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Troisième chapitre. Le programme français de développement rural comme

3.2. Les attentes socioéconomiques du programme français de développement rural développement rural

3.2.3. L’impact du PDRN sur les territoires ruraux

3.2.3.3. La nécessité de se sentir appartenir à un territoire

La notion de territoire est essentielle aux acteurs puisqu’elle permet à chacun de se situer géographiquement, de se sentir appartenir à une délimitation territoriale et de légitimer leurs champs d’action. Au sein d’une politique publique, il est important de souligner que l’emploi du terme territoire est une innovation du PDRN, à travers la mise en place du Contrat Territorial d’Exploitation (CTE) qui tend à intégrer les problématiques locales d’environnement et de développement. Toutefois, cette territorialisation a été faible en raison notamment d’une forte réserve de la profession agricole, très attachée à un traitement égalitaire des exploitants, au niveau du département, mais aussi la difficulté de la profession d’accepter la participation des autres acteurs ruraux à la définition des orientations de la politique agricole. Une autre raison possible à cette faible territorialisation est la définition trop large du mot territoire, l’absence de zonage et de diagnostics.

Derrière la problématique de la définition de territoire, le zonage du PDRN est lui aussi source d’interrogation. Ainsi, certains acteurs (institutions et exploitants) ne se sentent pas appartenir à cette classification définie par le programme. C’est le cas, du territoire de Langres, situé dans le département

profondément rural de la Haute-Marne, confiné aujourd’hui dans un rôle presque uniquement agricole et forestier. Ce département peut être considéré comme une zone de transition. En effet, cette situation imprègne le discours de tous les acteurs, techniciens, élus, exploitants, au point que le département se cherche une doctrine autour de la notion de « zone intermédiaire », laquelle n’existe cependant pas dans les multiples zonages ruraux aujourd’hui applicables. De plus, la partie sud du département est classée en « zone défavorisée » et la moitié du territoire est classée en zone d’Objectif 2 (mais majoritairement en transition), mais ce zonage ne tient pas compte des problématiques spécifiques locales. La notion de territoire et d’appartenance à un territoire délimité est ainsi essentielle puisqu’elle détermine les démarches de chaque acteur et leur cadre d’application.

Selon le directeur du service agriculture et environnement au Conseil général des Côtes-d’Armor : « Ce qui a été important, c’est la notion de contrat et la prise en compte d’un territoire comme lieu de réalisation de l’activité économique et de l’environnement. On a proposé un CTE exigeant, ce qui a conduit à un vif débat et a retardé la mise en place du dispositif. Mais on ne le regrette pas, car on voulait du contenu et se placer dans une logique de projet. La Bretagne est aujourd’hui à la recherche d’un nouveau projet pour prendre la suite du projet breton, mais on ne l’a pas encore trouvé, on y réfléchit et ce doit être encore une fois le résultat du compromis breton ». Cet exemple illustre le fait que les acteurs ont le souhait de se concerter et de s’allier autour d’un projet commun en vue de faire face aux nouvelles problématiques d’une région. Pour beaucoup d’acteurs, le CTE est ainsi l’outil permettant de s’associer dans une démarche de territoire, de type pays, bassin versant, et par là se sentir appartenir à un territoire. Il est en effet nécessaire pour certains acteurs de se sentir liés par un projet au sein d’une délimitation territoriale.

La notion de territoire est également liée aux origines culturelles, familiales. Chacun se sent appartenir à un territoire en fonction de critères affectifs. Ainsi, face à la concurrence sur le marché agricole certains exploitants refusent de changer de lieu d’exploitation, que ce soit au niveau national ou international, car le territoire est un concept chargé émotionnellement. Ainsi, un exploitant dans le territoire du Mené (CTE, PAM) siégeant en CDOA Structure pour la Confédération paysanne à la DDAF, dit :

