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POSTULAT D’ÉDUCABILITÉ À UN ENSEIGNEMENT DE LA

1.4. Les dispositifs de scolarisation aujourd’hui Dans une logique de parcours à partir du projet de vie, la scolarisation des enfants en Dans une logique de parcours à partir du projet de vie, la scolarisation des enfants en

1.4.1. Pour quels enfants, pour quels élèves ?

Les textes législatifs évoqués précédemment concernant les modes de scolarisation à partir desquels s’effectuera notre recherche illustrent ce lent processus qui a permis le passage d’une approche défectologique à une approche sociale du handicap. La scolarisation pour tous est une volonté affirmée et la notion de besoins particuliers de l’élève en fonction de la situation et de l’environnement rencontrés tient une place prépondérante. Ce concept, introduit au cours des années 1990, relève de l’approche interactionniste du handicap, et permet ainsi de déplacer

49 l’attention sur le contexte et non plus sur l’individu et sa « déficience », son « trouble » ou son « déficit ». Il sollicite dès lors chez l’enseignant la nécessité de penser les interventions didactiques et pédagogiques en fonction des besoins de l’élève et de la tâche à accomplir. Dans la circulaire régissant les unités d’enseignement en établissement spécialisé sont cependant encore évoqués « les enfants déficients intellectuels » alors que la circulaire plus récente régissant les ULIS établit une nomenclature des dispositifs pour répondre aux besoins des élèves en situation de handicap en fonction non pas des situations rencontrées, mais des troubles qu’ils présentent. On perçoit au sein de l’Éducation Nationale un basculement progressif mais encore timide vers la notion d’élèves à besoins éducatifs particuliers. Il semble que le vocabulaire évolue plus vite que les réalités de terrain.

Ainsi, pour compléter ce premier aperçu, nous déplaçons notre regard de l’amont vers l’aval, des textes législatifs aux réalités de terrain pour nous intéresser au public effectivement accueilli dans ces trois dispositifs de scolarisation et ce, grâce aux rapports de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale. Dans chaque rapport, une comparaison effectuée entre le public accueilli en UE ou en ULIS collège et celui accueilli en CLIS79, conclut à une grande similitude de public. Par ailleurs, le rapport sur les CLIS daté de septembre 2011 et intitulé « Les classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) en 201080» permet de percevoir comment les enfants accueillis sont définis.

S’appuyant sur la visite de 33 CLIS1 situées dans 30 départements et 20 académies, ce rapport établit une première caractéristique, celle de la grande hétérogénéité des enfants concernés. Si les garçons sont nettement plus nombreux que les filles, « les profils des élèves sont très divers

(…) :

- un trait majoritaire (151 sur 235 situations recensées), les troubles des fonctions cognitives ; il est évoqué sous des termes divers : retard mental léger, déficience intellectuelle, trouble cognitif, etc. Mais, le degré de difficulté, la variété des contextes et les troubles associés de toute nature rendent cette catégorie très

composite (depuis le public traditionnel des classes de perfectionnement jusqu’à

des situations de polyhandicap) ;

79 Les rapports IGEN sont antérieurs au changement d’appellation de la CLIS en ULIS école, nous conservons ce vocable en convenant que le public concerné est le même.

80 Rapport n°2011-104. Les classes pour l’inclusion scolaire (CLIS) en 2010. Ministère de l’Éducation Nationale.

50 - les troubles autistiques et les troubles spécifiques des apprentissages

concerneraient respectivement 10 et 15% des élèves ;

- il est souvent fait référence à des problèmes de comportement, mais plus comme

élément d’un tableau qu’en tant que caractéristique d’un profil. Pendant les

moments de classe observés, des difficultés lourdes ont pu être relevées (refus de

toute activité, agression physique d’un élève par un autre, « explosion verbale », etc.) engendrant parfois des tensions fortes dans le groupe. Toutefois ces remarques

ne concernent qu’une très faible minorité des élèves.

