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Perspective historique, confluences théoriques

III. C.3 Le « gel des structures » au cours de la période socialiste

III.C.3.a - 1948 - 1956

La période socialiste se caractérise par la mise sous contrôle des exploitations paysannes par l’Etat. Les premiers mouvements de collectivisation se sont en effet heurtés à de fortes résistances paysannes « passives mais opiniâtres » [Maurel et ali, 2003 : 49], traduites notamment par des réductions d’approvisionnement alimentaire dans l’ensemble du pays. Elles ont aussi été entravées par l’existence de divergences au sein de la sphère dirigeante, qui expliqueraient l’attitude pragmatique de Gomułka : hypothèse plus rarement avancée et qui mériterait d’être fouillée par des travaux d’historiens [Maurel et ali, 2003 : 50]. A partir de 1956, année marquée par les révoltes ouvrières les plus violentes, le mouvement de collectivisation connaît un rapide repli :

« En 1956, 10 510 fermes collectives, employant 220 000 familles, ont été créées. On pense alors qu’une nouvelle classe sociale est née dans les zones rurales, celle des « agriculteurs collectifs ». Cependant, en 1957, beaucoup de ces fermes vont être subitement dissoutes. Seules 1800 d’entre elles (regroupant quelques 21 000 familles) subsistent. De 1957 à la chute du régime communiste, le nombre des coopératives ne dépassera jamais 2500. » [Kocik, 1995 :134]

Les modalités de contrôle de la production et plus globalement de l’activité paysanne sont multiples : majoration significative des impôts au-delà d’une taille d’exploitation variable d’une région à l’autre mais faible (chasse aux koułak jusqu’en 1954) limitation du nombre et du montant des crédits aux investissements, prix à la production fixés par l’Etat, fournitures d’intrants contrôlés et globalement, « attribution contingente des moyens de production » [Maurel, 1988 : 172].

« Les paysans privant les fournisseurs de denrées alimentaires sont traités comme des acheteurs de second ordre et défavorisés par rapport aux autres sur le marché étatique des moyens de production. K. Gorlach souligne qu’ils sont particulièrement sensibles au fait qu’on les traite en « citoyens de seconde zone », dont on peut tout exiger mais auxquels on ne concède rien en retour [Gorlach, 1993] » [Kocik, 1995 :136]

L’ensemble du processus a suscité l’expression de « tolérance répressive », proposé par Gorlach d’après le philosophe Herbert Marcuse [Maurel et ali, 2003 : 51], reprise par Kocik [1995] et suscitant globalement l’unanimité chez les sociologues polonais penchés aujourd’hui sur cette période de l’histoire nationale.

En retour, la population paysanne réagit selon un mode… paysan. L’aptitude de cette population au repli autarcique sur les exploitations familiales fait partie non seulement de ses caractéristiques fondatrices [Mendras, 1995] mais aussi de ses armes : la résistance passive se traduit notamment par la réduction des volumes de denrées alimentaires livrées à l’Etat, avec pour conséquences un jeu d’affrontements/adaptations entre Etat et secteur agricole :

« La politique du pouvoir à l’égard du secteur privé de l’agriculture n’a cessé d’hésiter entre répression et tolérance. Aux périodes de redressement de la production agricole, obtenu par un desserrement des contraintes administratives pesant sur les exploitations paysannes, faisait bientôt suite un nouveau durcissement de la politique agricole restreignant le développement de ce secteur et entraînant, tôt ou tard, le retour des pénuries alimentaires et la montée des tensions sociales […]. L’alternance entre les phases de

tolérance à l’égard de l’agriculture paysanne et des phases plus coercitives formerait ainsi le registre sur lequel s’exprimeraient les relations entre l’Etat et les paysans. » [Maurel et ali, 2003 : 51]

Les éléments d’explication de la capacité de résistance paysanne, qui caractérise la période socialiste, sont multiples. Ils ne peuvent être exposés et compris que grâce au détail des alternances de crispation et de détente qui ont caractérisé les relations entre paysannerie et Etat socialiste en 1948 et 1989. L’Etat contre les paysansou « les paysans contre l’Etat », titre de l’ouvrage rédigé par Marie-Claude Maurel en 1988 avec l’appui, sans possibilité de faire figurer son nom, de Maria Halamska en Pologne, fonde ici l’essentiel du récit de cette période : la nature mouvante mais sans cesse renouvelée de cet affrontement au cours de la période socialiste explique le phénomène de pétrification des structures paysannes dans le pays.

