• Aucun résultat trouvé

Premier chapitre. Le territoire et le rural :

1.2. Le rural : un concept en constante évolution

1.2.2. Le rural entre renaissance et recomposition

La première théorie du rural est héritée des travaux de Bernard KAYSER, lequel utilise volontiers les expressions de continuum, de décomposition, de recomposition et de renaissance rurale. A l’occasion d’une étude pour la DATAR, en 1991, il ne craint pas d’affirmer : « définir le rural ? Mission impossible »1. En effet, le point de vue du géographe, responsable du groupe de recherche sur l’avenir des espaces ruraux, est éloquent :

« La ruralité est une notion qualitative. Elle est caractérisée par le mode spécifique de rapports que les ruraux entretiennent avec leur environnement, avec leur société, avec leur localité. [...] Tout Etat des lieux doit prendre en compte une typologie, qui établit trois catégories majeures. Le premier type est celui de l’espace périurbain, à affiner selon des couronnes de comportements très différenciés. Le troisième type est celui des espaces marginalisés ou en voie de marginalisation et désertification rapides. Mais c’est le second type, celui de l’espace rural productif, qui est le plus intéressant : c’est en son sein que se produisent la plupart des phénomènes de renaissance. [...] Les interventions publiques ne doivent-elles pas s’étendre, et même peut-être s’appliquer en priorité aux espaces du second type : ceux où des villages, des bourgs et des petites villes ont assez de ressources pour prétendre à un rôle décisif dans un nouvel ordonnancement du territoire ? [...] L’avenir du monde rural étant, en France, fonction

1 KAYSER B., 1994, Campagnes sinistrées ou renaissantes ? De l’Etat des lieux à la perspective. DATAR,

directe de sa densification, la question de l’installation est décisive : installation de jeunes exploitants et d’entrepreneurs, installation de résidents, de retraités. L’offre de territoire, d’équipements et de cadre de vie dépend, à cet égard, autant des initiatives locales que des procédures d’intervention publique. [...] La capacité de maîtriser l’évolution de l’espace, enfrichements, boisements dispersés, dégradation du paysage et du patrimoine bâti font peser sur la campagne des risques considérables de perte de ses aménités et potentialités. Les acteurs locaux, s’ils doivent jouer un rôle important, ne sont pas les seuls impliqués. Là encore, Il s’agit de choix de société » (KEYSER, 1994)1.

Même si, selon Bernard KAYSER, le rural s’apprécie qualitativement, il base toutefois sa typologie sur des arguments quantitatifs, liés au développement économique du rural français. Selon lui, ce rural se décline essentiellement en trois grandes catégories, très apparentées aux classifications des textes réglementaires de la politique agricole française. Il s’agit du périurbain, du rural isolé, puis du rural « productif », c’est-à-dire celui qui comprend, selon l’auteur, les communes rurales les plus dynamiques sur les plans social et économique. D’après KEYSER, c’est sur ces derniers territoires ruraux que doivent s’appliquer les politiques publiques. Mais sont-elles symptomatiques des réalités, des diversités du rural français ? Selon l’auteur, ce « rural productif » est un terrain idéal d’observation des adaptations et évolutions du rural face aux attaques en tout genre (pression foncière, friches agricoles, dégradation du paysage).

La seconde théorie, complémentaire à la première, est extraite de l’analyse du rural, de Bertrand HERVIEU. En Europe, le rural français fait figure d’exception. Son modèle du rural s’oppose totalement à celui de l’Angleterre qui « a empêché le développement de l’artisanat rural, les lois scélérates punissant de la peine de mort le vagabondage sur les chemins, et le mouvement des enclosures qui privent les bordages des servitudes collectives, ont très tôt vidé les campagnes du petit peuple et favorisé la concentration du prolétariat dans les centres urbains. La ville est le lieu de la production, les campagnes anglaises sont le territoire de l’aristocratie, le lieu de la chasse, des plaisirs et du paysage. A la différence de la France, il s’y développe plus un art de vivre qu’un art de travailler. Les pays du Nord, eux non plus, n’ont pas écrit leur identité à partir des campagnes. Ils se sont d’abord pensés autour des villes hanséatiques, du commerce, de l’échange, de la finance, tout en regardant le grand large. L’espace rural est resté un véritable no man’s land. » (HERVIEU, 2006)2. D’ailleurs, le mot « campagne » n’a pas le même sens pour les anglais, pour lesquels il englobe plus largement tout l’environnement non urbain.

