement passer à une culture qui traduit la cohérence de ces liens, car « la culture donne forme à l’esprit139 »140. »

Si nous avons connaissance désormais de ce qui définit l’apprentissage, il s’agit dès lors de questionner l’enseignement. En tant que pédagogue, la question est de savoir comment construire et accompagner ce processus auprès des élèves ? À quelles conditions peut-on dire qu’il y a enseignement ?

En reprenant différentes situations et démarches pédagogiques, O. Reboul dégage les invariants de l’enseignement, c'est-à-dire les conditions sine qua non pour qu’il y ait effectivement enseignement. Selon lui, il doit y avoir intention de faire apprendre, et l’enseignant doit savoir à la fois ce qu’il enseigne et comment l’enseigner. Dans la mesure où faire apprendre se distingue de faire savoir, « enseigner est une activité qui suscite une activité141 », dont la fin est effectivement faire apprendre. Si le résultat peut ne pas être présent, le but est cependant nécessairement celui-ci. Ainsi,

« L’enseignement est une activité à long terme, qui se déroule dans une institution spécifique, confiée à des personnes compétentes, et dont le but exprès est de permettre aux

enseignés d’acquérir des savoir-faire et des savoirs organisés et transférables, en développant leur esprit critique142».

Pour que les élèves apprennent, et donc comprennent, ces conditions doivent être réunies. « Si l’on peut apprendre bien des choses et bien des choses essentielles hors de tout

enseignement, on ne peut apprendre à coup sûr que par un enseignement organisé pour apprendre, qui prépare à affronter les situations de la vie en les « simulant »143. »

139 BRUNER, J. Car la culture donne forme à l’esprit, Paris. ESHEL. 1992.

140 DEVELAY, M (1994). Op cit. p 25.

141 REBOUL, O. (1980). p 101.

142 Ibid. p 117.

71 Mais comment construire et organiser cet enseignement pour permettre aux élèves présentant des troubles cognitifs d’apprendre et donc de comprendre ? Comment savoir à la fois ce qu’il faut enseigner et comment l’enseigner en prenant en compte ces élèves et la particularité de leurs besoins, tant cognitifs qu’affectifs ?

2.2 Une exigence : mettre en œuvre une

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