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Chapitre 2 : La protéine Tat du VIH-1

B. Fonction transactivatrice

La transactivation de la transcription est la fonction la plus connue de Tat et la plus étudiée. Tat est un facteur de transcription atypique car elle doit se lier non pas à l’ADN mais à une séquence ARN tige-boucle de 59 nucléotides, située à l’extrémité 5’ de tous les ARNm viraux, appelée TAR (transactivation-responsive region). Cette interaction ainsi que l’intervention de partenaires cellulaires conduisent à l’activation de l’ARN polymérase II (ARNPII) et à l’élongation de la transcription.

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a. Structure et activation initiale du promoteur du VIH-1

Figure 14. Structures du promoteur LTR et de la séquence TAR du VIH-1.

Le LTR contient plusieurs sites de liaison à des protéines. Il contient une boîte TATA, deux sites de liaison à NF-κB et trois sites de liaison à Sp1. La sphère bleu foncé représente le site de fixation de Tat et la sphère bleu clair la boucle de TAR sur laquelle se fixe la cycline T1 pour la transactivation. Adapté de (Karn, 1999).

Comme nous l’avons vu précédemment, le LTR du VIH-1 peut être divisé en trois parties : U3, R et U5. Ces trois régions possèdent quatre domaines fonctionnels importants pour la régulation de la transcription. Dans la partie U3 se trouve une région modulatrice qui contient des éléments régulateurs négatifs ou NRE (nt 115 à 270) et une région ‘enhancer’ (nt 318 à 438) composée de deux sites de liaison pour NF-κB, facteur de transcription important pour l’activation des lymphocytes T et dont l’activité est induite par le VIH-1 (Jones and Peterlin, 1994) (Figure 14). Toujours dans la région U3, ces domaines sont suivis par trois sites de liaison au facteur Sp1, de la région promotrice (nt 411 à 535) qui contient la boîte TATA et le site de liaison du facteur de transcription TFIIH. Dans la région R se trouve la région TAR, point d’initiation de la transcription à partir duquel est synthétisé l’ARN TAR.

En l’absence de stimulation, le provirus reste silencieux dans les cellules latentes comme les monocytes, les macrophages ou les cellules T. L’expression du génome viral est régulée par les éléments ‘enhancer’ et promoteur contenus au sein du LTR localisé au niveau du 5’ du provirus intégré (Richman et al., 2009). Cette interaction, couplée avec le recrutement d’autres facteurs cellulaires, active fortement la transcription virale. Cette

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dernière peut être augmentée de plusieurs milliers de fois par la présence de Tat. Tat recrute de nombreuses histones acyltransférases (HATs) comme le complexe CBP (CREB-binding protein)/p300, au niveau du promoteur du VIH-1. Les nucléosomes présents au niveau du promoteur sont donc acétylés, ce qui permet un changement de la structure chromatinienne permettant à l’ARN polymérase II de transcrire les gènes viraux (Deng et al., 2000; Pumfery et al., 2003). En effet, le nucléosome nuc1, positionné juste après le site d’initiation de la transcription (+1) est rapidement et spécifiquement déstabilisé lors de l’activation de la transcription. Nuc-1 pourrait jouer un rôle dans l’inhibition de la transcription en augmentant la pause de l’ARNPII ou en bloquant la liaison de facteurs de transcription essentiels à l’assemblage du complexe de transcription. Le remaniement de la chromatine permet le recrutement d’un complexe de pré-initiation composé de facteurs de transcription comme NF-κB ainsi que le complexe TFIIH. La kinase CDK7, composant de TFIIH est responsable de la phosphorylation du domaine C-terminal (CTD) de l’ARNPII. Après la libération du promoteur par TFIIH, la polymérase phosphorylée est ensuite capable de transcrire à partir de la région TAR. Dans le modèle de transcription du VIH le plus répandu, le complexe de l’ARN polymérase II est lié au promoteur du VIH et permet l’initiation de la synthèse de courts ARNm (Williams et al., 2006). Ces ARNs, de seulement 59 nucléotides (nt +1 à +59) forment la structure tige-boucle de l’ARN de TAR et lient l’ARNPII. Cela crée un signal pour le recrutement de Tat au niveau du complexe de transcription. Des études in vitro montrent que Tat provoque un changement de conformation du complexe CBP/p300 de manière à ce que ce dernier puisse se lier de manière plus affine aux facteurs de la transcription basale comme la TATA-binding protein ou le facteur de transcription IIB (Deng et al., 2000; Deng et al., 2001). Tat permettrait au complexe CBP/p300 de recruter de nouveaux partenaires pour la machinerie de transcription (Deng et al., 2000).

