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Chapitre 2 : La protéine Tat du VIH-1

C. Neurotoxicité de Tat

La Tat sécrétée peut causer des lésions neuronales de manière directe ou indirecte. Des études suggèrent en effet que Tat participe à la démence associée au VIH-1 (Haughey and Mattson, 2002). La neurotoxicité de Tat peut se manifester de manière indirecte. Il a été montré que Tat altère l’expression des protéines des jonctions serrées, les claudines-1 et -5 dans les cellules endothéliales microvasculaires cérébrales (Toborek et al., 2005). En affectant la perméabilité endothéliale, Tat contribue à la rupture de la BHE ce qui conduit à l’infiltration de cellules inflammatoires dans le SNC (Andras et al., 2003; Toborek et al., 2005). Tat participe à la cascade inflammatoire associée aux HANDs en permettant la production de TNF-α et d’IL-1 par les monocytes et les macrophages ainsi que la production de plusieurs cytokines et chimiokines (dont l’IL-8, RANTES, MCP-1 et TNF-α) dans les astrocytes, ce qui mène à la neurotoxicité (Nath, 2002).

Les lésions neuronales peuvent également résulter d’un mécanisme direct par l’interaction de Tat avec les neurones. Tat entre dans les neurones grâce à sa liaison au LPR sur les neurones (Liu et al., 2000). La neurotoxicité de Tat implique une augmentation prolongée du Ca2+ intracellulaire dans les neurones suivie par une augmentation des espèces réactives de l’oxygène (ROS) et l’activation des caspases de la voie apoptotique (Nath, 2002; Song et al., 2003). Tat joue un rôle important dans la pathogenèse, à la fois comme un médiateur intracellulaire et extracellulaire de la neurotoxicité (Wong et al., 2005).

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Il a été récemment montré par une équipe Strasbourgeoise avec laquelle nous collaborons que la Tat extracellulaire une fois internalisée par les neurones inhibe fortement la sécrétion de neuromédiateurs (Tryoen-Toth et al., 2013). La Tat internalisée est tout d’abord trouvée au niveau des structures endosomales précoces. La Tat endocytée, après s’être dissipée progressivement dans le cytosol à cause de la translocation à travers la membrane endosomale (Vendeville et al., 2004; Yezid et al., 2009) se localise au niveau du feuillet interne de la membrane plasmique. L’interaction de Tat avec le PI(4,5)P2 est principalement responsable du recrutement de Tat à la membrane plasmique. Tat déplace alors l’annexine A2, un constituant majeur de la plateforme exocytique dans les cellules neuroendocrines (Umbrecht-Jenck et al., 2010), de la périphérie cellulaire. La haute affinité de Tat pour le PI(4,5)P2 interfère donc avec le recrutement de l’annexine A2. La translocation de l’annexine A2 dans les cellules exposées à Tat amène à la diminution du nombre d’évènements exocytiques. A travers sa capacité à lier le PI(4,5)P2, Tat désorganise la machinerie d’exocytose, menant à l’inhibition de la neurosécrétion. L’inhibition de la sécrétion a été observée à des concentrations de Tat de l’ordre du nanomolaire, comparables avec celles de la Tat circulante (Westendorp et al., 1995; Xiao et al., 2000). Tat inhibe également la dépolymérisation du cytosquelette d’actine cortical nécessaire pour l’exocytose dans ces cellules.

3. Transduction par Tat

Tat possède une séquence peptidique, ayant 9 acides aminés riches en arginine, appelée domaine de transduction protéique (DTP). Le domaine basique minimal (aa 49 à 57) est responsable de la transduction intracellulaire de la protéine Tat (Ezhevsky et al., 1997; Vives et al., 1997). Ce DTP confère à la protéine la capacité d’être transportée à l’intérieur des cellules sans l’intermédiaire d’un récepteur spécifique (Ezhevsky et al., 1997). Il se fixe via des interactions ioniques avec la membrane plasmique, impliquant les charges positives des arginines et les charges négatives des HSPGs de la surface cellulaire (Tyagi et al., 2001). Le PTD peut également entrer dans la cellule en utilisant la voie d’endocytose à clathrine et/ou la macropinocytose (Gump and Dowdy, 2007; Wadia et al., 2004).

