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Perspective historique, confluences théoriques

I. D.2.b Trois communes « de transfert »

Trois communes appelées « communes de transfert » ont accueilli la suite de nos

travaux de terrain. Les hypothèses validées à Knyszyn, commune de référence, y ont été nuancées et enrichies dans le but de construire un panorama qui ne peut certes être qualifié d’exhaustif mais a pour ambition de s’approcher davantage d’observations valides à l’échelle nationale. Des

entretiens de deux à trois heures ont été menés dans 8 exploitations à Zator, 8 exploitations à Drobin et 10 exploitations à Stęszew. La méthodologie d’enquête adoptée

dans la commune de référence et dans les trois communes de transfert sera décrite plus bas, dans le paragraphe consacré à cette question. Il appartient tout d’abord de justifier ce choix géographique.

Ces trois communes ont été choisies par Maria Halamska (IRWIR-Pan17, Varsovie),

Hugues Lamarche (CNRS-Ladyss18, Paris) et Marie-Claude Maurel (EHESS19, Paris) pour y

conduire, entre 1988 et 2000, plusieurs séquences de recherche dont les résultats ont été publiés pour partie en commun [Maurel, 1988 ; Lamarche (Dir.), 1994 ; Maurel, Halamska, Lamarche, 2003 ; Maurel, Halamska, 2006].

La fonction des entretiens conduits dans ces trois communes était de fournir des éclairages complémentaires aux résultats obtenus à Knyszyn. Il apparaissait alors judicieux de rassembler autant d’éléments de contexte que possible sur la situation passée et présente de ces trois communes et non d’y ré-entreprendre des recherches fouillées. La méthodologie adoptée par ces trois auteurs, décrite plus bas, pour choisir ces communes et surtout la quantité très importante de données, statistiques et bibliographiques, disponibles pour partie en français, concernant ces trois communes, a paru constituer un support précieux pour proposer des éléments d’analyse complémentaire sans ré-entreprendre l’ensemble de la collecte de données. Un tel projet n’aurait d’ailleurs été qu’en partie réalisable, la mise en perspective historique de la trajectoire agricole de ces trois communes réalisée par ces trois auteurs représente plus de vingt années de travail érudit. 17 Institut pour le développement rural et agricole, Académie polonaise des sciences, Varsovie

18 Centre national de recherche scientifique, Laboratoire des dynamiques sociales et recomposition des espaces 19 Ecole des hautes études en sciences sociales

Cette thèse ne peut être le lieu d’une telle ambition. C’est avec l’aval et le soutien de ces trois auteurs que nous avons entrepris, sur la base d’une partie de leurs données statistiques, cette nouvelle séquence de recherches à Zator, Drobin et Stęszew.

Le choix initial de ces trois communes revient à Maria Halamska et Marie-Claude Maurel. Dès 1980, Maria Halamska avait entrepris avec Olek Lutik et Jerszy Diatłowicki une enquête intitulée « Les agriculteurs et l’agriculture », qui visait à montrer la posture favorable des agriculteurs vis-à-vis des syndicats, notamment de Solidarność alors en pleine effervescence Les résultats de cette recherche ont été cités en France par Placide Rambaud [Rambaud, 1982]. Afin de mener à bien ces travaux, ces trois chercheurs avaient mobilisé une base de données créée pour les chercheurs de l’IRWIR-PAN et portant sur 34 communes polonaises choisies par des experts (démograhes, agriculteurs, géographes, historiens, sociologues). Parmi ces 34 communes, Zator, Drobin et Stęszew ont été choisies pour cette recherche sur les syndicats parce qu’elles étaient aussi différentes que possible les unes des autres et qualifiables (statistiquement parlant) de caractéristiques des trois grandes régions historiques du pays. Au terme de cette première recherche dans ces trois communes, les données disponibles s’étaient étoffées, venant compléter l’actualisation régulière de la banque de données, des contacts personnels s’étaient noués entre Maria Halamska et des habitants de ces communes (sołtys20, jeune agricultrice devenue

aujourd’hui présidente du conseil municipal…). Ces circonstance ont favorisé la poursuite des recherches dans ces quatre communes, en partenariat avec Marie-Claude Maurel dès 1981, qui souhaitait, à l’origine, se « rendre, pourquoi pas, dans des campagnes qui avaient refusé la collectivisation.

L’expérience aurait pu en rester là. C’était sans compter avec le choc ressenti face à cette réalité paysanne étonnante, déconcertante même. Dans l’itinéraire d’un chercheur en sciences sociales, il y a des temps forts, des coups de cœur parfois. Septembre 1981 en Pologne a été pour moi l’un de ceux là. Dans une situation économique catastrophique, une tension permanente entretenue par les autorités, la société polonaise donnait la preuve de sa détermination, à la mesure de ses espoirs » [Maurel, 1988, p.10]. L’auteur entreprend alors des voyages

répétés en Pologne au cours des années 80 et restitue, au terme de presque une décénie de recherches menées en étroit partenariat avec Maria Halamska, des travaux, d’ampleur nationale sur la situation socio-économique de la paysannerie polonaise au cours de cette période, menés malgré les conditions matérielles très difficiles de l’époque, « le rationnement d’essence, de nourriture.

Nous avons logé chez l’habitant qui nous a nourries, nous arrivions de Varsovie » où le rationnement était

extrême [Maurel, comm. pers.].