« l’agriculteur ne peut pas faire comme un chef d’entreprise, c’est-à-dire prendre ses machines et aller s’installer dans des pays comme le Brésil, le Maroc. Certains l’ont fait, mais tout le monde ne peut pas le faire, car nous avons notre ferme ici, notre famille, nos racines, et l’envie de développer ce territoire ». Ce lien affectif avec le territoire s’accompagne aussi souvent d’une notion de devoir par rapport au territoire et à la nécessité de le travailler et d’en prendre soin. Ainsi, un exploitant (ICHN, PMSEE, PMTVA, PSBM) en Ardèche méridionale déclare : « Nous sommes les acteurs du territoire, du local, c’est à nous de gérer la campagne. ». C’est ce rapport affectif et donc aléatoire d’un acteur à un autre, avec le territoire qui rend difficile la cohésion entre les différentes manières d’appréhender les territoires et il était donc important avant d’aller plus loin dans cette thèse de souligner ce point afin d’exprimer la

difficulté pour toute nouvelle politique publique ou programme de développement de s’intégrer au sein des territoires.

D’autre part, sur le plan historique, les exploitants raisonnent en termes de filière. Ainsi, il est difficile de les amener à appréhender les territoires de manière différente. L’Etat, au moyen du PDRN, cherche ainsi à orienter les exploitants vers des démarches de territoire, grâce à la mise en place de projets collectifs. Cependant, la majorité des exploitants continue à raisonner en termes de filière et ne modifie pas leur mode de fonctionnement selon la ligne directrice donnée par le programme. Les acteurs, rencontrés à la DDAF de l’Ardèche, illustrent cet état de fait : « […] l’agriculture est extrêmement diversifiée, il n’existe pas de zonage possible par production sur le département. Il y a peu de démarches réellement territoriales. Les initiatives territoriales se basent plus sur une filière dans une zone précise que sur un territoire. L’exemple des caves coopératives et du CTE collectif des viticulteurs le montre ». On constate ainsi l’opposition entre deux modes de raisonnement sur les territoires : les démarches de filières et celles de territoires. Ces deux raisonnements étant distincts l’un de l’autre, il est difficile de créer des ramifications entre ces deux approches et de renforcer la cohésion au sein des territoires.

Le PDRN, comme tout nouveau programme de développement, pose ainsi le problème d’appropriation d’une nouvelle manière d’appréhender les territoires. Pour cela, les acteurs doivent intégrer cette approche à celles existantes et mener leurs projets au sein d’un nouveau cadre d’application. Cette étape nécessite ainsi un investissement important en ressource et réseaux informatifs. Ainsi, la chargée de mission des Programmes Européens, au SGAR de Bretagne, raconte : « la solution réside peut être dans l’approche par territoire : actuellement, LEADER, PDRN, PDRR sont des programmes qui se tournent le dos et c’est dommage, parce que le rural c’est par nature territorial et interministériel. De plus, le zonage brouille les cartes : en milieu rural on a des capacités financières à mobiliser et il arrive qu’on se prive de ces capacités parce qu’elles sont hors zone. C’est d’autant plus gênant qu’on n’a pas forcément besoin de grands projets en milieu rural. On va voir arriver des dossiers multiservices qu’il va falloir découper pour faire entrer dans différentes mesures. Il s’est instauré dans les programmes européens une culture du contrôle qui a pris la place de la culture d’animation. Ca a été multiplié par le découpage des programmes en petits morceaux : la taille critique est devenue insuffisante pour que les responsabilités soient transférées et portés à une autorité de rang significatif : cette responsabilité pèse donc à tous les niveaux, y compris aux plus élémentaires ».

Enfin, il est important de noter que dans certaines régions, les institutions adaptent le PDRN à leurs spécificités locales. Prenons comme exemple, la région Midi-Pyrénées, où les acteurs institutionnels ont défini des MAE spécifiques en reprenant les mesures nationales. Ces mesures ont ensuite été adaptées selon les spécificités régionales, départementales, cantonales et communales sur des territoires définies.

Un zonage intéressant et ne correspondant pas aux limites départementales a ainsi été mis en place. Il permet de distinguer douze grands ensembles parmi lesquels les Causses et les montagnes du sud-ouest du Massif Central auxquels appartient la zone d’étude des Monts de Lacaune, le Ségala, etc. Certaines mesures suivent également un zonage croisant zone géographique et type de production, tel que « Pyrénées, zone d’élevage ».

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