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POSTULAT D’ÉDUCABILITÉ À UN ENSEIGNEMENT DE LA

1.3. La question des « inéducables » à l’heure de l’École obligatoire l’École obligatoire

1.3.1 De l’inadaptation de l’enfant à l’adaptation de l’École

C’est à la charnière entre le XIXème et le XXème siècle que la question de la scolarité en école ordinaire est soulevée. Alors qu’après des années d’exclusion, le droit à l’éducation des enfants sourds-muets et aveugles est pris en compte par la loi sur l’instruction primaire obligatoire, rien n’est prévu pour les enfants arriérés puisque « les écrits promoteurs de

l’éducation des anormaux, [l’obligation d’un enseignement spécial] se déduit de l’obligation

scolaire, énoncée dans la loi de 188238. » Désiré Magloire Bourneville attire cependant l’attention des autorités scolaires de la direction de l’enseignement de la Seine et du ministère de l’Instruction publique qui le nomment dans la commission interministérielle présidée par Léon Bourgeois en 1904, instituée « à l’effet d’étudier les conditions dans lesquelles les

prescriptions de la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation de l’enseignement primaire pourraient

être appliquées aux enfants anormaux des deux sexes (aveugles, sourds-muets, arriérés, etc.).39».Elle propose un enseignement spécial en direction de ces enfants au sein d’établissements appelés « écoles de perfectionnement » ; ces enfants sont ainsi enfin considérés par les instances nationales. Cependant, l’orientation retenue par la loi de 1909, si elle répond en partie à la conception humaniste du docteur Bourneville, n’a pas oublié l’idée de rentabilité défendue par Alfred Binet au sein de la Commission Bourgeois, qui, à la suite de Jean-Jacques Rousseau40, a mis en rapport l’investissement de la société et les résultats attendus des élèves : « C’est une pure folie d’apprendre, pendant six à huit années d’efforts, les lettres à un enfant qui n’arrivera jamais à lire complètement et qui, quand même il saurait lire, ne pourrait rien comprendre à ce qu’il lit41. »

38 VIAL, M. HUGON, M.A (1999). La Commission Bourgeois (1904-1905). Paris. CTNERHI, p 238.

39 Cité par GILLIG, J-M (1996), Intégrer l’enfant handicapé à l’école, Paris, Dunod, p16.

40 « Je ne me chargerai pas d’un enfant maladif et cacochyme, dût-il vivre quatre-vingts an (…) Que ferais-je en lui prodiguant vainement mes soins, sinon doubler la perte de la société et lui ôter deux hommes pour un ? » ROUSSEAU, J-J. Émile ou de l’éducation, (1959), Œuvres complètes, IV, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la

Pléiade, p. 268.

37 L’ensemble de ce dispositif confère à la loi de 1909 un caractère progressiste indéniable en se préoccupant du sort des enfants « différents ». Pour la première fois de l’histoire de l’Éducation sous l’égide du ministère de l’Instruction publique, elle est à l’origine d’une politique d’enseignement spécial dans les écoles. Cependant, elle se révèle relativement inopérante et se heurte à de nombreuses critiques.

Une première critique concerne son caractère facultatif puisque ce sont les communes et les départements qui ont la liberté de demander la création de classes ou d’écoles de perfectionnement42. Ce choix politique constitue un obstacle à une application efficace de la loi si bien que les classes spéciales ne se développent pas de façon conséquente après 1909. Les candidats aux fonctions d’instituteurs spécialisés restent également peu nombreux dans la mesure où la formation n’est pas rémunérée, impose souvent de longs déplacements et est sanctionnée par un examen ardu, le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement des enfants Arriérés (C.A.E.A.), et cela malgré une indemnité supplémentaire justifiée par la pénibilité de la tâche43. Le Front Populaire souhaite que l’État investisse davantage dans l’enseignement spécial. Ainsi, Jean Zay, ministre de l’Education Nationale, rend les classes de perfectionnement obligatoires et met l’accent sur la formation des enseignants spécialisés. Néanmoins leur développement se fera essentiellement après la seconde guerre mondiale (on en compte une centaine en 1930, 275 à 300 entre 1942 et 1944 et plus de 1000 en 1951). Les pratiques pédagogiques changent peu vis-à-vis de ces enfants et l’ensemble des maîtres ne semble pas concerné. Seuls quelques-uns d’entre eux se dirigent vers l’enseignement spécial et, unis par un fort esprit de corps, se heurtent au même ostracisme que celui qui frappe leurs élèves.

