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2-1 Compensation matrimoniale dans sa constitution en forêt et au village

DESCRIPTION DU CADRE DE RECHERCHE

I BREFS RAPPELS SUR LE CAMEROUN

II- 2-1 Compensation matrimoniale dans sa constitution en forêt et au village

La dot désigne une dotation au patrimoine du nouveau ménage qui accompagne le

mariage dans de nombreuses cultures. Il peut s’agir des biens dont la femme ou le mari sont dotés par leurs familles, mais aussi d’un don entre époux.

En anthropologie, on distingue plusieurs types de prestations matrimoniales : la dot, la compensation matrimoniale et le douaire (cours sur la parenté au département d’anthropologie de l’université de Yaoundé1, 2004). Mais, il existe une prestation particulière, « le prix de la fiancée », qui n’entre pas dans le patrimoine du nouveau ménage. Elle peut être pré ou post maritale. Toutefois, les peuples des forêts utilisent dans leur langage courant le terme dot pour désigner cette forme de don fait par le futur époux à la famille de son épouse. Chez les Baka, elle est l’équivalent de la force physique car, le prétendant mène toutes les activités auprès de sa belle-famille.

Bien avant, comme l’a affirmé KALO, le mariage était une véritable épreuve de bravoure en ce sens où il fallait servir plusieurs années la belle-famille. Cette phase avait ainsi un enjeu important pour tout prétendant Baka projetant à une vie de couple. Cependant, depuis l’installation des pygmées dans les villages, la compensation maritale connaît des transformations avec la monétarisation et la restriction des activités de chasse. Dorénavant le futur marié doit se munir des objets de valeur (pagnes, machette, télévision, vin, etc.…) pour sa belle-famille.

Auparavant, le gendre était tenu de résider dans sa belle-famille pour une longue durée allant d’un an à deux ans pendant lesquels, il accomplissait certaines tâches. Il devait participer à toutes les activités du ménage que ce soit du côté de sa belle-mère ou de son beau-père. Le gendre devait chasser les bêtes féroces telles que : le sanglier, le buffle ; et s’il était Tuma81, il pouvait chasser l’éléphant juste pour montrer sa bravoure et donner la pointe à la belle-famille.

Dans tous les cas, le gendre chassait au moins une bête féroce pour prouver son courage et son abnégation à sa belle-famille. Il était également le pourvoyeur d’outils de chasse à son beau-père surtout le benga82. Le nombre de lances d’un chef de famille Baka équivalait au nombre de gendres qu’il avait. Même si la dot chez les Baka était assimilée

81Terme désignant le chasseur des bêtes féroces

81 à la prestation physique du gendre, elle était symbolique, l’image du travail étant perçue non pas comme une sorte d’esclavage, mais une compensation matrimoniale. Aujourd’hui, la dot a beaucoup changé chez les Baka. Parmi les éléments de changement figurent la chasse des bêtes féroces, les corvées interminables et l’installation de moins en moins des gendres dans leurs belles familles.

Dans d’autres aires géographiques, la dot revêt un caractère économique. Chez les Bantou, elle constitue le versement d’une somme d’argent et de nourriture à la famille de l’épouse. Dans certaines ethnies Bantou comme les Eton et les Ewondo, les filles sont mariées très chères à cause de leurs valeurs intrinsèques. Le prétendant est tenu de verser toute la dot avant d’obtenir l’autorisation de prendre son épouse.

Malgré les influences extérieures, la procréation est interdite avant le mariage et il est déshonorant pour un père de savoir que sa fille partage un même lit avec son futur mari. Au contraire chez les Baka, le couple doit procréer dans la résidence des beaux-parents pour prouver leur fécondité.

A partir de ces différentes démarches de compensation matrimoniale, on appréhende l’introduction des produits exogènes et surtout la monétarisation. Une preuve de la dynamique culturelle des populations forestières.

L’organisation sociale n’est pas figée et permet au Baka une grande mobilité géographique. Ces déplacements d’un sous-groupe à l’autre ont une influence dans la transmission des connaissances dans la mesure où une nouvelle logique communautaire confronte le jeune à de nouveaux partenaires, à de nouveaux dispensateurs de connaissances. Les radios, les téléviseurs et l’internet sont désormais le passe-temps favori des Baka, ce qui réduit leur mobilité dans la forêt avec une incidence sur la transmission des savoirs à la nouvelle génération.

