• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : La protéine Tat du VIH-1

B. Modulation de la réponse immunitaire anti-VIH

a. Régulation de l’expression des cytokines et de l’inflammation

Figure 21. Contribution de la dérégulation des cytokines, induite par la Tat du VIH-1, dans les maladies associées au SIDA.

Les détails sont dans le texte. PKR : Protein kinase R ; PKC : Protein kinase C ; MAPK : Mitogen-activated protein kinase ; NF-IL6 : Nuclear factor for IL-6 expression ; NF-κB : Nuclear factor-kappa B ; Est-1 : E Twenty six Specific 1 ; CREB : C-AMP Response Element-binding protein ; Sp-1 : Specificity protein 1 ; IL : Interleukin ; SIDA : Syndrome de l’immunodéficience acquise. D’après (Li et al., 2010a).

62 Partie 1 Introduction |

· IL-6

L’IL-6 est une cytokine pro-inflammatoire produite par différents types cellulaires incluant les cellules T et les monocytes/macrophages (Belardelli, 1995). L’IL-6 a un effet sur la croissance et la production d’anticorps des cellules B. La dérégulation de cette croissance ainsi que la surproduction d’anticorps peut mener au développement de maladies auto-immunes comme l’arthrite juvénile idiopathique et le lupus érythémateux aigu disséminé (Cross and Benton, 1999; Yokota et al., 2004). En plus de son rôle de médiateur capital de l’inflammation, l’IL-6 induit la production de la protéine C réactive (CRP) et de la protéine amyloïde A, des protéines de la phase aiguë associées à l’inflammation. L’IL-6 cible de nombreuses cellules telles que les cellules T, les cellules souches hématopoïétiques et les autres lymphocytes impliqués dans la régulation de l’hématopoïèse (Peters et al., 1998).

Dans les sera des patients infectés par le VIH-1, le niveau d’IL-6 est élevé et peut être corrélé à des étapes de progressions de la maladie (Zauli et al., 1993). Tat accroît l’activité de liaison à l’ADN des promoteurs NF-IL-6 (Li et al., 2005a) et NF-κB, les facteurs les plus importants pour la production d’IL-6 (Akira et al., 1990). Tat permet la dégradation d’IκB, ce qui entraîne la translocation nucléaire de NF-κB, favorisant la production d’IL-6 (Lee et al., 2005). Tat favorise également l’expression de kinases telles que les MAP kinases (Mitogen-activated protein kinase), la PKR (protein kinase R) et la PKA, qui a leur tour permettent l’expression d’IL-6 (Li et al., 2005a; Zidovetzki et al., 1998). L’interaction de Tat avec la PKR (McMillan et al., 1995) permet d’activer NF-κB (Demarchi et al., 1999). De plus, la surproduction d’IL-6 peut mener au développement du sarcome de Kaposi. Chez les patients ayant un SK associé au SIDA, les protéines virales et particulièrement Tat, en synergie avec l’IL-6, prolongent le processus d’inflammation et conduisent à la formation des cellules fusiformes et des lésions du SK (Mesri, 1999). Tat protège également les cellules infectées du SK de l’apoptose maintenant leur statut de cellules du SK.

· IL-10

L’interleukine 10 a été initialement identifiée comme un facteur inhibant la synthèse des cytokines chez la souris. Elle est principalement produite par les lymphocytes Th2 (Fiorentino et al., 1989) et est capable d’inhiber la production de cytokines des Th1. Par conséquent, l’expression d’IL-10 permet de déplacer une réponse immune Th1 vers une réponse immune Th2 moins efficace contre les virus. L’IL-10 est connue comme une cytokine anti-inflammatoire. Tat active les facteurs de transcription Sp1, Ets-1 et CREB-1 afin

| Partie 1 Introduction 63

d’induire l’expression d’IL-10 (Gee et al., 2007; Li and Lau, 2007). De plus, l’activation de kinases comme PKC β (II) et δ, p38 MAPK, la calmoduline et la protéine kinase II dépendante de la calmoduline par Tat permet l’induction de l’IL-10. Tat régule aussi les modifications de l’histone H3 sur le promoteur de l’IL-10 ce qui permet la surexpression de l’IL-10 (Leghmari et al., 2008a). La surexpression d’IL-10 est associée au développement des lymphomes à cellules B, couramment observé chez les patients développant le SIDA.

