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1-3 Au commencement : une offre d’emploi d’un Baka scolarisé

DESCRIPTION DU CADRE DE RECHERCHE

I BREFS RAPPELS SUR LE CAMEROUN

II- 1-3 Au commencement : une offre d’emploi d’un Baka scolarisé

L’histoire du village Moangué a commencé par une offre d’emploi à un Baka scolarisé. Mais il ne faut pas s’attendre ici à la définition purement occidentale de l’offre d’emploi c’est à dire composée d’un descriptif de l’employeur, l’intitulé du poste, la définition du

64 poste, la définition du profil recherché, la référence et l’adresse de réponse (émail). Même s’il y a des éléments de conformité de l’offre d’emploi de la sœur Albéric68, on remarque très rapidement qu’elle s’adapte au contexte traditionnel où le moyen de communication le plus efficace et efficient reste l’oralité (le bouche à oreille).

C’est dans cette perspective qu’une offre d’emploi avait été faite par la sœur Albéric au cours d’un culte religieux catholique à Messok vers les années 1969 et aussitôt, l’information fut relayée par plusieurs fidèles Bantous auprès des Baka. A cet effet, KALO69 Pierre a relaté point par point sa rencontre avec la sœur Albéric70.

Ce fut lors d’un séjour appelé bengo71 à Messok, que KALO a pris connaissance de l’offre de la sœur Albéric portant sur la recherche d’un Baka scolarisé dans l’optique de rassembler les communautés Baka dans un même endroit. C’est ainsi que Nzouabolo, ancien camarade de KALO à Abong Bang alla le présenter à la sœur un dimanche après la messe et, le jeune Baka obtint un rendez-vous pour le lendemain. Compte tenu de l’éloignement de son gBakaa (résidence), KALO sollicita l’hospitalité dans une famille Yé Silo, son clan d’origine. Au petit matin du lundi, il se rendit chez la sœur et subit un entretien sur son identité et les détails de son cursus scolaire.

La sœur lui demanda s’il était d’accord de l’accompagner dans son projet (affranchir les Baka de la dépendance des Bantous) et il donna son accord de principe. Mais la sœur religieuse l’avertit de la période d’essai symboliquement marquée par des tests de bravoure. Une sorte –d’imprégnation musclée à la vie moderne– où on doit travailler pour mériter toute chose. La providence de Komba dont KALO jouissait dans les campements s’estompait. Dorénavant KALO devait travailler pour mériter la moindre récompense. De toute évidence, la rencontre de KALO et la sœur fut déterminante pour l’avenir des communautés Baka installées à Messok et en périphérie.

68 Les mémoires de la sœur Albéric ne sont pas publiés, nous remercions la sœur Anne de nous avoir permis d’accéder à certaines notes.

69 C’est le Co fondateur du village Moangué le Bosquet depuis 1972. Fidèle ami de la regrettée sœur Marie Albéric, KALO avec maestria a réussi à ramener ses frères en bordure de route. Il a donc participé activement à la création du village Moangué et par conséquent est la preuve vivante des changements survenus sur les modes de vie des Baka. C’est également notre informateur clef de terrain.

71Cette expression désigne un court séjour des pygmées au village sur invitation d’une famille Bantoue. C’était une occasion pour les Baka d’acquérir des produits manufacturés (sel, étoffes, cigarettes et vin)

65 Le jour suivant, la sœur lui remit du matériel en lui expliquant les différentes tâches à effectuer. Il s’agissait du sarclage du jardin qu’il fit avec opiniâtreté. Après ce travail, la sœur l’encouragea et comprit que KALO était capable d’apprendre rapidement de nouvelles choses. Entre autres, KALO quittait le domicile de sa famille adoptive tous les matins pour se rendre au travail chez la sœur. Parfois, pour sa motivation, il recevait du riz, des boites de conserve et de l’huile. Par la suite, la sœur lui confia un travail de fabrication d’une citerne pour recueillir l’eau de pluie, travail qu’il fit avec ses frères sous la vigilance de la sœur. Elle lui donna aussitôt un autre travail de creuser un puits d’eau. KALO explique que, pour détecter la nappe phréatique, la sœur prit une baguette reliée à un fruit par une –petite chaîne– pour parler de la baquette sourcier qui sert de détection de veines d’eau de la nappe phréatique. Elle lui demanda par la suite de constituer une équipe de Baka et aussitôt le travail commença.