Dans « Les paysans contre l’Etat, le rapport de force polonais » [Maurel, 1988], l’auteur, en se basant sur une exploitation visuelle originale, sous forme de tableaux plus ou moins ombrés, de données statistiques à l’échelle des 49 voïvodies21 polonaises, propose une typologie en 5

groupes des formes d’agriculture dominante dans chaque catégorie, à partir de trois critères : structure des exploitations (formes de la production, taille) et vocations de la main-

d’œuvre familiale, rapport terre-travail, degré d’ouverture des exploitations aux échanges marchands. Les groupes 1, 2 et 3 disposent de « niveaux d’équipement et de modernité bas » [Maurel,

1988, p.34], les groupes 4 et 5 sont « caractérisés par de meilleures performances » [Ibid.].

Le groupe 1 se caractérisait à la fin des années 80 par des exploitations relativement grandes (>10 ha), une charge en main-d’œuvre par unité de surface la plus faible du pays, la prépondérance d’actifs agricoles à titre principal, une agriculture caractéristique de l’économie paysanne, avec de faibles recours à la mécanisation et aux intrants chimiques, une productivité

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Maire local 21

Premier échelon du découpage administratif polonais, à l’intérieur des frontières de l’Etat. Les voïvodies sont découpées en Powiat (districts), eux-même découpés en gnimy (communes). Une réforme administrative intervenue en 1999 a ramené le nombre de voïvodies polonaises à 16.

assez faible. Knyszyn est situé dans cette première zone définie par l’auteur, qui couvre un grand quart nord-est du pays.

Le second groupe de voïvodies se caractérisait par une quantité de main-d’œuvre/100 ha plus élevée, avec, là aussi, la prédominance d’actifs à titre principal et une intensification de l’activité globalement plus élevée que dans le premier groupe. L’auteur distingue la catégorie 2A, avec des exploitations d’un peu plus grande taille (5-7 ha) et un peu plus marchandes que dans la catégorie 2B (exploitations globalement <5 ha, niveaux d’équipement plus faible avec une productivité qui reste élevée). Drobin (aujourd’hui en Mazovie) était située dans la voïvodie de Płock appartenant au groupe 2A, qui couvre le centre du pays. Le groupe 2B est représenté majoritairement dans le centre-est.

Le troisième groupe couvre l’extrême sud, où se situe la commune de Zator (aujourd’hui en Petite Pologne) et le sud-est du pays. Le modèle d’agriculture dominant se caractérisait, grâce aux opportunité d’emploi locales, par la pluri-activité de la main-d’œuvre avec le profil d’ouvrier- paysan, sur des micro-exploitations.

Le quatrième groupe, caractéristique des zones péri-urbaines des grands bassins d’emploi de Łodz, Varsovie, Katowice et Cracovie, se caractérisait aussi par la prépondérance de petites structures aux niveaux d’équipement et de productivité plus élevés que dans les voïvodies du groupe 3, une agriculture plus spécialisée et intensive caractéristique des zones péri-urbaines, qui permettent la pluri-activité de la plupart des actifs agricoles.

Les exploitations dominantes dans le cinquième groupe de voïvodies défini par l’auteur combinent des dimensions variables mais avec des niveaux d’équipement et de productivité toujours relativement élevées, caractéristiques d’une agriculture paysanne intensifiée, modernisée, ouverte aux échanges marchands. La catégorie 5A, regroupant les voïvodies de Basse Silésie et de Grande Pologne et dans laquelle se situe la commune de Stęszew (aujourd’hui en Grande Pologne), était définie à la fin des années 80 comme plus acquise au progrès technique (mécanisation, usage des engrais), avec une agriculture « bipolaire », faite pour partie de micro- exploitations détenues par des pluri-actifs ou des retraités, pour partie par des exploitations de plus de 10 ha caractéristiques d’une agriculture paysanne relativement intensifiée. Des conditions de milieu moins favorables justifiaient une catégorie 5B caractérisée par une agriculture comparable quoiqu’un peu moins productive, située essentiellement dans les voïvodies de la zone nord-ouest et de la frontière allemande.

Les quatre communes étudiées dans cette thèse se situent dans quatre des cinq zones géographiques définies à l’origine par Marie-Claude Maurel d’après leurs caractéristiques agricoles dominantes. Le groupe 4, caractérisé par l’agriculture péri-urbaine, au destin spécifique, a été écarté.

Le principal élément de justification avancé par les auteurs en 1988 pour le choix de ces communes était leur situation respective dans les trois zones de partage historique de la Pologne, qui ont caractérisé le pays entre la fin du XVIIe siecle et 1918. Stęszew est située dans l’ancienne zone d’occupation allemande, Zator dans l’ancienne zone autrichienne, Drobin dans l’ancienne zone russe, tout comme Knyszyn.

Le propos de l’ouvrage « Démocratie et gouvernement local en Pologne » [Maurel, Halamska, 2006] se fonde en partie sur un commentaire approfondi des modes de domination. Cet héritage de la période des partages se traduit aujourd’hui dans des comportements politiques et sociaux et dans les relations à la technique dans le domaine agricole, deux domaines forgés de manière différenciée [Halamska, Maurel, 1993]. Dès 1988, ces deux auteurs ont pris acte de l’impact de ce facteur géo-politique sur les systèmes agraires contemporains.

I.D.2.c. Le choix d’un zonage de type administratif, ici la commune, peut se

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