Le point commun le plus caractéristique est sans doute le retard dans les acquisitions scolaire. Celui-ci est rappelé par tous les maîtres. Le niveau estimé par certains d’entre eux (172 élèves concernés) laisse apparaître un retard moyen d’environ trois ans en français comme en mathématiques.

Les tableaux ci-dessous fournissent une approche de cet écart : alors que l’âge moyen des

élèves les situe fin CM1, début CM2, leurs acquis estimés, dans les deux domaines correspondent à un niveau CP/CE1.

Distribution des niveaux estimés

PS MS GS CP CE1 CE2 CM1 CM2 Français 4% 4% 9% 28% 33% 19% 2%

Maths 4% 5% 9% 25% 37% 16% 5% Répartition en fonction de la classe d’âge

CP CE1 CE2 CM1 CM2 6ème 5ème

1% 7% 13% 23% 31% 23% 2%

Ces données, là encore, mettent en évidence la très grande hétérogénéité de la population scolarisée en CLIS : hétérogénéité des âges (de 6 à 12 ans), hétérogénéité des niveaux scolaires (de la petite section au CM1), hétérogénéité du retard lui-même (tableau ci-dessous). Les enseignants ont fréquemment à gérer dans la même classe des besoins d’apprentissage qui se réfèrent aux trois cycles de l’école primaire. »

51 Retard estimé en français et en mathématiques

Retard 0 1 an 2 ans 3 ans 4 ans 5 ans 6 ans Français 3% 3% 34% 33% 23% 3% 1%

Mathématiques 2% 4% 41% 30% 18% 5%

Ces différents documents renseignent à la fois sur les élèves accueillis au sein des différents dispositifs ainsi que sur la nature du regard que l’institution scolaire porte sur ces élèves. On s’étonne, alors que l’on s’inscrit au sein de l’« école inclusive » et de la scolarisation pour tous, de voir des rapports de l’Inspection générale de l’Education Nationale définir les élèves accueillis en reprenant une classification du handicap caractérisant les élèves par l’altération fonctionnelle qui les affecte ainsi que par un écart à la norme (définie par le niveau attendu au sein de leur classe d’âge). Qu’en est-il des besoins des élèves ? Qu’en est-il de ce qu’ils sont ? De ce qu’ils ont « en plus » ? La question a-t-elle été posée aux enseignants rencontrés ? Le changement conceptuel peut-il s’effectuer sur le terrain s’il n’est pas déjà présent dans les termes chez les inspecteurs ?

Sans reprendre ici l’historique de l’appellation de ces enfants, déjà énoncé précédemment, nous pouvons évoquer les propos de Monique Vial au sujet de cette constance dans le besoin de catégoriser la différence :

« (…) la catégorie des « anormaux » devient ensuite la catégorie officiellement

employée par le ministère de l’Instruction publique. Or, il s’agit d’une catégorie englobante, rassemblant sous un même vocable des personnes hétérogènes et les différenciant du commun

des mortels. Sourds, aveugles, infirmes, épileptiques, arriérés… sont réunis en un seul et

unique concept. Ainsi, ils sont identifiés, amalgamés les uns aux autres et exclus du lot commun

de ceux que l’on appelle « les normaux ». Il n’y aurait pas amalgame s’il ne s’agissait pas de discriminer, de stigmatiser comme négativement différent. Mais le terme d’anormal ne sert pas uniquement à qualifier, il n’indique pas seulement une caractéristique personnelle (comme par

exemple d’avoir les yeux bleus ou une carie dentaire), il définit la personne elle-même, il la définit socialement : c’est une sorte d’identité sociale qu’il lui confère, et par laquelle il la

sépare du reste des hommes. Ultérieurement, d’autres catégories, qui feront l’objet d’interminables controverses, remplaceront la catégorie « anormalité » : déficience, enfance

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déficiente, inadaptation, enfance inadaptée, handicap, enfants handicapés (…) ces catégories

conservent les mêmes traits que celle de l’anormalité : elles amalgament et elles séparent.