Entre 1948, amorce de la mise en œuvre de la collectivisation et 1956, tournant politique marqué par le retour de Gomulka au pouvoir, la « chasse aux koułak37 » entreprise par le

gouvernement représente le facteur initial le plus manifeste de « pétrification » des structures. Elle prend la forme d’une pression fiscale croissante en fonction de la taille des exploitations.

Complété du processus de livraisons obligatoires, ce mouvement initial de collectivisation rompt brutalement « le consensus né de la réforme agraire » [Maurel, 1988 : 149]

L’exploitation familiale est discréditée de deux façons : jugée moins performante techniquement et économiquement que l’exploitation collective et notamment moins capable d’accroître la reproduction du capital, elle est aussi paradoxalement suspecte de représenter une niche d’accumulation privée du capital. « C’est le problème de l’ambiguïté de la paysannerie en tant que classe, de la présence en son sein de pôles sociaux antagonistes, une bourgeoisie rurale (paysans richesou « koułaks »), un prolétariat rural (paysans pauvresou « biedniaks ») […] Le refoulement des koułaks est le prétexte saisi pour étendre les violences au plus grand nombre » [Maurel, 1988 :149-150], à travers une politique anti-paysanne marquée par des contrôles et contraintes. Ce processus témoigne d’une traduction politique un peu au premier degré du projet léniniste. Szurek souligne d’ailleurs l’interprétation trop conceptuelle et approximative que propose Lénine lorsqu’il aborde la lutte des classes en agriculture. Décrivant l’approche de Lénine, Szurek explique :

« Il s’agit d’une analyse de stratification sociale fondée, non pas sur l’extraction de la plus-value récupérée par le capitaliste et à laquelle s’oppose le travailleur mais sur une distinction de patrimoine. Il n’y avait guère, certes, de gros revenus à l’époque de la paysannerie russe, dont la misère était profonde. Avoir deux chevaux de plus que le voisin, dans une situation de pénurie et de rareté, pouvait certes attiser des jalousies, des rivalités. Mais de là à dresser un « fossé de classe » ? Lénine ne mentionne en tout cas aucun fait pouvant attester l’existence d’un tel conflit. […] Quant à ces classes « pauvres », « moyennes » et « riches » énumérées par Lénine, elles ne sont rien d’autre qu’une transposition des critères statistiques, tout empiriques, relevés par l’auteur dans les recensements de l’administration tsariste » [Szurek, 1982 : 35]

Dans un contexte national marqué par la récente réforme agraire, qui a nivelé les tailles des structures, le projet de limitation des stratégies d’accumulation privée des terres prend un aspect dérisoire et suspect politiquement : « N’y a-t-il dont pas assez de « gros paysans » pour justifier la lutte des classes ? Ou faut-il de nouveau, à défaut de « spoliateurs du prolétariat », en créer ? » interroge Edouard Conte [1995 :81]. Il propose alors de mettre « en relief les facteurs qui président à la « construction » du koułak, ennemi de classe dont on considère l’existence indispensable pour légitimer la collectivisation face à la résistance passive des paysans […] La différenciation matérielle des ménages de Galicie occidentale est sans doute plus faible que jamais. En 1944, seules 2600 exploitations de la voïvodie de Lwów excèdent en superficie 10 hectares, lesquels vont d’ailleurs être amputés dans les plus brefs délais aux profit de nécessiteux. » [Conte, 1995 : 80]

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Fautif virtuel, le koułaks peine à trouver sa définition, du fait même de la spécificité des logiques paysannes, auxquelles cette logique socialiste d’origine demeure hermétique. Se fier à la taille des exploitation parait d’autant plus dérisoire que les exploitations de plus de 14 ha représentent désormais, après les reformes agraires, moins de 4 % en nombre à l’échelle nationale ; l’emploi de salariés, qui signalerait une catégorie d’exploiteurs, demeure rare et il est délicat de faire entrer dans cette catégorie les échanges de services et de main-d’œuvre caractéristiques du mode d’organisation des communautés rurales ; [Maurel, 1988 : 150] le refus de mettre à disposition de la coopérative l’unique cheptel de trait de l’exploitation suffit-il réellement à confirmer l’identité du koułaks ? [Conte, 1995 : 80] Ces difficultés de catégorisation des paysans riches, moyens et pauvres, qui caractérisent les contorsions conceptuelles propre à cette période face à « l’objet » paysan, génèrent successivement décisions arbitraires, réactions violentes et résistance passive des paysans, sous forme d’une chute massive de la productivité agricole nationale.