La population totale actuelle du village Moangue s’élève à près de 1200 habitants répartis dans 107 unités familiales dirigées chacune par un chef de ménage. Le village est sous le commandement du chef Tindo reconnu comme tel il y a trois ans. Mais, son autorité comme partout dans la région forestière, n’est pas assez forte et de ce fait, le pouvoir est partagé avec le conseil des notables.

82 En plus, le village a un conseiller municipal appelé Kokoma83 qui traduit les doléances de la communauté au conseil municipal de Lomié. Seulement, le processus de prise de décision recherche le consensus parmi les kobo84 du village qui constituent la société secrète. Alors, considérer le chef Tindo comme un représentant légal du village serait une vision totalement erronée puisqu'il est également un kokoma.

En outre, le village a une école primaire à cycle complet (école catholique Saint Kisito), un centre médico-sanitaire catholique, un économat et une chapelle de l’église catholique sous le contrôle des sœurs. Ces sœurs catholiques pérennisent l’œuvre de la sœur Albéric en prenant activement part à la défense de la communauté Baka du bosquet.

Dans l’esprit de la loi n°90/O53 du 19 décembre 1990 portant sur les libertés d’association, les Baka de ce village se sont constituées en association dans le cadre du Comité villageois de développement (CVD) qui a donné le nom de l’entité juridique (COBABO) propriétaire et gestionnaire d'une forêt communautaire. Aujourd’hui, le village compte quatre groupes d’initiative commune (GIC) ayant des vocations de production agricole. Ces différentes personnes morales travaillent dans le sens de promouvoir le développement du village même s’il reste à marquer des réserves sur l’engagement des habitants. Tout compte fait, c’est une organisation sociale s’appuyant sur la tradition et la modernité. L’un des éléments permettant d’abonder dans le sens d’un village résilient est sa démographie.

II-3 Démographie

Qualifiée de science sauvage dans les années 1950 par SAUVY et HENRY (ROUSSEL et CHASTELAND85, 1996), de science « otage » plus récemment par LORIAUX86

(1996), la démographie est bien devenue une science au vrai sens du terme, avec son corpus d’objets. C’est sans doute l’un des points sur lequel on s’accorde même si le

83Pour les affaires extérieures (interaction avec les étrangers, agents gouvernementaux, commerçants, etc.) chaque bande nomme une sorte de dirigeant appelé kokoma en Baka, dont les qualifications sont surtout un niveau « avancé » en français ou de bonnes relations avec un agent officiel du gouvernement ou d'un village « Bantou ». Le kokoma est un chef nominal pour les affaires extérieures seulement et n'a aucune autorité dans la bande. En accord avec ce système de relations extérieures, les villages indépendants choisissent un « chef traditionnel » pour participer aux réunions de commune et de sous division.

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84Terme désignant le notable ou un patriarche

851996, « Un demi-siècle de démographie dans les pays industriels. Quelques réflexions sur un bilan », Population, n˚ 2, p. 417-438.

861996, « L’apport de l’école louvaniste de démographie : réflexions critiques sur le passé et nouveaux défis pour l’avenir des sciences de la population », Population, n˚ 2, p. 405-416.

83 qualificatif n’apparaît pas toujours dans les définitions. L’analyse démographique à laquelle nous projetons cette étude est adaptée aux systèmes d’informations classiques et à la mesure des dynamiques des populations. Ainsi les informations sur la démographie de Moangue ont été recueillies directement auprès des populations, des cahiers de naissances du centre de santé du bosquet et des listes électorales de 2013. Ces informations n’ont pas été comparées à celles du registre de naissances au niveau de la commune de Lomié mais, il s’avérerait que la densité de la population réelle soit nettement inférieure à celle annoncée dans les documents officiels et cela se justifierait par l’arrivée de la redevance forestière (RFA).

En fait, depuis le versement de la redevance forestière aux communautés villageoises en 2000, celles-ci ont tendance à rehausser le nombre d’habitants de leur communauté afin de recevoir des montants plus élevés. Ces informations à caractère politique peuvent être des obstacles évidemment pour l’analyse de la démographie du village bosquet. D’autres constats de ce type ont été relevés, notamment, par rapport aux données relatives aux activités économiques.

