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Premier chapitre. Le territoire et le rural :

1.2. Le rural : un concept en constante évolution

1.2.3. Des ruptures utiles à la recomposition du rural

Selon HERVIEU nous vivons le temps des ruptures. Une rupture entre la nature et l’agriculture, entre l’agriculture et son rôle traditionnel de pourvoyeur de nourriture, une rupture dans la famille, du fait que le conjoint du chef d’exploitation est de plus en plus salarié à l’extérieur. Puis, avec l’arrivée des néoruraux, une rupture dans la société villageoise, rurale, traditionnelle. Ainsi, pour HERVIEU, la recomposition des quatre types d’espaces ruraux s’est jouée autour de six ruptures identifiées de la façon suivante.

La première est « l’effacement du monde agricole » : l’agriculture, non seulement dans la société, mais dans les espaces ruraux eux-mêmes, est devenue minoritaire, y compris dans la diagonale aride. Il représentait plus de 50% de la population active en 1950, il représente aujourd’hui moins de 10% sur l’ensemble de la France. Ce recul conduit à une confrontation entre une logique productive et une vision résidentielle et moins travailleuse et s’accompagne de nombreux conflits d’usage.

La seconde rupture est liée à la modernisation de l’agriculture et l’amélioration de la productivité agricole. Le rôle nourricier de l’espace rural français s’est considérablement amoindri dans l’esprit des populations : les spectres de la famine se sont éloignés, « pour la première fois dans l’histoire de nos

1 HERVIEU B., 2006, Op. cit.

2 DUVIGNEAU M., 2002, Art, culture et territoires ruraux. Expériences et points de vue. Dijon, Ed. Educagri,

sociétés développées, deux générations ont vécu et vivent comme si elles avaient l’assurance de manger à leur faim tous les jours jusqu’à leur mort »1.

La troisième naît de la revendication de mobilité et d’autonomie partagée par tous les individus, qu’ils soient résidents, ruraux ou agriculteurs. Les sociétés rurales sont passées de paradigmes patrimoniaux à des paradigmes fondés sur la mobilité.

La quatrième rupture concerne le rapport que les ruraux et notamment les agriculteurs entretiennent à la terre, le rapport au sol. Le monde agricole a effectué une révolution dont il n’avait pas mesuré les conséquences. Les nombreuses formules juridiques (groupement foncier agricole, SCI, société civile d’exploitation agricole, etc.) conçues pour préserver la propriété foncière et assurer la transmission des exploitations, ont engendré trois types de conséquences :

- d’abord, la séparation entre le capital exploité et la famille, au point que des agriculteurs sont à la tête d’exploitations plus en tant que salariés que propriétaires ;

- ensuite, le passage d’une vision collective du sol comme patrimoine privé à celle d’un sol devenu outil de travail, voire outil financier, pour les uns, espaces touristiques, ludiques ou environnementaux pour les autres ;

- enfin, la découverte de l’extraordinaire mobilité de la géographie agricole, avec les naissances et les délocalisations de bassins agricoles autorisées par la déréglementation des marchés et la diminution des coûts de transport, comme en témoignent, notamment, les productions porcines et viticoles.

La cinquième rupture est celle du rapport au travail : c’est dans les communes rurales que l’on rencontre les catégories sociales les plus précaires : un tiers des ouvriers, en général les populations les moins qualifiées et les plus fragiles, vivent dans les communes rurales. Pour ces populations, les difficultés, et, surtout, le coût du déplacement entre le lieu de résidence et le travail multiplient les risques de précarisation.

La sixième rupture est liée au basculement du mode de représentation de la nature. L’urbanité est le support de courants d’aspiration profonde à une nature « naturelle », dans le prolongement des espaces résidentiels, opposée à une nature productive et domestiquée. Le statut de l’animal depuis cinquante ans illustre parfaitement cette transformation : à l’après-guerre, disparition de l’animal sauvage (auquel on oppose l’animal domestique) et émergence de l’animal de rente ; dans les années soixante-dix, apparition de l’animal de compagnie qui devient, en 2000, l’animal thérapeutique.

D’après HERVIEU, le XXème siècle a apporté un renouveau aux campagnes françaises, dont le tournant se profile au début de ce XXIème siècle avec l’introduction de nouveaux enjeux. Le premier enjeu est celui de la gestion des espaces ruraux : la fonction résidentielle, sans intégration d’un projet agricole, ne peut prendre en charge cette gestion. Pour y remédier, « il faut éviter l’effacement des territoires agricoles. Le débat sur la multifonctionnalité de l’agriculture n’est pas encore épuisé »1. Le second repose sur le fait que le caractère rural de la fonction résidentielle interroge sur le lien social et l’appartenance citoyenne des individus (comme des Anglais ou Hollandais en Ardèche). Car, selon HERVIEU (2006), « la citoyenneté ne peut être réservée à la stabilité »2. Le dernier enjeu est celui de la relation culturelle entretenue avec la nature devenue un instrument de production.

Selon l’INSEE, les exploitants agricoles représentent environ 5% de la population active actuelle française. Ils ne sont plus majoritaires même dans la société rurale, déjà dépassés par les ouvriers. Il faut néanmoins considérer que, dans une société moderne qui n’est plus composée que de minorités, les agriculteurs représentent l’une des quatre grandes minorités socioprofessionnelles (avec la formation, la santé et les transports). Par ailleurs, les activités agricoles, noyau dur des territoires ruraux, n’ont jamais constitué l’entité homogène à laquelle voudraient nous faire croire ceux qui réunissent, sous les mêmes bannières revendicatives, céréaliers champenois, éleveurs ovins poitevins, viticulteurs languedociens et bordelais, etc. Une petite moitié d’exploitations modernes assurent les productions agricoles qui pèsent dans la balance commerciale. La terre n’est plus bien souvent qu’un support facultatif. La majorité des exploitants sont des agriculteurs à temps partiel, des retraités, des pluriactifs, des exploitants en difficulté financière.

Les besoins de l’ensemble de la société, traduits par une aspiration pressante à un environnement protégé, doivent se défaire des mythologies résiduelles alimentées par le bucolisme médiatique. Le terme agriculture regroupe l’ensemble des activités économiques ayant principalement pour objet la culture des terres, et d’une manière générale, l’ensemble des travaux transformant le milieu naturel pour les productions végétales et animales utiles à l’homme. Dans son sens économique, l’agriculture est un des produits du rural. Elle propose également des services qui ne sont pas en lien avec la production alimentaire, mais apparentés au secteur tertiaire. Parmi ces services figurent ceux de la vente et de l’hôtellerie, non traditionnels et de plus en plus courants, signe d’une modernité pour la grande majorité des activités agricoles commercialisées. La place actuelle de ces services dans l’activité agricole est telle qu’il est difficile d’envisager l’agriculture sans activité tertiaire, comme il est difficile de parler d’agriculture au singulier.

1 HERVIEU B., 2006, Op. cit.

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