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C.2 L’action homogénéisante des différentes vagues de réforme agraire sur les structures

Perspective historique, confluences théoriques

III. C.2 L’action homogénéisante des différentes vagues de réforme agraire sur les structures

A l’heure actuelle, les structures d’exploitations polonaises présentent des tailles échelonnées de moins de un ha à plusieurs centaines, voire milliers d’hectares. Toutefois, les exploitations petites et moyennes dominent nettement. Cette situation est le fruit de plusieurs vagues de réformes agraires conduites avec plus ou moins de frustrations selon les périodes depuis le début du XXeme siècle. Ce nivellement des structures, quoique bien entendu inachevé, a

tout de même conduit à l’émergence d’un noyau d’exploitations petites à moyennes qui demeure stable. Le système de production de polyculture-élevage adopté initialement dans ces exploitations conformément à une logique paysanne de diversification des sources des productions, des sources d’autoconsommation et de revenus, a ensuite été « gelé » durant la période socialiste : dans un contexte de fortes tensions entre Etat et paysans, une double dynamique de contraintes politiques visant à limiter les stratégies d’accumulation (après des tentatives infructueuses pour collectiviser le secteur agricole à l’image des autres secteurs économiques) et de cantonnement des exploitants dans des stratégies assurant la sécurité de base de la famille (autonomie maximale afin d’offrir peu de prises aux aléas économiques et politiques) a stabilisé les structures agricoles générées par les réformes agraires.

En 1998, près de dix ans après l’amorce de la période de transformation politico- économique et au moment de la mise en œuvre de la période de pré-adhésion à l’Union, le profil structurel du secteur agricole polonais ne s’était pas radicalement modifié.

Nous présentons dans les paragraphes suivants les principaux éléments qui ont concouru, au cours de XXeme siècle, à l’émergence puis à la consolidation de petites et moyennes

exploitations orientées vers un système de polyculture-élevage. C’est ce modèle qui continue de fonder aujourdhui l’idéal-type d’exploitation que nous mettrons ensuite en évidence.

III.C.2.a - 1920

La réforme « agrarienne » de 1919-1920, préconisée par le parti rural paysan de Witos, est fondée sur l’idée que la Pologne repose sur les paysans. Cette réforme fixe dans l’ouest du pays la surface maximale des exploitations à 180 ha (ou 60 hectares dans les faubourgs, 400 hectares dans les « confins » du nord-ouest et du sud-ouest). Les propriétaires sont partiellement indemnisés. Le rachat des terres par les « sans terres » ou par les propriétaires « d’exploitations naines » (moins de 2 hectares) est financé par des prêts de quarante et un ans accordés notamment par la Banque agricole d’Etat. Les exploitations obtenues n’excèdent pas 15 hectares. [Ancel, 1937 :570]

III.C.2.b - 1925

La réforme dite « nationale » de 1925 marque le second acte des réformes agraires couvrant l’ensemble du territoire, guidé par les protestations soulevée par les premières réformes, autant de la part des grands propriétaires fonciers que de la part des ouvriers agricoles privés d’emploi par le démantèlement des domaines. « Elle décide l’expropriation des seuls domaines de plus de 300 ha, qui appartenaient à l’Etat, à l’Eglise, aux institutions publiques. Ce n’est qu’ensuite que devaient être saisis les biens des grands propriétaires, des individus possédant plus de 180 hectares […] Les exploitations nouvelles devaient s’étendre sur 35 hectares au maximum, 20 hectares en Pologne centrale » [Ancel, 1937 :571]

Le rythme de la réforme est extrêmement lent et ne touche qu’une faible part de la surface agricole polonaise totale

Cette phase de la réforme vise à prévenir le désordre social venant de trop grandes inégalités foncières, qui compromettrait l’effet d’écran joué dans les confins du sud-est par la paysannerie, d’autant plus susceptibles d’accepter l’infiltration soviétique que sa situation serait économiquement et socialement difficile.

« Cependant, Ukrainien ou polonais, le petit paysan n’assouvit pas sa « faim de terre » pour la simple raison que la réforme agraire n’a pas été conçue par les conservateurs, contrairement aux attentes des partis dominants, pour bouleverser la hiérarchie foncière » [Conte, 1995 :71]

« De 1919 à 1937, en dépit de la pénurie de crédit agricole, 2,5 millions d’hectares – soit un dixième de la surface arable de la Pologne – sont vendus à 700 000 familles. En outre, 5 millions d’hectares sont réaffectés par remembrement : 770 000 cultivateurs profitent de cette mesure. Une moitié des terres remembrées est attribuée à des colonies agraires de peuplement, l’autre venant agrandir les microfundia. Malgré son apparente ampleur, la réforme ne parvient nullement à résoudre la question agraire. Certes la quantité des exploitations de moins de deux hectares est réduite d’un tiers, passant de 1,1 million à 740 000, tandis que celle des propriétés de plus de 50 hectares diminue de 30 000 à 14 700. Cependant, le nombre de fermes de 2 à 5 hectares ne progresse que marginalement (de 1 million à 1,14). En termes statistiques, on observe un sensible nivellement aux extrêmes mais la prééminence de la grande propriété, consolidée plus que réduite, n’est pas entamée. » [Conte, 1995 :68]

Après plus de dix ans de tentatives de répression, le « Parti paysan » reflète la situation de paysans polonais qui, représentant 70 % de la population nationale, vivent très mal la crise économique. Malgré les promesses d’une réforme agraire plus complète avancées par le gouvernement, le Parti paysan «ne se laisse pas séduire. […] A l’été 1937, sont-ce les prodromes d’une révolution « pour la terre » ? Le 15 août, anniversaire de la victoire de Varsovie sur l’armée rouge, des manifestations monstres se déroulent avec un million et demi de participants. Toujours le même programme : anticommunsime, antifascisme, régime démocratique, réforme électorale, amnistie » [Ancel, 1937 :577]. Les grèves paysannes qui bloquent l’approvisionnement des villes sont réprimées dans le sang.