Au bosquet, la croissance démographique est rapide à cause de la reproduction précoce des filles. Le missionnaire DHELLEMMES (1978)87 relevait déjà cette fécondité des filles baka dans ses monographies. Et cela se vérifie également par les registres de naissances du village Bosquet et ses environs.

D’ailleurs les études de DHELLEMMES attestent la vigueur démographique de cette localité dans les années 1982 où les soins de santé ont connu un essor considérable souvent mixés entre la pharmacopée traditionnelle et la médecine moderne. Il faut souligner que la présence d’un centre de santé au bosquet a inextricablement participé à la réduction du taux de mortalité infantile. Cette unité sanitaire a amélioré les conditions d’hygiène au sein des ménages baka à travers des campagnes de sensibilisation et de vaccination.

« Depuis que les soeurs sont arrivées au bosquet, il y a moins de deuil, les enfants ne meurent plus de petites maladies. Les femmes enceintes sont doublement vaccinées à l’hôpital et chez le nganga. Maintenant le village est peuplé de petits enfants et nous sommes contents. (Jeannette, 2014)»

84 Ces propos de Jeannette attestent les efforts consentis par les sœurs à réduire le taux de mortalité. Cette assistance médicale est également appuyée de l’extérieur par des équipes de recherche. Par exemple, le projet sur la croissance des pygmées Baka menée par l’équipe de Ramirez et Froment a permis aux Baka de se soigner gratuitement.

Il est de bon ton de dire que des chercheurs de tout bord multiplient ce type d’actions à Moangue avec des prises de sang et des examens dentaires. Au regard de ce qui suit, la prise en main de la santé des populations du village Moangue le bosquet justifie la vigueur démographique actuelle.

Dans l'autre perspective, l’espérance de vie pourrait augmenter d’ici quelques années. Elle était selon plusieurs sources (Inades Formation, O.M.S, ORSTOM) de 23 ans dans les années 1983, chiffre effrayant selon les indicateurs de mortalité et de morbidité, toutefois nettement supérieurs à ceux du reste de la population Camerounaise. Malaria, tuberculose et ulcères étaient les principales maladies qui décimaient les peuples pygmées et même les Bantous. On peut trouver également des explications dans les conditions de vie précaire du milieu social empesté de microbes. A ce sujet, FROMENT (2013) affirme que la vie en milieu forestier est favorable au développement des bactéries, où les Baka sont en permanence et les conditions d’hygiène moins respectées. Cet environnement parasitaire fragilise leur système immunitaire ce qui expliquerait le fort taux de mortalité infantile baka.

Une autre explication peut être donnée si l’on s’accorde à la théorie de l’écologie symbolique telle que décrite par GILLES88. Pour lui, l’écologie est régie par les interactions entre l’homme et la nature. Toute action humaine dans un environnement a une conséquence. De la même façon l’homme arrache la vie à un animal pour le consommer, aussi de cette manière la nature peut lui arracher la sienne.

Les modes de vie des pygmées comme la cueillette et la chasse les exposent à des accidents fréquents comme -se faire tuer par un animal lors d’une partie de chasse ou se faire renverser par une branche-. Ce type d’accidents qui arrive fréquemment aux Baka n’est pas à négliger car, il pourrait justifier le fort taux de mortalité dans leur ancien environnement de prédilection: la forêt.

88 Baptiste Gille, 2012 « De l’écologie symbolique à l’écologie politique. Anthropologie des controverses environnementales chez les Salish côtiers », Tracés, Revue de Sciences humaines.

85 Pour revenir sur la démographie, d’après nos observations à Moangué, la proportion d’hommes est légèrement inférieure à celle des femmes. Ce constat pourrait être lié au phénomène d’exode rural. Bien que les opportunités d’emplois s’annoncent croissantes avec l’installation de l’industrie minière dans la zone, le retard dans le démarrage des activités dû aux conséquences de la crise économique, a réorienté les motivations des hommes à se diriger vers les grandes villes (emplois, approvisionnement des commerces en produits ou encore, écoulement des produits forestiers non ligneux à des prix plus intéressants). Certains hommes trouvent du travail en milieu urbain et s’y installent, envoyant alors une part des recettes pécuniaires au village. En définitve, la démographie de Moangué connait une croissance exponentielle due à l’ouverture du centre de santé des sœurs catholiques. Le village affiche également des pratiques religieuses mitigées témoignant son syncrétisme culturel.