En tout état de cause, l’impact sur les structures est important : au cours de la décennie cinquante, « la superficie moyenne de l’exploitation individuelle tombe de 7 à 5,5 hectares, le nombre d’exploitations de plus de 15 hectares régresse [de…] 20 %, au profit des petites exploitations de moins de deux hectares (+33 %) et des exploitations de 2 à 5 hectares (+ 10 %). [Maurel, 1988 : 152].

Sur d’aussi petites structures, les paysans activent un premier levier de résistance caractéristique [Tchayanov, 1990 :101], sous forme de recours à la pluri-activité d’une partie des membres de la famille. Dans les bassins industriels du sud notamment, particulièrement propres à offrir des emplois complémentaires à l’activité agricole, le profil d’ouvrier-paysan se généralise.

Les familles paysannes préservent par ailleurs pour elles-mêmes le fruit de leur travail et la production alimentaire et opèrent un repli autarcique caractéristique du mode de réaction paysan aux périodes de crise. Ce second levier de résistance, unique en son genre du point de vue des catégories sociales, est puissant :

«Durant les années de collectivisation, si le pouvoir est parvenu à renforcer sensiblement son contrôle sur les moyens techniques de production, c’est au prix d’une grave crise d’approvisionnement. En revanche, il a échoué dans sa tentative pour faire progresser significativement et durablement la socialisation du sol […] La politique agraire formulée en 1957 renonce à la collectivisation rapide et adopte une série de mesures qui atténuent sensiblement les pressions économiques et administratives sur les paysans. Dans une atmosphère assainie, la production se redresse. » [Maurel, 1988 : 153]

Amorçant d’une dynamique de résistance qui traversera les décennies, ces années staliniennes, de 1948 à 1956, voient l’exploitation familiale sortir victorieuse, quoique affaiblie, de l’imaginaire lutte des classes entreprise par les dirigeants. «Le retour de Gomulka au pouvoir en 1956 signifia une politique agricole nouvelle qui accordait à l’exploitation familiale un avenir certain. » [Szurek, 1985 : 246]

III.C.3.b - 1956 - 1970

Au terme de cette première crise, le retour de Gomulka au pouvoir se caractérise pendant deux ans par un relatif assouplissement des conditions de socialisation de l’agriculture qui prévalent au cours de cette longue période. Les livraisons obligatoires sont maintenues mais leurs volumes sont restreints, les prix des produits perçus lors de ces livraisons sont relevés. La

possibilité de dissoudre les coopératives afin de reconstituer les exploitations familiales démantelées est ouverte. La possibilité d’achats de produits sous forme de contrat avec l’Etat vient compléter les livraisons obligatoires, tout en ouvrant des facilités d’accès aux engrais, au fourrage, à l’achat de charbon… Les impôts fonciers, ainsi que leur caractère progressif en fonction de la surface de l’exploitation, sont allégés. Toutefois, quoique assoupli, le processus de mise sous contrainte de l’agriculture familiale demeure intact.

A partir de 1959, le processus de socialisation se retend à travers l’instauration de nouvelles mesures, visant à restructurer les exploitations et à encourager des formes d’organisation collective du travail. Ainsi, la vente de tracteurs aux exploitations individuelles est interdite, afin d’encourager le recours aux machines détenues par les cercles agricoles mis en place par l’Etat. Préférant renoncer partiellement à la mécanisationou se tournant vers le recours à l’entraide en sollicitant les rares propriétaires privés de tracteurs, les agriculteurs vident ces cercles de leur activité, perçus comme une source de contrôle supplémentaire de leur activité et comme une forme de « socialisation par le tracteur ».

Une série de mesures vise à alimenter un Fond foncier d’Etat. Il centralise des terres destinées ensuite soit aux grandes exploitations dont la gestion est centralisée, soit à organiser une restructuration des exploitations en favorisant le rachat ou la location des terres. Il s’agit de constituer des exploitations de plus de huit hectares. Le premier de ces projets domine progressivement sur le second.

Une loi sur les retraites permet d’obtenir une pension sous réserve de mise à disposition des terres libérées en faveur du Fond d’Etat. Seuls les exploitant cédant plus de cinq hectares peuvent en disposer, ils perçoivent alors une pension qui n’atteint qu’1/5eme du salaire ouvrier moyen.