1 KAYSER B., 1994, Op. cit.

2 HERVIEU B., 2006, « Après un siècle d’exode rural : urbanisation des campagnes ou renaissance du rural ? »,

dans Actes des séminaires de l’IHEDATE. Notes d’après l’exposé de Bertrand Hervieu

[http://www.ihedate.com/generated/objects/ACTES%20SEMINAIRES/SEM1_ACTES_HERVIEU.htm], en ligne, le 02 mars 2007

Dans l’histoire de France, l’opposition entre les territoires ruraux et urbains est limitée : la ville du Moyen Age, enserrée de murs, s’isolait du reste des terres seigneuriales et la ville industrielle du XIXème siècle faisait contraste avec la campagne agricole qui l’entourait. Depuis la fin du XIXème siècle, la « ville conquérante » a mauvaise presse. Les livres d’école dénoncent cet espace sale et dangereux qui abrite la délinquance et la violence : « la ville favorise la décadence des bonnes mœurs et accélère la ruine de la nation ». La Révolution nationale voulue par PETAIN recycle ce thème, faisant son fonds de commerce du mythe d’une ruralité vertueuse et immémoriale. Ce mythe ne disparaît pas avec l’étiage de l’exode rural des années soixante-dix, il prend de nouveaux atouts, ceux de la qualité de vie, du calme, des charmes de la nature » (BLOCH, 1964)1. Avec la résidence secondaire et les migrations pendulaires, les campagnes proches des villes accueillent de plus en plus d’habitants. Les cultures rurales et urbaines parachèvent leur mouvement de convergence. Les modes de vie s’unifient à un rythme accéléré. Le périurbain, qui accueille de plus en plus de monde, repousse les limites de la ville, empiétant sans cesse sur les campagnes, préférant aux immeubles l’allure campagnarde de pavillons engazonnés. Cette convergence entre villes et campagnes est « le dernier acte d’une histoire millénaire qui a connu une imbrication profonde entre les deux types d’espaces. Le XXème siècle est donc marqué par l’exode rural, mal vécu par une population française vivant encore sur l’imaginaire rural légué par son histoire »

(BLOCH, 1964)2.

Ainsi, selon HERVIEU, la France rurale d’aujourd’hui, à la fin de l’exode, se décompose en quatre types d’espaces distincts, mais tous de changement et de mobilité.

Le premier type d’espace est « le périurbain », à la périphérie presque immédiate des grandes villes, dont les taux de croissance démographique y sont les plus élevés, principalement du fait de soldes migratoires positifs : certaines classes supérieures viennent y chercher un certain agrément, tandis que les ménages plus pauvres peuvent y trouver des logements à un coût plus modéré.

Le second est « le rural en voie de périurbanisation ». Il s’agit notamment des zones sous influence de la région parisienne, jusqu’à 200 km de Paris. Ces espaces sont jeunes, actifs et dynamiques sur le plan démographique. Ils font l’objet de conflits d’usage très forts entre les populations de souches rurales et les néoruraux, les nouveaux arrivants aux modes de vie urbains. Dans certaines des communes appartenant à ces espaces, la grande majorité des élus, les représentants, est souvent issue de ces nouvelles populations. Le troisième type d’espace est le « rural intermédiaire » structuré autour de pôles urbains. Généralement, il s’agit des chefs-lieux d’arrondissement qui sont en forte croissance, au détriment des petites communes environnantes, dont la population est plus ou moins vieillissante.

1 BLOCH, M., 1964, Les caractères originaux de l’histoire rurale française. Paris, Ed. Armand Colin, 263 p.

Le quatrième est « l’espace rural compris dans la diagonale aride », de la plaine de la Meuse jusqu’aux Pyrénées centrales. Selon HERVIEU (2006)1, à l’exception de la région Champagne-Ardenne, l’exode a là aussi cessé, mais ce tarissement est en partie dû au vieillissement de la population (Massif Central). Il est à noter que pour les trois premiers espaces, la fonction résidentielle est dominante. De plus, par l’emploi du terme « espace », il faut entendre celui de « territoire », car HERVIEU décrit des espaces organisés construits par une société et dont la construction contribue à donner du sens, à donner des orientations à cette société.

Outre les changements et évolutions dans le rural français, le point de départ de ces deux théories est une réponse à l’inquiétude face à une désertification de certains territoires ruraux. Schématiquement, on peut dire que le syndrome de la « fin des terroirs » engendre deux types de réaction extrêmes. La première est celle du repli sur soi, de l’autonomisme à l’affirmation identitaire, c’est ce que des sociologues ont baptisé de « la surchauffe aux racines » (DUVIGNEAU, 2002)2. La seconde est celle de la vision « tout économie » ralliant les nouveaux conquérants, managers.

Outline

Documents relatifs