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La notion d’intérêt général

Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 168-171)

Chapitre II. L’improbable mise en œuvre de la déjuridictionnalisation

Section 1. Le scepticisme des Etats envers l’arbitrage

B. La difficile convergence entre les intérêts des Etats et l’arbitrage d’investissement

1. La notion d’intérêt général

L’intérêt général est une notion évolutive comme bien d’autres. On peut dire que c’est un produit social. Sa date de naissance se situe au tout début des années 1750 au regard des occurrences de l’expression retrouvées chez VOLTAIRE456. En revanche, il est théorisé pour la première fois en 1770 par LEMERCIER de La

456 L’auteur utilise l’expression « intérêt général » dans les pensées diverses sur l’administration publique (vers 1753) : « L’intérêt est le mobile général des actions des hommes […]. Sous un Sénat aristocratique, si l’égalité entre les membres, et le maintien de l’autorité du corps, est l’intérêt général qui meurt, les sénateurs, la conservation de leurs biens et la sureté de leurs personnes est celui qui anime les citoyens. » (note de la pensée 25) tiré de P. CRETOIS, S. ROZA, « De l’intérêt général : Introduction », ASTERION [en ligne], 17/2017, mis en ligne le 20 novembre 2017, consulté le 24 juin 2018. URL : http:/journals.openedition.org/asterion/2996.

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RIVIERE457. Pour le moins, la notion reste ambiguë, contestée458 puisqu’elle est utilisée pour nier les dissensions qui surgissent notamment durant les périodes politiquement troublées comme les révolutions459. L’intérêt général tel que perçu de nos jours n’a pas toujours été comme tel. Il a connu une évolution à travers le temps.

La position actuelle est le fruit d’une inflexion du lien social qui s’est produit durant le XVIIIe siècle. L’intérêt général était considéré un ordre naturel tourné par essence vers le bien commun. Certaines doctrines460 affirment que le pouvoir n’était plus assuré d’une légitimité de principe, fondée sur les lois de la nature et jouant du privilège de la transcendance.

L’intérêt général a été conçu de diverses manières dans la pensée politique461. Aussi, deux approches se dégagent-elles : une dite utilitariste et l’autre dite l’expression de la volonté générale des citoyens, conduit par le souci du bien public.

L’Etat à ce stade, en est le garant. Il est érigé en dépositaire de l’intérêt général. C’est en quelque sorte un principe d’ordre et de cohésion qui permet le vivre ensemble et de garantir l’unité. L’appartenance à la sphère publique permet aux représentants politiques et aux dépositaires de l’autorité publique de placer leurs actions sous le sceau de l’intérêt général. C’est à cette seconde approche et analyse que nous souscrivons dans le cadre de notre étude.

L’intérêt général est un principe cardinal de la légitimation du pouvoir dans les sociétés actuelles. L’ensemble des pouvoirs d’une république doit faire ressortir en ses gènes, un intérêt qui surpasse les intérêts particuliers des membres de la république.

« Cette représentation permet d’ancrer la croyance dans son bien-fondé et de créer le

457 L. De La RIVIERE, L’intérêt général et l’Etat ou la liberté du commerce des blés, démontrée conforme au droit naturel ; au droit public de la France ; aux lois fondamentales du royaume ; à l’intérêt commun du souverain et de ses sujets dans tous les temps avec la réfutation d’un nouveau système, publié en forme de dialogues sur le commerce de blés, Paris, Desaint, 1770.

458W.B. GALLIE, « Essentielly Contested Concepts », in Proceding of the Aristotelian Society, 1956, vol. LVI, p. 167-198.

459P. CRETOIS, S. ROZA, « De l’intérêt général : Introduction », ASTERION [en ligne], 17/2017, mis en ligne le 20 novembre 2017, consulté le 24 juin 2018. URL : http:/journals.openedition.org/asterion/2996.

460Notamment F. RANGEON, L’idéologie de l’intérêt général, Paris, Economica, 1986.

461Conseil d’Etat, « L’intérêt général », rapport public, Paris, la documentation française, « Etudes et documents », 1999, n° 50, p. 239-357

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consensus indispensable à son exercice »462 explique Jacques CHEVALLIER. « Tout se passe comme si le pouvoir, dans les sociétés modernes, ne pouvait être pensé que recouvert du sceau de l’intérêt général : celui-ci constitue, non seulement l’un des attributs du pouvoir étatique, mais encore une référence nécessaire pour toutes les institutions qui quadrillent l’espace social ; l’intérêt général apparaît ainsi comme la matrice de tous les discours de légitimation des formes sociales instituées » renchérit-il463.

Actuellement, la notion est de nouveau en mutation. L’Etat, considéré comme seul disposant du monopole sur la définition de l’intérêt général, doit désormais le partager avec de nouveaux acteurs sociaux464. Ces derniers prennent désormais part à l’élaboration des choix et à apporter leurs pierres à la construction de l’édifice en participant à la gestion des services d’intérêt collectif. La forte présence des citoyens dans la sphère politique notamment en démocratisant un peu plus la vie sociale biaise quelque peu le monopole que les représentants politiques étaient censés avoir.

La redistribution des cartes sur le monopole de l’intérêt général a pour conséquence la possibilité pour les administrés d’impacter sur les marchés de services que l’Etat passe avec les partenaires privés dans le cadre des PPP. C’est ce nouvel acteur que l’arbitrage d’investissement n’intègre pas dans sa relation avec l’Etat.

L’intérêt général étant changeant, il est possible que la précédente ligne qui avait de base à la conclusion du contrat se voit modifiée sous l’impulsion des citoyens. Ce peut être à l’occasion d’une nouvelle orientation choisit par les populations à la suite d’un vote. Pour autant, l’arbitre n’est pas dans son tort puisqu’il est lié par la convention qui ne mentionne que deux litigants, c’est-à-dire la partie privée et la personne morale de droit public.

Si la réaction des pouvoirs publics est légitime néanmoins elle reste illégale puisque le contrat ne reconnait que deux parties signataires. Il semble donc important que l’arbitrage d’investissement puisse dans son essence, ajouter l’instabilité de ce nouvel acteur qui, en réalité commande l’action de l’Etat.

462 J. CHEVALLIER, « Intérêt général », in Casillo. I. avec R. BARBIER, L. BLONDIAUX, F.

CHATEAURAYNAUD, J.M. FOURNIAU, R. LEFEBVRE, C. NEVEU et D. SALLES. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, juin 2013, ISSN : 2268-5863. www.docopart.fr/es/dico/interet-general.

463 J. CHEVALLIER, « Réflexion sur l’idéologie de l’intérêt général », in Centre universitaire de recherche sur l’action publique et le politique, Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, Paris, Presses universitaires de France 1978, p. 11-45.

464ONG, société civile…

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