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DESCRIPTION DU CADRE DE RECHERCHE

I BREFS RAPPELS SUR LE CAMEROUN

II- 1 Nouvelles logiques de la parenté

Appréhender les logiques de la parenté revient à prendre en compte la place de l’individu dans le monde contemporain. STRATHERN parle d’un remodelage d’un système de parenté, intervenu avec l’arrivée des nouvelles technologies. Désormais, le domaine de la parenté se réduirait à la seule nature qui, manipulée qu’elle soit, ne peut que produire des individus répétables qui font éclater l’idée même des interactions. En effet, les usages du motètèmè au village bosquet sont autant d’exemples qui confirment la construction d’un nouveau type de parenté. Sachant que le village bosquet est cosmopolite avec des mariages inter claniques. Les enfants nés de ces unions du village profitent de cette situation de complexité pour imposer le pouvoir du noko sur ses tita pendant la saison des pluies. KALO revient sur une scène du motètèmè qu’il a vécu :

« Dernièrement Timbelé Rémi qui est mon neveu est venu prendre une casquette par le biais du motètèmè. En fait il m’a coincé sous la pluie. Il est arrivé et s’est mis à danser devant ma maison et j’ai été obligé de lui donner ce qu’il voulait. Je l’ai supplié en disant que c’est le chapeau de mon beau fils il n’a rien voulu entendre. Il m’a dit : je t’ai gagné ! Ça c’est ma part ! C’est vrai que je me suis fâché mais à tort puisqu’il était dans son rôle. Souvent pour les neveux compréhensifs, quand tu lui expliques, il te demande de remplacer par autre chose. Donc il faut absolument être ami avec ses neveux sinon tu ne

76 peux pas échapper au motètèmè. Mais parfois aussi il y a certains oncles qui refusent de faire des cadeaux.

On constate que le motètèmè a perdu le sens premier qui était la plaisanterie à parenté pour devenir une quête des biens. Au fil du temps, ce jeu social est devenu une source d’appauvrissement des oncles par des neveux. A Moangue, les oncles ne supportent plus la présence des neveux pendant la saison des pluies. Les relations entre ces deux catégories sont plus ou moins amicales. Cette fragilisation relationnelle se justifie à travers la sédentarisation des Baka dans le village où les relations familiales sont aussi en reconstruction. Pour Bianco:

« S’il pleut toute de suite tu verras que chacun ira dans sa maison et va attendre la fin de la pluie pour sortir. Pendant la saison des pluies, le rythme de vie devient conditionner par les humeurs des neveux. »

Les rapports de consanguinité dans le village expriment ainsi une certaine dynamique culturelle à travers des interactions entre les gens qui la composent. Mais les relations dans la famille paternelle excluent le motètèmè.

La mise en scène du motètèmè ne concerne que les oncles maternels et non les oncles paternels. Le neveu du côté paternel est considéré comme un rival puisqu’il peut hériter des artefacts de son père. Dans ce cas, il peut hériter des lances, des savoirs liés à la forêt. Il doit travailler pour être un homme, ici les oncles paternels ne lui accordent pas de privilèges comme du côté maternel. Les relations entre neveux et oncles paternels sont le plus souvent distants et tendus; c’est la rigueur qui les rythme.

Entre eux, c’est la rivalité et la compétition permanente au sens que donne ABEGA (1992) lorsqu’il évoque les rapports entre le chef Tikar et les princes qui souhaiteraient sa mort pour hériter de son trône. Mais l’économie de ces tensions marque une typologie de relations qui encadrent l’individu au sens où il devient mature et prend sa place dans la société.

Par contre, ces relations entre les noko et les tita paternels sont ambivalentes. Les noko préfèrent tout de même les Kala paternelles parce qu’elles sont moins rigoureuses et les écoutent en cas de problème. Les rapports entre eux sont basés sur la tendresse et la confiance. La Kala peut aussi maudire son neveu si ce dernier est insolant et irrespectueux envers la famille. Selon Bodgo:

77 « Si tu méprises ta tante paternelle ou tu ne lui donnes pas ce qu’elle veut et -tu saoules sur “elle”-, elle peut te maudire Le neveu doit faire le possible pour éviter la malédiction. Seulement les enfants de ce village lorsqu’ils boivent, ils deviennent violents et peuvent aller jusqu’aux agressions des femmes. Voilà autant de choses qui peuvent amener la tante à maudire son neveu ».

L’usage du terme nagboko par tita expose le noko aux représailles ou sanctions sociales qui agissent tout au long de sa vie. Chez les Nzimé, la malédiction est synonyme d’exclusion sociale. Elle exclût le forfaitaire des privilèges sociaux et ce dernier peut finir sa vie sans famille. Mais il faut souligner le caractère psychologique de la malédiction au moment où elle est acceptée. Comment la malédiction prend-elle effet sur l’individu? Pour Prince Nka, la malédiction est constituée d’une trilogie à savoir la parole, l’environnement et la perception. Ces trois éléments sont des critères pour que la malédiction puisse agir. Selon qu’on se trouve dans un espace, la parole agit sur un individu en fonction du contrôle social. Cependant, Prince Nka reconnaît que la malédiction est efficace sur l’individu reconnu coupable. Ce fait culturel ne constituant pas l’objet premier de cette recherche, l’analyse ci-dessus visait à présenter les rapports entre Noko, Tita et Kala en construction. Aussi cette construction se lit à travers des liens matrimoniaux.

