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Le modèle paysan polonais et ses trajectoire

IV. D.3.a Notion polonaise de partenariat

La volonté de reconnaissance des tâches féminines face à des normes sous-jacentes de nature patriarcales justifie en général la problématique de genre.

Nous avons souligné le lien entre genre et attribution des tâches sur l’exploitation : les tâches agricoles sont non seulement sexuées mais peu modifiées par l’accès de l’un ou l’autre des conjoints au salariat : le conjoint demeurant sur l’exploitation intensifie ses propres fonctions et assume éventuellement une part des tâches de celui qui est salarié. Mais la personne salariée s’organise surtout en dehors de ses heures de travail pour continuer à assumer ses fonctions sur l’exploitation. Cette fixité de la répartition des tâches selon le genre peut être interprétée comme

un point de tension entre une perception patriarcale et une perception plus égalitaire, partenariale, de l’organisation paysanne.

Cette polarisation des tâches par genre justifierait au premier abord des arguments en faveur de la forte connotation patriarcale de l’organisation familiale polonaise : depuis la généralisation de la mécanisation des tâches liées aux cultures (fin des années 80), la femme est effectivement plus souvent cantonnée à la cour de ferme (basse-cour, jardin, nourrissage quotidien des porcs et bovins, accueil des visiteurs) et à la domesticité (transformation alimentaire des produits de l’exploitation, soin aux enfants, repas et ménage), fonctions contradictoires avec la notion féministe d’émancipation et d’indépendance, qu’il y ait parallèlement salariat ou non. L’épouse demeure cantonnée dans la sphère spécifique de la domesticité et de la production apparentée à cette domesticité.

Pourtant, la reconnaissance de la contribution féminine à l’ensemble du système paysan permettait paradoxalement et justement à cause de cette situation, à Lamarche de parler de partenariat entre genres plutôt que de domination masculine dans son commentaire du modèle polonais, son propos n’omettant toutefois pas de questionner l’équité de la répartition des tâches. D’après les enquêtes menées en 1988 à Zator, Drobin et Stęszew, l’auteur proposait l’analyse suivante :

« Dans 58 % des exploitations enquêtées (72 % à Zator), les femmes réalisent entre le quart et la moitié des travaux des champs. Si l’on exclut de ces travaux ceux qui sont typiquement réservés aux hommes, c'est-à-dire ceux liés aux travail de la terre ou à la récolte mécanique des produits48, l’appréciation du travail des femmes sera plus précise […] 17 % des femmes effectuent environ 50 % des travaux. Ainsi, la division sexuelle du travail ne s’opère pas, comme dans bien des cas ailleurs, en fonction des travaux liés aux productions végétales ou animales. Ce qui revient à dire que cette organisation est un genre de partenariat […] Dans presque 60 % des exploitations, tous les travaux relatifs à l’alimentation de la famille sont du domaine exclusif des femmes. Les autres travaux domestiques ne sont réalisés exclusivement par les femmes que dans 70 % des exploitations polonaises, ce qui est un taux très élevé. On peut seulement constater qu’il est préférable, en Pologne, d’être homme que femme.

L’écoulement des produits et la gestion de l’exploitation49 sont du ressort essentiel des hommes. Dans 44 % des exploitations, les femmes ne participent pas du tout à ces activités ; une exploitation sur dix indique que la femme s’occupe de l’écoulement des produits.

Ce modèle de division du travail fondé sur le « partenariat » entre personnes des deux sexes, tel qu’il existe en Pologne, concerne également la gestion de l’exploitation et la comptabilité de celle-ci. Le domaine des femmes dans l’exploitation agricole familiale est non seulement la maison, la cour et le potager mais aussi l’ensemble des travaux de l’exploitation. On pourrait dire que l’exploitation familiale polonaise s’appuie essentiellement sur la femme. Mais il faut également attirer l’attention sur la conséquence de cette réalité, le surmenage, car aux travaux de l’exploitation s’ajoutent les travaux domestiques, qui demeurent traditionnellement féminins. » [Lamarche, 1991 : 245 – 246]

Faisant référence au modèle paysan précédent l’adoption du modèle professionnel dans les années 60-70 en France, Rieu [2004 : 122] propose une analyse comparable, lorsqu’elle souligne que « la répartition des tâches sur les exploitations correspond généralement à une division sexuelle classique du travail : aux hommes incombe la responsabilité des travaux mécanisés de l’extérieurs (les femmes intervenant à la demande) ; aux femmes les travaux de soins aux petits animaux, de garde du troupeaux, de récolte des fruits ou de gavage des oies et des canards ».

Toutefois, son commentaire critique de cette organisation reflète la nature des luttes féministes qui ont traversé le secteur agricole comme l’ensemble de la société française à l’occasion de l’accès généralisé des femmes au salariat : « Autrefois, la division sexuelle du travail 48 L’auteur introduit ici un biais, en excluant les tâches du mécanique et du lointain, domaine masculin. Il reste alors les tâches assumées dans l’espace proche de la cour de ferme et liées aux élevages, domaines beaucoup plus féminins. Le résultat de son analyse en est déséquilibré.

était plus marquée et entrainait une forte dépendance des femmes vis-à-vis des conjoints [Elles] intervenaient peu dans la conduite et la prise de décision des exploitations agricoles» [Ibid]

Cette question de l’accès aux décisions représente un point de divergence entre les trajectoires françaises et polonaises du statut des femmes dans l’exploitation : alors qu’en France, la question de la reconnaissance égalitaire du travail des femmes vis-à-vis de celui des hommes est devenu un enjeu central de la question de genre dans le secteur agricole à la faveur de l’adoption du modèle professionnel, la trajectoire paysanne du système polonais contemporain procure aux femmes un statut paradoxal, à la fois marqué par la disparité des tâches et relativement égalitaire en terme de reconnaissance (accès aux décisions, reconnaissance des fonctions économiques). Ce statut spécifique ne s’institue pourtant à l’heure actuelle qu’au prix de l’autonomie économique des femmes, qui demeurent, dans le secteur agricole, dépendantes de l’ensemble des transferts financiers intra-familiaux, en particulier de l’activité économique de leur conjoint.

On peut alors s’interroger, en terme de confrontation de normes, sur la situation créée pour les agricultrices polonaises par l’émergence du modèle professionnel qui tente, avec l’entrée dans l’Union, de s’imposer dans le secteur agricole du pays.

IV.D.3.b - Evolution du statut professionnel des femmes dans le modèle

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