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La maîtrise des secteurs de souveraineté

Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 178-181)

Chapitre II. L’improbable mise en œuvre de la déjuridictionnalisation

Section 1. Le scepticisme des Etats envers l’arbitrage

B. La maîtrise des secteurs de souveraineté

Le monde ne se développe pas à la même vitesse. Il y a des régions qui évoluent plus vite que d’autres. C’est le cas de l’Europe et des autres pays dits pays développés489. A côté de ce premier groupe, se trouve un second qui regroupe les pays en voie de développement. Il s’agit des pays pauvres qui ont un retard sur le développement. On parle généralement de pays du Sud. Un rapport onusien, principalement celui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) vient confirmer cette tendance lorsqu’il annonce que plus de 1 milliard de personnes vivent dans une situation de pauvreté multidimensionnelle ou en sont très proche490.

Le développement est une notion qualitative. Elle prend en compte plusieurs indicateurs regroupés dans le concept d’indicateur de développement humain (IDH).

Les pays du Sud ne parviennent pas à rattraper le retard concédé. Conscient de cette situation, la communauté internationale s’est plusieurs fois réunie afin de trouver une sortie de crise pour les pays du Sud. Dès lors, plusieurs sommets se succèdent: la conférence de Rio491, le sommet mondial de Copenhague de 1995 a renouvelé les principes de développement durable que avait déjà évoqué, et plus tard, le sommet sur les objectifs du millénaire pour le développement en 2000 et enfin plus récemment, les objectifs de développement durable en 2015. Toutes ces conférences traitent de la

489Encore appelés pays du Nord.

490Rapport PNUD 2014 sur le développement humain.

491Sommet de la Terre, Rio de Janeiro, 1992.

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même problématique, le développement économique et social inclusif qui s’affirme comme un défi politique de premier plan affirme un auteur492.

Les défis politico-économiques en Afrique et principalement dans la sous-région OHADA sont multiples. Il s’agit dans un premier temps de désenclaver les différentes régions des Etats, de les électrifier, de les raccorder au réseau de distribution d’eau potable, les éduquer, les soigner… . Ces tâches sont traditionnellement du ressort des Etats. Cependant, en raison de leur coût, ces derniers par le biais des PPP, laissent des entreprises privées assurer ces missions. Ainsi, les FMN détiennent les secteurs de souveraineté tels que l’énergie, le transport, la santé (1) et par la même occasion, tisse des liens avec des politiques (2).

1. Les FMN gestionnaires des secteurs stratégiques

Les défis auxquels font face les pays de l’espace OHADA sont colossaux.

Fortement endettés, ces derniers ne peuvent plus assurer avec leurs ressources propres493 l’entendu de leurs missions régaliennes et ce, d’autant plus qu’ils font face à une forte croissance démographique.

L’arrivée des PPP est donc perçue comme une aubaine pour les Etats. Par ce mécanisme, ils peuvent désormais offrir à leurs populations le développement auquel elles aspirent. Toutefois, les manquements observés sont ceux qui relèvent de la souveraineté étatique. On note notamment, les défis énergétiques, les télécommunications, les transports, la santé pour ne citer que ceux-là.

En effet, le continent africain et la zone OHADA en particulier connait un déficit énergétique qui l’empêche de prétendre devenir une zone industrielle. En dépit des potentialités naturelles pour électrifier leurs pays494 aucune véritable politique énergétique n’a vu le jour. Plus de la moitié des populations vivent sans électricité.

Dans ces conditions, il est très difficile d’attirer des FMN dont l’activité demanderait un accès à tout temps à une source énergétique. Tentant de corriger cette lacune, plusieurs chantiers de construction de barrage hydro-électrique sont confiés à des partenaires privés. Pour le cas de Gabon, nous comptons près de 4 barrages hydro-électriques confiés à des sociétés étrangères495. Ces travaux sont sensés approvisionner

492 C. La ROSE, « Introduction. Développement et inclusion : Le défi de notre temps », revue interventions économiques, n° 56, 2016. https://journals.openedition.org

493Les budgets nationaux.

494Plusieurs grands cours d’eaux traversent ces pays sans qu’aucun barrage énergétique ne soit érigé.

495Source loi de finance 2017.

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l’ensemble du territoire en électricité et permettre aux industries installées de travailler en toutes sérénité.