Deux lois entrent en application, l’une portant sur le rachat forcé des terres mal cultivées, l’autre sur le remembrement appliqué aux propriétés d’Etat afin de former de grandes exploitations d’un seul tenant. Enfin, une loi visant à freiner le morcellement des structures n’autorise la transmission d’exploitations de moins de huit hectares que si elles restent indivises ou viennent agrandir une exploitation voisine.

Le nombre d’exploitations diminue par conséquent, le nombre d’exploitations de plus de dix hectares augmente alors que s’amenuise le nombre de très petites exploitations. Pourtant, les exploitations de moins de cinq hectares restent prépondérantes dans le pays. « A la fin de la période Gomulka, l’apparente apathie des exploitations paysannes révèle l’usure de la politique économique en matière agricole. » [Maurel, 1988 : 157]

III.C.3.c - 1970 - 1980

Les émeutes sanglantes de 1970 ramènent Gierek au pouvoir. La période 1970-1980 représente « une période d’ambiguïté et de paradoxes » [Ibid : 159]. Elle voit l’alternance de soutiens et limites aux dynamiques paysannes. Elle permet aussi paradoxalement la résistance de ces structures agricoles à travers les mesures mêmes qui devaient accroître leur degré de socialisation.

Sous Gierek, « d’un côté on renforçait l’agriculture d’Etat, alors que de l’autre on donnait aux exploitants familiaux l’espoir – et certains moyens – de l’essor économique. Il est encore impossible de comprendre à quoi obéit cette double stratégie : peur d’une collectivisation intégrale ? D’une privatisation exclusive de l’agriculture ? Les deux raisons sont peut-être cumulées. Quoi qu’il en soit, les accélérations et décélérations en faveur de l’un ou l’autre secteur entre 1956 et 1980 semblent indiquer que chaque option avait ses partisans au niveau le plus élevé. » [Szurek, 1985 : 246]

De même qu’immédiatement après la crise de 1956, cette nouvelle période politique s’ouvre avec d’importantes concessions consenties au secteur privé de l’agriculture. En 1972, les livraisons obligatoires sont supprimées, les prix agricoles relevés, la possibilité d’achat privé de machine est ré-ouverte, une assistance médicale gratuite est mise en œuvre pour les paysans.

Dès 1974 néanmoins, un nouveau mouvement de durcissement s’amorce, confirmant l’orientation d’ensemble de la politique socialiste polonaise en faveur d’un renforcement du contrôle des formes paysannes de production et d’une forme d’élimination, sélective au moins.

« La politique agricole esquissée au début des années soixante-dix s’inscrit dans une stratégie de développement orientée vers une amélioration de la consommation répondant aux besoins sociaux. […] Loin d’être un but stratégique dont on diffèrerait la réalisation, [la socialisation de l’agriculture] est présentée comme la solution logique aux problèmes structurels » [Maurel, 1988 : 160].

Le renforcement du contrôle s’établit en imposant non plus des livraisons obligatoires mais la vente sous contrat d’au moins 4/5eme de la production agricole, ainsi que l’achat obligatoire de quotas d’engrais par chaque exploitation, mesure perçue immédiatement comme une forme détournée de taxation.

Les restructurations amorcées au cours de la période précédente sont relancées, à nouveau grâce aux politiques de retraites et à la mobilisation du fond foncier d’Etat. A partir de 1974, puis en 1977, deux lois sur les préretraites étendent l’application de ces pensions aux propriétaires d’exploitations de plus de deux hectares et à ceux qui, n’ayant pas atteint l’âge de la retraite, cèdent leur exploitation au Fond d’Etat. En 1977, la retraite est accessible à tous dès lors que l’exploitation est transmise à un successeur et que l’agriculteur a livré une production valant au moins 15 000 zl à l’Etat au cours des 25 ans précédents (20 ans pour une femme). Ainsi, le repli sur des stratégies d’auto-approvisionnement doit-il, selon la logique de la loi, être dissuadé.