Cependant, les travaux d’entretien du jardin menés par NZOUABOLO lui avaient aussitôt été confiés puisque son ancien camarade d’école fut muté à un autre service. A l’aide de pelles, de pioches, de corde et de sceau, ils avancèrent progressivement dans le creusage du puits et à chaque fois, la sœur lui rappela l’intensité du travail. Lorsqu’il atteint le gros rocher, le travail devint très difficile au point que l’un de ses frères Baka émit l’idée d’abandonner. KALO lui dit en ces termes :

« L’homme doit toujours finir ce qu’il a commencé, on doit aller jusqu’au bout. Moi je vais vraiment vérifier si ce qu’elle dit est vrai que l’eau se trouve ici. Si je trouve l’eau ici je croirai en elle ».

Ils passèrent deux semaines à casser une roche au fond du puits. La pénétration à la couche fébrile signala l’eau. Un après–midi, avant d’arriver sur le sable dit KALO : « J’entendis un bruit, fien, fien je commençai à crier je dis : descendez moi la ficelle, moi je vais monter, moi je vais arrêter le travail. J’avertis les autres du bruit que j’entendis au fond du puits. La sœur ordonna alors qu’on ne m’envoie pas la corde en rétorquant qu’il fallait que je continue le travail. Je lui ai demandé si elle souhaitait ma mort. Je demandai la permission de me rendre aux chiottes mais elle refusa. Ainsi donc, je continuai à pleurnicher et je sortis finalement du puits. Je leur avais demandé de bien tenir la corde parce que si ces derniers la lâchaient, je devais tomber au fond du puits et mourir ».

66 Une fois sorti du puits, la sœur Albéric manifesta en ces termes : « même si ce travail s’arrête aujourd’hui, il faut que tu saches qu’il continuera demain et c’est toi qui auras la lourde charge de trouver mon eau ».

Le lendemain matin, l’un de ses frères descendit dans le puits mais ne trouva pas le « précieux sésame ». Au tour de KALO, l’eau commença à jaillir. En voyant la vitesse avec laquelle l’eau sortait du sol, il demanda la corde afin d’échapper à la noyade. La sœur lui dit : « non, il va falloir tout nettoyer avant de sortir ». Il fit le nettoyage du puits et sortit.

Après le puits, ils passèrent au projet de construction d’un centre d’enseignement des jeunes Baka à Messok. Le jeune KALO mit ses frères et sœurs au travail pour construire ce centre. Et c’est à partir de là qu’il commença à enseigner le français, les mathématiques et certaines règles d’hygiène à ses jeunes frères. Les enfants venaient nombreux et de partout pour suivre des enseignements. Après cette étape, la religieuse décida de faire la sensibilisation dans les autres campements pour appeler les Baka des zones éloignées de Bandouma, Bizam, Ngatto Ancien, etc. Seulement, une fois à Messok ils furent rapidement confrontés au problème d’espace. L’angoisse omniprésente et particulièrement sensible, KALO alla trouver un bosquet à 23 km de Messok entre les villages Nemeyong et Mayang. Cet espace était craint des voyageurs de jour et de nuit, constamment attaqués par les grands singes. En plus, des pratiques maléfiques étaient attribuées à ladite zone. Cette inquiétude contagieuse n’empêcha pas les Baka de s’y installer.

Il convient de dire que, tous ces tests avaient pour objectif principal, la vérification de la bravoure du jeune KALO.