L’énergie n’est pas le seul secteur dans lequel les partenaires privés se sont infiltrés. Les télécommunications également font l’objet de PPP. A l’heure où la mondialisation atteint son paroxysme, l’information devient une arme de choix. Une maxime énonce même que « l’information c’est le pouvoir ». Il apparaît plus que nécessaire de pouvoir rester connecter d’autant plus que la quasi-totalité des opérations et documents sont dématérialisés. Or, le constat qui est fait est que la zone OHADA demeure un espace enclavé. Il existe jusqu’alors des zones entières non couverte par internet. Cette disparité dans l’accès aux télécommunications et aux NTIC empêche aux entreprises de s’installer dans toutes les régions de l’espace. Le défaut de maîtrise de l’information par la communication étant perçu comme un risque majeur.

La route du développement passe par le développement de la route a-t-on coutume de dire. Cette assertion se vérifie dans l’espace OHADA. Plus de 60% des territoires sont enclavés faute d’infrastructures routières conséquentes. Plusieurs industries, notamment le tourisme et l’agriculture n’arrivent pas à produire les résultats escomptés par défaut de moyens d’acheminement de la production vers les centres de consommation et cela, en dépit des colossaux moyens étatiques injectés dans ces filières pour la relance.

Idem en ce qui concerne la santé. Les Etats peinent à soigner leurs populations.

Les hôpitaux existants sont devenus des mouroirs par défaut de personnel qualifié, de technologie médicale de pointe et aussi par défaut d’infrastructures digne du 21e siècle.

L’industrie pharmaceutique est quasiment inexistante. Il faut donc faire une fois de plus recours aux PPP pour pouvoir régler la situation496.

Le fait que les FMN soient présente sur des secteurs de souveraineté fragilise un peu plus les Etats vis-à-vis des populations. Ces dernières voient en ces concessions, un abandon de l’Etat face à ses missions régaliennes. Paradoxalement, cette situation renforce les FMN dans les pays d’accueil. Elles y sont perçues comme des sauveuses face à la misère et au chômage qui frappe la majorité des populations de cette espace géographique. Aimées, adulées, les FMN se substituent un tant soit peu à l’Etat d’autant plus parfois dans le cadre des externalités économiques, elles se livrent dans des œuvres sociales fortement appréciées497. Cette perte de crédibilité des Etats n’est pas d’augure à les inciter à garder le seul élément de puissance publique qui permet de manifester à nouveau son autorité.

496J.-M. SEVERINO, « La situation des pays en voie de développement », Les tribunes de la santé, vol. 21, n° 4, 2008, pp. 31-39.

497Construction d’écoles, réfection d’hôpitaux, don en médicament, don en matériels informatiques…

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2. Les liens avec les politiques

En dépit des règles et Codes de marchés publics dont sont dotés l’ensemble des Etats de l’espace OHADA, force est de constater que plusieurs marchés sont attribués de gré à gré sans appel d’offre. Du jour au lendemain, des marchés publics sont attribués à des opérateurs étrangers sans la moindre explication. C’est le cas de la concession accordée au groupe Olam pour la gestion de l’aéroport de Libreville498. Des exemples de la sorte sont légions. Il s’agit en réalité de clientélisme voir de corruption.

Des apporteurs d’affaires rentrent en contact avec de hauts responsables de l’administration étatique qui, en contrepartie d’un service, accordent des marchés aux entreprises. En outre, plusieurs soupçons de financement de campagnes par des FMN aux profits d’hommes politiques sont dénoncés. Cela au regard de la part des marchés publics qui leur sont accordée lorsque le candidat suspecté remporte l’élection.

Le clientélisme et la corruption prennent des proportions alarmantes. Elles se répandent de plus en plus dans l’espace et gangrènent le mécanisme transparent mis en place par les législateurs. Non jugulés, elles risquent à terme de paralyser le système judiciaire privé. C’est l’une des raisons qui incite les Etats à éviter la déjuridictionnalisation.

En cas de dénonciation, les arbitres ne disposent pas de pouvoirs assez puissants pour investiguer et obliger les parties, les tiers à coopérer. De plus, parfois, les ramifications s’étendent à l’étranger. Il faut donc solliciter les dispositifs judiciaires ou policiers tel qu’Interpol. L’arbitrage international ne dispose pas de pareils relais judiciaires à l’international. Cette situation affecte son efficacité dans le règlement de conflit à l’international. Quand bien même il existerait une coopération mondiale au niveau arbitral, il faudrait un exequatur du juge et certainement son appui pour pouvoir mettre en marche l’appareil judiciaire étatique en déployant des personnels policiers.

Les Etats préfèrent alors garder la main en évitant de se défaire de son juge qui, lors de situation difficile peut ramener la sérénité économique en procédant par exemple aux expropriations…

Dans le document La déjudiciarisation de l'arbitrage OHADA (Page 178-181)