• Aucun résultat trouvé

Quelles conséquences d’une prise en compte a priori des troubles des élèves sur les a priori des troubles des élèves sur les

3 Première analyse : que révèlent ces deux phases ?

3.2 Quelles conséquences d’une prise en compte a priori des troubles des élèves sur les a priori des troubles des élèves sur les

apprentissages ?

Nous avons vu que la proximité des troubles des élèves engendre une attribution rapide des effets d’une défaillance des connaissances et pratiques didactiques aux élèves et à leur potentiel. Lors de l’analyse des entretiens nous remarquons également que les troubles cognitifs des élèves sont pris en compte souvent de façon a priori ce qui engendre des pratiques qui là aussi font obstacle à l’apprentissage de l’élève, notamment lorsqu’il s’agit de construire sa compréhension de textes.

Comme nous l’avons vu précédemment en effet, les élèves ne font pas l’objet d’observation de la part des enseignants lors des séances de travail de la compréhension de texte si bien que les enseignants ne peuvent définir avec précision les processus mis en œuvre par chaque élève, ni son niveau de conceptualisation, ni les obstacles qu’il rencontre personnellement. Bien que les

189 enseignants ne voient pas de réelles différences entre les élèves des classes ordinaires et les élèves d’ULIS concernant la compréhension de textes, les troubles semblent être pris en compte de façon première dans l’élaboration des séances didactiques en entraînant des réponses pédagogiques limitant ou évitant les obstacles. Certains enseignants perçoivent l’absence d’autonomie comme une obligation pour l’enseignant d’être omniprésent. Pour d’autres, il s’agit surtout de morceler la tâche, de la découper parce que « comme il a des troubles, il n’est pas apte à faire plein de choses à la fois537 » de ne pas organiser de traces écrites parce qu’ « on

ne sait pas ce qu’ils en feraient538 », ou encore de « répéter, répéter, répéter… ils ont besoin

de tellement de temps pour apprendre539. »

Ce morcellement de la tâche, l’absence de trace écrite pour structurer l’apprentissage, l’omniprésence de l’adulte pour pallier l’absence d’autonomie provoquent absence de sens, absence de développement de la compréhension, absence d’autonomie… Les enseignants regrettent d’être « obligés » d’être toujours présents, de devoir toujours répéter… mais l’élève pourrait-il être différent alors que l’enseignant renforce cette dépendance ?

Dans d’autres lieux encore540, à la lecture des entretiens, apparaît un paradoxe pédagogique. Les situations didactiques décrites541révèlent en effet que c’est aux élèves les plus avancés en compréhension que l’on permet de construire des stratégies pour comprendre alors que les autres « n’en sont encore pas là542 ». Ne serait-ce pas ces derniers qui en auraient le plus besoin ? Faut-il faire la preuve de sa capacité pour bénéficier d’un apprentissage ? Faut-il déjà savoir faire pour avoir le droit de bénéficier d’outils méthodologique utiles à l’apprentissage et à la construction du processus nécessaire pour apprendre et comprendre ? Ne retrouve-t-on pas ici une autre forme de ce que l’on nomme l’effet Matthieu selon lequel « on ne prête qu’aux riches » ? Ainsi, plus l’élève est avancé dans l’apprentissage, plus il bénéficie d’outils pour avancer et inversement, moins il est avancé, moins l’enseignant lui permet de construire son apprentissage. On s’étonne ici de voir non seulement l’absence d’égalité dans le traitement, mais surtout l’absence d’équité, qui permettrait non pas de donner à chacun selon son mérite

537 Annexes B6. 538 Annexes B2. 539 Ibid. 540 Annexes B1, B8, B10, B11, B13. 541 Annexes B10, B11 et B13. 542 Annexes B13.

190 mais bien de donner à chacun en fonction de ses besoins particuliers en situation d’apprentissage.

Ces théories préconçues et infondées, assénées comme des vérités sont alors prétexte à des choix didactiques et pédagogiques qui ne permettent ni enseignement, ni apprentissage. Cette prise en compte a priori et de façon infondée des troubles des élèves amène en effet à une simplification des tâches, à un savoir au rabais, pour lequel les élèves ne peuvent ni construire du sens ni logiquement faire preuve de motivation. Ceci renforce alors la conception initiale des enseignants puisqu’effectivement l’élève n’a pas réussi à apprendre et encore moins à transférer d’où l’idée selon laquelle, enseigner en ULIS est un « éternel recommencement543» et qu’il faut sans cesse répéter544. Mais en recommençant la même chose, on risque fort d’obtenir les mêmes résultats. En référence aux travaux de Paul Watzlawick545, on remarque ici un écueil pour l’enseignant qui, quand les apprentissages ne se font pas, recourt à un renforcement d’ordre quantitatif en pensant qu’il s’agit de la solution. Cependant, faire « toujours plus de la même chose » ne résout rien et renforce au contraire l’échec et le blocage chez l’élève. Les enseignants ne parviennent cependant pas à se positionner avec le recul nécessaire à la prise de conscience de l’existence de ce cercle vicieux qui les enferme dans des pratiques stériles.

