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La non prise en compte des libertés individuelles

Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 171-174)

Chapitre II. L’improbable mise en œuvre de la déjuridictionnalisation

Section 1. Le scepticisme des Etats envers l’arbitrage

B. La difficile convergence entre les intérêts des Etats et l’arbitrage d’investissement

2. La non prise en compte des libertés individuelles

L’implication des populations dans la gestion des affaires publiques est la résultante de la démocratisation de la société. Désormais, la société civile, les ONG et autres organisations d’intérêt public peuvent demander des comptes à l’Etat dans la gestion d’un dossier au nom du droit à l’information qui est une des libertés individuelles reconnues à tous les citoyens. Ce droit à l’information procède de l’obligation de transparence qui pèse sur les Etats. Aussi, dans le cadre d’un arbitrage, la divulgation d’information technique devient banale.

L’arbitrage en général est conçu sur des bases considérées comme étant son ADN. Il ne peut donc renier ou transgresser ces règles au risque de perdre de son essence. Parmi ces règles, subsiste celle de la confidentialité465. En effet, les parties en choisissant l’arbitrage comme mode de règlement de conflits, choisissent par la même occasion de garder leur différend loin des du grand public. L’arbitrage, justice confidentielle, sans publicité des débats permet de préserver le secret des affaires.

Pourtant, au nom de l’ordre public, des obligations de transparence, d’information et de révélation posés par certains droits étatiques466, le principe de confidentialité doit subir une atténuation. Certaines voix s’élèvent pour appeler à une démocratisation de l’arbitrage. Un auteur écrivait à ce propos « transparency in any legal regime, including its dispute settlement system, is fundamental to democratic governance today »467. Certains Etats468 estiment que les stipulations relatives à la confidentialité dans l’arbitrage doivent être d’ordre contractuel. D’autres en revanche à l’instar de la France préfèrent légaliser cette obligation. Ainsi, l’article 1464 alinéa 4 du Code de procédure civile dispose que « sous réserve des obligations légales, et à moins que les parties n’en disposent autrement, la procédure arbitrale est soumise au principe de Cah. arb. , vol. III, Gaz. Pal. éd., 2006, p. 56 ; J.-L. DELVOLVE, « Vraies et fausses confidences, ou les petits et les grands secrets de l’arbitrage », Rev. arb. 1996, p. 373 ; Bulletin de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI, « La confidentialité dans l’arbitrage », suppl. spéc. 2009 ; J.

FERNANDEZ-ARMESTO, « transparence », in Cah. arb. 2012, p. 583.

466F. FAGES, « La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière », Rev. arb.

2003, p. 5.

467 A. MOURRE, Are amici curia the proper response to the public’s concerns on transparency in investment arbitration ? The Law and Practice of International Courts and Tribunals, 2006, vol. 5, n°

2, p. 257-271.

468Cour suprême de Suède, 27 octobre, 2000, Al Trade Finance Inc., Stockholme Arb. Report 2002/2, p. 144 ; High Court d’Australie, 7 avr. 1995, Esso v. Plowman, 128, ALR 391. 1995.

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personne tenu d’exécuter cette obligation. Est-ce l’arbitre, les parties, les personnes appelées à témoigner… ? L’interrogation reste entière.

Dans la pratique, les contractants incluent la clause de confidentialité dans le contrat d’arbitrage. Cette approche permet de sanctionner le défaut de confidence sur le terrain de la faute contractuelle. Le déroulement de l’instance arbitrale à huis clos suscite de vive critique dès lors que le litige porté devant la justice arbitrale est considéré comme d’intérêt général469. Le postulat retenu dans ce cas de figure (celui de l’arbitrage d’investissement) est l’effacement total du principe de confidentialité quand bien même les parties l’auraient mentionnée dans la clause d’arbitrage au profit du principe de transparence. La doctrine estime que « comme c’est le rôle public de l’Etat qui est en cause, la confidentialité des procédures est insoutenable […]. »470.

Généralement, les demandes des ONG en qualité d’amicus curiae fondées sur le principe de transparence sont refusées faute d’accord des parties. L’affaire Aguas del Tunari illustre parfaitement cette situation. Les ONG qui souhaitaient intervenir au cours de l’instance arbitrale ont adressées une requête au tribunal arbitral ou elles réclamaient la révélation publique des soumissions écrites, l’ouverture des audiences au public et même le déplacement du tribunal sur le terrain pour qu’il y effectue des audiences publiques471. La réponse du tribunal fut négative, motivant sa décision par le refus des parties à exposer le conflit au public.

Cette position attire les critiques d’une partie de la doctrine. Un auteur pense que la transparence légitime l’arbitrage d’investissement aux yeux du public472. Dans la même veine, Severine MENETREY ajoute que « la transparence accrue du processus arbitral d’investissement contribue à renforcer la légitimité externe de l’arbitrage d’investissement nécessaire à la pérennité du système à long terme »473, ce que corrobore la société civile474. Il faut croire que les tribunaux arbitraux ne sont pas restés sourds aux écrits de la doctrine puisqu’il y a une légère inflexion. De fait, une demande en qualité d’amici curiae a réussi à avoir l’accès à des documents issus de

469E. GAILLARD, Centre International pour le règlement des différends relatifs aux investissements CIRDI. « Chronique des sentences arbitrales ». Journal du droit international, 2002, n° 1, p. 194-195 ; A. COHEN SMUTNY et K. M. YOUNG, « Confidentialité et Etats », Bulletin de la Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, 2009, suppl. spéc, p. 79-80.

