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Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 32-37)

La dure crise économique qui frappe le monde au sortir de la seconde guerre mondiale oblige les Etats à réfléchir sur des mécanismes créateurs de croissance. Le développement du commerce international est l’une des pistes évoquées. Le phénomène de la mondialisation vient accélérer celui du commerce international. En effet, la libre circulation des marchandises, des capitaux, des services, des personnes, des techniques et de l’information caractérise la mondialisation. Elle désigne le processus d’intégration des marchés et de rapprochement des hommes qui résulte de la libéralisation des échanges et des retombés des technologies de l’information et de la communication à l’échelle planétaire. Cette approche est semblable à la définition que Jacques ADDA en fait : « l’abolition de l’espace mondial sous l’emprise du capitalisme, avec le démantèlement des frontières physiques et règlementaires »83.

La mondialisation est conduite par un courant de pensée libérale qui se matérialise par des politiques de libéralisation (traité et zone de libre-échange) et la déréglementation des marchés (limitation des monopoles d’Etats, installation et surveillance de la concurrence). Cependant, pour optimiser son rendement, il est nécessaire que des regroupements régionaux soient effectués. La conséquence directe de ces regroupements est la création de zones économiques communautaires84 et des marchés communs85 (les intégrations régionales). On assiste depuis, à la prolifération des accords internationaux à partir des années 198086. Plusieurs regroupements régionaux87 se créent. Théoriquement, l’intégration vise plusieurs buts :

 l’augmentation des échanges, qui permet la spécialisation et la localisation de la production là où elle est effectuée de la manière la plus performante ;

83J. ADDA, La mondialisation de l’économie. Genèse et problèmes, La Découverte, 7e ed. 2006.

84 CEDEAO, CEEAC, CEE (devenu U.E), OUA (devenu U.A), SADEC, ALENA…

85UEMOA, CEMAC, MERCOSUR, ASEAN, IGAD

86C. DEBLOCK « 17. Régionalisme économique et mondialisation : que nous apprennent les théories

? », La question politique en économie internationale. La Découverte, 2006, pp. 248-260.

87Communauté économique régionale (CER), Union du Maghreb Arabe (UMA), Marché commun de l’Afrique de l’Est et Australe (COMESA), Communauté des Etats sahélo-sahéliens (CENSAD

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 l’augmentation de la taille des marchés qui permet la réalisation d’économies d’échelle, l’intensification de la concurrence (baisse des prix et incitation à l’innovation) ;

 la création d’un environnement économique favorable aux affaires88.

L’Afrique n’échappe pas au renouveau économique mondial. La chute du mur de Berlin achève les derniers bastions du communisme. Désormais, le capitalisme tracté par le libéralisme s’installe sur le continent. On assiste à la première application des « plans d’ajustement structurel »89 (PAS) notamment au Sénégal90. La contagion est rapide. La plus part des Etats en développement se retrouvent sous perfusion économique à tel enseigne que les PAS sont assimilés à un modèle économique.

L’urgence est là, le continent a besoin d’investisseurs extérieurs pour faire face aux défis du futur. C’est dans ce contexte que se tient un colloque à Monrovia sur les perspectives de développement de l’Afrique par des personnalités africaines. Les recommandations de ce colloque sont adoptées lors du XVIe sommet des chefs d’Etats de l’OUA et rebaptisées plan d’action de Lagos.

Le 17 octobre 1993 à Port Louis (Ile Maurice) est signé par 16 Etats, le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique91. Ce même traité marque également la naissance de l’OHADA (organisation pour l’harmonie en Afrique du droit des affaires), organisation régionale à multiple facettes. L’objectif visé par le traité est clair : accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine et la volonté de renforcer la sécurité juridique et judiciaire dans ce nouvel espace source de meilleure intégration juridique et économique. Pour ce faire, des outils sont mis en place, l’OHADA en tant qu’organisme international et la CCJA (Cour commune de justice et d’arbitrage). Au-delà de l’aspect économique et monétaire le traité constitutif de l’OHADA a mis l’accent sur la coopération juridique et judiciaire pour sécuriser les

88 GBAGUIDI, A. OCHOZIAS. « Cinquante ans d’intégration régionale en Afrique : un bilan global », Techniques Financières et Développement, vol. 111, no. 2, 2013, pp. 47-62.