II-2 Mariages

L’union la plus courante chez les Baka n'est plus de type monogame comme l'affirmaient ALTHABE (1965), DEMESSE (1980), LOUNG (1982). On constate aujourd'hui l’existence de la polygamie dû principalement aux changements survenus dans l'organisation sociale. Même si d'aucuns évoquent des raisons de stérilité de la première épouse, le système polygamique est un emprunt culturel chez des Bantous. Lorsqu’il s’agit d’un mariage polygyne, chaque femme construit sa maison et le plus souvent la deuxième femme la construit juste derrière la première.

Communément chez les Baka, c’est la première femme qui est chargée de la protection de la deuxième. Cette protection ne doit pas se comprendre dans le sens purement juridique mais beaucoup plus spirituel sachant que la première femme maîtrise les pouvoirs de son environnement et, est membre du Yéli.

78 Cet aspect sera développé dans la deuxième partie de ce travail. Mais il faut lever l’équivoque sur la pratique de la polygamie comparativement aux bantous ou d’autres peuples comme ceux de l’ouest. La polygamie chez le bantou a une autre signification car le nombre d’enfants enrichit et perpétue le clan et la lignée. Les considérations dynastiques ne comptent pas trop pour les Baka. Ils privilégient plus la paix dans leur foyer car elle conditionne la chance. La recherche de l’harmonie dans le couple donne ainsi à la femme l’occasion de contrôler l’activité de son mari.

Pour la stabilité du ménage, les Baka préfèrent le mariage monogame, car pour eux, le mariage polygyne est source de discorde et de jalousie. Ces calamités entraînent la perte de la chance. Or, celle-ci est une valeur recherchée.

En outre, le mariage n’est pas permis entre les gens d’un même lignage c’est-à-dire qu’aucun lien matrimonial ne peut être conclu entre les individus issus d’un même clan. Celui-ci est fortement interdit entre les descendants d’un même ancêtre.

Pour ainsi dire que les Baka pratiquent l’exogamie en respectant les lignages et, la pratique des relations incestueuses est sanctionnée par une exclusion communautaire et suivie de la malchance. Le grand esprit de la forêt Komba n’autorise pas ce type de relations et les Baka sont tenus d'en respecter. Cette caractéristique semble être au fondement de toute relation matrimoniale. Les différents clans exportent donc les femmes interdites (ABEGA, 1998)80, c’est à dire les filles et les sœurs et importent les femmes permises.

Ce principe d’exogamie s’applique aussi au clan de la mère et des deux grands-mères d’un Baka.

En outre, même si l’endogamie n’est pas acceptée dans les familles Baka, on a pu observer une échape de manquements. Le bosquet a connu un cas de relation incestueuse. Chez les Yé ndonga où le jeune Ayo s’est mis avec la fille de sa tante Apkè à la stupéfaction de tous les anciens du village. KALO Pierre parle de cette relation en ces termes : « Si les parents ont accepté cette situation, -mais à la longue ça va déranger ». Pour lui, le malheur s’abattrait dans cette famille incestueuse et les gens pourraient mourir de courte maladie. Cette situation de désobéissance à la règle de Komba peut persister dans le temps, tant que le rite de purification n’est pas fait. Ce malheur pourrait

79 également toucher tout le village. Il suffirait d’être en contact permanent avec la famille coupable pour être atteint. Face à toute cette litanie d’interdits, les Baka devraient respecter les liens de parenté dans le cas contraire, c’est un péché grave passible de la plus haute punition.

Il ressort également des propos de KALO, l’indignation, la crainte et le rachat des coupables de relations incestueuses. Cette indignation traduirait la faute des parents d’avoir accepté des liens coupables au sein de la famille. ABEGA (1998) relevait déjà les déviances de la jeune génération Baka, celle qui est née en bordure de route et qui cherche des repères dans un contexte inondé d’emprunts culturels. Mais fort heureusement, la culture Baka a des moyens pour éviter la malédiction de l’esprit de la forêt. Cette disposition culturelle s’appuie sur la mythologie de la forêt, une politique de réparation au préjudice causé.

La mythologie Baka dit que, l’esprit de forêt ou Komba a surpris deux de ses enfants dans un lit. Il leur demanda de se purifier avant de retrouver la communauté. Les coupables lui demandèrent ce qu’ils pouvaient faire pour retrouver leur ancien statut. C’est ainsi qu’il les soumit à un rite de purification appelé Moboiboi. Ces derniers l’exécutèrent et évitèrent la malchance.

Dans la culture Baka, l’inceste est sévèrement punie. Elle peut aller à l’exclusion du village. C’est une période pendant laquelle, le concerné n’a pas le droit d’adresser la parole aux habitants du village. Il ne prend part à aucune activité collective chasse et cueillette de peur de transmettre sa souillure aux membres de la communauté. Mais, il est prévu également des mécanismes de sortie de cette situation : le Moboiboi. C’est un rite de purification conduit par le Nganga.

Le contrôle social est donc manifeste dans la communauté baka du bosquet. D’après Kroos, le contrôle social éditent des normes sociales et juridiques fondées sur un ensemble de valeurs et à les faire respecter afin d’obtenir une certaine conformité ce qui doit permettre d’obtenir une certaine cohésion sociale. Les Baka en forêt veillaient au respect des interactions des différents membres d’une famille. Ces interactions en construction aujourd’hui se réfèrent toujours sur les valeurs identitaires et contrastent avec la modernité.

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