De nouvelles formes de coopération sont encouragées, sous forme de regroupement d’un nombre éventuellement restreint de familles, chacun restant propriétaire de sa terre, la coopérative faisant l’objet d’un contrat collectif avec un secteur d’Etat qui apporte alors un soutien technique et financier spécifique. Par ailleurs et c’est nouveau dans ce processus politique d’ensemble, le développement d’exploitations plus grandes, plus intensives et plus spécialisées est encouragé, à travers un soutien sélectif. Les productions animales mobilisant des fourrages concentrés produits hors de l’exploitation, voire importées, constituent un pilier de ce nouveau modèle. Sous contrat, les exploitations adoptant ce type d’orientations bénéficient alors d’avantages importants en matière d’approvisionnement, de moyens techniques et d’accès au crédit.

Le résultat est paradoxal : le procédé favorise moins l’émergence de la catégorie d’exploitations attendue que l’hostilité de la grande majorité des paysans, tenus à l’écart de ces mesures perçues comme discriminatoires. [Maurel, 1988 : 163]. Il en va globalement ainsi de l’ensemble des mesures de socialisation prises depuis 1948 et particulièrement de l’ensemble des mesures de restructurations mises en œuvre depuis 1974.

« La politique de socialisation des terres semble avoir eu un impact opposé aux objectifs de restructuration. La menace qu’elle représentait a joué un effet dissuasif sur les investissements à long terme et les projets d’installation des jeunes sans laisser place à une réelle amélioration des structures. D’une manière générale, la rupture du consensus [ouvert par les trois premières années du gouvernement Gierek] a eu des répercussions négatives sur la productivité des exploitations paysannes. » [Maurel, 1988 : 171]

Selon Maurel, les diverses modalités bridant les investissements agricoles (verrouillage de l’accès au crédit et aux biens de production d’origine industrielle, restriction des mécanismes de marché, attribution sélective des investissements et des machines) « freinent la modernisation de l’agriculture paysanne et limitent son efficience. C’est moins le dispositif de contrôle qui se révèle préjudiciable au développement de la production agricole que les actions en retour qu’il

déclenche. […] C’est dans sa capacité de défense, face à ce que les paysans considèrent comme de véritables agressions que le système puise sa stabilité relative.» [1988 : 171-172]

Au bilan, la capacité de résistance collective (quoique à travers une somme de stratégies individuelles) des paysans se révèle une fois encore plus puissante que la volonté d’Etat : la consolidation du modèle de la petite exploitation de poly-culture-élevage, autonome grâce à l’auto-production, l’auto-consommation et la pluriactivité familiale, se poursuit.

Les exploitations paysannes s’organisent autour de stratégies de repli caractéristiques. Le recours à des emplois à temps partiels constitue, comme nous l’avons mentionné plus haut, le premier levier d’adaptation mobilisé par les familles paysannes et permet la poursuite des activité des plus petites structures sans recours majeur au marché, grâce à l’autonomie économique procurée. Par ailleurs, la terre, considérée comme l’ultime recours en terme de sécurité familiale (sociale autant qu’alimentaire), ne se vend guère, contrairement au projet de socialisation et de restructuration. Le second levier demeure le recours maximum à l’autofourniture, notamment en matière de fourrages : si les contrats avec l’Etat incitent à un recours accru au marché et à l’intensification des productions, les restrictions, voire les ruptures d’approvisionnement, tant en matière d’intrants que de biens d’équipements ou de productions intermédiaires (céréales et concentrés des rations animales par exemple), dissuadent les paysans de parier trop amplement sur ces contrats et favorisent les systèmes autonomes : plus extensifs, ils sont aussi plus sûrs.

Les fonctions de gestion, de décision et d’exécution, cumulées par le paysan-propriétaire à l’échelle de sa propre exploitation, permettent l’adoption de ces stratégies. Les espaces d’autonomie ouverts malgré tout par la gestion socialiste permettent de mettre en œuvre une organisation qui permet la poursuite des activités de l’exploitation. Cette insertion partiellement autonome dans un environnement politique globalement difficile mais avec lequel les interactions sont inévitables, a inspiré à Maria Halamska l’expression « d’unités symbiotiques de l’économie collectivisée ».

« Si le principe de rationalité du contrôle limite la liberté d’action de l’exploitant, il ne s’applique jamais totalement mais demeure partiel et définit un espace économique mobile, c’est-à-dire une marge de manœuvre possible mise à profit par les producteurs familiaux pour accroître leur autonomie de fonctionnement » [Maurel et ali, 2003 : 53].

A ces stratégies paysannes s’ajoute un phénomène passif : au cours de cette période, les exploitations restent faiblement différenciées, se caractérisant par un profil de polyculture-élevage

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