b. Elongation transcriptionnelle dépendante de TAR

· Interaction avec TAR

Comme dit précédemment, Tat se lie à TAR, localisée à l’extrémité 5’ de tous les transcrits viraux. La séquence TAR se replie en épingle à cheveux d’ARN avec un renflement au milieu de la tige formée par trois nucléotides non appariés (nt 23 à 25) et comprenant le très conservé uracile 23 (U23) et enfin une boucle comprenant six nucléotides (nt 30 à 35). Sur 59 nucléotides, seuls les nucléotides entre +19 et +52 de l’ARN TAR sont nécessaires et suffisants pour la transactivation par Tat (Jones and Peterlin, 1994). La reconnaissance de

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TAR par Tat dépend de la structure secondaire de l’ARN ainsi que de la saillie de la triade UCU non appariée.

Tat est essentielle à l’activation de l’élongation. Cependant, cette étape fait intervenir un facteur cellulaire en plus des facteurs viraux que sont Tat et TAR : la cycline T1 qui compose le complexe P-TEFb (Tahirov et al., 2010; Taube et al., 1999).

· Recrutement des facteurs cellulaires

En effet, Tat recrute également le complexe P-TEFb, aussi appelé TAK (Tat-associated kinase), composé de la cycline cellulaire T1 et de la protéine CDK9 (Zhou et al., 2003). La cycline T1 forme un complexe ternaire stable avec Tat et l’ARN TAR. Tat activerait l’activité de la kinase CDK9. Le complexe P-TEFb phosphoryle alors les résidus sérine du domaine C-terminal (CTD) de l’ARNPII. Ces évènements permettent à l’ARNPII de réaliser une élongation productive et de synthétiser ainsi des transcrits VIH de taille entière (Williams et al., 2006). La phosphorylation du CTD stimule l’enzyme humaine de coiffage permettant le capping des ARNm viraux (Zhou et al., 2003).

En plus de la phosphorylation du complexe de l’ARNPII, Tat permet la phosphorylation de nombreux facteurs de transcription, tels que NF-κB (Demarchi et al., 1999), CREB (Zauli et al., 2001) et Sp1 (Rossi et al., 2006). Trois répétitions en tandem présentes dans le LTR du VIH peuvent lier Sp1. Sp1 joue un rôle essentiel dans plusieurs évènements cellulaires en régulant l’expression des gènes cellulaires. Sp1 devient activée lorsqu’elle est phosphorylée par Tat et peut se lier au LTR viral afin d’activer la régulation du promoteur viral (Chang et al., 1994; Rossi et al., 2006). La protéine accessoire Vpr, en s’associant à la fois à Tat et à la cycline T1, permet également d’augmenter l’activité transcriptionnelle du LTR (Sawaya et al., 2000).

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Figure 15. Modèle schématique simplifié de la transactivation par Tat.

Les détails sont dans le texte. D’après (Ott et al., 2011)

c. Régulation de la transactivation

La transactivation virale nécessite l’interaction de Tat avec différentes protéines cellulaires et même transitoirement avec l’ARN. L’activité transcriptionnelle de Tat est régulée par des modifications post-traductionnelles, telles que la phosphorylation, l’acétylation, l’ubiquitinylation et la méthylation (Figure 15).

· Phosphorylation

La première modification de Tat à avoir été trouvée est la phosphorylation par la kinase associée à Tat, CDK9 du complexe P-TEFb. Cette modification n’a été observée que dans le cas du VIH-2 (Herrmann and Rice, 1993). Dans le cas du VIH-1, Tat est phosphorylée par la PKR (protein kinase R) ainsi que par le complexe CDK2/cycline E. Dans le cas de la CDK2, le site de phosphorylation de Tat impliquerait les résidus 15 à 24 et 36 à 49, alors que la PKR phosphorylerait les Ser62, Tyr64 et Ser68. Cette modification stimule l’activité transcriptionnelle de Tat (Ammosova et al., 2006; Endo-Munoz et al., 2005). Cependant le rôle de la phosphorylation de Tat dans l’infection par le VIH-1 reste incertain, on sait juste

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qu’une diminution d’expression de CDK2 entraîne une diminution de la transcription du VIH-1 et de la production du virus (Ammosova et al., 2005; Deng et al., 2002).