89Le programme d’ajustement structurel est un programme de réformes économiques mis en place par le FMI ou la Banque Mondiale pour sortir un Etat d’une crise économique. Il comporte deux phases : la stabilité macro-économique à court terme qui se traduit par la libéralisation de l’économie ; la libéralisation du commerce et du système bancaire, privatisation des entreprises et des sociétés d’Etat.

90Le Sénégal est le premier pays africain à connaître une PAS dès 1979 suite à une injonction du FMI.

91Révisé le 17/10/2008 à Québec au Canada.

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échanges internationaux et rassurer les investisseurs. En ce sens, le traité fait de l’arbitrage le moyen de règlement de différends dans l’espace ohada. Il faut dire que l’arbitrage connaît un essor fulgurant dans les autres régions du monde. Son succès est tributaire de ses qualités : impartialité, confidentialité et célérité ; toutes choses compatibles avec la nouvelle idéologie du monde des affaires là où la justice étatique ploie sous le poids des nombreuses requêtes non traitées.

Si l’on dit de l’arbitrage que c’est une justice indépendante au même titre que la justice étatique, force est de constater que de nombreux pans à l’intérieur de la procédure d’arbitrage nécessitent l’intervention du magistrat afin de régularisé certains dysfonctionnement. Ainsi, parle-t-on du juge d’appui, chargé de faciliter l’office de l’arbitre dans sa quête justice. Aussi intriguant que cela puisse paraître, le juge est devenu l’acolyte de l’arbitre à telle enseigne qu’un auteur affirme qu’« il n’y a pas de bon arbitrage, sans bon juge »92. En ce sens, il est possible d’affirmer que l’arbitrage est en quelque sorte judiciariser. Un universitaire affirme d’ailleurs que « l’arbitrage ne se situe pas dans une zone de non-droit ; ce n’est pas une institution en suspension dans un espace indéterminé, dématérialisé et déjudiciarisé qui échapperait à toute hétéronomie et qui ne serait gouvernée que par ses propres contingences : l’arbitrage est bien soumis à des règles d’organisation et de fonctionnement »93. Le dictionnaire Larousse définit ce verbe comme le fait de « confier à la justice, le contrôle d’une situation, l’exécution d’une procédure »94. Il faut dire l’apport du juge dans la procédure arbitrale est plus que salutaire et disons-le, l’objet de cette étude n’est pas de remettre en question cette vielle collaboration.

Les rapports entre juge étatique et arbitre sont aussi anciens que l’existence de ces deux justices. Il semblerait d’ailleurs que ce couple a toujours existé à toutes époques et à toutes civilisations. Aussi, les historiens du droit95 traitant la question de

92 J.P. ANCEL in « Le contrôle de la sentence », Recueil des actes du colloque sur « L’ohada et les

perspectives de l’arbitrage en Afrique », Yaoundé 13-14 décembre 1999 éd. Bruylant – Bruxelles 2000 sous la direction de Ph. FOUCHARD, p. 189.

93B. OPPETIT, « Théorie de l’arbitrage », PUF, 1998, p. 83.

94https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/judiciariser/45099

95 V. LEVY-BRUHL, Recherches sur les actions de la loi, Paris 1960, p 1130 ; ROUSSEAU et LAISNEY, Dictionnaire théorique et pratique de procédure, A. ROUSSEAU éd. 1983, p. 682.

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la primauté entre la justice étatique et la justice arbitrale, notamment ceux adaptent de la thèse selon laquelle l’arbitrage aurait précédé la justice étatique est à présent délaissée.

Le ménage entre le couple juge public/juge privé96 a été longtemps tumultueux97 du fait de l’hégémonie du juge étatique sur l’arbitre. En droit romain classique98, l’arbitre émane du juge. En effet, déjà dans la Rome antique, l’arbitre ne servait que de bras d’exécution au jugement. Seul le juge avait le monopole de l’exercice de la fonction juridictionnelle en disant le droit. Un auteur affirmait à ce propos que « l’arbitrage prolonge ainsi la justice étatique. Il est en quelque sorte, l’auxiliaire du juge, le premier exerçant la mission noble de dire le droit, le second se noircissant les mains en jugeant les faits »99.

A partir du Moyen Age, la justice étatique tombe en disgrâce. Elle est victime de son organisation procédurière, notamment les nombreuses voix de recours qu’elle offre. Ce n’est pas tout, elle est également affaiblie par les multiples justices juxtaposées à l’exemple des tribunaux ecclésiastiques et seigneuriaux qui créent d’interminable conflit de compétence. A ce moment de l’histoire, l’arbitrage n’est plus le vassal de la justice publique mais en devient plutôt un concurrent100. Les justiciables y voient une solution idoine pour pallier la lenteur des tribunaux publics. Il est donc logiquement plébiscité et devient de fait, le premier concurrent du juge public.