Différence religieuse et différence culturelle

L’Unesco en 2012 sous la pression des campagnes diverses concernant la commémoration de la rencontre des Deux Mondes a proclamé l’importance des facteurs culturels et s’est demandé comment créer les conditions d’un vrai pluralisme culturel qui permette aux communautés ayant des identités diversifiées de vivre ensemble et de développer librement leurs cultures tout en comprenant et acceptant les cultures des autres. A ce niveau de généralité, cette déclaration exprime des vœux pieux. Or dans ce dispositif, quelle place accorde-t-on aux pygmées. Peut–on séparer la différence religieuse de la différence culturelle ? C’est supposer que le terme de religion possède un sens institutionnel (BERNAND89, 2001). A Moangue le bosquet la vie religieuse imprègne tous les aspects de la vie du Baka. Pour lui, il existe un dieu unique Komba, créateur de tout et providence de l’homme. Ce dieu est également garant de l’ordre social. Dans une culture où la chasse et la cueillette donnent les principales ressources, la chance, dont le siège est sur le front (libanjo) tient une grande place. Pour les Baka la découverte de la nourriture quotidienne dépend surtout de la chance, et c’est dieu qui la lui octroie. Les chefs de familles et les anciens demeurent les seuls intermédiaires

89 Carmen Bernand, « Les identités religieuses et ethniques à l'aune de l'universalisme républicain. A propos de l'exception française », Champ psychosomatique 2001/1 (no 21), p. 133-150.

86 privilégiés entre Komba et les autres membres du groupe. Ce sont eux qui administrent des bénédictions (salive mêlée à la poudre de padouk).

Le monde baka est également peuplé de divers esprits. Il serait probant de les nommer par le terme mânes car ils sont tous représentés comme ayant d’abord une vie humaine antérieure. Certains de ces esprits, incarnés par des masques, apparaissent au camp pour les danses. Seuls les initiés peuvent les approcher. Parmi ces esprits, on peut citer Bokela, qui entraîne le chasseur sur la piste du gros gibier ; Kose qui préside la danse de la divination du Nganga et des soins lors de la danse du feu ; Mongelo qui apparaît à l’occasion d’un décès ; Nyabula qui intervient lorsqu’on a tué un éléphant. Il faut également noter la place importante qu’occupe Joboko, l’esprit qui préside au rite Yeli, et à Jengi, considéré comme l’esprit supérieur de la forêt.

La vie religieuse du village Moangué se partage manifestement entre le christianisme (église catholique, protestante) et l’animisme dont les activités sont coordonnées par une confrérie de vieux kobo. Par ailleurs, les célébrations eucharistiques sont programmées et dites par un prêtre qui vient de temps à temps de Messok (arrondissement situé à 23 km) mais, de façon régulière, les prières sont faites chaque jour par les sœurs de la congrégation spiritains. Malgré le déroulement des activités de l’église, les Baka continuent de pratiquer leur religion traditionnelle en silence à cause de son interdiction dans le village par un prêtre catholique. D’après les Kobo, lors d'une célébration eucharistique, un prêtre d'origine africaine dans son homélie avait demandé aux Baka d'abandonner la pratique du Jengi pour se convertir totalement au christianisme. Ceux des Baka qui étaient présents ce jour à l’église, avaient manifesté leur mécontentement. Depuis ce jour, une grande partie de la population Baka de Moangue le bosquet ne va plus à l’église sauf les élèves de l’école catholique ce qui a conduit à la définition du rite Jengi.

La religion baka donne une forte impression d’unité à l’univers (ABEGA, 2002 pp 43), unité qui ne justifierait pas une attitude de domination d’un élément par un autre. L’homme n’éprouve pas le besoin d’asservir le monde. Les esprits, les animaux, les hommes et la forêt forment un monde vivant où tous peuvent communiquer, s’influencer, donner et recevoir. La religion baka est l’endroit par excellence où se cristallisent l’échange et les relations.

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