Ce domaine fusionné à d’autres protéines ou macromolécules permet leur entrée dans le cytoplasme par simple translocation membranaire (Mann and Frankel, 1991). C’est en 1991 que Tat a proposée pour la première fois comme vecteur afin de faciliter la transduction intracellulaire de protéines ou de macromolécules d’intérêt (Mann and Frankel, 1991). Trois

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ans plus tard, la protéine est utilisée comme outil de transport : le peptide de Tat contenant le DTP fusionné à la β–galactosidase (β-gal), à la peroxydase (HRP) ou à la RNase A permet l’internalisation de ces protéines par translocation membranaire (Fawell et al., 1994). Les expériences de transduction ne se limitent pas aux protéines. Des oligonucléotides (Astriab-Fisher et al., 2000), des liposomes (Torchilin et al., 2001), des phages (Eguchi et al., 2001) et de courts peptides (Dostmann et al., 2000) ont aussi été internalisés. Le DTP constitue donc un outil permettant l’internalisation de molécules non perméantes comme les peptides à visée thérapeutique. L’efficacité du transport dépend des protéines testées.

4. Les protéines Tat du sous-type C

Le sous-type C est prévalent en Afrique et en Asie du Sud et est responsable de 50% des nouvelles infections au niveau mondial (Geretti, 2006). Il a été montré que le sous-type C présent sur le continent asiatique, issu du sous-type C d’Afrique du Sud, évolue indépendamment depuis les quarante dernières années (Neogi et al., 2012a; Neogi et al., 2012b). Dans environ 90% des isolats du sous-type C faits en Asie, le gène tat présente un polymorphisme C31S. En effet, alors que les isolats du sous-type C d’Afrique du sud (Afrique du Sud, Zambie et Botswana) affichent une protéine Tat avec un motif dicystéine (C30C31), les isolats d’Asie du Sud-Est (Inde et Bangladesh) ont un motif C30S31.

Une étude montre que la Tat endogène du sous-type C C31S a plus d’affinité à la fois pour l’élément de réponse au transactivateur et P-TEFb que la Tat du sous-type B et a ainsi un plus grand potentiel transactivateur (Desfosses et al., 2005). Il a été montré que les résidus sérine de Tat sont phosphorylés par la cyclin-dependent kinase-2 et que cette phosphorylation est importante pour la transcription du VIH-1 et l’activation des provirus intégrés (Ammosova et al., 2006). Il est possible que la mutation 31 trouvée dans le sous-type C fournisse un nouveau site de phosophorylation, compensant la perte de la cystéine et augmentant son activité transactivatrice. Il est aussi possible que la mutation C31S ait d’autres fonctions que celles identifiées.

Des études montrent la faible prévalence des HANDs (0-6%) en Inde où le sous-type C prédomine (Satishchandra et al., 2000). Cela contraste avec les études réalisées dans des régions où le sous-type B prédomine (i .e Etats-Unis) où la prévalence des HANDs est plus élevée (15-30%) (Langford et al., 2003; Sacktor et al., 2001). Cela implique des différences spécifiques du sous-type dans la neuropathogenèse.