Elles amalgament parce qu’elles séparent. (…) C’est parce que les mots séparent et excluent qu’ils sont contestables81. »

Il ne s’agit plus aujourd’hui de séparer, mais bien de travailler en vue de la scolarisation de tous, en fonction des besoins de chacun. En s’appuyant sur la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, on ne se focalise plus sur la personne handicapée mais on déplace le regard sur le processus handicapant, le contexte social et environnemental dans lequel se manifeste la situation de handicap. Ce changement de paradigme constitue une avancée philosophique considérable puisqu’en décrivant les fonctionnalités de l’ensemble des êtres humains dans leur interaction avec leur environnement sous une forme neutre qui permet d’englober tout le monde, elle peut contribuer à un décloisonnement, une dé-ségrégation, une dés-insularisation82 des personnes en situation de handicap. Il revient souvent à l’École d’amorcer les changements. Ceux-ci énoncés progressivement d’un point de vue législatif, ne sont pas encore totalement opérants au sein de l’institution scolaire. Le vocabulaire utilisé ici par les inspecteurs illustre ce balancement entre la notion de besoin et celle, censée avoir vécue, de déficience. Si le basculement s’est effectué dans certains départements, certaines écoles, cela reste très hétérogène à l’échelle nationale. Quand il s’agit d’expliquer à tout un chacun son travail et le public auquel il s’adresse, combien de fois l’enseignant spécialisé, après avoir évoqué la notion de « troubles des fonctions cognitives » et parlé d’adaptation aux besoins des élèves, ne se voit-il pas capituler pour être compris, en disant en substance qu’il accueille des élèves présentant une déficience intellectuelle, des troubles du comportement ou différents syndromes ou pathologies ? Cependant, s’il évoque l’élève trisomique, autiste, déficient intellectuel…, pour suggérer une image du groupe d’enfants auquel il s’adresse quotidiennement, et parfois aussi valoriser son action, l’enseignant sait qu’en disant cela il n’a rien dit ; son quotidien de pédagogue n’est pas celui-ci. Une fois la porte de la salle de classe fermée, avec ses élèves, il s’agit pour lui de les observer face à la tâche, de les écouter échanger entre eux, de les regarder agir. Il s’agit de rencontrer réellement ces « enfants à la pensée

81 VIAL, M. (1999). Penser et agir l’intégration in GARDOU, C. (1999). Connaître le handicap, reconnaître la personne. Toulouse. erès, p131.

53 troublée83 », ceux-ci, bien présents face à lui et non ceux décrit de façon abstraite sous le vocable de « déficient intellectuel », « trisomique », « autiste » …

Un mot ne résumera jamais une personne, et c’est à la personne que s’adresse le pédagogue, mû par l’inconditionnelle conviction de son éducabilité, quel que soit l’enfant, quel que soit l’élève. Ce qui se cache derrière le compte-rendu de l’hétérogénéité des profils des enfants accueillis au sein des ULIS et UE, c’est la diversité des manifestations de leur intelligence, leur variabilité selon les périodes de leur vie, leurs envies, leurs centres d’intérêt, leurs plaisirs et déplaisirs, leurs émotions … Et c’est cet ensemble que l’enseignant rencontre et prend en compte lors des situations d’enseignement, c’est aussi ce qui en fait la richesse.

« Vous dites qu’il faut connaître l’enfant pour l’instruire; ce n’est point vrai ; je dirais plutôt

qu’il faut l’instruire pour le connaître; car sa vraie nature c’est sa nature développée par l’étude des langues, des auteurs et des sciences. C’est en formant le chanteur que je saurai s'il

est musicien84 » rappelle le philosophe Alain. Que peut-on alors dire de la façon dont se conçoit l’enseignement au sein des dispositifs concernés par notre recherche ?

1.4.2. Qu’en est-il aujourd’hui du postulat d’éducabilité auprès

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