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2.2 Une exigence : mettre en œuvre une pédagogie de la compréhension pédagogie de la compréhension

2.2.1 Ses fondements

Selon Britt-Mari Barth, un des devoirs du pédagogue est de se poser continuellement ses trois questions pour faire « évoluer nos réponses et grâce à elles - nos pratiques :

Que veut dire comprendre ?

Quel sens pouvons-nous donner au savoir ?

Quelles sont les conditions qui favorisent la « transmission » du savoir ?149 » En s’inscrivant dans un cadre théorique transdisciplinaire, allant de la psychologie cognitive, à la biologie en passant par la philosophie, l’éthique, l’anthropologie ou encore la sociologie, elle répond à ces trois questions en s’appuyant sur l’idée fondatrice que l’homme est un être situé socialement, historiquement et culturellement.

Pour B-M Barth, il convient de s’interroger en tant que pédagogue sur le statut du savoir : s’agit-il de le transmettre et de s’assurer finalement de sa restitution par mémorisation, ou de le rendre opérationnel, c'est-à-dire de permettre son appropriation par l’élève dans le but de s’en servir ? Le transfert visé est placé en amont. Pour elle, comme pour les programmes scolaires désormais avec une approche par compétences, le savoir est à construire plus qu’à transmettre, et être pédagogue, c’est proposer des situations d’apprentissage qui permettent cette construction par l’élève ainsi qu’une réflexion sur la façon dont celle-ci s’est opérée. Il

148 Cette approche réunit trois dimensions que sont des outils méthodologiques, un cadre explicatif et des fondements théoriques interdisciplinaires permettant de se référer à un cadre théorique cohérent.

73 s’agitpour l’enseignant non pas de « couvrir le programme mais plutôt de le découvrir : ôter

ce qui couvre, laisser apparaître…150 » ainsi « l’enseignant devrait être autant un spécialiste de la transmission du savoir que du savoir lui-même151 ». Une approche métacognitive permet de prendre la pensée comme objet de notre pensée.

Le savoir

Travailler à la compréhension d’un savoir, chercher à en comprendre la transmission, c’est d’abord s’interroger sur la nature de ce savoir afin de mieux l’appréhender. S’opposant à une vision figée du savoir, sous la forme stimulus-réponse, B-MBarth le définit comme étant « à la fois structuré, évolutif, culturel, contextualisé et affectif152 », lui rendant ainsi son aspect dynamique. La façon de comprendre un savoir dépend en effet de la personne elle-même, de son histoire, de ses connaissances antérieures, de son rapport au savoir ainsi que de la culture à laquelle elle appartient. Ainsi, dans cette perspective, bien loin d’être simplement l’enregistrement passif d’une donnée extérieure, la compréhension est l’opération complexe par laquelle un élève, et plus généralement tout individu, à un moment précis de son devenir, assume pour lui-même et inscrit dans sa propre histoire ce qui lui est suggéré par la forme culturelle qu’il perçoit. La question est alors de savoir comment un élève peut s’approprier un savoir, c'est-à-dire le comprendre et l’intégrer dans sa structure cognitive. À l’école où l’élève doit acquérir un certain savoir, il s’agit pour le pédagogue de réfléchir à la définition de ce savoir, en fonction du niveau de scolarité et du transfert visé.

Dépassant différents modèles153 concevant les processus d’apprentissage, J. Bruner définit l’apprentissage non pas comme résultant d’une action par le sujet sur un objet, comme l’a défini Jean Piaget, mais comme le fruit des interactions entre les membres d’une même culture. Sans rejeter la théorie de J. Piaget, puisqu’il reconnaît également la nature constructive de l’apprentissage, J. Bruner, dans la lignée de L. Vygotski, conçoit l’apprentissage comme une transaction, un échange entre un membre de sa culture et lui-même. Il établit alors le concept d’attention conjointe en observant notamment la relation entre la mère et son bébé. La construction du savoir est un processus de « co-construction », qui prend la forme d’une

150 Ibid. p 115.

151 Ibid. p 21.

152 BARTH, B-M. (2004). Le savoir en construction. Paris. Retz, p 49.

153 Le modèle explicatif comportementaliste voit l’échange avec l’environnement comme une réponse « intérieure » à un stimulus extérieur. Le modèle explicatif cartésien voit en revanche la raison de l’apprenant comme étant à l’origine de l’apprentissage. Dans le modèle constructiviste de Piaget, le savoir prend son origine dans l’action du sujet avec l’objet.

74 « négociation du sens ». C’est ce « terrain commun » que recherche le pédagogue qui se fait alors médiateur entre l’apprenant et le savoir. Le processus de compréhension résulte d’un processus de négociation entre les apprenants qui, à partir de leurs subjectivités respectives, voient un sens partagé émerger des inférences et hypothèses effectuées.

Le langage joue un rôle essentiel dans ce processus. Alors que pour J. Piaget, il est un signe de la compréhension, chez J. Bruner s’il en est un également, il constitue surtout l’outil permettant de se libérer de l’image (mode iconique) ou de la perception immédiate (mode enactif), pour la transformer et en approfondir la compréhension. Ainsi,

«La langue, qui est sans doute l’outil culturel le plus important, est à la fois un moyen pour

donner du sens au vécu et un reflet de ce que nous avons appris : il produit ce qui le constitue154. »

La compréhension se développe grâce au langage par changement de mode de représentation d’une chose chez l’apprenant, par « changement conceptuel » car « c’est quand un concept change de sens qu’il a le plus de sens, c’est alors qu’il est en toute vérité un événement de conceptualisation » selon G. Bachelard155.