L’après-guerre marque une rupture concernant l’enseignement spécial et connaît un renouvellement de l’intérêt pour les enfants en difficulté. Le vocable change également : l’enfant arriéré, idiot ou débile cède sa place à l’enfant inadapté. L’école, et plus particulièrement le milieu enseignant, sont délégitimés, au profit de l’expertise médico-psychiatrique. Cette inadaptation est alors conçue sur le modèle de la maladie, conception qui aboutit à une catégorisation des « inadaptés » fondée sur l’étude des causes organiques et psychiques et à une progressive spécialisation technique des intervenants. Le Certificat d’aptitude à l’éducation des enfants et adolescents déficients ou inadaptés (C.A.E.I) se substitue en 1963 au C.A.E.A et au Certificat d’aptitude à l’enseignement des écoles de plein air créé en

42 Loi du 15 avril 1909. Article premier.

38 1939. Le C.A.E.I comporte sept options : handicaps moteurs (H.M.), déficients physiques (D.P.), handicapés sociaux (H.S.), déficients visuels (D.V.), déficients intellectuels (D.I.), troubles du comportement et de la conduite (T.C.C.), rééducation pyscho-pédagogique (R.P.P.). Cette nouvelle typologie illustre la tendance à catégoriser les inadaptés en fonction de la déficience qui les caractérise. Le champ d’intérêt de l’Éducation nationale s’élargit et un glissement sémantique s’opère ; on glisse de l’enseignement vers l’éducation. Émergent alors les notions de prévention et rééducation. Dès 1964, une sous-direction de l’enfance inadaptée est créée au sein du ministère de l’Éducation nationale qui souhaite donner aux maîtres des classes de perfectionnement, des directives dans le « domaine propre des moyens et des fins

d’une pédagogie spéciale44». L’État marque sa volonté de s’impliquer davantage comme l’illustrent les propos du ministre : « J’attache la plus grande importance à la mise en place

des structures nécessaires à la scolarisation des enfants et adolescents inadaptés qui exige

qu’un effort considérable soit entrepris sans plus tarder45. »

Les avancées dans la prise en charge scolaire de ces enfants sont cependant fragiles. Les classes de perfectionnement sont en réalité très éloignées de leur définition initiale élaborée par Alfred Binet et Théodore Simon. Leur fréquentation est le fait d’un public très hétérogène ; les enfants atteints de maladies handicapantes et de troubles graves y côtoient d’autres enfants, issus le plus souvent de milieux populaires, souffrant majoritairement d’instabilité ou de désordres comportementaux. Les effectifs de ces classes augmentent considérablement dans les années 1960. Le concept de « déficients intellectuels légers » est alors utilisé le plus souvent pour mettre à la marge les enfants considérés comme dérangeants pour les classes ordinaires ; « l’emprise de la norme est telle qu’on leur attribue des caractéristiques pathologiques supposées les rendre incompatibles avec le milieu ordinaire46. »

Malgré cette hétérogénéité et des fondements ségrégatifs, les classes de perfectionnement, lieu d’une plus grande liberté pédagogique que les classes ordinaires, sont le terreau d’innovations pédagogiques. Ces innovations sont le fruit d’instituteurs tels que Célestin Freinet avec ses plans de travail adaptés aux besoins et au rythme de chacun, la correspondance scolaire et les techniques d’imprimerie, ou encore Fernand Oury47qui, à

44 Arrêté du 12 août 1964. Annexe I.

45 FOUCHET, C. Circulaire n°65-348 du 21 septembre 1965.

46 GARDOU, C. PlAISANCE, É. Op.cit. p 298.

39 l’encontre de « l’école caserne48 » promeut la pédagogie institutionnelle conjuguant les apports de la psychologie et de la psychothérapie institutionnelle et développe les activités de groupe dans des classes coopératives à partir de la construction des droits des élèves et la prise en compte de leur parole. À ces pédagogues aux actions hors normes s’ajoute Fernand Deligny qui œuvre en faveur des enfants « arriérés, caractériels, délinquants, psychotiques, irrécupérables », rejetés de toute institution. Après avoir enseigné en classe de perfectionnement à Paris et Nogent sur Marne, il enseigne à l’hôpital d’Armentières ainsi qu’au Centre de biopsychologie de l’enfant, dirigé par Henri Wallon avec lequel il crée La Grande Cordée proposant des cures libres pour adolescents psychotiques, à l’origine des premiers Lieux de vie et d’accueil. Très influencé par les nouvelles pédagogies, notamment par celle de Célestin Freinet, il développe des méthodes pédagogiques qui rejettent les formes institutionnalisées pour mettre les jeunes en situation, en confrontation, avec le réel. À Monoblet, dans les Cévennes, avec des enfants autistes, il met en œuvre ses convictions pédagogiques en cherchant à leur fournir toujours de nouvelles occasions d’essayer, de tâtonner afin de leur permettre de se libérer et de se révéler. Proche des traditions éducatives libertaires qui, de Paul Robin à Alexander S. Neill notamment, prônent une éducation pour, par et dans la liberté, il refuse toute méthode autoritaire. Il ne demande donc rien aux enfants autistes, et surtout pas de faire comme les autres. Il parle alors des lignes d’erre, libres circulations des jeunes dans leur espace de vie à partir desquelles il essaie, à la manière d’un ethnologue, de repérer ce qui leur est coutumier.

Si leurs approches sont différentes, c’est le regard porté sur l’enfant qui rassemble ces pédagogues. Novateurs, ils l’observent, accueillent les particularités de sa déficience, sa singularité, pour s’adapter à ses besoins. L’école, quant à elle, souligne les différences de cet enfant pour justifier de son inadaptation à l’égard du système scolaire et poursuivre dans une logique ségrégative. Celle-ci va cependant se fissurer progressivement et permettre à l’école passer d’une logique ségrégative à une logique intégrative puis inclusive.

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