L’IL-10 est un puissant suppresseur de macrophages, de cellules Th1 et NK (de Waal Malefyt et al., 1991; Fiorentino et al., 1991; Hsu et al., 1992). Parce que l’IL-10 inhibe l’excès de production de l’IL-6, de TNF-α, d’IL-8, d’IL-12, ou même d’IL-10, la cytokine empêche la production de cytokines importantes dans le développement d’une inflammation chronique.

· TNF-α

Principalement produit et sécrété par les macrophages activés, le TNF-α est un des médiateurs principaux de l’inflammation. Il peut induire l’apoptose via l’activation des protéines kinases PKR (Yeung et al., 1999; Yeung et al., 1996), résultant en l’inhibition de la croissance des tumeurs et de la réplication virale. La dérégulation du TNF-α cause des maladies inflammatoires telles que l’arthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante, la maladie de Crohn, le psoriasis ou l’asthme sévère.

Tat active la PKC (Bennasser et al., 2002; Leghmari et al., 2008b) ainsi que la voie de signalisation du calcium (Mayne et al., 2000) pour réguler la production de TNF-α. Au cours des stades précoces de l’infection par le VIH-1, des protéines virales comme Nef, Vpr et Tat peuvent non seulement induire l’expression de TNF-α mais aussi activer les voies de signalisation du récepteur au TNF-α. Cela permet la régulation de plusieurs réponses biologiques importantes comme l’activation des MAPKs, la régulation positive de NF-κB et l’induction de l’apoptose.

Etant donné que TNF-α est une molécule pléiotropique et cytotoxique, elle contribue aux changements pathologiques du cerveau (de Waal Malefyt et al., 1991) favorisant le développement de la démence associée au VIH-1. Par exemple, le TNF-α peut augmenter la perméabilité de la BHE, la production des molécules d’adhésion ICAM-1 et VCAM-1, et l’induction des chimiokines telle que MCP-1. Ces changements cellulaires permettent aux monocytes ou macrophages infectés par le VIH-1 d’envahir le cerveau et de compromettre les

64 Partie 1 Introduction |

fonctions neurologiques. Les conséquences de l’induction du TNF-α par Tat peuvent donc être diverses, englobant l’activation de cytokines, la mort cellulaire et même la neurotoxicité.

b. Rôles de Tat dans l’immunosuppression

La suppression immunitaire par Tat est étroitement liée aux effets de Tat sur l’expression génique. Dans les macrophages, Tat inhibe l’expression de la nitric oxyde synthase. La production d’oxyde nitrique, première ligne de défense contre les pathogènes opportunistes (Barton et al., 1996), diminue. Tat active aussi la production d’IFN-α qui génère des effets antiprolifératifs (Gallo, 1999). Tat a également un effet inhibiteur sur l’expression du CMH-I, moins d’antigènes intracellulaires sont présentés aux lymphocytes T CD8+ réduisant ainsi l’activation immune associée aux lymphocytes T CD8+ (Dalakas, 2006; Matsui et al., 1996; Mayol et al., 2007).

L’apoptose induite par Tat est également impliquée dans les activités immunosuppressives de la protéine. Tat stimule la transcription de TGF-β ce qui diminue la quantité de protéines anti-apoptotiques et rend donc vulnérables les cellules immunitaires à l’apoptose (Poggi and Zocchi, 2006).

Tat est capable d’induire in vitro la voie intrinsèque de l’apoptose. Cette voie est celle où la mitochondrie va produire des molécules induisant l’apoptose (Campbell et al., 2004b). La Tat extracellulaire, produite par les macrophages, les cellules microgliales ou les astrocytes, peut interagir avec le LRP présent à la surface des neurones pour entrer dans les cellules par endocytose et induire la mort des neurones (Liu et al., 2000). Tat joue un rôle important dans l’induction de l’apoptose neuronale associée aux effets neurotoxiques de Tat (Kim et al., 2003; Wong et al., 2005). Tat se lie à la fois aux sous-unités non-polymérisées des microtubules (dimères de tubuline αβ) et aux microtubules polymérisés (de Mareuil et al., 2005; Giacca, 2005; Vendeville et al., 2004). Il a été montré par exemple que Tat interagissait avec LIS1 (Lissencephaly 1) (Epie et al., 2005), une protéine associée aux microtubules qui facilite leur polymérisation (de Mareuil et al., 2005). La protéine permet alors la stabilisation du microtubule et empêche sa dépolymérisation. Ce changement dans la stabilisation du microtubule déstabilise le fonctionnement de la mitochondrie, associée aux microtubules, ce qui provoque la libération de facteurs pro-apoptotiques séquestrés sur le cytosquelette, dont le facteur Bim. Ce dernier antagonise l’action du facteur anti-apoptotique Bcl-2 et induit la voie apoptotique mitochondriale en permettant la libération de facteurs apoptogènes, principalement le cytochrome c, qui vont recruter et activer les caspases 9 et 3 (Paquette et al.,

| Partie 1 Introduction 65

2005; Ruwanpura et al., 2008). Les caspases vont activer une cascade de réaction menant à l’apoptose.