• Comprendre, un processus

« Apprendre revêt le sens de comprendre, c'est-à-dire donner du sens. Pour accéder au sens, les mots ne suffisent pas toujours ; le mot n’est pas le sens156 » et le processus de compréhension nécessite des allers-retours entre le concret et l’abstrait afin de saisir les liens par lesquels ils sont reliés. Ainsi « le sens est le fruit d’un travail permanent d’interprétation

et de sélection157 ». Pour définir l’acte de comprendre, B-M Barth se réfère au travail de J. Bruner qui présente la compréhension comme un processus de conceptualisation. Toute activité cognitive dépend en effet du processus de catégorisation au sein duquel le processus de la pensée et son produit sont indissociables. Conceptualiser correspond à « un acte créatif qui consiste à construire des catégories en réponses à des expériences158 ». Ces catégories sont construites au cours du processus par les actions suivantes :

154 Ibid. p 39.

155 Cité par BARTH, B-M. (2004). Le savoir en construction. Paris. Retz, p 25.

156 BARTH, B-M. (2013). Elève chercheur, enseignant médiateur. Paris. Retz, p 33. A déplacer en biblio

157 Ibid. p 58.

75 - la perception : selon J. Bruner, les êtres humains se représentent leurs connaissances

du monde selon les trois modes suivants :

o le mode « enactif » ou sensori-moteur est celui qui permet d’apprendre par l’action, la manipulation

o le mode iconique permet de se représenter quelque chose par l’image mentale, sans l’avoir devant les yeux, en s’en faisant une idée

o le mode symbolique correspond à un encodage de la représentation iconique en une représentation abstraite comme le langage.

Ces trois modes ne sont pas des stades de développement liés à l’âge et à la maturation, mais trois systèmes de représentation qui fonctionnent comme trois systèmes parallèles pour appréhender la réalité. C’est le conflit entre deux modes qui stimule la croissance cognitive : la compréhension s’approfondit quand l’élève est encouragé à expliquer ce qu’il fait ou ce qu’il voit et ainsi à quitter l’action ou l’image. Ces trois modes se complètent et leur interaction est fondamentale pour l’apprentissage. En passant d’un mode de représentation à l’autre, la pensée évolue vers une plus grande abstraction.Cependant, « le processus de perception est le même

pour tout individu mais l’individu ne perçoit pas nécessairement la même chose à partir de la

même source159 ». Chaque personne perçoit les choses en fonction de ses connaissances antérieures, en fonction de ses souvenirs, la perception permettant de donner une signification aux sensations et « les connaissances et les expériences sont donc un facteur primordial pour

déterminer ce qu’un individu peut percevoir160 ». Pour l’enseignant, il s’agit alors d’établir un « terrain commun » à partir duquel faire évoluer la compréhension d’un phénomène et produire ainsi un changement conceptuel.

- la comparaison : il s’agit de distinguer ressemblances et différences en fonction d’un critère qu’il faut déterminer

- l’établissement d’une inférence : à partir d’éléments observés, tirer une conclusion hypothétique sur la nature de ces éléments dans le cadre d’une inférence inductive. Elle peut être également déductive si la règle est déjà donnée et qu’il s’agit de classer les éléments proposés en exemples ou contre-exemples de cette règle.

159 Ibid. p 88.

76 - la vérification de cette inférence : vérifier si l’inférence établie est vraie à partir de tous les exemples et contre-exemples rencontrés. C’est un retour au concret. Il s’agit aussi de pouvoir verbaliser, justifier et argumenter pour pouvoir rendre compte de son inférence.

- l’émission d’hypothèses, leur vérification et la généralisation : il s’agit d’anticiper une règle ou un principe général, de vérifier l’inférence sur tous les exemples afin de pouvoir la valider ou l’invalider.

« La conclusion-généralisation confirmée peut être soit une nouvelle « production de l’esprit » (un savoir scientifique nouveau est formalisé), soit la reconstruction d’un savoir qui existe déjà, ce qui est le cas de l’école161 ».

Le schéma suivant illustre les liens qui existent entre ces différentes actions pour aboutir à la conceptualisation.

78 interactions sociales, B-M Barth établit le rôle de l’enseignant comme étant celui de médiateur entre l’élève et le savoir. Il s’agit pour lui, en lien avec le répertoire cognitif et affectif de l’apprenant de proposer en classe des situations d’apprentissage diversifiées afin que tous les élèves puissent interagir avec le savoir et entre eux, et créer ainsi « une communauté

d’apprenants165 »

« En étant lui-même le modèle, l’enseignant s’efforce de cultiver chez ses élèves une

« posture du chercheur », qui consiste à dépasser la première interprétation stéréotypée pour

aller au cœur de la compréhension. Il guide un dialogue qui conduit à l’écoute et à l’argumentation et, in fine, à une « négociation » sur le sens à retenir de la « chose observée ». Le sens va émerger dans cet aller-retour entre les exemples que chacun peut vivre comme une expérience personnelle et les mots abstraits que l’on va chercher ensemble pour s’y référer. C’est par des approximations successives, guidées par l’enseignant, que l’on s’oriente vers un

sens partagé166 ».

On retrouve ici le pédagogue, non pas gardien, mais bien passeur de sens et de savoir, et médiateur de sa construction chez l’élève, quel qu’il soit, en toute connaissance de son répertoire cognitif et affectif, dans un profond respect de ce qu’il est.

À partir de cette conception de la compréhension et dans la perspective de sa construction, B-M Barth a établi un modèle opératoire de portée concrète, directement utilisable dans la pratique pédagogique.

2.2.2 Une approche socio-cognitive de la médiation des

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