· Acétylation

L’acétylation de Tat est réalisée sur trois résidus lysine : les lysines 28, 50 et 51. La Lys28 est acétylée par la PCAF ( p300/CBP-associated protein) alors que les Lys50 et 51 sont modifiées par la p300 (Kiernan et al., 1999; Ott et al., 1999). La Lys51 est également modifiée par la hGCN5 (Col et al., 2001). La modification de la Lys28 est cruciale pour la haute affinité de Tat avec TAR et P-TEFb (Bres et al., 2002b) et la formation de ce complexe qui favorise l’hyperphosphorylation de l’ARNPII et stimule la processivité de la polymérase. L’acétylation des Lys50 et 51 diminue l’affinité du domaine riche en arginine pour l’ARN et permet le détachement du complexe Tat/P-TEFb de TAR. Tat/P-TEFb s’associe alors à PCAF et permet l’élongation transcriptionnelle (Col et al., 2001). Tat non acétylée régulerait la phase précoce de la transcription, dépendante de la cycline T1 et de TAR pour la phosphorylation de la polymérase. Tat acétylée régulerait la phase tardive de la transcription, dépendante de PCAF pour la processivité de la polymérase.

L’acétylation de la Lys28 est réversible grâce à l’action de l’histone déacétylase 6 (HDAC6) (Huo et al., 2011b). Cette déacétylase, principalement cytoplasmique, appartient aux HDACs de classe II capables de transiter entre le noyau et le cytoplasme. Elle est principalement connue pour déacétyler l’α-tubuline dans les cellules (Hubbert et al., 2002). L’association de Tat avec la HDAC6 et les microtubules indique de potentielles fonctions pour la Tat acétylée sur la Lys28 (Chen et al., 2002; Huo et al., 2011a). Sinon, l’HDAC6 pourrait déacétyler Tat dans le noyau et provoquer son export dans le cytoplasme, expliquant le rôle inhibiteur d’HDAC6 sur l’activité transcriptionnelle de Tat. La Lys50 de Tat peut également être déacétylée par SIRT1 (Sirtuine 1), une déacétylase cellulaire qui nécessite la présence d’un co-facteur, le NAD+ (nicotinamide adenine dinucleotide) (Anand et al., 2008). Tat peut ainsi se refixer sur une séquence TAR lors de la transcription suivante. Il y aurait donc un lien entre la transcription virale et l’état métabolique de la cellule. En effet, un changement de rapport entre les formes oxydées et réduites NAD+/NADH, par exemple en état de stress, pourrait réguler l’activité de Tat via la Sirtuine1. On sait que la transcription du VIH-1 est moins efficace à basse concentration en oxygène (Charles et al., 2009).

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· Ubiquitinylation

Bien que la polyubiquitinylation soit généralement un signe de l’adressage vers le protéasome pour la dégradation, l’ubiquitine a un effet activateur et non-protéolytique sur Tat (Bres et al., 2003). La proto-oncoprotéine Hdm2 (Human double minute 2) permet l’ubiquitinylation de la Lys71 de Tat mais il n’est pas exclu que d’autres Lys soient ubiquitinylées. Le mécanisme par lequel l’ubiquitinylation de Tat affecte son activité transcriptionnelle n’est pas défini. Cependant une des hyptothèses est que l’ubiquitine active Tat sur le promoteur viral, peut-être en contribuant à son interaction avec la cycline T1, un mécanisme qui a été identifié dans le cas du transactivateur VP16 du virus de l’herpès (Kurosu and Peterlin, 2004). Tat elle-même interagit avec PAAF1, une protéine associée au protéasome. Cela provoque la dissociation du 26S en deux sous-unités, 19S et 20S, ce qui inhibe l’activité du protéasome passant alors en mode non-protéolytique (Anand et al., 2008).

· Méthylation

La méthylation de Tat est réalisée sur des arginines par la méthyltransférase PRMT6 (Protein arginine(R) methyltransferase) et sur des lysines par KMT1E (anciennement SETDB1). Les résidus méthylés par PRMT6 sont les Arg52 et 53 au sein du domaine riche en arginine. Cette méthylation interfère avec la formation du complexe Tat/TAR/P-TEFb et inhibe ainsi la fonction de Tat (Xie et al., 2007). Un effet similaire a été observé avec la méthylation des Lys50 et 51 par KMT1E (Van Duyne et al., 2008). La proximité des résidus méthylés et de la Lys50 suggère que la méthylation peut moduler l’acétylation de cette lysine et inversement. La façon dont ces groupes méthyles peuvent interférer au niveau de la liaison de Tat avec TAR et P-TEFb n’est pas claire. Cela aurait peut-être un rapport avec un encombrement stérique au niveau des nucléotides de la boucle de la structure en épingle à cheveux de TAR (Anand et al., 2008).

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Figure 16. Schéma résumant les modifications post-traductionnelles de Tat.

Les détails sont dans le texte.D’après (Ott et al., 2011).

3. Modulation de l’expression génique par Tat