Alors que cette prise en compte des troubles et difficultés des élèves relève d’une bonne volonté et d’une réelle bienveillance de la part des enseignants rencontrés, elle engendre un effet pervers sous la forme d’un étayage conçu a priori, sans lien avec le savoir à construire, étayage qui entraîne un appauvrissement du savoir enseigné, du sens de la tâche et finalement l’absence de construction d’un apprentissage et donc le défaut voire l’impossibilité de transfert. La séance s’est bien déroulée, l’élève n’a pas été mis en difficulté (l’enseignant non plus), mais il n’a rien appris. La difficulté occultée, l’élève ne s’y est pas confronté et n’a pas construit d’apprentissage pour résoudre une situation problème qu’il n’a pas rencontrée. L’adulte ne se positionne pas ici comme médiateur entre l’élève et le savoir de façon à ce que l’enfant puisse se confronter à une situation nouvelle pour dégager et prendre conscience, avec son aide et celle de ses pairs, des outils permettant de résoudre la difficulté rencontrée et ainsi d’apprendre. Les enseignants proposent essentiellement des situations qui ne posent pas de difficultés

543 Annexes B5.

544 Annexes B1 et B2.

545WATZLAWICK, P., HACKER, A. L. (1988). Comment réussir à échouer : trouver l'ultrasolution. Paris. Ed du Seuil.

191 particulières à l’élève, éliminent même la difficulté, ou alors lui donnent les outils nécessaires avant même qu’il n’en ait besoin. Tous les enseignants interrogés peuvent évoquer L. Vygotski et sa « fameuse ZPD », comme certains qualifient la zone proximale de développement mais s’ils parviennent à la verbaliser ou à la mettre en œuvre dans d’autres matières, ils ne réussissent pas encore à la décliner lors des séances consacrées à la compréhension de textes ce qui est également lié à leur méconnaissance de la didactique de la compréhension.

Lors de ces séances de travail de la compréhension, les troubles cognitifs des élèves sont ainsi pris pour eux-mêmes, et non en fonction de la situation rencontrée. Cette prise en compte des troubles cognitifs, lorsqu’elle est première, c'est-à-dire lorsqu’elle devance la définition du savoir à enseigner, quand elle ne correspond pas à l’élève, dans sa singularité, au moment de sa rencontre avec le savoir, entraîne un appauvrissement didactique et des pratiques pédagogiques qui ne permettent ni enseignement ni apprentissage. L’effet produit, tel un boomerang, renforce les convictions des enseignants qui, sans remise en question de l’enseignement proposé, attribuent l’absence d’apprentissage à la présence de troubles cognitifs, qu’il s’agit effectivement de prendre en compte pour construire les situations d’enseignement à venir. Confrontés à une difficulté, elle est perçue comme un obstacle lié au handicap, il faut donc contourner l’obstacle, pallier la déficience, si bien que l’on ne cherche pas à résoudre la difficulté qui aurait pu l’être, on renforce en revanche une croyance erronée. En conclusion de ces deux premières phases, nous constatons la difficulté pour les élèves de construire les compétences nécessaires à la compréhension des textes narratifs, dans la mesure où ils ne disposent d’aucune méthode pour le faire et ne parviennent pas non plus à gérer les processus métacognitifs nécessaires. Ce constat s’explique notamment par l’absence d’apprentissage réel dans le domaine de la compréhension de textes, absence dont l’une des causes est le défaut d’enseignement rationnel et défini précisément sur le plan didactique, par le manque de connaissance didactique initiale de la part de l’enseignant et/ou par la prise en compte a priori des troubles cognitifs sans qu’il y ait pour l’élève, dans toute sa singularité, rencontre avec le savoir enseigné en amont de la situation didactique.

L’enseignant occupe souvent une place centrale au sein de la situation d’apprentissage, en s’appuyant sur ses conceptions personnelles de la didactique de la compréhension et de l’élève présentant des troubles cognitifs. Le savoir est remisé au second plan et l’élève n’est pas

192 réellement rencontré. De ce décalage des places de chacun résultent des séances d’enseignement qui n’en ont que le nom et une stagnation des compétences de l’élève voire un renforcement de ses difficultés d’apprentissage.

On constate un écart important entre les déclarations des enseignants réellement convaincus de l’importance de l’enseignement de la compréhension et la réalité des pratiques. Ils ne sont pas satisfaits de ce qu’ils proposent, ont conscience des limites de leur enseignement mais ne parviennent à en distinguer clairement ni les obstacles, ni les leviers de changement. Bien que convaincus de l’éducabilité des élèves qui leur sont confiés et peut-être justement parce que convaincus, ils oscillent entre l’acharnement et le renoncement. Faut-il poursuivre, répéter alors que les constats sont négatifs ? Faut-il renoncer alors qu’on a l’intime conviction malgré tout que cela peut être possible ? Comment poursuivre alors qu’on ne trouve pas le chemin qui mène à l’apprentissage ? Comment renoncer sans perdre ses convictions et les raisons de son engagement professionnel ?

L’absence de références théoriques et l’impossibilité d’envisager le recours à une aide professionnelle telle que pourraient l’incarner les conseillers pédagogiques et les inspecteurs de l’Education Nationale provoquent la perception de la situation de l’enseignement de la compréhension comme une impasse pédagogique. Il faut l’enseigner, oui… mais comment ? L’acharnement et le renoncement sont dès lors les deux issues d’une alternative logique qui s’offre à toute personne se heurtant à l’impossibilité de résoudre un problème sans apport extérieur. Les enseignants font part d’une certaine souffrance devant cette situation mais font également preuve de beaucoup d’humour, comme une prise de distance nécessaire, une échappatoire ; le salut par le rire…

Ce premier temps d’analyse nous permet de dégager des liens entre les lacunes de l’enseignement de la compréhension des textes et les difficultés d’apprentissage des élèves présentant des troubles cognitifs. Il nous permet ainsi d’envisager la mise en œuvre de notre deuxième hypothèse selon laquelle la proposition d’un scénario au sein duquel les élèves seraient acteurs de leur apprentissage de la compréhension des textes narratifs d’une part et un changement de posture et de pratiques des enseignants d’autre part sont susceptibles de permettre la construction de la compréhension de textes par les élèves et la construction du concept d’enseignement de la compréhension par les enseignants.

193

4 Troisième phase : expérimentation

Outline

Documents relatifs