« La question se pose de savoir si en Pologne, où l’idée de l’Etat a précédé l’idée de Nation – forte surtout durant les partages, quand il n’y avait pas d’Etat -, l’idée de la Nation ne s’efface pas – comme ailleurs – devant l’idée de classe ; les grands propriétaires, polonais ou allemands d’un côté et, de l’autre, la masse paysanne. […] Et il n’est pas sûr que les revendications coloniales de la Pologne permettent d’enterrer la réforme agraire » [Ancel, 1937 :577]

La seconde guerre mondiale interrompt la dynamique politique en cours : la Pologne « subit l’épreuve renouvelée du partage et celle d’une occupation qui dépasse en violence et en atrocités toutes les occupations précédentes. » [Maurel, 1988 : 142]. Le pacte germano-soviétique réserve les zones de l’ouest au Reich, les territoires orientaux sont dans un premier temps annexés par l’Union soviétique avant d’être eux aussi envahis par les allemands. Les régions du centre sont soumises à des livraisons forcées de proportions importantes de la production agricole. Le Parti paysan, mené par son leader Mikolajczyk, met sur pied une armée de résistance qui rejoint progressivement l’armée intérieure et se fait représenter dans le gouvernement en exil, où il soutient un programme de réformes sociales pour l’après-guerre. La paysannerie organise aussi la résistance civile : diffusion clandestine de la langue et de la culture polonaise auprès des jeunes générations, diffusion de journaux, protection de l’appareil coopératif…

« A côté de l’héroïsme des combattants, que symbolisent les bataillons paysans, on retrouve dans les réactions de la paysannerie une tradition de résistance passive qui lui est aussi spécifique » [Maurel, 1988 : 143]

III.C.2.c - 1944

Le 6 septembre 1944, quelques semaines après la libération des territoires orientaux de la Pologne, dans un pays « ravagé et ruiné » [Maurel, 1988 :144], le décret de la réforme foncière est promulgué par un gouvernement tentant d’obtenir le soutien du mouvement paysan en satisfaisant l’une de ses exigences fondamentales. Le décret limite à 50 hectares la taille des exploitations des voïvodies du sud de la Pologne, du centre et des régions orientales et à 100 ha celle des exploitations du nord et de l’ouest du pays, sans aucune compensation. Les fermes créées n’excèdent pas 5 ha, le décret interdit de les subdiviser, de les vendre ou de les louer [Kocik , 1995 : 133]. La réforme bénéficie à 440 000 familles, non sans violence et abus. Toutefois, le nombre d’exploitations de moins de deux hectares diminue considérablement, les disparités sociales se réduisent.

Le bilan de ce remaniement progressif des structures en Pologne annonce la situation contemporaine :

« Les terres confisquées en 1944 ont constitué un Fond foncier d’Etat qui a servi de base à la redistribution au profit des paysans d’une part, à l’établissement d’exploitations agricoles d’autre part. Quelque 6 100 000 hectares, soit un peu moins de 50 % des terres reprises, ont été redistribués. La superficie des exploitations créées ou agrandies ne devait pas excéder cinq hectares, mais, tandis que sur le territoire de l’ancienne Pologne la réforme agraire créait des dizaines de milliers de petites exploitations de taille inférieure à cinq hectares, en Pologne occidentale chaque famille recevait entre sept et quinze hectares, de manière à favoriser dans ces territoires repris aux allemands un système d’exploitation plus stables […] La réforme agraire a ainsi directement pérennisé les différenciations régionales héritées. Au recensement de 1950, plus de la moitié des exploitations avaient moins de cinq hectares […], 13 % seulement cultivaient plus de dix hectares.» [Maurel, 1988 : 146]

Si les différences de traitement régional ont effectivement instauré des disparités de tailles d’exploitations d’une région à l’autre, le modèle de la petite exploitation paysanne s’est globalement répandu dans le pays.

Ces redistributions foncières sont récentes dans la trajectoire nationale et fondent l’identité des familles : au cours de nos entretiens, la grande majorité de nos interlocuteurs s’est montrée capable de retracer l’histoire de l’exploitation depuis la réforme agraire. Ainsi, la surface obtenue

par les aïeux lors de la réforme agraire (quelque soit sa date, entre 1921 et 1944, qui, curieusement, est, elle gommée la plupart du temps et doit être retrouvée par recoupements) est connue, ainsi que les jeux de division par transmission d’une génération à l’autre et de recomposition par les mariages. Dans certaines familles, le souvenir des remembrements des années 1910-1920 a été transmis aux jeunes générations.

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