470 A. PRUJINER, « L’arbitrage unilatéral : un coucou dans le nid de l’arbitrage conventionnel ? », Rev. arb, 2005, n° 1, p. 98.

471Aguas del Tunaris S.A. v. Republic of Bolivia, Pétition of la Coordinadora para la Defensa del agua y Vida et al. Du 29 août 2002, § 63 (iii) (iv) (v).

472P. TERCIER, « La légitimité de l’arbitrage », Rev. arb., 2011, n° 3, p. 653-668.

473S. MENETREY, « La transparence dans l’arbitrage d’investissement », Rev. arb., 2012, n° 1, p. 39-43.

474A. MOURRE, « Are amici curiae the proper response to the public’s concerns on transparency in investment arbitration ? » The Law and Practice of International Court and Tribunals, 2006, vol. 5, n°

2, p. 257-271.

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quelques procédures arbitrales475. Certains tribunaux ont eux, admis l’importance du principe de transparence notamment dans les affaires Aguas Argentinas476 et Aguas de Santa Fe.

Dans l’ensemble le droit à l’information et à la transparence dans un arbitrage de type investissement reste fortement méconnu. Cette méconnaissance participe au rejet de cette forme d’arbitrage puisqu’elle va à l’opposé des droits acquis des peuples.

§2. Le poids des firmes multinationales dans les Etats africains

Le concept de mondialisation est polysémique. Cette polysémie est tributaire au fait que l’économie mondiale se compose de trois dimensions : l’économie internationale caractérisée par les échanges de marchandises ; l’économie multinationale dominée par l’internationalisation des processus de production et l’économie globalisée caractérisée par la domination de la finance de marché477. La firme multinationale se définit comme étant une grande entreprise nationale qui possède ou contrôle plusieurs filiales de production dans plusieurs pays478. Il est important de le préciser car cela permet de mettre définitivement un terme à la confusion entre les transnationales ou les entreprises supranationales. La firme multinationale dispose d’une nationalité, d’un centre de décision qui exerce un pouvoir hiérarchique sur l’ensemble des filiales implantées à l’étranger. Le concept de la mondialisation qui se traduit donc par la délocalisation des entreprises s’est rependu à travers tous les hémisphères de la planète. Plus aucune partie du globe n’est épargnée par l’abondant flux de capitaux ou encore le transfert de technologie.

L’Afrique qui est considérée comme le continent d’avenir est évidemment le centre d’intérêt des investisseurs. De fait, on remarque une forte progression des investissements directs à l’étranger (IDE) au sein de ce continent. Cela témoigne du grand intérêt qu’on lui porte mais également de son fort potentiel économique. Pour avoir un ordre d’idée sur l’ampleur du phénomène, fin 2007 les firmes multinationales

475 L. BASTIN, « Amici curiae in investor-State arbitration : eight recent trends », Arbitration International, 2014, vol. 30, n° 1, p. 140.

476 « Public acceptance of the legitimacy of international arbitral process, particularly when they involve states and matters of public interest, is strengthened by increased openess and increased knowledge as to how these processes function. It is this imperative that has led to increased transparency in the arbitral processes of the World Trade Organization and the North American Free Trade Agreement ». Response to petition for transparency and participation, 19 mai 2005, § 22.

477W. ANDREFF (dir), La mondialisation, stade suprême du capitalisme ? En hommage à Charles-Albert Michalet. Nouvelle édition [en ligne]. Nanterre : Presses universitaires de Paris Nanterre, 2013 (généré le 26 juin 2018).

478C. A. MICHALET, Le capitalisme mondial, Paris, PUF, « en liberté », 1976, p. 20.

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chinoises créent 1000 entreprises en Afrique479. Mais la chine n’est pas la seule puissance à loucher sur le continent africain.

L’Europe, partenaire historique, l’Amérique et même la Russie de nos jours, se livrent une bataille sans merci pour conquérir cet important marché et immense gisement de matières premières. La puissance de firmes multinationales est tellement grande que certains auteurs pensent que « face au poids de FMN sur la scène internationale, les Etats nationaux sont destinés à disparaitre »480. L’auteur explique que l’effet de l’écart croissant entre l’espace de référence de la souveraineté nationale et celui de la FMN conduira à terme, à la disparition de l’Etat. Il remarque un affaiblissement grandissant de l’autorité de l’Etat sur les firmes. Cet état de fait est principalement dû à ce que les FMN petit à petit se charge d’exécuter des missions relevant traditionnellement de la puissance publique et ayant pour but de faciliter le développement de l’activité économique. Les Etats sont désormais minoritaires : 51 des 100 plus grandes économies du monde sont désormais des multinationales constate christian LOSSON481. Les récents scandales de Nike ou Total viennent corroborer cette thèse.

Ainsi, nous parlerons de l’impact financier des FMN sur les Etats (A) et leur maîtrise des secteurs de souveraineté (B).

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