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Les isolats issus du sous-type C d’Afrique du Sud, contenant le motif dicystéine, sont plus neuropathogéniques (Grisson et al., 2004). En effet, les tests cognitifs chez la souris suggèrent que les isolats présentant le motif C30C31 peuvent être aussi neurotoxiques que les virus du sous-type B. Au contraire la présence de la mutation C31S inhibe significativement le chimiotactisme des monocytes en empêchant l’interaction de Tat avec le CCR2, ce qui inhibe l’induction du flux calcique intracellulaire et la production de TNF-α et de CCL2 (Ranga et al., 2004). Comme nous l’avons vu précédemment, la Tat du sous-type B augmente l’expression des gènes du TNF-α et de l’IL-6 dans les monocytes, ce qui n’est pas le cas de la TatC C31S. Inversement, l’expression des cytokines anti-inflammatoires (IL-4 et IL-10) est augmentée par la TatC C31S comparé à celle du sous-type B (Gandhi et al., 2009). Des études suggèrent que l’IL-4 possède un effet neuroprotecteur en inhibant la nitric oxide synthase (iNOS) dans les monocytes infectés par le VIH-1 (Bukrinsky et al., 1995). Moins de NO est synthétisé, ce qui réduit les dommages neuronaux. L’IL-10, aussi connue comme ‘le facteur inhibant la synthèse de cytokines’, inhibe la production des cytokines inflammatoires IL-1, TNF-α et IL-6 dans les macrophages activés et prévient donc le développement des réponses inflammatoires chroniques (Breen, 2002). La surexpression de l’IL-10 diminuerait l’expression des récepteurs aux chimiokines sur les cellules T, ce qui limiterait l’entrée virale (Kumar et al., 1998).

En résumé, une plus faible expression des cytokines pro-inflammatoires et une plus forte expression des cytokines anti-inflammatoires par TatC (C31S) par rapport à TatB est probablement impliquée dans la diminution de la neuropathogenèse dans le cas des infections par le sous-type C.

5. Tat candidat vaccin et cible thérapeutique

Parce que la Tat intracellulaire et extracellulaire a de multiples rôles dans la pathogenèse du SIDA, une diversité d’inhibiteurs a été développée pour antagoniser les activités de Tat. Deux benzyldiazépines ont été découvertes pour réprimer la transactivation du VIH-1 par Tat (Cupelli and Hsu, 1995; Hsu et al., 1991). Les essais des deux molécules se sont arrêtés en phase I des essais cliniques : aucune activité antirétrovirale n’a été observée in

vivo et une forte toxicité suite à la prise des molécules a été observée dans le système nerveux

(Haubrich et al., 1995; Karn, 1999). D’autres molécules candidates ciblant Tat ont été découvertes. La prostaglandine cyclopentanone en fait partie. Elle modifie le thiol Cys de Tat ce qui réduit la transcription (Kalantari et al., 2009). D’autres comme les dérivés suramines

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interagissent avec le domaine basique de Tat, empêchant les interactions avec les héparines et donc avec la surface cellulaire, bloquant les fonctions de la Tat extracellulaire (Rusnati et al., 1998). Une autre molécule (TDS2) peut se lier à la poche hydrophobe de tous les variants de Tat ce qui inhibe la réplication du VIH-1.

De précédentes études ont montré que les patients asymptomatiques avaient des niveaux plus élevés d’anticorps anti-Tat (Demirhan et al., 2000; Krone et al., 1988; Zagury et al., 1998). La présence d’anticorps anti-Tat dans les sera des patients est associée à un taux plus faible de progression du SIDA.

Cependant, malgré des résultats prometteurs sur les singes, il y a des problèmes concernant un vaccin anti-Tat. En effet, l’efficacité du vaccin est diminuée par la variation de séquence de Tat dans les différents sous-types, une plus faible reconnaissance du domaine basique de Tat et la possible interaction avec la protamine humaine qui a une séquence similaire à la région conservée du domaine basique de Tat (Campbell and Loret, 2009; Campbell et al., 2007). Néanmoins, la Tat du VIH-1 Oyi, prélevée à l’origine chez une femme gabonaise séropositive enceinte mais en bonne santé, a une mutation unique au sein des différents variants (Gregoire and Loret, 1996). Chez des lapins immunisés, l’anticorps contre la Tat Oyi reconnait un épitope tri-dimensionnel présent chez tous les variants (Opi et al., 2002). Les études menées chez le macaque ont montré une capacité à contrôler l’infection (Watkins et al., 2006). Chez l’homme, c’est en avril 2013, que les premières doses d’un vaccin thérapeutique utilisant la Tat Oyi ont été injectées à des patients dans le cadre d’un essai clinique de phase 2. Ces essais doivent se poursuivre jusqu’en juin 2015.

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