La protéine Tat peut aussi induire l’apoptose par la voie extrinsèque. Tat stimule l’expression de TRAIL (tumor necrosis factor-related apoptosis-induced ligand) et des caspases 3 et 8 dans les monocytes humains (Miura et al., 2003; Zheng et al., 2005). TRAIL est un membre de la famille des ligands de facteur de nécrose tumorale (TNF, tumour necrosis factor) induisant la mort cellulaire (Perez-Cruz et al., 2007; Siegelin et al., 2009; Subramanian et al., 2009). Tat augmente également l’expression de Fas, du ligand Fas (FasL/CD95L) et du TNF-α dans les astrocytes (Chauhan et al., 2003). Le système Fas/FasL constitue un mécanisme important dans la régulation de la mort cellulaire par apoptose (Inoue et al., 2007; Nakajima et al., 2008).

c. Inhibition de la phagocytose

Les macrophages ont une large variété de récepteurs qui ‘sentent’ la présence des micro-organismes et se lient à ces derniers, incluant les récepteurs de reconnaissance de motifs moléculaires comme les Toll-like receptors (TLRs), les récepteurs du mannose ou les bêta-glucanes (Dectine-1). Certains de ces récepteurs, incluant les récepteurs de la portion Fc des immunoglobulines (FcRs) et les récepteurs pour le complément (CR3), ont une forte capacité phagocytique ; leur stimulation induit l’absorption efficace des microorganismes attachés. La phagocytose induite par les FcRs est la voie la mieux caractérisée (Flannagan et al., 2012). Elle active une cascade de signalisation qui peut mener à la polymérisation de l’actine, au remodelage de la membrane plasmique et l’extension de pseudopodes autour de la particule (Groves et al., 2008; Niedergang and Chavrier, 2004; Swanson, 2008). L’infection par le VIH-1 détériore les fonctions des macrophages à la fois in vivo et in vitro. C’est le cas à la fois pour les monocytes du sang périphérique, pourtant peu fréquemment infectés (0,001-1%) et pour les macrophages tissulaires qui eux sont infectés dans une proportion pouvant atteindre 20% (Kedzierska et al., 2003). Les monocytes étant réfractaires à l’infection par le VIH-1, celle-ci ne peut donc pas expliquer la baisse de leurs capacités phagocytaires et un effecteur diffusible semble donc en cause (Kedzierska et al., 2003). Il a récemment été montré que l’inhibition de la phagocytose pouvait dépendre de Nef dans les macrophages infectés par le VIH-1 (Mazzolini et al., 2010). Nef interfère avec la dynamique endosomale qui dépend d’AP1, importante pour la formation du phagosome.

66 Partie 1 Introduction |

Pour ce qui est des macrophages non infectés, la protéine Tat constitue un bon candidat. Mais lors de l’infection par le VIH-1, ce sont les voies principales de phagocytose, comme la voie des récepteurs Fcγ, qui sont les plus gravement touchées (Kedzierska et al., 2003). Tat peut, via son interaction avec le PI(4,5)P2, déplacer les partenaires cellulaires de ce lipide (Rayne et al., 2010b). Or le PI(4,5)P2 est requis pour une phagocytose efficace (Di Paolo and De Camilli, 2006). En effet, il a été montré que son accumulation au niveau de la coupe phagocytaire était essentielle à la formation des pseudopodes et à l’internalisation de la particule cible (Botelho et al., 2000).

Cette déficience de l’activité phagocytaire va permettre le développement de nombreux pathogènes opportunistes chez les patients infectés par le VIH-1. Par exemple, il a récemment été mis en évidence que la phagocytose de Plasmodium falciparum, dépendante de FcγR, était inhibée dans les érythrocytes infectés par le VIH-1 (Ludlow et al., 2012).