Mais la relation juge public/juge privé n’a pas été que conflictuelle. L’histoire révèle aussi que le juge fut un bon ami, un complice de l’arbitrage. En effet, le juge public fut à un moment donné le promoteur de l’arbitrage. Les décisions de la Cour

96 Expression d’E. LOQUIN, tiré de Le juge et l’arbitre, sous la direction de S. BOSTANJI, F.

HORCHANI, S. Manciaux, A. Pedone éd. 2014, p. 20.

97 V. E. LOQUIN, « Arbitrage, aperçu historique » J. Classeur procédure civile, fascicule 1010 (2013).

98 B de LOYNES de FURNICHON et M. IMBERT, « L’arbitrage à Rome », Rev. arb, 2003. 26

99 E. LOQUIN, Le juge et l’arbitre, op. cit,. p. 21.

100 Y. JEANCLOS, L’arbitrage en Bourgogne et en Champagne du XIIe au XVe siècle. Thèse Dijon,

1977.

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d’Appel de Paris et celle de la Cour de Cassation101 sur la clause compromissoire, en l’absence de toutes législations, ont largement concouru à l’essor de l’arbitrage. Loin d’être un obstacle à l’arbitrage, le juge public a été et demeure un acteur de son éclosion, de son émancipation.

En dépit de ses bons services envers l’arbitrage, l’intervention du juge dans ce domaine n’est pas toujours vue d’un bon œil. D’aucuns à l’instar de Philippe.

FOUCHARD,estiment que l’arbitrage pourrait se passer du juge. D’autres fustigent le caractère cavalier de son intervention, dénudée de tout fondement légal. C’est peut-être cette dernière remarque qui serait à l’origine de la judiciarisation102 de l’intervention du juge étatique dans l’arbitrage par le biais des législations.

Bon nombre de dispositions normatives sur l’arbitrage consacre «l’assistance technique »103 du juge dans une procédure arbitrale. L’arbitrage Ohada ne déroge pas à la règle puisque l’immixtion du juge est légalement consacrée. Cependant, ce qui est débattu aujourd’hui, c’est l’avenir de l’arbitrage au moment où ce fidèle partenaire tend à couper le cordon ombilical qui le lie à l’arbitrage. En effet, la déjudiciarisation sonne le glas de cette longue collaboration. On pourrait dire que c’est la une perche tendue aux ultra-libéraux qui estiment que l’arbitrage peut se passer du juge104. Il revient donc au juriste avertit d’entamer une réflexion sur cette piste pour amener à une déjudiciarisation de l’arbitrage sans pour autant diminuer le niveau de sécurité juridique et judiciaire qu’offre cet instrument nécessaire au développement des Etats membres de l’OHADA.

La déjudiciarisation de l’arbitrage suscite des passions et cristallise les positions. La complexité des rapports entre les deux acteurs et partant les deux justices

101 J.P. ANCEL, « L’actualité de la clause compromissoire », Travaux du comité français de droit international privé. 1991-1992, p. 75 ; E. GAILLARD, « La jurisprudence de la cour de cassation en matière d’arbitrage international », Rev. arb, 2007, 697.

102 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/judiciarisation/45098. Pris dans le sens où elle renvoie à l’intervention croissante des juges dans le contrôle de la régularité des actes de certaines autorités.

103 Ph. FOUCHARD in « La coopération du président du tribunal de grande instance à l’arbitrage »,

Rev. arb, 1985, p. 9.

104Ce courant est largement dominé par les idées du professeur Philippe FOUCHARD. En ce sens, lire

« Le juge et l’arbitrage », XI° colloque des Instituts d’études judiciaires, Dijon, octobre 1977, rapport général, Rev. arb, 1980. p.146.

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suscite une interrogation fondamentale : est-il possible de déjudiciariser l’arbitrage ? En d’autres termes, est-il possible d’exclure l’intervention du juge national dans l’arbitrage ad-hoc OHADA ? Comment parvenir à une déjudiciarisation dans cet espace juridico-économique ? Telle est l’énigme que cache la déjudiciarisation de l’arbitrage OHADA.

Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 32-37)